Dr. Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris 13

Quel regard portez-vous sur l’audit annoncé du financement des partis politiques après leur dissolution ?

En réalité, c’est une manœuvre politiquement inadaptée, mal calculée et irréalisable. Elle est aussi juridiquement infondée. La Cour suprême, en publiant le communiqué invitant les partis politiques à fournir leur bilan, piège le gouvernement et se piège elle-même dans un bourbier juridique.

Cet audit pourrait-il aboutir ?

Les anciens responsables des partis politiques ne prendront pas de risques et peuvent délibérément refuser de communiquer les bilans. S’ils acceptent de jouer le jeu et fournissent à la Cour suprême les bilans de leurs activités sur la période indiquée et qu’on constate qu’il y a des fonds qui ont été détournés, les personnes qui se seront rendues coupables d’infractions risqueraient des poursuites pénales.

Quelles conséquences pourraient subir les anciens Présidents de partis sollicités par la Cour suprême si ces documents ne sont pas fournis ?

L’obligation de dépôt des bilans qui était faite aux partis politiques résultait de la loi portant Charte des partis politiques. Or cette loi a été abrogée et l’obligation qui en découlait disparaît. Si les partis politiques décident de ne pas se conformer au communiqué de la Cour suprême et de ne pas fournir de bilan, ils ne peuvent pas subir une plus grande sanction que la dissolution. Or ils sont déjà dissous.

Financement des partis : L’audit post dissolution qui divise

Un peu plus d’un mois après la dissolution de tous les partis politiques par les autorités de transition, la Cour suprême du Mali a annoncé le 17 juin 2025 l’ouverture d’un audit rétrospectif sur les financements publics accordés aux partis de juillet 2000 à mai 2025. Présentée comme une opération de transparence, la démarche soulève toutefois des controverses juridiques et politiques, dans un contexte où le pluralisme politique est suspendu.

Selon le communiqué lu à la télévision nationale et signé par le Président de la Section des Comptes de la Cour suprême du Mali, les Présidents des ex partis politiques sont invités à prendre les dispositions appropriées pour déposer à la Section des Comptes, avant le 30 juin 2025, les copies des états financiers, les pièces justificatives des dépenses, les journaux de banques et de caisses, les relevés et états de rapprochement bancaires, ainsi que les documents relatifs à la situation annuelle des ressources.

D’après nos recoupements, les partis politiques avaient été saisis par lettre depuis le 13 mai 2025 par le Président de la Section des comptes de la Cour suprême du Mali en vue de cet audit spécial sur le financement de leurs activités. Cependant, dans la foulée de leur dissolution par décret en date du même jour, les leaders des partis politiques dissous n’ont pas donné suite à la correspondance. Cela explique la diffusion du communiqué du 17 juin sur les antennes de la télévision nationale, en raison par ailleurs de la fermeture des sièges des partis politiques, conformément au décret de leur dissolution.

Une réponse aux recommandations des Forces vives

L’audit du financement public des partis politiques est une recommandation issue des consultations des Forces vives de la Nation des 28 et 29 avril 2025, et le Premier ministre a officiellement requis la Cour suprême le 5 mai 2025 pour sa mise en œuvre une semaine avant la dissolution des partis politiques.

L’objectif de cet examen approfondi, qui portera notamment sur la transparence des flux financiers, la justification des dépenses et le respect des obligations comptables, est d’évaluer la conformité des opérations financières des partis politiques aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.

Conformément à la charte des partis politiques abrogée, une subvention équivalente à 0,25% des recettes fiscales annuelles de l’État était répartie entre les partis selon des critères bien définis (Résultats électoraux, nombre d’élus, représentativité des femmes, etc.). En contrepartie, chaque formation bénéficiaire devait produire des états financiers certifiés, à déposer avant le 31 mars de l’année suivante auprès de la Section des Comptes.

