VBG : de plus en plus de victimes

En 20 ans, entre 2002 et 2022,  le nombre de  victimes de violences basées sur le Genre (VBG), très majoritairement des femmes, a explosé, passant de 2 283 à 14 264 cas, selon les chiffres du ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. Une tendance alarmante qui souligne l’ampleur croissante de ce fléau social au Mali.

Il existe 6 différents types de VBG : le viol, l’agression sexuelle, le mariage d’enfants,  le déni de ressources, d’opportunités ou de services et les violences psychologiques ou émotionnelles. Selon le Bulletin statistique annuel 2021 de la Direction nationale de la population (DNP), parmi les types de VBG rapportés en 2021, les données montrent une prédominance des violences sexuelles (38%), dont 23% de viols. Pour le reste, 20% sont des agressions physiques et des violences psychologiques, 15% sont des agressions sexuelles, 12%, des dénis de ressources et 10% des mariages précoces.

Parmi les 14 264 cas de VBG enregistrées au Mali en 2022, 14% étaient des violences sexuelles et 12% des victimes étaient des enfants de 12 à 17 ans. Si les statistiques de l’année 2023 ne sont pas encore publiées, au Programme national pour l’abandon des VBG on craint des chiffres plus élevés que ceux de 2022. Selon une source au sein de la structure, entre janvier et juin 2023 plus de 7000 cas avaient été déjà enregistrés.

Les agressions sexuelles en hausse

Selon le Bulletin annuel de la DNP, les statistiques de 2021 montrent une tendance à la réduction des cas de violences sexuelles de 3% (23% en 2020 contre 20% en 2021). Par contre, les cas d’agressions sexuelles sont passés de 15% en 2020 à 34% en 2021. La même tendance à la hausse se poursuit pour les cas de violences physiques, qui sont passés de 20% en 2020 à 27% en 2021, soit un taux d’augmentation de 7%.

« Pour le mariage d’enfants, le taux est resté inchangé (de 10% à 2020 il est resté le même en 2021). Le déni de ressources, d’opportunités ou de services a connu aussi une évolution de 6%. De 12% en 2020 il est passé à 18% en 2021. Seules les violences psychologiques ou émotionnelles ont connu une baisse significative : elles passent de 20% en 2020 à 11% en 2021 », indique le bulletin.

Si les VBG se multiplient au fil des années au Mali, il n’existe toujours pas de loi spécifique pour lutter contre le fléau. Plusieurs tentatives d’adoption d’une loi spécifique ont échoué par le passé, mais la réforme du Code pénal en cours devrait permettre de prendre les VBG en compte dans le nouveau texte.

Tchikan : Fousseyni Maiga est de retour

Avec plusieurs réalisations primées à l’international à son compte, dont le court métrage de fiction « Wolonwula » qui a remporté à lui seul 18 prix internationaux, le long métrage « Sira », qui a obtenu un prix spécial lors du dernier FESPACO à Ouagadougou et le 3ème prix du meilleur long métrage de fiction au festival Teranga de Dakar, Fousseyni Maiga, journaliste-réalisateur, revient avec un nouveau long métrage intitulé Tchikan, dont la sortie en avant-première est prévu pour le 3 novembre 2023.

Le film Tchikan raconte l’histoire de Madou Karatô, la soixantaine révolue, un macho égocentrique qui veut épouser trois femmes à la fois. Humilié dans sa propre famille et stigmatisé dans le village, il gagne au loto. Rejeté par tous auparavant, Madou Karatô décide de prendre une revanche sur la vie et de satisfaire ses vieux rêves d’enfance et de jeunesse. Premier long métrage du Mali dédié exclusivement à la thématique des violences basées sur le genre (VBG) et des abus sexuels, le film, de par son approche artistique et intemporelle, transcende plusieurs générations, plusieurs cultures, plusieurs idéologies et aborde les VBG sous le prisme des réalités sociales et de la responsabilité humaine. Le film démontre que les VBG et les abus sexuels sont le fruit d’une faillite sociétale et porte le message d’une action collective et responsable, « Agir avant que les victimes ne réagissent », tout en montrant une nouvelle voie portée vers plus d’actions concrètes en matière de lutte contre les abus.

Le budget global du film s’élève à 70 millions, intégrant les frais de développement, de production, de post-production et la promotion, ainsi que le financement de la tournée nationale pour des projections gratuites. 20 millions est le nombre estimé des personnes qui seront touchées par le film, à travers les diffusions en salles, sur les réseaux sociaux, dans les festivals et lors des projections grand public. Il est prévu 48 semaines de durée pour la tournée dans tous les quartiers du District de Bamako et dans toutes les capitales régionales du pays avant la diffusion TV et sur les réseaux sociaux. Au regard du rythme accru de ses productions, Fousseyni Maiga a été incontestablement le réalisateur malien le plus actif au cours des cinq dernières années.

Accès des personnes vulnérables à la justice : CapDH lance un projet 

Le Centre d’assistance et de promotion des droits humains (CapDH) avec l’appui financier d’ONU Femmes a procédé jeudi 10 août à Bamako au lancement de la 2ème phase du projet « Legal Assistance for Women (LAW II).

Avec pour objectif général d’améliorer l’accès des communautés en particulier les personnes vulnérables (femmes filles handicapées) à la justice au Mali, cette 2ème phase du projet « Legal Assistance for Women – LAW II » couvrira les cercles de Nara, Diéma, Nioro, Yélimané, Koutiala, Yorosso et s’étendra sur 18 mois. Elle a débuté le 1er juillet 2023 et prendra fin le 30 novembre 2024.

Pour y parvenir, plusieurs activités sont menées à l’instar des ateliers de formation des acteurs de la société civile, du renforcement de capacités des magistrats et des parajuristes, des séances d’information, d’éducation et de communication sur les droits humains, les Violences basées sur le genre (VBG) et l’accès à la justice.

