Digital : La « Silicon ambition » en marche

Start-up. Ce mot encore étranger pour beaucoup il y a peu, revient aujourd’hui sans cesse dans les échanges au cours des initiatives de soutien à l’employabilité des jeunes du Mali. Au point que, sur le terrain, nombre de projets d’entreprises, notamment dans le domaine des TIC, voient le jour. Une dynamique clairement engagée et soutenue par l’État, à travers le ministère de l’Économie numérique et de la communication, qui nourrit de très grandes ambitions dans le domaine pour le pays. L’ambition de se classer au top des innovations technologiques prend de plus en plus corps. Mais le Mali peut-il vraiment implanter sa « Silicon Valley » ?

« Le Mali a décidé de tout mettre en œuvre pour un développement inclusif de l’économie numérique et faire de Bamako la « Silicon Valley » de l’Afrique de l’Ouest ». Ce tweet du ministre de l’Économie numérique et de la communication, Arouna Modibo Touré, daté du 28 novembre 2018, dénote clairement l’ambition de l’État malien de faire véritablement bouger les lignes. S’il est vrai que le chemin pour parvenir à ce résultat et devenir une référence dans la sous-région est encore long, certains prémices sont néanmoins aujourd’hui visibles.

Avec le cadre d’incubation  public mis en place au sein de l’Agence des technologies de l’information et de la communication (AGETIC), à l’endroit des jeunes start-up, l’État assure son rôle d’accompagnement et de garantie d’accès aux marchés et aux financements, même si l’existence d’un fonds spécial mis à la disposition des jeunes entreprises n’est pas encore une réalité.

À cela s’ajoute « Tubaniso Agribusiness & Innovation Center», un véritable centre technologique financé par la Banque mondiale avec comme partie prenante l’État du Mali. Il a vu le jour à 10 km de Bamako et a pour objectif de devenir un sanctuaire technologique pour le Sahel et toute l’Afrique de l’ouest. C’est un espace de 100 hectares qui, au départ, était orienté agri-tech, mais par la suite s’est mué en un centre d’animation numérique complète.

« Ce qui est prévu est que les différentes structures, à savoir les différents centres d’incubation, les écoles de technologie et autres, aillent s’installer là-bas. Il y aura entre autres des espaces de coworking et des centres de calcul qui seront mis à la disposition des entreprises », indique Dr Hamidou Togo, Directeur national de l’économie numérique.

Quelques années plus tôt, bien avant « Tubaniso », en 2011, le gouvernement avait déjà pris une ordonnance portant création du Complexe numérique de Bamako, dont la première pierre avait même été posée. Mais, à en croire M. Togo, vu ce qui est arrivé par la suite en 2012, l’État a changé de priorité et le projet n’a pu se concrétiser. Toujours est-il qu’il existe aujourd’hui et repose sur 3 piliers principaux.

D’abord l’école supérieure des TIC, qui forme les jeunes ingénieurs et les techniciens  dans le domaine du numérique, ainsi que les non professionnels du secteur de manière continue. Ensuite, le « Techno Park », qui comprend, outre un centre d’incubation, des centres de calcul, des bureaux et d’autres commodités mis à la disposition des start-up débutantes. Enfin, le « Techno Village » représente l’animation numérique même du complexe, où différents acteurs des TIC, y compris ceux de l’informel, sont réunis.

« Aujourd’hui nous sommes en train de rassembler les financements pour construire ce complexe et le fusionner à « Tubaniso » au lieu d’avoir deux structures. C’est pour faire en sorte que les étudiants qui sortent du complexe et qui veulent aller vers l’entreprenariat numérique aient déjà un cadre approprié », souligne  Dr Hamidou Togo.

Éducation « adaptée »

Pour qui connait l’histoire de la Silicon Valley, aux États-Unis, il est aisé de comprendre que sa réussite repose d’abord et avant tout sur un modèle éducationnel américain hautement technique. Une réussite au départ liée à la présence et au rayonnement des universités de Stanford et de Californie à Berkeley.