Comme modalités de mise en œuvre de la recommandation sur l’audit du financement des partis, les Forces vives ont demandé de rendre publics les rapports et bilans financiers des partis politiques pour les fonds reçus et de contrôler leurs sources de financement internes et externes, tout en arrêtant et interdisant leur financement par des associations, des fondations, des États étrangers, des ONG et des institutions internationales. Elles ont en outre recommandé d’encourager le financement par les militants des partis, y compris ceux établis à l’extérieur, via des mécanismes transparents.

Audit illégal ?

Si la mission d’audit entre dans les attributions normales de la Section des Comptes de la Cour suprême, sa portée soulève une controverse juridique majeure. Peut-on auditer rétroactivement des partis politiques aujourd’hui dissous ? Les entités visées n’ayant plus d’existence légale, certains juristes estiment que l’exercice est juridiquement discutable, voire caduc.

« Le Premier ministre demande à la Section des Comptes de la Cour suprême de violer la loi. Elle aurait dû lui expliquer que sa demande était illégale », indique Maître Mountaga Tall, avocat et ancien Président du parti CNID Faso Yiriwaton. « C’est aux Présidents des anciens partis politiques que la Section des Comptes de la Cour suprême s’est adressée. Or, il n’existe pas aujourd’hui de Président de parti au Mali, fût-il ancien ou autre », poursuit-il.

À l’instar de Me Mountaga Tall, plusieurs autres personnalités politiques et observateurs ont fustigé la décision du gouvernement de mener cet audit rétrospectif sur le financement public des partis politiques. « Il s’avère que la Section des Comptes, depuis plus d’une décennie, publie quasi régulièrement des rapports annuels de vérification des comptes des partis politiques. Si le travail de la Section des Comptes a été mené avec intégrité et un soutien moral sincère, que peut réellement apporter un nouvel audit ? », s’interroge pour sa part le Dr. Mahamadou Konaté, Directeur du Bureau d’Études et de Conseils Donko pour la Gouvernance et la Sécurité.

« Le but de cet audit post-mortem n’est pas judiciaire, mais très probablement politique. Cela a tout l’air d’une manœuvre de diversion, d’une tentative désespérée de créer un ennemi rétrospectif, un coupable de substitution, pendant que le peuple ploie sous le poids du quotidien », analyse ce juriste.

Délai de prescription non conforme

L’illégalité décriée de l’audit ne se limite pas à l’inexistence des partis politiques au Mali. Elle est aussi relative à la période concernée, soit 25 ans, alors que des spécialistes financiers soulignent que le délai de prescription légale est de 10 ans.

« Que ce soit en comptabilité privée ou en comptabilité publique, le délai obligatoire de conservation des livres comptables et de leurs pièces justificatives est de dix ans », rappelle le Dr. Konimba Sidibé, expert-comptable et homme politique, s’appuyant sur l’article 24 de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière de l’OHADA pour la comptabilité privée et l’article 71 du décret N°2014-0349/P-RM du 22 mai 2014 portant règlement général sur la comptabilité publique en République du Mali.

Quelle suite pour le processus ?

La suite du processus d’audit du financement des partis politiques au Mali s’annonce semée d’embûches. En l’absence de structures légales capables de répondre aux injonctions de la Section des Comptes de la Cour suprême, notamment la production des pièces justificatives, l’audit risque de tourner court.

Selon certains observateurs, en l’état actuel, trois scénarios pourraient se dessiner. Le premier serait un audit administratif à sens unique, basé uniquement sur les documents déjà déposés par les partis jusqu’en 2023. Cela limiterait l’enquête à un simple état des lieux incomplet, sans possibilité de contradiction ni d’éclaircissements supplémentaires.

Le deuxième scénario, plus juridique, consisterait à instruire des dossiers individuels visant d’anciens responsables politiques à titre personnel, en cas de suspicion d’enrichissement illicite ou de détournement. Ce glissement vers le pénal pourrait néanmoins ouvrir un terrain politique sensible. Le troisième scénario, enfin, serait la suspension ou l’ajournement pur et simple de l’audit, faute d’interlocuteurs valides et de conditions procédurales adéquates.

