Choguel Kokalla Maïga : un retour et des questions

Absent depuis près de 4 mois, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a repris service le 5 décembre 2022. Un retour aux affaires très scruté pour celui qui avait pris les rênes de la Primature en juin 2021. Alors que sa gestion lors de son premier passage reste décriée par une partie de la classe politique, le Président de la Transition lui maintient sa confiance à l’orée d’une étape charnière de la Transition, l’année 2023.

Son absence aura duré 108 jours. De sa dernière apparition publique, le 9 août 2022 (audience accordée à la Fondation Damaguilé Diawara) à sa visite au Président de la Transition le 25 novembre. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, qui était en soins suite à un accident vasculaire cérébral, prend de nouveau les rênes du gouvernement.

C’est d’ailleurs le message qu’il a tenu à adresser au Colonel Assimi Goïta lors de la rencontre des deux hommes au palais de Koulouba, avant son message de remerciement au peuple malien lu à la télévision nationale le même jour. « Après plus de 3 mois d’absence, me revoici parmi vous, en pleine possession de mes capacités physiques et intellectuelles », a assuré le chef du gouvernement.

Trois jours après, le 28 novembre, il s’était rendu chez le Président du Conseil national de Transition (CNT), le Colonel Malick Diaw, pour le remercier et lui dire qu’il était apte à reprendre le travail, selon la direction de la communication du CNT.

Le 4 décembre, le Président de la Transition a tranché et mis fin par la même occasion au flou qui persistait autour de la Primature depuis la réapparition du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Un décret présidentiel lu à la télévision nationale par le Secrétaire général de la Présidence a abrogé celui du 21 août 2022 désignant le Colonel Abdoulaye Maïga en qualité d’intérimaire du Premier ministre, remettant de facto Choguel Maiga en fonction.

Le retour effectif aux affaires de celui qui est également Président du Comité stratégique du M5-RFP n’a dès lors pas trainé. « Après près de quatre mois de repos médical, le Premier ministre, chef du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, reprend service ce jour 5 décembre 2022 », a indiqué la Primature lundi, précisant que le chef du gouvernement commençait ses activités par une série de rencontres avec, notamment, le ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Secrétaire général du gouvernement et le Cabinet de la Primature.

« Cette reprise de fonction était déjà actée après ses deux visites au Président de la Transition et au Président du CNT et son message de remerciement aux Maliens. Il fallait juste attendre que le déplacement qui déjà était prévu du Premier ministre par intérim à Kayes ait lieu pour que Choguel Maïga reprenne  fonction et c’est ce qui a été fait », nous confie Dr. Allaye Bocoum, Président du mouvement politique CPM (Convention pour le Mali) et  proche du Premier ministre. À l’en croire, d’ailleurs, le Premier ministre n’a jamais été déconnecté d’avec les autorités, il était au courant de tout ce qui se passait et a souvent donné son avis sur certaines questions.

Un retour qui divise

En remettant Choguel Kokalla Maïga dans ses fonctions, le Président de la Transition a fait le choix de la continuité dans la trajectoire prise par la Transition depuis mai 2021. « Ce retour du Premier ministre montre que les autorités sont respectueuses de leur parole et qu’elles sont stables, elles savent là où elles vont. Le bouclier d’Assimi Goïta se renforce. La conduite de la Transition sera meilleure et l’œuvre de la refondation va se poursuivre », se félicite Dr. Allaye Bocoum. Pour ce fervent soutien de Choguel Kokalla Maïga, son retour va sonner le glas de « ceux qui veulent détruire l’espoir des Maliens » et « l’esprit du M5-RFP va prévaloir à nouveau ».

Mais si ce choix conforte les partisans du Premier ministre actuel, il ne satisfait pas la  partie de la classe politique qui demande depuis plusieurs mois la nomination d’un Premier ministre neutre. Longtemps d’ailleurs, certains observateurs avaient évoqué l’éventualité du départ de Choguel Maïga de la Primature dans un scénario où son « repos forcé » serait également synonyme de sa fin à la tête du gouvernement.