Le projet apportera également des appuis aux parajuristes dans l’identification des victimes, l’aide juridique et le rapportage ainsi qu’une assistance judiciaire aux victimes de VBG tout en réalisant et diffusant des messages radiophoniques sur les droits humains, les VBG et l’accès à la justice.

Parmi les groupes cibles du projet « Legal Assistance for Women – LAW II », dont le budget total est de 132.634.500 FCFA, 180 membres de la société civile et acteurs de la chaîne pénale dont 50% de femmes et 70% de jeunes, 2400 personnes qui seront sensibilisés, 630 autres personnes bénéficieront de l’aide juridique et 60 justiciables, d’assistance judiciaire.

La cérémonie de lancement qui a été marquée par des prestations artistiques et un sketch émouvant de sensibilisation sur les VBG réalisé par le groupe de la comédienne Alima Togola, s’est déroulée dans une atmosphère conviviale, en présence de quelques personnalités.

« Suite à la crise multidimensionnelle qui sévit au Mali depuis une décennie, la situation sécuritaire reste fragile et de nombreuses localités sont devenues un terreau fertile pour les violations et abus des droits de l’homme dont les couches vulnérables et défavorisées sont particulièrement exposées. C’est en ce moment et à ces endroits qu’il faut redoubler d’efforts pour venir en aide aux victimes d’abus et de violations des droits humains », a souligné Negueting Diarra, directeur exécutif de CapDH.

CapDH est une association de droit malien et apolitique créée à Bamako en mars 2008.   Avec pour mission de promouvoir au Mali les droits humains, la culture de la paix et de la citoyenneté et aider les victimes à défendre et à jouir de leurs droits, elle intervient dans 3 axes stratégiques que sont la promotion et défense des droits humains, l’éducation à la culture de la paix et de la citoyenneté et l’assistance aux victimes de violation des droits humains et aux personnes vulnérables.

 

 

 

 

 Toulaye : sensibiliser sur les violences faites aux femmes

Toulaye est une jeune femme plutôt épanouie. Mariée, elle a deux enfants et un bon travail. Son couple vit en parfaite harmonie, jusqu’à l’arrivée de sa belle-sœur divorcée. De plainte en provocation, elle se bat avec Toulaye qu’elle accuse de tous les noms. Sans trop chercher à comprendre, Siriki, son mari se transforme et commence à la battre. Un cycle de violence qui est malheureusement le lot de plusieurs femmes, victimes silencieuses, que l’Association des Femmes de l’Image (AFIM) essaye de défendre à travers ce film projeté le 8 mars 2023 au Ciné Magic Babemba.

« J’espère que le message est passé, que les hommes ont compris que les femmes ne sont pas des rivaux. Nous sommes complémentaires, même quand il y a des problèmes, il faut communiquer », s’est exprimée Salimata Tapily, à l’issue de la projection. Même si elle est heureuse de l’accueil du public, la réalisatrice aurait souhaité mieux faire. «  On n’a pas eu le temps de le perfectionner, on voulait tellement le finir pour le 8 mars ».  Mais l’essentiel pour elle, reste d’avoir fait passer le message. L’objectif du film était de montrer qu’il « y a des milliers de Toulaye, qui n’osent pas dire ce qu’elles vivent. Ce film est une dédicace pour toutes celles qui souffrent ».

Le film fustige les Violences Basées sur le Genre (VBG), dont il se veut une contribution à la lutte qui ne fait que commencer, annonce Diarra Kounandy Sidibé, une des actrices du film.

L’autonomisation et l’entrepreneuriat des femmes sont quand à eux magnifiés et incarnés par la comédienne, Alima Togola, qui joue le rôle de l’actrice principale, Toulaye.

Le message est celui de la violence conjugale, « vécue au quotidien par les femmes ». Malheureusement, souvent « derrière les violences faites aux femmes,  il y a des femmes, il faut se poser des questions ». Une réalité qu’ont voulu dénoncer les femmes de l’AFIM à travers le film. «   L’homme est violent parce qu’il est victime de la société qui lui demande  d’être homme », explique Alima Togola. Une façon de le pousser à agir y compris avec violence, car « celui vit en harmonie avec sa femme » est souvent qualifié  « d’esclave de femme », littéralement en bamanan.

Dans ce combat, c’est surtout les hommes qu’il faut sensibiliser, estime pour sa part, Ibrahim Touré, comédien et spectateur averti. « Il faut sensibiliser les hommes, leur faire prendre conscience de ce qu’ils font ».

Autonomisation des femmes : un vaste programme

Processus complexe destiné à permettre aux femmes d’accéder à la jouissance de plusieurs droits, l’autonomisation est souvent malheureusement réduite à l’exercice d’activités génératrices de revenus. Ce qui entrave encore plus la possibilité pour les femmes d’espérer une amélioration de leur situation.

Grand acquis pour les femmes afin de s’épanouir, l’autonomisation est un programme leur permettant non seulement de se prendre en charge mais aussi d’être utile à toute la société, estime Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente du réseau Femmes, droit et développement en Afrique (Wildaf Mali).

Il faut donc une véritable politique étatique, capable de mettre en œuvre toutes les problématiques relatives à l’accès des femmes à leurs droits. « Ce n’est pas une question d’argent », insiste Madame Bouaré. Car il faut aborder les questions de l’éducation, de la santé de la reproduction et de l’entrepreneuriat ensemble afin d’y apporter des réponses globales.

Au Mali, plus de 77% des femmes vivent en milieu rural, selon le 4ème Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Malgré un très faible accès aux ressources, comme la terre ou le crédit, elles représentent 49% de la population active agricole et assurent plus de 70% de la production alimentaire. L’appui à la réalisation d’activités génératrices de revenus à l’endroit des femmes n’est donc qu’un volet du vaste chantier de l’autonomisation.