« La Section des Comptes de la Cour suprême peut difficilement aller au bout d’un audit rigoureux et contradictoire dans les conditions actuelles, sauf à redéfinir le cadre juridique de l’exercice », glisse un juriste sous anonymat. Il ajoute que l’absence de parties prenantes ne compromet pas la légitimité de la démarche, mais qu’elle en affaiblit considérablement l’exécution.

« Sans mécanismes transitoires permettant de convoquer d’anciens dirigeants ou d’accéder aux archives des partis, l’opération risque de rester inachevée », affirme notre interlocuteur.

En l’absence de garanties juridiques solides et d’un véritable processus contradictoire, l’audit du financement public des partis politiques au Mali, présenté comme un impératif moral et institutionnel, soulève de sérieuses interrogations sur sa finalité réelle.

Mohamed Kenouvi          

Dissolution des partis politiques : Le grand nettoyage

Le 13 mai 2025, les autorités de la Transition ont annoncé par décret présidentiel la dissolution de l’ensemble des partis politiques et des associations à caractère politique. Officiellement présentée comme une étape décisive et un passage obligé vers la mise en œuvre des recommandations des Assises Nationales de la Refondation, cette mesure marque une rupture sans précédent dans l’histoire démocratique du pays.

Purge salutaire d’un système politique défaillant ou glissement préoccupant vers un pouvoir sans contrepoids ? La dissolution des partis politiques sur l’ensemble du territoire national ainsi que des associations à caractère politique continue de soulever des interrogations.

Le gouvernement de transition justifie cette mesure par la nécessité de reconstruire la scène politique sur des bases assainies, suite au constat, au fil des années, d’un pluralisme politique, vidé de sa substance, qui a réduit les partis à des instruments d’opportunisme électoral.

Plus de 280 partis politiques étaient enregistrés, dont une large majorité sans réelle activité ni ancrage territorial. En mettant fin à cette « cacophonie », le gouvernement entend ouvrir la voie à une nouvelle ère de gouvernance politique, mieux structurée et plus éthique.

Lors d’un point de presse tenu le 14 mai dernier, le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, a indiqué que la décision du gouvernement était la suite logique des différentes réformes engagées sous la Transition depuis quelques années.

« La dissolution des partis politiques constitue une voie que nous avons trouvée pour appliquer l’une des recommandations fortes, qui a été d’ailleurs faite par l’ensemble des forces vives de la Nation ayant participé aux Assises Nationales de la Refondation, à savoir la réduction du nombre des partis politiques », a confié pour sa part le Premier ministre Abdoulaye Maïga le 19 mai 2025 devant les membres du Conseil national de Transition.

L’analyste politique Ousmane Bamba partage cet avis. « Je fais la part des choses entre la démocratie et la dissolution des partis politiques. Cela n’a rien d’anti-démocratique. Selon moi, cela permet simplement une réorganisation », soutient-il.

Des voix contre

La décision du 13 mai a été accueillie avec indignation par une grande partie de la classe politique dissoute. Dénonçant une dérive autoritaire, certains dirigeants de formations politiques ont annoncé des recours en justice, tant devant les juridictions nationales que régionales et internationales, pour obtenir l’annulation du décret de dissolution des partis politiques.

L’ancien ministre de la Justice Mamadou Ismaïla Konaté regrette pour sa part « un recul historique du Mali en matière de démocratie ». « Cette dissolution des partis politiques confirme une volonté assumée d’installer un pouvoir militaire personnel, en dehors de tout processus démocratique. C’est un acte de guerre contre le pluralisme, l’État de droit et la liberté », dénonce l’ancien Garde des sceaux du Mali.

Dans un communiqué publié le 16 mai 2025, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a lui aussi appelé les autorités de la Transition malienne à abroger le décret de dissolution des partis et à rétablir pleinement les droits politiques dans le pays.

« Le Président de la Transition doit abroger ce décret draconien et toute restriction de la participation politique doit être conforme aux obligations internationales du Mali en matière de droits humains », a-t-il demandé.