« Le Cadre maintient sa position et sa demande de nomination d’un Premier ministre plus consensuel, moins clivant, apolitique, pour diriger les affaires de la Transition. Notre position n’a pas changé », affirme Dr. Laya Amadou Guindo, l’un des porte-paroles du Cadre d’échanges des partis et regroupements politiques pour un retour à l’ordre constitutionnel.

« Pour un retour à l’ordre constitutionnel avec l’organisation d’élections libres, crédibles et transparentes, nous croyons qu’un Premier ministre politique ne peut pas faire ce travail. C’est à ce niveau que nous parlons du Premier ministre actuel. Sinon, notre combat n’est pas dirigé contre une personne », ajoute celui qui dit se réjouir, au-delà de l’adversité politique, que le Premier ministre ait recouvré la santé et aille mieux.

Pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, le retour de Choguel Kokalla Maïga aux affaires est « normal », puisque l’intérim suppose qu’une fois que le titulaire est en bonne santé et revient il reprenne ses fonctions.

Selon lui, les prises de position des politiques contre le Premier ministre ont leur explication ailleurs. « Les hommes politiques ne voulaient pas que Choguel Kokalla Maïga revienne. Mais le problème, ce n’est pas le Premier ministre. Ce dernier gère un gouvernement, les décisions ne viennent pas de lui, ce n’est qu’au niveau de l’Exécutif. Je ne vois pas pourquoi on doit s’agiter au niveau d’une personne », fustige-t-il. Cet analyste soutient que Choguel Kokalla Maïga, taxé de « clivant », n’a posé aucun acte d’exclusion à l’endroit de cette classe politique. Toutefois, ses « amis » d’hier au sein du M5-RFP, qui ont dénoncé sa gestion de leur mouvement, se sont retirés pour créer le M5-RFP Malikura. Lancé le 3 août dernier par Mme Sy Kadiatou Sow, l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, Konimba Sidibé ou encore Me Mohamed Aly Bathily, ce mouvement, qui est dans une opposition de points de vue avec Choguel Maïga, pourrait selon certains observateurs se prononcer bientôt et exprimer son désaccord à son retour à la Primature.

Tenir le rythme

D’un point de vue médical général, des médecins estiment qu’une victime d’AVC, même si elle recouvre la santé, ne devrait pas immédiatement commencer à travailler à un rythme soutenu. En raison d’une très grande charge de travail à la Primature, qui peut aller à 15 heures d’activités par jour, plusieurs observateurs craignent que le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga qui, selon une source, continue de prendre des médicaments, ne soit pas encore totalement en mesure de tenir ce rythme de gestion du gouvernement.

Allaye Bocoum, quant à lui, ne s’inquiète pas outre mesure pour le Chef du gouvernement. « Je pense que le fait qu’il soit passé par cette étape va le forcer à réduire son temps de travail. Il aura un programme beaucoup plus léger. D’ailleurs, l’essentiel du travail est derrière lui. Il fallait tenir tête à toute cette adversité venant de l’extérieur. Je sais qu’il est vraiment apte aujourd’hui à continuer à assurer ses charges », assure le Président de la CPM.

Plus d’inclusion ?

Choguel Kokalla Maïga a été longtemps décrié par une partie de la classe politique, pour laquelle il n’est ni rassembleur ni inclusif, avec des prises de paroles et des discours divisant les Maliens. Avec son maintien à la Primature et à l’amorce d’importants échéances pour la Transition, notamment la préparation et la tenue des grands rendez-vous électoraux à venir, certains analystes pensent que le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga devrait changer de posture vis-à-vis de la classe politique en mettant plus d’inclusivité dans la gestion des affaires de la Transition.

« Je pense bien que Choguel Kokalla Maïga a intérêt à rassembler tous les bords, compte tenu des projets du gouvernement, notamment les différentes réformes politiques et institutionnelles à venir et les élections. Il va falloir qu’il soit un homme de consensus qui parvienne à rassembler tous les Maliens », indique Jean-François Marie Camara, enseignant-chercheur à l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako.