Plusieurs facteurs défavorables hypothèquent l’émergence économique et sociale des femmes. Dans un contexte marqué par l’insécurité alimentaire et le changement climatique, les appuis consistent à leur offrir des moyens innovants de réduire non seulement la consommation des ressources naturelles, sources d’énergie, mais aussi la réduction du temps consacré aux tâches ménagères, afin de donner plus de temps à la production.

Violences persistantes

La question de l’autonomisation des femmes ne peut être abordée sans celle des violences, qui subsistent, surtout dans le contexte conjugal « lorsque tout repose sur une personne et que celle-ci n’arrive pas à tout résoudre », explique la Présidente de Wildaf. Résoudre les violences à l’égard des femmes constitue donc un pas réel vers l’autonomisation. Mais le défi, dans un environnement difficile marqué par de nombreuses crises, est d’assurer non seulement la pérennité des investissements réalisés, mais aussi de garantir une participation efficace des femmes à la vie sociale et leur épanouissement . Une étape essentielle pour l’atteinte de l’Objectif 50-50 d’ici 2030.

Mali – Loi anti VBG : battue en brèche

Longtemps attendue par les défenseurs des droits de la femme, la loi anti Violences basées sur le genre (VBG) est encore loin de faire l’unanimité. Son processus d’adoption vient d’être suspendu par les autorités, sous la pression du Haut conseil islamique du Mali (HCI), opposé au texte. Outre la sensibilité des questions soulevées, comme les mutilations génitales féminines ou l’âge légal du mariage, l’ambigüité de certaines dispositions parasite le débat et empêche de poser de façon objective la problématique. Entre défenseurs « de nos coutumes et valeurs » et pourfendeurs « des violences basées sur le genre », le fossé est grand. Et le combat pour l’adoption de cette loi spécifique semble bien compromis.

« Dans tout ce qui concerne l’état des personnes, principalement les questions relatives à la succession en République du Mali, souvent les questions sont mal posées et lorsque les problèmes sont posés on le prend par le mauvais côté », estime Maître Abdrahamane Ben Mamata Touré, avocat.

Les  règles et la manière de vivre communes, censées régir notre vie en société, doivent donc être définies ensemble. Dans un tel contexte, les lois sociales qui émanent de diverses « forces créatrices » devront être en harmonie avec celles du droit. Les religieux étant une partie intégrante de ces forces, leur adhésion ou leur rejet détermine souvent le sort de ces règles.

Ainsi, « pour qu’une loi passe, que les gens s’y retrouvent et y adhèrent, il faut que ce soit conforme à leur façon de voir et d’être ». Parce que la loi ne vient que pour mettre en normes « un style et un mode de vie », poursuit Maître Touré.  Cette  loi qui nous est donc propre et que l’on s’applique n’est pas forcément celle que l’on amène d’ailleurs.

Même si le mimétisme n’est pas forcément mauvais, parce que les bonnes pratiques peuvent exister partout. Il nous faut cependant choisir entre nous battre « pour mettre en place un système normatif qui nous ressemble et dans lequel on se reconnaît » ou des règles venues d’ailleurs et que nous transposons dans notre dispositif.

Entraves à la lutte ?

Dans tous les cas, le sursis à l’adoption de cette loi est un coup dur pour le combat pour l’élargissement des droits de la femme, selon Dr Kontin Marie-Thérèse Dansoko, chargée des questions Genre au ministère de la Justice. « Parce que généralement, à chaque fois qu’il y a en vue l’élaboration d’un texte favorable à la promotion de la femme, le gouvernement capitule face aux religieux ».

Mais il ne  faut pas voir dans ce sursis « un simple recul », relève Maître Touré. Il est important de savoir quels sont les reproches faits au texte par « les forces religieuses et sur lesquels le gouvernement a reculé ». De cette façon le débat sera clairement posé et chacun « se fera sa religion ».

Parmi les associations qui ont lutté pour obtenir cette loi contre les VBG, Demeso, une clinique juridique qui assiste les victimes de violences, ne considère pas la décision du gouvernement de surseoir au processus d’adoption comme un recul. Elle veut plutôt y voir une opportunité pour continuer la concertation. « On peut se réunir avec ceux qui contestent. Certains articles, qui prêtent à confusion ou sont mal compris, peuvent être relus », estime Maïga Mariam Diawara,  coordinatrice Genre de Demeso. Sinon, « d’autres sont vraiment clairs et cruciaux et il est urgent d’avoir cette loi ».

Parmi les aspects reprochés à l’avant-projet de loi, l’article 3, dont ambiguïté laisse la place à toute sorte d’interprétations. « La présente loi protège toute personne, sans aucune forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, l’état de grossesse, l’état-civil, l’âge, sauf dans la mesure prévue par la loi et en conformité avec les textes internationaux ratifiés, la religion, l’opinion politique, la langue, l’origine ethnique ou nationale, le handicap physique ou psychique, la situation matrimoniale, la situation sociale ou sur tout autre motif lié à l’identité d’une personne ». Certains y voyant une autorisation tacite de l’homosexualité.

Plusieurs griefs sont évoqués à l’encontre de l’avant-projet par le Haut conseil islamique du Mali, qui dénonce « l’esprit non malien » du texte. Pour M. Mohamed Macki Bah, Vice-président du HCI, « l’article 2, qui dit « aucune coutume, tradition, culture ou religion ne peut être invoquée pour justifier la perpétration d’une violence basée sur le genre, disculper un auteur quelconque de ce type de violence ou minimiser la peine applicable à l’encontre de celui-ci », justifie notre opposition à cette loi ».

Parce que « chaque Malien appartient soit à une coutume, soit à une religion, et dire qu’aucune d’elle ne peut s’opposer à cette loi dès qu’elle entre en vigueur » est inacceptable.