Si, aujourd’hui, elle compte plus de 6 000 entreprises de haute technologie et a fortement inspiré des zones similaires un peu partout dans le monde, il est largement possible pour le Mali de créer la sienne. Néanmoins, il y a des étapes à suivre. Selon Michael Leventhal, ancien de la Silicon Valley aujourd’hui en charge du Centre national collaboratif de l’éducation en robotique du Mali, le plus important dans la réussite de la Silicon Valley est l’éducation et surtout le lien entre les universités et les entreprises. « C’est une question d’éducation technique, mais aussi aux affaires. Il faut améliorer le niveau de l’éducation au Mali afin d’arriver à tenir sur le marché technologique global en donnant l’opportunité aux étudiants de se familiariser avec les technologies de pointe avant même d’entrer dans le monde de l’entreprenariat », préconise t-il.

À l’en croire, le Mali gagnerait beaucoup en mettant en place un système éducatif dans lequel, dès le bas âge, les élèves sont conditionnés à croire en leurs capacités de créativité et à ne surtout jamais lâcher, cela même après plusieurs échecs. Outre l’éducation, la culture du risque s’impose également. Il importe d’asseoir des investissements, souvent à risque, afin de réaliser des projets qui au départ semblent fous à bien des égards.

Formations alternatives appropriées

En matière de formation des jeunes, même si le système éducatif ne s’y prête pas de manière adéquate dès l’école fondamentale, de nombreuses opportunités s’offrent dans le cadre de l’enseignement supérieur. À côté, et en véritable soutien à l’entreprenariat jeune, ce sont surtout les centres d’incubations privés qui font la part belle à l’accompagnement et à la réussite de beaucoup de projets, notamment dans les TIC.

À Impact Hub, selon le Directeur général Mohamed Keita, 25 à 30% des projets  accompagnés sont dans le domaine du digital. « Nous sentons de plus en plus d’engouement des jeunes à entreprendre dans ce domaine, assez transversal aujourd’hui quel que que soit le secteur d’activité ».

Du côté de l’École supérieure de commerce et de technologie (ESCT), qui abrite l’incubateur Jokkolabs, l’introduction substantielle des technologies dans la formation est plus que jamais d’actualité. « L’objectif est de donner une alternative au travail salarié et surtout au chômage à nos étudiants. Nous essayons de les pousse, avant la fin de leur cursus, à produire des projets », déclare Seydou Sy, Directeur général de Jokkolabs-Bamako.

Le lien direct entre  l’école et les entreprises n’est pas toujours évident à établir, parce qu’il est difficile de susciter les besoins de ces dernières. Mais, comme le souligne Emmanuel Bamba, responsable de la formation technologique à Jokkolabs-Bamako, « à tous les cycles nos jeunes portent des projets, jusqu’au Master. Ce qui fait que même pendant les vacances ils sont absorbés. Ils sont opérationnels dès la fin du cursus, avec l’alternative d’entreprendre ».

Concours « Mali start-up »

De nombreuses initiatives ont été mises en œuvre par le passé et s’accentuent. La dernière en date est le concours « Mali start-up », ouvert aux jeunes à travers tout le pays. 30 start-up ont été retenues parmi 178 candidatures et participeront à  un camp numérique de trois jours à partir du 17 janvier 2019. Au final, les 3 meilleures, désignées par un jury hautement qualifié, bénéficieront d’un voyage d’immersion à la Silicon Valley.