Boubacar Bocoum pense pour sa part que le Premier ministre subit des attaques infondées de la part des politiques et qu’il est injustement taxé de non inclusif. « Pour moi, le problème est à un autre niveau. Les politiques savent que Choguel  Maïga aussi est politique et qu’ils ne vont pas pouvoir l’embarquer dans un certain nombre de choses. Ils pensent peut-être que ce sera plus facile avec les militaires », accuse l’analyste politique. Et, pour l’heure, rien ne présage d’un changement de ton ou de posture du Premier ministre. « Je pense que les politiques sont obnubilés par leur envie de reprendre le pouvoir. Ils disent que Choguel Maïga est clivant parce que la lutte que ce dernier est en train de mener ils ne pourront pas le faire eux, ayant pris des engagements à l’extérieur », soutient Allaye Bocoum. La « promotion » du Colonel Maïga comme ministre d’État qui assure l’intérim du Premier ministre en cas d’absence, d’empêchement ou de vacance, est analysée par certains comme une ombre permanente sur le Premier ministre ou encore comme un jeu de positionnement des militaires à moyen terme. « Quand vous êtes dans une équipe que vous venez de diriger pendant près de 4 mois, vous avez une particularité. Il est normal que cela fasse de lui la 2ème personnalité du gouvernement », relativise Dr Allaye Bocoum. Le temps et les évènements nous donneront de la matière pour juger de la portée ou non de ce qui s’apparente à un coup politique.

M5 – RFP : naissance d’une nouvelle tendance pour la défense des « idéaux » du mouvement

Des démissionnaires du M5-RFP, ont annoncé au cours d’une conférence de presse ce mercredi 3 août, la création d’une nouvelle tendance du Mouvement dénommée ‘’M5RFP- Mali Kura’. La nouvelle tendance dit ne pas reconnaitre le comité du M5-RFP dirigé par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga.  

Après la saignée, c’est désormais la crise ouverte. Après avoir décrié à l’interne la gestion du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga également président du comité stratégique du M5-MFP, plusieurs caciques ont décidé de quitter le mouvement et de lancer officiellement depuis ce 3 août un autre mouvement qui veut trancher avec les méthodes existantes. Selon eux, la rectification de la transition n’est restée qu’un slogan et le M5-RFP n’est plus que l’ombre de lui-même. Pour les leaders de cette nouvelle tendance du M5-RFF, le Premier ministre a réussi à en faire  une simple caisse de résonnance de son Gouvernement. « Nous ne reconnaissons plus le comité stratégique dirigé par Choguel Kokalla Maiga » a assuré Me Mohamed Aly Bathily. A noter que les leaders de ce regroupement sont les figures dissidentes du M5-RFP que sont entre autres : Konimba Sidibé du MODEC, Sy Kadiatou SOW et Modibo Sidibé de Anko Mali dron et Me Mohamed Aly Bathily de FASODE.

2021 : l’année de Choguel Kokalla Maïga

C’est à un moment où beaucoup le disaient en perte de vitesse, qu’il s’est retrouvé dans la lumière. Après des mois de contestation et de tribulations, Choguel Kokalla Maïga  a été officiellement nommé Premier ministre de la transition le 7 juin dernier, à la suite d’un second coup d’Etat ayant propulsé le vice-président de la transition Assimi Goïta à la fonction de chef de l’Etat.  Assises nationales de la refondation, grille unifiée des fonctionnaires, lutte contre la corruption, emprisonnement de politiques ou encore discours à la tribune de l’ONU,  le nouveau Premier ministre aura marqué l’année 2021 par sa politique et ses prises de position. 

Sécurité, politique, société. Voilà les trois piliers sur lesquels repose la gouvernance Choguel. Six semaines après sa nomination, le Premier ministre a présenté le 30 juillet le Plan d’Action de son Gouvernement devant un conseil national de la transition (CNT) qu’il jugeait auparavant illégale et illégitime. Bâti autour de quatre axes : le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, les réformes politiques et institutionnelles, l’organisation des élections générales et la promotion de la bonne gouvernance et l’adoption d’un pacte de stabilité.

De ce Plan d’action, ont découlé plusieurs décisions stratégiques qui n’ont pas manqué au Premier ministre de faire parler de lui en 2021.