Ensuite, le HCI reproche aux autorités de remettre dans ce texte des dispositions qui avaient fait l’objet de discorde entre eux, lors de l’adoption du nouveau Code des personnes et de la famille, en 2009 puis 2011.  Alors même qu’un terrain d’entente avait été trouvé entre les deux parties.

Modèle consensuel

Il s’agit par exemple des règles relatives à la succession. Il avait été convenu que lorsque les gens le décident leur succession soit gérée selon la loi musulmane ou par le droit positif. Un compromis remis en cause dans l’avant-projet de loi anti VBG, qui garantit l’entièreté de la part successorale à la femme notamment. Concernant le mariage précoce, c’est-à-dire celui d’une personne âgée de moins de 18 ans, qui « va être criminalisé » par la nouvelle loi, c’est une véritable aberration pour le HCI. En effet, il avait été aussi convenu qu’avec l’accord des parents, « des enfants de moins de 18 ans ayant une certaine maturité », puissent se marier.

Déplorant de n’avoir « jamais été associé » au projet, le Vice-président du HCI explique qu’ils ont « été simplement invités lors de dernière journée de plaidoyer ». « Si nous avions été associés dès le début, nous aurions aidé le combat contre les violences faites aux femmes. Nous sommes engagés dans ce combat ».

Si le HCI approuve l’abandon par le gouvernement du projet, il estime qu’il « faut consulter les Maliens, pour lesquels la loi sera prise ». Ceux dont la coutume ou la religion est touchée doivent donner leur avis.

Et il est bien possible « d’en parler de manière apaisée et de trouver un compromis », selon Maître Touré. Autant pour le mariage précoce que pour l’excision.

Tout un arsenal

Mais pour lutter efficacement contre les VBG, une loi ne suffit pas. Il faut mettre en place tout un arsenal pour aboutir à une prise en charge rapide et efficiente des cas. En plus de la loi spécifique, il faut des juridictions spécifiques. Afin que quand un acte est commis la police soit directement saisie. Alors se tiendront des audiences de référé et l’homme ou la femme mis en cause sera directement jugé, explique Marie-Thérèse Dansoko. Or, ce dispositif n’existe pas encore.

Pour y arriver, il faut « se mettre ensemble pour adopter des textes qui correspondent à nos valeurs », suggère Madame Maïga. Il est donc possible de « retravailler le document » et surtout de se dire que ce n’est « pas une loi pour les femmes, mais les pour les deux sexes ». Pour des questions comme celles de l’excision ou du mariage précoce, « ce sont les professionnels de santé qui peuvent mieux expliquer les enjeux », ajoute Madame Maïga. Il faut donc les associer et « approcher ceux qui s’opposent ».

Parce « qu’à cause de deux sujets on remet en cause des dispositions protectrices pour les hommes et les femmes », déplore le Dr Kontin. Si le moment n’est pas propice pour remettre cette loi sur la table, « il faut, avant tout processus d’adoption, procéder à une large diffusion de la loi et de son contenu et se battre pour l’adhésion au lieu de se battre pour son adoption », suggère-t-elle.

Mali – Loi sur le Genre : pas encore à l’ordre du jour

Alors que son processus d’adoption n’était pas encore enclenché selon des organisations de la société civile, l’avant projet de loi sur le genre suscite déjà la polémique et son adoption semble pour le moment remise en cause. Les réticences du Haut Conseil Islamique du Mali (HCI) ont eu raison de la volonté du gouvernement de transition qui a décidé de surseoir à l’adoption de cet avant projet. Une décision dont s’est réjouit le HCI lors d’une conférence de presse le 2 janvier 2021. Mais pour faire évoluer la situation des femmes, il faudrait plus qu’une loi, une volonté et un consensus sans faille.

« Il fallait d’abord mieux expliquer le contenu. Par exemple il y a une allusion à certaines dispositions qui seraient sur l’homosexualité, alors qu’il n’en est rien. Il faut se rencontrer et discuter point par point au lieu de traduire comme on veut », estime madame Diawara Bintou Coulibaly, présidente de l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes (APDF).

Si des rencontres autour de la loi sont nécessaires pour permettre à ceux qui ont écrit la loi d’expliquer le contenu des dispositions, il faut aussi rappeler, que le Mali est tenu par des engagements internationaux, ajoute madame Diawara.

«  Parce que le Mali a aussi des engagements internationaux auxquels il a volontairement souscrits et qu’il doit respecter ».

Malgré tout, il était convenu d’avoir « des points d’entente », à travers la mise  en place d’une « commission et de relever les points de désaccord avec les règles de la religion musulmane ». «  A notre grande surprise, le contenu de la loi a été contesté sans cette discussion préalable », déplore madame Diawara.

Réticence incomprise

C’est même une démarche « insidieuse, juste pour s’opposer au nom de prétendues coutumes », dénonce pour sa part une militante des droits de la femme, qui préfère garder l’anonymat. Sinon, l’adoption de la loi  n’était même pas à l’ordre du jour. « Le processus d’adoption n’était pas enclenché et l’avant projet était entrain d’être lu et relu par le groupe mis en place pour sa rédaction ».

Pourtant cette loi est faîte pour protéger celles qui n’ont ni les moyens ni la capacité de défendre leurs droits et qui subissent, explique t-elle.  Il y a des réalités non traitées dans ce pays que cette loi veut prendre en charge, des situations qui concernent aussi les hommes. Qu’il s’agisse par exemple de viol ou de harcèlement. Egalement,  la punition de l’infanticide et le droit de provoquer l’interruption de la grossesse en cas de viol, justement pour éviter ces infanticides.

Les réalités coutumières existent, mais les engagements internationaux s’imposent, insiste la présidente de l’APDF. Et c’est de façon consciente que nos représentants se sont engagés, alors qu’ils pouvaient émettre des réserves.