L’initiative est née d’un voyage du ministre Touré avec des cadres de son département et les représentants du secteur privé aux États-Unis. Elle est financée par l’Agence de gestion du fonds d’accès universel (AGEFAU) et pilotée par l’Association des sociétés informatiques du Mali (ASIM). « L’esprit du projet, c’est comment booster l’entreprenariat numérique. Nous avons identifié un certain nombre de secteurs qui caractérisent mieux l’industrie de la créativité du numérique, la blockchain, les objets connectés, le gaming. Il s’agit d’accroitre l’employabilité du numérique par la formation et le renforcement des capacités des jeunes par des experts », explique Mohamed Diawara, Président de l’ASIM.

Les efforts se conjuguent de toutes parts pour un véritable boom numérique du Mali. Au niveau de l’État, du secteur privé ou des promoteurs de start-up, la dynamique est en marche. « Le socle pour aller vers notre Silicon Valley est là. Il faut juste pousser davantage et renouveler les idées pour qu’en 5 à 6 ans nous ayons des embryons d’écosystèmes », conclut M. Diawara.

Moussa Niangaly, SG AEEM : « Les critères de distribution des tablettes ne sont pas encore définis »

Le 5 juillet dernier le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta procédait à la remise de 13 000 PC-tablettes aux étudiants du Mali. Une première étape qui devra se poursuivre par d’autres remises, selon les autorités. Mais alors que ce premier lot n’a pas encore été distribué, des rumeurs font état d’affrontements autour de cette distribution. Faux, assure le Secrétaire Général de l’association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) Moussa Niangali, qui répond à nos questions.

Quels sont les critères pour la distribution des tablettes ?

Les critères ne sont pas encore définis. Ils doivent l’être par le ministère en charge de l’Enseignement Supérieur en implication avec l’AEEM et le ministère de l’Economie Numérique et de la Communication.

Où se trouvent les tablettes actuellement?

Actuellement les tablettes sont à l’AGEFAU. Cette structure, sur la demande du ministère de l’Economie numérique et de la communication, les mettra à la disposition du ministère de l’Enseignement supérieur.

Quels sont les critères que l’AEEM souhaite proposer ?

Nous avons eu des rencontres sur le sujet. Nous souhaitons que les tablettes soient offertes aux plus méritants. Par exemple si une faculté obtient 1000 tablettes, qu’elles soient remises aux 1000 premiers. Ce sera alors la promotion de l’excellence. Nous avions aussi souhaité tenir compte des orphelins et ceux dont les parents sont pauvres. Mais avec la possibilité de falsification des certificats, cela risque d’être source d’autres problèmes. Et donc le mieux c’est de donner aux méritants. Il s’agit pour l’heure d’un projet pilote.

Quelles sont les facultés concernées par la distribution ?

La répartition se fera dans toutes les grandes écoles et facultés du Mali, y compris à l’université de Ségou. Chaque faculté aura un quota. Il s’agit de tous les étudiants du Mali sans exception.

Qu’en est-il des affrontements qui ont éclaté entre étudiants à propos de la distribution des tablettes ?

Ce sont des intoxications.  Il n y a pas eu de mort. Il y a quelques blessés, qui ont même déjà repris le chemin de l’école. Il s’agit d’un conflit entre deux personnes, qui a impliqué leurs facultés respectives : la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FSEG) et la Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage (FLLSL). C’est un problème qui date de plus de 5 mois. Un conflit de leadership. Cela a dégénéré et impliqué les deux facultés. Mais cela n’a rien avoir avec les tablettes.

Nous avons échangé avec les deux responsables et nous allons bientôt le faire avec la base. Nous avons donné des consignes fermes pour que cela ne se reproduise plus.

En réalité, le conflit a dégénéré à cause de l’intervention de la police qui s’est rendu à la faculté de droit, là où il n’y avait pas d’affrontements et a « gazé » les étudiants. Et c’est à partir de là que d’autres étudiants s’en sont mêlés.

Quand, les tablettes seront distribuées ?

Nous souhaitons que ce soit le plus rapidement possible. Il commence à avoir trop d’informations fausses autour de ces tablettes. Alors que nous pensons que c’est une bonne action qui doit continuer.