« Le Mali lâché en plein vol »

Le premier axe du PAG étant le renforcement de la sécurité, Choguel Kokalla Maïga a mal apprécié la réorganisation de la Force Barkhane au Mali, dont l’objectif est de réduire la présence militaire française du pays. Et à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU le 25 septembre dernier, le président du comité stratégique du M5 n’a pas manqué de le faire savoir au monde. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires »a-t-il lâché.

Le propos, qualifié de « honteux » par Emmanuel Macron, a contribué à altérer davantage la relation entre Bamako et Paris. Cependant, la déclaration a été saluée par des Maliens qui y voient plutôt un courage politique inédit face à « l’ancien colon ».

Voulant « explorer d’autres partenaires », le pays s’est vu accuser par la France, et d’autres pays plus tard, de recourir aux services de la société de sécurité privée russe Wagner. Accusations balayées de la main par le gouvernement qui y voit plutôt une pression sur le Mali afin de renoncer à ses desseins d’ouverture à d’autres partenariats.

Apaisement du front social   

Lorsque Choguel Kokalla Maïga venait à la primature, un mot d’ordre de grève de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) planait toujours. Les syndicalistes ont donné au nouveau Premier ministre un ultimatum de 10 jours pour entériner leur revendication, dont notamment l’harmonisation de la grille salariale. Promesse à l’appui, il a obtenu des syndicalistes un temps pour s’exécuter. Le 28 septembre, une grille salariale unifiée pour les fonctionnaires a été décrétée par le président de la transition. Si elle a scellé la paix avec l’UNTM, elle a ouvert d’autres fronts sociaux, notamment avec le personnel enseignant et ceux de plusieurs corps des forces de sécurité qui pointent du doigt une « militarisation » de la grille, favorisant largement les forces de défense au détriment d’autres fonctionnaires.

Lutte contre la corruption

En matière de lutte contre la corruption, le gouvernement Choguel a diligenté des enquêtes quant aux irrégularités financières et la corruption relevées par les rapports du bureau du vérificateur général. Plusieurs personnalités sont d’ores et déjà sous mandats de dépôts. Cependant certains soupçonnent le Premier ministre d’être dans une chasse aux sorcières et un règlement de compte politique.

Assises nationales de la refondation

Refondation. C’est le maître mot de Choguel Kokalla Maïga autour duquel s’inscrirait la logique de sa gouvernance. Pour le Premier ministre, parvenir à un nouveau Mali exige la participation de toutes les filles et de tous les fils du pays. C’est dans cette optique qu’il a tenu à l’organisation d’assises nationales de la refondation (ANR), dont les conclusions permettront d’établir un calendrier électoral. Cependant les ANR ont souffert du boycott de plusieurs partis politiques qui soupçonnent une volonté déguisée du gouvernement de transition d’avoir uniquement la « bénédiction du peuple » pour prolonger la durée de la transition.

 Un personnage contradictoire

Ce qui a le plus marqué chez Choguel Kokalla Maïga, c’est le double langage qu’il a tenu tout au long de son évolution de 2020 à nos jours. De la même façon que le porteur de bazin s’est mue en friands de boubou à base de tissus traditionnels, ses propos ont changé, mettant en branle la constance de l’homme politique.  « Ce qui m’a beaucoup frappé chez lui en 2021, c’est sa constance avant qu’il ne soit nommé Premier ministre. Il aurait pu améliorer et maintenir cette constance qui l’a caractérisée depuis le Mouvement du M5. Quand il a été nommé Premier ministre, on a eu droit à un double discours, notamment quant à la présence de la France au Mali, la durée de la transition, etc. », regrette l’analyste politique Ballan Diakité pour qui l’année 2021 pourrait également être celle du président de la transition Assimi Goïta.

Le chercheur en sciences politiques Mohamed Ag Ismaël abonde dans le même sens. « Il qualifiait le CNT d’illégal et d’illégitime, pointait du doigt la militarisation de l’administration, etc. Pourtant il a fini par tout avaler une fois à la primature.  D’où la contradiction de sa personnalité ayant abandonné ses principes du M5 RFP.»