« Les organisations de la société civile ne sont  que les exécutants  de ce que nos représentants eux-mêmes ont adopté ». « Il n y a rien de l’occident »,  se défend la militante. « Des réalités que nous vivons au quotidien ».  Elle reste convaincue qu’une application stricte de la loi, permettra de réduire considérablement le phénomène et qu’il n ya que la volonté politique pour le faire, «  malheureusement le rapport de est défavorable » aux autorités,  conclut elle.

VBG : Les femmes se mobilisent

 Une centaine de personnes ont marché ce samedi 26 septembre, contre les violences basées sur le genre. Politiques, actrices de la société civile et activistes des droits des femmes ont marché du Monument de l’Indépendance au Centre Aoua Kéïta en Commune III de Bamako. C’était à l’appel de l’Alliance contre les violences basées sur le genre.

Alors que l’affaire Sidiki Diabaté, accusé de violences sur son ancienne compagne Mariam Sow, défraie la chronique, une centaine de personnes ont marché contre les VBG au Mali. Toutes de blanc vêtues, elles tenaient des slogans fustigeant les violences faites aux femmes. «  je refuse qu’on me brutalise ! Pas d’empathie pour le bourreau. Stop aux VBG », pouvait-on lire sur les pancartes.  « Nous lançons un appel à tous les Maliens, femmes et hommes, de nous rejoindre afin de construire un Mali où tous les êtres sans distinction aucune vivent libres de toute violence, où un être humain n’appartient pas à un autre, où aucune personne ne peut être victime de séquestration, de sévices, de pratiques dégradantes et humiliantes » a déclaré  Cheick Tidiane Diallo, porte-parole de l’Alliance contre les violences basées sur le genre.

Au nom des organisateurs, il a appelé à  l’adoption du projet de loi portant prévention, répression, et de prise en charge des VBG au Mali dans un délai « acceptable ». « Nous allons porter le combat ensemble et essayer de faire passer les lois pour protéger davantage les genres », a promis Assane Sidibé, ancien député. « Ce 26 septembre 2020 coïncide avec l’anniversaire du plaidoyer que j’ai engagé le 26 septembre 2019 pour l’adoption de la loi contre les VBG. C’est une lutte de tous les jours. La sensibilisation et surtout aider les victimes à briser le silence, à dénoncer les cas. Il ne s’agit pas de faire une guerre ouverte aux hommes. Le Mali a l’obligation de mettre en priorité les politiques publiques qui protègent les femmes et qui endiguent les violences basées sur le genre. Si le Mali ne le fait pas on va l’appeler devant les cours et  tribunaux de la sous-région dans un acte de litige stratégique », a déclaré Maître Nadia Myriam Biouele, avocate de Mariam Sow.

Lutte contre l’excision : À petits pas

Mis en place en 2002, le Programme national de lutte contre l’excision (PNLE) est depuis juillet 2019 devenu le Programme national d’abandon des violences basées sur le genre (PNA – VBG). Malgré des programmes et l’adoption de plans d’action, la prévalence de la pratique reste élevée au Mali. Les acteurs appellent à l’adoption d’une loi contre les VBG, car les défis restent importants.

« Environ 2 000 communautés ont fait des  déclarations publiques d’abandon, sans compter celles qui ont abandonné sans déclaration publique », se réjouit Youssouf Bagayoko, anthropologue au Programme national d’abandon des VBG.

Selon le rapport 2018 de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), « les actions de sensibilisation des organisations de la société civile, (…) en partenariat avec le ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, « ont amené plus de 1 088 villages sur les 12 000 du Mali à déclarer leur abandon de la pratique ».

Des réalisations rendues effectives grâce notamment au vote d’une Politique nationale pour l’abandon de la pratique de l’excision, en 2010, assortie des plans d’action 2010 – 2014 et 2015 – 2019.

Sur cette question sensible, où se mêlent tradition et religion, les acteurs ont surtout mis l’accent sur la sensibilisation, même si la « mutation » de la pratique de l’excision « en violence basée sur le genre », n’est pas un progrès, selon certains.

Au plan du plaidoyer, le PNLE s’est attelé à l’organisation de sessions à l’endroit des décideurs, afin d’attirer leur attention « sur la gravité de la pratique et ses conséquences sur les victimes et sur le respect de la dignité et des droits humains en termes de santé, de justice ».

Le changement de comportement étant un processus à long terme, les responsables du programme se réjouissent néanmoins des « déclarations publiques enregistrées » et « des milliers de leaders d’opinion » qui « ont fait des déclarations individuelles pour témoigner de leur position contre la pratique de l’excision ».

Loi consensuelle

Pour avancer, même à petits pas, l’adoption d’une loi est nécessaire « pour permettre à ceux qui refusent la pratique de défendre leurs droits et aux victimes de réclamer réparation », explique Madame Fatimata Dembélé Djourté, Présidente du groupe de travail sur les droits catégoriels à la CNDH.

Il existe déjà un avant-projet, mais le travail continue pour aboutir à « une loi légitime », dont tout le monde comprendra le bien fondé, explique M. Bagayoko. « Cette loi protège tout le monde et n’est contre personne ».

Violences basées sur le genre : Changer les mentalités

Définies comme « tout acte préjudiciable commis contre la volonté d’une personne et fondé sur les rôles différents des hommes et des femmes que leur attribue la société », les Violences basées sur le genre (VBG) inquiètent de plus en plus les acteurs sociaux. À Bamako, au mois de juin, 2 cas de violences conjugales ayant conduit aux meurtres de deux épouses ont choqué l’opinion publique. Face au phénomène, les autorités ont entrepris la mise en place de certains dispositifs destinés à renforcer la lutte, en plus d’un processus de sensibilisation pour changer les comportements. Car ces violences, qui sont très peu dénoncées, sont très souvent bien tolérées, ce qui aboutit à leur banalisation.