Mais, dans un contexte où la Transition bénéficie d’un contrôle institutionnel renforcé et où les appels à la souveraineté nationale priment sur les injonctions extérieures, peu d’observateurs s’attendent à une issue favorable à court terme.

Les voies de recours, bien que légitimes, semblent symboliques face à la volonté politique affirmée de recomposition du champ politique.

Vers un système politique rationalisé ?

Le gouvernement ne cache pas ses intentions. Une nouvelle Charte des partis politiques est en cours d’élaboration. Le futur texte vise à définir un nouveau cadre légal, plus strict, pour autoriser l’existence et le fonctionnement des partis au Mali. Plusieurs pistes issues des recommandations des forces vives de la Nation sont déjà à l’étude.

D’abord, la mise en place de critères rigoureux de création, pour éradiquer les partis de façade et favoriser l’émergence d’acteurs politiques crédibles et enracinés. Parmi ces critères, entre autres, une implantation effective dans plusieurs régions, un fonctionnement interne démocratique et transparent et une caution de 100 millions francs CFA pour la création de tout parti politique.

Ensuite, la moralisation de la vie politique est érigée en principe fondateur. En vue de restaurer la confiance entre citoyens et représentants politiques, le futur texte pourrait interdire l’accès à la direction d’un parti à toute personne condamnée pour des faits de corruption ou de détournement de fonds publics.

Le financement public des partis sera lui aussi repensé. Pour éviter que les subventions publiques ne servent à enrichir quelques individus au lieu de soutenir l’action politique, la nouvelle charte pourrait supprimer tout simplement ce financement, comme recommandé d’ailleurs par les forces vives, ou établir de nouveaux mécanismes avec un contrôle renforcé de la Cour des comptes.

Enfin, des réflexions sont en cours autour de la limitation du nombre de partis autorisés. Si lors des dernières consultations des forces vives, fin avril dernier, elles avaient recommandé un maximum de cinq partis politiques dans le pays, certains évoquent l’instauration d’un système de regroupements politiques ou de blocs afin de structurer durablement la scène politique autour de grandes forces idéologiques cohérentes. Une telle configuration pourrait renforcer la lisibilité du débat public et la stabilité des institutions.

« Il faut que les nouveaux partis politiques naissent sur la base d’une idéologie. Les gens ont détaché la politique de l’idéologie. Or si l’on détache la politique de l’idéologie, on ne pourra plus faire la différence entre les partis politiques et le peuple n’aura plus de grille de lecture pour faire un choix conscient et civique », appuie l’analyste politique Ousmane Bamba.

Nouvelle architecture en vue

La dissolution des partis politiques actée le 13 mai 2025 ne signe pas la fin du jeu politique au Mali, mais son redémarrage sur des bases profondément remaniées. Pour exister dans le cadre du nouveau dispositif légal en gestation, les anciens partis devront se restructurer ou fusionner et revoir leur mode d’organisation. Si certains disparaîtront, d’autres renaîtront sous de nouvelles formes.

Lors de ce « nouveau départ », de nouveaux acteurs pourraient émerger. Des mouvements citoyens, des collectifs de jeunes, des personnalités issues de la société civile ou de la diaspora, ou même des jeunes leaders issus des anciennes formations politiques pourraient incarner une nouvelle dynamique. Le renouvellement générationnel et idéologique, souvent souhaité mais rarement observé, pourrait enfin s’amorcer.

Toutefois, cette probable recomposition de la scène politique ne va pas sans risques. Certains craignent que la refondation de la vie politique en cours dans le pays ne serve à verrouiller le système au profit d’un cercle restreint de fidèles du pouvoir.

Si la tentation d’exclure ou de marginaliser les voix discordantes semble bien réelle, le défi pour la Transition sera de concilier assainissement politique et pluralisme démocratique.

Le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, assure que le gouvernement mettra tout en œuvre pour élaborer la nouvelle charte dans un contexte inclusif.

Dans le processus de rédaction du nouveau texte, il affirme que les autorités de la Transition feront appel à toutes les personnalités qui peuvent y contribuer, y compris les anciens acteurs politiques.

Mohamed Kenouvi