Il poursuit que le Premier ministre aurait dû dialoguer d’avantage avec l’ensemble de la classe politique, rassembler les Maliens au lieu de « les diviser  y compris au sein du M5 RFP, sa force naturelle.»

Cependant le chercheur reconnaît que Choguel kokalla Maïga est « le Premier ministre qui exprime la pensée de la rue.»

Choguel Kokalla Maiga : 100 jours de débats

Des podiums  de conférences de presse à n’en pas finir du M5-RFP, celui qui est devenu à la faveur du coup de force du 24 mai dernier l’allié numéro un des militaires aux commandes a hérité de la Primature pour « rectifier » la Transition. S’il s’est attelé à la tâche, à un « moment crucial », et œuvre à la concrétisation des axes prioritaires de son Plan d’action, validé par le Conseil national de Transition début août, le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga doit faire face à la méfiance d’une partie de la  classe politique, qui ne s’accorde pas avec lui sur certaines questions pourtant fondamentales. Une réalité qui fait planer de gros nuages sur la suite de la transition, dont la fin est annoncée pour février 2022.

La « thérapie de choc » du Docteur Choguel Kokalla Maiga  au chevet du « grand corps malade » Mali a bel bien et commencé à être appliquée. Mais, près de 100 jours après le démarrage de ce « traitement », bien malin celui qui peut déjà entrevoir son efficacité à terme, les premiers signes concrets  de « guérison » se faisant toujours attendre.

« Nous pouvons dire que le bilan de ces 3 premiers mois n’est pas très flatteur. Le Premier ministre a présenté un Plan d’action du gouvernement et, si on doit l’évaluer, on doit le faire sur la base de ce plan. Et sur cette base plusieurs actions prévues sont déjà en retard dans la mise en œuvre », pointe le porte-parole du parti Yelema Hamidou Doumbia.

Sécurité, Justice et Refondation sont les trois besoins indispensables à la survie du Mali, selon le Premier ministre. Trois piliers autour desquels sont définis les quatre axes prioritaires que sont le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, les réformes politiques et institutionnelles, l’organisation des élections générales et la promotion de la bonne gouvernance, ainsi que l’adoption d’un pacte de stabilité.

Nettoyage judiciaire

Pour le Premier ministre, des efforts sont entrepris pour améliorer la sécurité sur toute l’étendue du territoire avec des opérations militaires qui y sont continuellement menées. Mais les impacts de ces opérations ne sont pas encore visibles à bien des égards.

« Concernant la sécurité, les attentes tardent à être comblées. Ce que nous nous voulons entendre, c’est que des territoires sont libérés. Mais c’est le contraire qui se produit au quotidien », se désole Housseini Amion Guindo, Président de la Convergence pour le développement au Mali (Codem), qui ne réfute pas pour autant « la volonté et l’engagement » dont fait preuve le Premier ministre.

Boubacar Bocoum, analyste politique, est plus tranché. Pour lui, la situation sur le plan sécuritaire est encore « plus catastrophique » qu’elle ne l’était, « sans évolution » ni de « montée en puissance » de l’armée. C’est finalement sur un autre terrain, celui de la justice que la nouvelle équipe se fait « sentir ».

Déterminé, sous l’impulsion du Président de la Transition, le colonel Assimi Goita, à mener une lutte implacable pour combattre la corruption et l’impunité, qui « sont à la base de la déliquescence de l’État », le Chef du gouvernement a durant ces 100 premiers jours réussi à faire bouger quelques  lignes.

La Justice, à travers la Cour suprême, a rouvert certains dossiers de malversations financières, notamment ceux de l’acquisition de l’aéronef présidentiel et de l’achat des équipements militaires sous l’ancien Président IBK. Ce qui a conduit au placement sous mandat de dépôt le 26 août dernier de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga et de l’ancienne ministre des Finances Mme Bouaré Fily Sissoko, à l’issue d’une procédure contestée, où les tiraillements des spécialistes du droit n’aident pas à y voir clair.