« C’est l’application de la loi qui pose problème en matière de VBG. Surtout quand cela se passe en famille. C’est très difficile de sévir contre le chef de famille. C’est aussi une question culturelle, parce que le fait d’amener ces affaires devant les juridictions n’apaise pas la situation », explique Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente de Wildaf Mali.

En effet, oser dénoncer ces violences au sein d’un foyer aggrave souvent le sort de la victime et crée une situation d’impasse. Et, malheureusement, « ce n’est que lorsque l’irréparable survient que tout le monde se mobilise », déplore Madame Bouaré.

C’est pourquoi, « il faut gérer le phénomène en amont », préconise-t-elle. Aussi bien au sein de la famille, de la société ou chez les personnes censées appliquer la loi, la vigilance doit être de mise et l’action immédiate. C’est pourquoi, lorsqu’il y a eu les premiers décès dus à des « féminicides », Wildaf Mali a alerté l’opinion et rencontré plusieurs autorités, y compris les leaders traditionnels et religieux. Cette « veille », indispensable, doit être menée par tous les acteurs sociaux et amener à agir et à dénoncer dès qu’un cas de violence est signalé, même s’il intervient dans une famille, « parce la violence ne doit pas être la norme ».

Ancré et consacré, le principe selon lequel  les femmes doivent être soumises tend à rendre la violence normale. En effet, sous prétexte qu’elle fait ou ne fait pas quelque chose, une femme peut être battue. Pourtant, « il peut arriver que l’homme agisse mal ou qu’il ne s’acquitte pas par exemple de ses devoirs, mais ce n’est pas pour autant qu’il est battu », ajoute Madame Bouaré. La violence ne peut donc se justifier, mais plusieurs facteurs peuvent contribuer au phénomène.

Causes multiples

Ces violences basées sur le genre sont en réalité des « violences faites aux femmes (VFF) », explique Madame Marie-Thérèse Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice et des droits de l’Homme, et elles ont toujours  existé.  Dans certaines traditions, par exemple, le trousseau de la jeune mariée contenait un fouet, destiné à son mari pour « la corriger » au besoin. Cette acceptation du phénomène contribuait à banaliser les actes de violence « grâce à la supériorité des hommes », explique Madame Dansoko.

Mais ce qui a exacerbé le phénomène, selon elle, ce sont les assassinats, qui se sont multipliés. L’une des causes de cette violence latente est à rechercher dans « l’effritement » de notre éducation. Aussi bien celle des filles que des garçons. Ces derniers, appelés donc à se réunir pour former un foyer, ne peuvent le faire, car ni « préparés, ni formés » à cet effet. Les ravages des stupéfiants, dont la consommation connaît une progression fulgurante dans notre société, fait aussi partie des facteurs d’augmentation des cas de violence. Le stress et la pauvreté  contribuent aussi à l’aggravation de ces violences.

Le phénomène, qui ne s’installe pas brusquement, est « un long processus qui naît de conflits mal gérés », note Madame Dansoko.  Puisqu’il est demandé aux femmes de tout accepter, elles essayent de gérer la situation à leur niveau, jusqu’à ce que cela les dépasse.

Même si « les violences faites aux femmes se gèrent au cas par cas », « il faut alerter lorsque l’on se sent en insécurité », conseille Madame Dansoko.

Intensifier la lutte

La lutte contre ces actes, qui portent atteinte aux droits et souvent à la vie des femmes, peut s’avérer difficile dans un contexte social où les réticences sont grandes, mais les autorités ont « pris les devants, avec la mise en place de Points focaux genre au niveau de chaque unité de police », indique Madame Dansoko. Et la police a adopté un plan d’action stratégique 2018 – 2020 qui prévoit notamment le renforcement de la capacité organisationnelle et institutionnelle de la structure au plan national.

Mais la difficulté principale de la lutte réside dans le fait que les plaignantes risquent une réprobation de l’entourage et, au pire, un divorce, ce qui fait qu’elles hésitent, notent plusieurs acteurs. Le plus dur est que « l’entourage du mari peut même considérer cette dénonciation comme une humiliation. Or, il a le devoir de protéger la femme », déplore Madame Dansoko. C’est donc aux « femmes, qui sont les premières concernées », de dénoncer les faits pour être prises en charge.

« Les hommes, sans distinction de classe sociale, commettent des actes de violence. Il faut les sensibiliser aussi », relève pour sa part Madame Bouaré. D’autant que ces violences ont des conséquences néfastes sur les enfants, qui ne pourront être les citoyens modèles que nous souhaitons.

Même si ces actes ne doivent pas rester impunis, la répression n’est pas forcément la solution, ajoute Madame Dansoko. « Il faut un processus de plaidoyer, de sensibilisation et de formation pour faire comprendre aux hommes que ces violences ne sont pas banales et sont des violations de droits ».

Adapter les solutions

Actuellement en service, un numéro vert permet d’alerter les autorités compétentes, mais il faut qu’il « couvre le territoire entier et qu’on lui donne un certain pouvoir », suggère la présidente de Wildaf Mali. Afin que les agents, lorsqu’ils  sont sollicités, ne se limitent pas à un constat. Ils doivent pouvoir prendre des mesures conservatoires, comme mettre la victime en sécurité. Une insuffisance également déplorée au niveau de la justice. « Les moyens doivent être renforcés pour garantir la protection de la victime », qui n’est pas souvent à l’abri, même après la sortie de prison de l’auteur des violences, selon Madame Samaké Oumou Niaré, magistrate, Point focal genre au Tribunal de Première Instance de la commune III.

Il faut aussi une amélioration dans la formation pour la prise en charge des victimes. « Il faut des lois spécifiques, comme c’est le cas pour la traite des personnes, dans laquelle on trouve des dispositions relatives aux VBG », note Madame Samaké. Ce dispositif, qui n’est pas formel, devrait « être  institué au niveau de chaque juridiction », selon la magistrate, ce qui permettrait d’inscrire dans la durée la lutte, qui est un processus de longue haleine.