Comme promis par le Chef du gouvernement du temps de tirades du M5, les poursuites judiciaires sur les tueries et exactions des 10, 11 et 12 juillet 2020 à Sikasso, Kayes et Bamako sont également engagées, ayant conduisant à l’arrestation du commandant de la Forsat lors de ces évènements, le commissaire divisionnaire Oumar Samaké, provoquant au passage la colère des policiers.

Des actions que le Président de la Codem salue. Mais il estime qu’il reste encore beaucoup à faire, surtout au niveau de l’impartialité. « Il faut faire en sorte que la justice ne soit pas celle des vainqueurs. Cela est très important pour le nouveau Mali », s’alarme celui qui conduit également aux destinées du regroupement politique Alliance Jigiya Koura.

Refondation oui, mais…

S’il y a un point pour lequel le bout du tunnel semble encore loin pour le Premier ministre Maiga, c’est bien la question de la refondation du Mali, qui englobe toutes les réformes politiques et institutionnelles concourant à y parvenir.

La tenue des Assises nationales de la refondation (ANR), chère à l’ancien Président du Comité stratégique du M5, ne fait pas consensus. Et c’est bien là l’un des défis majeurs à relever dans les prochaines semaines par les autorités de la Transition.

Le constat est sans appel. Une partie de la classe politique, s’oppose tout simplement à la tenue de ces Assises, prévue pour la fin du mois de septembre et dont les termes de références sont en train d’être élaborés, selon certaines informations au niveau de la primature.

Pour ces politiques, regroupés au sein du Cadre d’échanges pour la réussite de la Transition mais pas que, d’autres ayant les mêmes positions sans en être, cela va être les assises de trop, parce que par le passé plusieurs échanges de ce genre ont déjà eu lieu.

Le Chef du gouvernement ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, les ANR seront différentes de tous les fora du passé. Leur particularité sera que les conclusions seront « immédiatement exécutoires » et  vont « s’imposer à toutes les autorités politiques ».

« Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est que l’ensemble des résolutions de ces différents fora vont servir de matières premières. On ne va pas les jeter à la poubelle parce que c’est le résultat d’actions et de réflexions de Maliens », explique le Premier ministre.

« Nous allons les enrichir par les idées des forces du changement. Ce sont les transformations politiques et institutionnelles que les forces du changement voulaient pour le Mali nouveau qui  vont enrichir le débat », ajoute-t-il.

Pour Housseini Amion Guindo, la transition a commencé par une concertation nationale qui a fixé son cadre et ses limites. Ce n’est  donc  pas pendant cette transition qu’il faut tenir des Assises nationales « coûteuses » pour lui « donner une nouvelle orientation ».

Une nouvelle orientation, qui, sans équivoque, mènera à la prolongation du délai de la transition, suspecte-t-on d’ailleurs du côté du Parti pour la Renaissance nationale (Parena).

« Nous prenons la tenue des ANR comme un stratagème pour sortir du délai initial de la fin de la transition. Nous ne voulons pas être la caution ou les complices d’une quelconque prolongation de la transition. Nous l’avons dit dès le début et nous camperons sur cette position », affirme le Secrétaire général Djiguiba Keita dit PPR.

Le parti de l’ancien chef de la diplomatie malienne, Tiébilé Dramé, a d’ailleurs déjà  lancé les futures « empoignades » durant les prochaines semaines entre la classe politique et le Premier ministre.

Le Parena a tout simplement décliné une demande en date du 4 septembre 2021 du ministère de la Refondation de l’État l’invitant à une rencontre le 6 septembre, relative aux « Assises  nationales de la refondation et à la création de l’Organe unique de gestion des élections et autres sujets connexes ».

« Pour nous il n’est pas question que ces assises remettent en cause un consensus national et international. C’est un mauvais jeu, qui contribuera à davantage diviser les Maliens », renchérit M. Guindo, qui va jusqu’à parler de « trahison » des Concertations nationales de septembre 2020.

Mais, s’offusque l’analyste politique Boubacar Bocoum, la classe politique est en manque de réalisme et se met dans des procès d’intentions aux autorités de la transition quant à la question de prolongation de celle-ci.

Selon lui, cette classe politique doit être « plus sérieuse », d’autant plus que « ni le Président ni le Premier ministre de la transition n’ont jusqu’à preuve du contraire affiché une volonté de prolonger le délai ».

Vers un blocus ?

La mise en place de l’Organe unique de gestion des élections est la deuxième pomme de discorde entre les politiques et le Chef du gouvernement. Processus « irréversible » selon le Premier ministre, dont une esquisse de chronogramme de mise en place a d’ailleurs été  établie au niveau du ministère délégué chargé des Réformes politiques et institutionnelles. Cela ne fait pas pour autant l’unanimité.

Au Parena, tout en n’étant « pas fondamentalement contre » la mise en place de l’Organe unique de gestion des élections, on pense que tel qu’il est proposé il ne pourra pas se faire sans la révision de la Constitution. « Or nous disons que la révision de la Constitution est également un stratagème pour sortir du délai de la transition, parce que cela va prendre beaucoup de temps », précise Djiguiba Keita.

Il souligne en plus que son parti a proposé comme solution alternative la création d’un organe transitoire régissant les élections, où les prérogatives de la Cour constitutionnelle vont rester.

Même son de cloche à la Codem, dont le leader rappelle qu’il y a eu un consensus sur une « Ceni renforcée » et un maintien des autres organes intervenant dans le processus électoral bien avant l’arrivée de l’actuel Premier ministre, avec le même ministre en charge de l’Administration territoriale.

Par ailleurs, selon Housseini Amion Guindo, qui ne voit pas quel intérêt  le Premier ministre aurait à vouloir imposer l’organe unique sans consensus, ce dernier gagnerait à respecter ce que veut la classe politique.

Un avis que ne partage pas l’analyste politique Boubacar Bocoum. « La faisabilité ou non de l’organe unique, ce n’est pas la classe politique qui la définit. Si les autorités de la transition pensent qu’elles peuvent l’instaurer, je ne vois pas où est  le problème. C’est le rôle de l’État de l’exécuter », tranche-t-il.

La mission de la Cedeao  pour le suivi de la transition, qui a séjourné à Bamako du 5 au 7 septembre, a réitéré l’impératif du respect du délai de la transition et demandé au gouvernement la publication d’un chronogramme détaillé des futures élections.

Quand elle a rencontré la classe politique, celle ci dans sa majorité, y compris des partis membres du M5-RFP, a été unanime sur la tenue aux dates indiquées des élections.

Si le Premier ministre ne s’y oppose naturellement pas, il insiste toujours sur l’effectivité des réformes avant ces rendez-vous électoraux. Des réformes qui vont être décidées lors es Assises nationales de la refondation pourtant rejetées par une partie importante de la classe politique. De quoi présager d’un bras de fer à l’horizon ?

Mali – Transition: le Premier ministre Choguel Maiga fait le point face à la Presse

Le Premier ministre de la transition, Choguel Maiga a rencontré la presse nationale et internationale ce lundi 28 juin 2021. Objectif de cette rencontre, décliner le programme du gouvernement. Plusieurs thématiques ont été abordées par l’homme politique: parmi lesquelles les victimes des événements de juillet 2020, la dissolution du Conseil national de transition, l’Accord d’Alger ou encore la durée de la transition.

 

Les maisons détruites aux abords de l’aéroport

Pour le sujet surprise de cette rencontre avec la presse, le Premier ministre estime que les sanctions ou les dédommagements ne doivent pas seulement concerner quelques personnes, mais toutes les parties impliquées. Pour ce faire, il  annonce qu’ « il y aura une commission d’enquête qui va éclaircir » cette affaire à travers un « rapport qui va trancher » sur le sort de ces populations.

Durée de la transition

Pour la durée de la transition, Choguel Maiga rassure que les autorités feront ce qui est en leur pouvoir pour calibrer le programme sur les neuf mois restant afin de respecter le calendrier électoral.

Justice pour les victimes de la lutte du M5

En se penchant sur cette problématique, le Premier ministre de transition explique que la justice est toujours attendue pour ces personnes, car certains ont perdu la vie, d’autres ont perdu leur mobilité et toutes ces victimes doivent être entendues.