« La loi est dissuasive et protectrice », relève Madame Bouaré, c’est pourquoi l’adoption d’une loi spécifique, très attendue par les acteurs, peut renforcer l’arsenal juridique existant, qui s’appuie sur de textes généraux, comme le Code pénal, par exemple.

Même si les « VBG ne sont pas une question de statut social », l’autonomisation des femmes constitue l’une des pistes de solutions. En effet, selon Madame Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice, certaines études ont démontré que les femmes qui contribuent aux charges du ménage rencontrent moins de problèmes de violence.

En attendant la mise en place des Comités d’institutionnalisation genre, les Points focaux genre sont installés dans les départements ministériels. Leur objectif est de promouvoir la Politique nationale genre (PNG) dans leur structure. Ils s’occupent notamment des questions concernant l’égalité homme – femme et surtout de lutter contre les violences basées sur le genre.

Agressions sexuelles : Bamako, une ville dangereuse pour les femmes ?

Dans une récente étude publiée par Plan International sur les agressions sexuelles dans le monde, Bamako, a été classée parmi les villes les plus dangereuses en matière d’agression à l’égard des femmes. L’enquête menée  entre mai et août décrit un phénomène qui interpelle. Dans la ville des 3 caïmans, des adolescentes et des jeunes femmes sont victimes d’agressions sexuelles. Des victimes qui peinent encore à se départir de la honte pour dénoncer leurs agresseurs, dont les actes restent pour la plupart impunis.

Selon les conclusions d’une étude menée par l’ONG Plan International, Bamako est parmi les villes les plus dangereuses pour les femmes (agressions sexuelles, enlèvements, meurtres…). Parue la semaine dernière, l’étude, menée en ligne auprès de 392 experts des droits de l’enfant et des femmes, place la capitale malienne au 17ème rang, après Johannesburg et Ouagadougou mais avant Stockholm et New York. 22 villes étaient concernées et dans lesquelles un minimum de 15 experts par ville devaient répondre aux questionnaires de l’ONG. Les critères de choix des différentes villes ne sont pas définis dans l’étude. Cette dernière précise toutefois que dans les 22 villes sondées « le harcèlement sexuel est le principal risque pour la sécurité des filles et des jeunes femmes ». 60% des experts affirment que « les actes de harcèlement sexuel ne sont jamais ou difficilement dénoncé aux autorités ». A la question de savoir à combien ils évaluent les risques d’agressions sexuelles ou de viols à Bamako, les experts l’estiment à 32%, devant des mégalopoles comme New Delhi (Inde) ou encore le Caire (Egypte). Des affirmations qui étonnent le commissaire principal Marie Jeanne Sangaré, commandant de la Brigade des mœurs. « Je ne sais pas d’où ils tirent ces conclusions, mais je ne saurais dire que Bamako fait partie des villes dangereuses pour les femmes » assure-t-elle. Celle qui dirige l’unité qui lutte contre ces cas d’agressions depuis 2015 affirme être très surprise. En 2017, son département n’a enregistré « que » cinq cas de viols, sept de pédophilies, un inceste, mais tout de même 28 attentats à la pudeur dirigé à l’encontre de mineurs. Pour l’année en cours, trois viols ont été répertoriés. Parmi lesquels le sinistre viol collectif qui a circulé sur les réseaux sociaux et dont les images avaient suscité l’émoi de toute la capitale. Pour ce cas, précise la commandante, il a fallu une dizaine de jours à la victime avant de se présenter dans leurs locaux. Ce qu’elle regrette. « Après une agression sexuelle, la victime doit être prise en charge dans les 72 heures, au-delà, elle s’expose ». A moins de trois mois de la fin de 2018, les chiffres sont en baisse. 5 cas d’attentats à la pudeur et un cas de pédophilie complètent le tableau des violences sexuelles à la brigade des mœurs. Toutefois, elle reconnait que tous les cas ne sont pas signalés à leur niveau. Certains le seraient directement dans les commissariats, la non uniformisation des données rend difficile une compilation plus large.  Une fois répertoriée, une expertise médicale est demandée par les forces de l’ordre. « Nous recevons des cas, mais ce n’est pas très fréquent et le plus souvent ce sont des viols commis sur des mineures ou des adolescentes non encore mariées », précise le professeur Issa Diarra, chef du service gynécologique de l’hôpital Mère-Enfant du Luxembourg. Etape délicate pour de nombreuses victimes. « Nous ne devons pas les obliger. Il faut établir une relation de confiance avec les victimes, c’est la base.  Si vous perdez cette confiance, vous prenez le risque que la victime se braque » affirme le commissaire principal Sangaré. Les cas répertoriés ne constituent que la face visible des crimes commis.

Des causes injustifiables Les violences que subissent les femmes sont diverses. Harcèlement, viol, violence physique et morale. Les causes mises en avant ne justifient pas les déchainements. « Parfois, ce sont des comportements liés à l’habillement qui provoquent  mais aussi il y a des hommes qui ne sont satisfaits que quand ils agressent la femme », note le professeur Issa Diarra. La ville de Bamako devient un carrefour où se mêlent divers profils. En plus du climat d’insécurité et de banditisme qui y règne, la cité de 3 caïmans est un réservoir de délinquance juvénile. Madame Diawara Bintou Coulibaly, présidente de l’Association pour le progrès et la défense des droits des femmes (APDF) n’est en rien surprise par la place qu’occupe Bamako. « Les agressions s’accroissent à cause des jeunes qui ne cessent de se droguer », soutient-elle. Avant d’ajouter que les dérives actuelles prennent leur essence jusque dans l’effondrement de la cellule familiale. Nous avons eu des cas où le mari, sous l’effet de la drogue, a poignardé 33 fois sa femme », rappelle celle qui milite pour l’émancipation de la gente féminine. Son association assure-t-elle a reçu de janvier à octobre 2018, 249 dossiers de femmes ayant subi des violences.