Le Conseil National de Transition

La dissolution de l’organe législatif de la Transition demandée par le M5 est aujourd’hui de la compétence des hommes de loi. Seule la justice malienne, précise le Premier ministre est habilitée à trancher. Il ne faut pas perdre de vue que « le temps de la justice n’est pas le temps des  politiques ». En attendant le verdict des autorités compétentes, le gouvernement continuera à travailler en étroite collaboration avec le CNT. Seule la décision de justice dira « si le CNT doit rester comme tel ou doit être remodelé».

Le Premier ministre s’est engagé devant la délégation de la CEDEAO début juin, à présenter au bout de six semaines à compter de sa prise de fonction, sa feuille de route devant le Conseil national de transition. Si le texte est validé, le gouvernement reviendra auprès des Maliens pour plus d’explications afin que « les forces vives adhèrent » massivement au texte.

L’Accord pour la paix et la réconciliation

Il précise que ça sera la même démarche explicative appliquée à la feuille de route, avec les mouvements signataires de l’accord. Il estime d’ailleurs que « l’unité nationale, l’intégrité du territoire, la souveraineté de l’Etat sur l’ensemble du territoire, le caractère laïc et républicain de l’Etat ne doivent pas être négociable quelque soit les conditions. En dehors de cela, tout le reste est négociable» poursuit-il, avant d’ajouter qu’avant de se voir soutenir par la communauté internationale, il est important que les discussions et les consensus soient d’abord trouvés à l’interne par des Maliens, car « la communauté internationale ne peut pas venir résoudre les problèmes » à la place des nationaux.

L’objectif de la transition aujourd’hui est qu’au moins 90% de la population puisse s’identifier à chaque accord signé pour éviter les soulèvements qui ont conduit le pays à la crise actuelle. C’est pourquoi les autorités et les différents acteurs doivent faire preuve de « cohérence, d’objectivité, et surtout de pédagogie». Selon Choguel, l’Accord pour la paix et la réconciliation qui est au centre du débat a été signé par le gouvernement et les mouvements, pourtant « aucun d’entre eux ne s’est donné le temps d’aller l’expliquer et le faire accepter » par les populations. « La majorité des gens l’ont accepté dans l’espoir que ça va ramener la paix » ajoute Choguel Maiga, l’ancien Porte-parole du gouvernement à l’époque de la signature de l’Accord. Il précise avoir demandé à cette époque, la mise sur pied d’une équipe ad hoc chargée d’étudier les éléments de langage afin d’en expliquer aux Maliens et institutions. Mais l’initiative n’a jamais été mise en œuvre: c’est pourquoi pour cette transition, il est important d’avoir une nouvelle méthode. Il ne s’agit pas de tout remettre en cause mais d’apporter du neuf tout simplement parce que l’Etat est une continuité. Ainsi, la Transition va être jugée par sa capacité à organiser les élections, à faire avancer le processus de l’Accord d’Alger et à faire les réformes auxquelles s’attend le peuple malien.

 

 

Les assises nationales de la refondation

Les assises vont être faites sur la base des conclusions du dialogue national inclusif de 2019, la conférence d’entente nationale, les Etats généraux et autres travaux réalisés pour enrichir le débat national et prendre en compte les préoccupations des populations. Le Premier ministre a tenu à préciser que les résultats des assises ne pourront forcément pas tous être pris en compte par la Transition, estimant que d’autres gouvernements pourront poursuivre la mise en œuvre après cette période.

Les doléances de la Maison de la Presse

Même si cette rencontre entre le Premier ministre et la presse , n’était pas une occasion de questions/réponses, la Maison de la Presse a tenu à présenter quelques difficultés que rencontre le secteur. La question du non paiement de l’aide à la presse depuis 2019 a été soulevée. La poursuite de la rénovation de cette enceinte des médias entamée par le dernier gouvernement a été posée sur la table. La dépénalisation des délits de presse, la fiscalité des radios, la refondation de la presse malienne sont quelques points abordés par le président de la Maison de la Presse Bandiougou Danté.

Idelette BISSUU