Des séquelles pour la vie « Quand une fillette est victime d’une agression sexuelle, cela  reste  toujours  dans sa mémoire. Très souvent, même quand elles sont mariées elles ont peur de l’homme », révèle le professeur Issa Diarra. Les conséquences des actes sur les victimes sont indescriptibles. « Il y a aussi très souvent  la frigidité qui s’installe. Et ce n’est pas le gynécologue seulement qui peut les soigner, il faut aussi un psychologue », souligne Diarra. « Ce sont des séquelles qui restent  très longtemps » appuie-t-il.

Malgré ces conséquences dévastatrices, la pratique est un sujet tabou au sein de la société malienne.  Les victimes de viol, par peur des reproches, se résignent au silence. Le regard de la société, parfois répressif, freinent leurs expressions. En plus de leur dignité volée, elles reçoivent les échos négatifs d’un milieu conservateur. Elles se culpabilisent, la mort dans l’âme.

Une complaisance partagée ? Il y a une semaine, dans le quartier de Banconi, une fille de 14 ans a été violée par un groupe de cinq jeunes. D’eux d’entre eux auraient été appréhendés par le sixième arrondissement qui le transfère devant le procureur de la commune VI. « Mais ce dernier refuse de poser tout acte tant que la grève des magistrats a cours », raconte Madame Bouaré Founé Samaké, présidente de Wildaf. Pendant ce temps, la victime peine à marcher à cause de la violence subie. « Elle est pratiquement couchée. Elle marche à peine, alors que ses violeurs se promènent à  Bamako », explique-t-elle, révoltée. Les interventions de personnalités influentes étouffent  l’affaire.  « Les chefs de quartier et les religieux se sont réunis pour que les auteurs n’aillent pas en prison », rapporte encore Madame Bouaré.

Pourtant, de telles atteintes à l’intégrité de la femme doivent secouer les consciences. Mais l’absence de justice pour les abusées apparait comme un autre supplice. Le plus souvent, les coupables sont libérés avant même de comparaitre.  « Si  ces pratiques continuent c’est qu’il n’y a pas de punition. En cas de viol, les parents sont tentés de régler à l’amiable le problème », s’indigne de son côté Madame Diawara Bintou Coulibaly, présidente nationale de l’Association pour le progrès et la défense des droits des femmes (APDF). Des apartés qui, selon la présidente, amplifie le phénomène. La complaisance des acteurs contribue à la violence.

Que faire ? Face à l’ampleur des violences, une mobilisation est nécessaire pour stopper ces viles pratiques. La sensibilisation des jeunes filles, des familles et des pouvoirs publics serait une initiative porteuse. « Il faut réellement que la justice  soit égale et rendue pour tout le monde », formule le gynécologue. Des mesures préventives doivent être envisagées pour endiguer ce phénomène. Chaque femme violée est un rêve qui s’écroule. Et les victimes dans leur silence, parlent.

Des initiatives pour améliorer la justice

Devant le tableau peu reluisant que présente la justice malienne, certaines initiatives représentent de véritables bouées de sauvetage. Financées pour la plupart par des bailleurs de fonds étrangers, elles ont comme leitmotiv une justice de qualité, accessible et impartiale. Pour rehausser l’éclat du processus, elles organisent des formations à l’endroit des acteurs de la justice afin d’améliorer leurs capacités.

Le 14 juillet 2015, un consortium composé d’Avocats sans frontières Canada (ASFC), du Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et de l’École nationale d’administration publique du Québec (ENAP) procédait au lancement du projet Justice, Prévention, Réconciliation (JUPREC). D’une durée de cinq ans et doté d’un budget de 20 millions de dollars canadiens, le projet JUPREC se donne pour missions, entre autres, de rendre justice aux victimes, de combattre l’impunité et de parvenir à une paix véritable. « Le projet JUPREC marque un pas de plus dans la lutte contre l’impunité au Mali : il donne la parole aux femmes, sensibilise la société malienne autour du respect des droits fondamentaux, suscite un effet d’entraînement auprès des intervenants de la justice et il parvient à mobiliser différents secteurs autour de la nécessité d’éviter la résurgence d’un conflit généralisé », peut-on notamment lire sur le site de l’ONG. A l’instar de cette dernière, Mali Justice Project (MJP), un programme d’assistance judiciaire de l’USAID, œuvre à améliorer l’accès à la justice pour les victimes. « Ces initiatives amènent les acteurs de la justice à réfléchir différemment, à traiter les problèmes autrement », assure Me Sidi Mohamed Diawara. Dans ce sens, des formations sont organisées à l’endroit des acteurs de la justice, afin d’optimiser leurs capacités à traiter de questions délicates. « Les violences basées sur le genre sont par exemple un épineux sujet. Les victimes ne bénéficient le plus souvent pas d’une oreille attentive », constate Me Diawara. « Des formations sont distillées aux magistrats et aux officiers de police judiciaire afin qu’ils revoient et améliorent leurs outils sur cette problématique », ajoute-t-il. Mais le champ d’intervention ne se limite pas aux VBG. « Tous les aspects du droit, du litige foncier à l’héritage, ou même une simple créance entre particuliers, sont concernés. L’objectif est d’avancer vers l’amélioration du service de la justice », poursuit notre interlocuteur.

Mutualiser les efforts Bien que salutaires, ces initiatives gagneraient en impact si elles étaient mutualisées. C’est du moins le constat dressé par Me Diawara, qui a été collaborateur de l’une d’elles. « Il n’y a pas d’approche commune, ce qui est dommage. Nous constaterions résolument plus de résultats si il y avait une meilleure harmonisation des actions », plaide-t-il.