AEEM : Oser la reconstruction

Le 28 février 2024, dans le cadre du renouvellement des instances du Bureau de coordination de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), de violents affrontements opposent des camps rivaux. Un étudiant trouve la mort et de nombreux autres sont blessés. Une énième scène de violence dans l’espace scolaire qui aboutit à la suspension des activités de l’organisation, puis à sa dissolution le 13 mars 2024 par les autorités. Salutaire pour les uns, liberticide pour les autres, la décision doit permettre une réinvention du mouvement scolaire, qui s’est détourné de ses objectifs depuis trop longtemps.

« Après la suspension, je m’attendais plutôt à des réformes au sein de l’association, qui a beaucoup contribué à l’avènement de la démocratie au Mali. Elle fait partie des acquis », regrette Moussa Niangaly, Secrétaire général de l’AEEM de 2018 à 2021. Sans nier les actes de violence qui caractérisent « actuellement » l’association, il estime que les réformes effectuées par le passé ont « contribué à diminuer le phénomène ». Il fallait donc continuer dans ce sens. D’ailleurs, plusieurs anciens de l’AEEM avaient salué la suspension, espérant que cela serait « l’occasion de penser un cadre de réflexion », poursuit-il. Un espace pour réorganiser l’association et éviter les violences en milieu scolaire. Au-delà de la « surprise » qu’elle a créée, selon M. Niangaly, « la dissolution n’est pas la solution », car elle pourrait permettre, comme par le passé, à l’organisation de renaître. C’est après la dissolution de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) que l’AEEM est née. Il vaut mieux donc « réparer et réorganiser ce que nous avons » et assurer un suivi afin d’éviter toute dérive.

Dépolitiser l’école

C’est la question cruciale qui préoccupe à présent les acteurs de l’école. Comment remettre dans son rôle une organisation de défense des intérêts des élèves et étudiants qui, depuis sa création, a été associée à la gestion du pouvoir, jusqu’au plus haut niveau ? Un instrument politique et « un électorat » ménagé par les pouvoirs successifs, car « personne n’avait intérêt à avoir une école bouillante », nous confiait un analyste en 2020.

À cette gestion du pouvoir s’est ajoutée la gestion des œuvres universitaires lors de la création de l’université en 1993 et en l’absence du Centre national des œuvres universitaires (CENOU), qui ne verra le jour qu’en 1996. Après la création de cette structure, des conventions instituant une collaboration entre cet établissement public et l’AEEM ont été instaurées. Jusqu’en 2020, où le 12 octobre un autre incident, toujours dans le contexte du renouvellement des instances de l’organisation, a causé la mort d’un étudiant et fait de nombreux blessés. Une mort de trop, qui a indigné le monde scolaire et les parents d’élèves, singulièrement les femmes, qui ont alors interpellé fortement les autorités.

Dans une déclaration signée le 20 novembre 2020 et remise aux autorités, les femmes du Mali, réunies au sein d’un Collectif, ont d’abord demandé la « suspension immédiate de l’AEEM » et la fin de toutes les conventions et engagements qui liaient l’État à l’association. Avant de souhaiter la mise en place d’une Commission de suivi pour la mise en œuvre de ces mesures. À l’issue d’une journée de concertations organisée par le Premier ministre de l’époque, des recommandations ont été formulées et un début de mise en œuvre s’est concrétisé avec l’assèchement des sources de financement de l’AEEM.

Mais le renouvellement des instances a continué d’être le théâtre de scènes de violences et « d’affrontements toujours soldés par des morts d’hommes », regrette Mme Gakou Salamata Fofana, membre du Collectif. Les différentes commissions ont donc été déployées pour accompagner les processus de renouvellement. Malgré le climat délétère et le danger auquel ils étaient exposés, les membres ont, avec l’appui des forces de l’ordre dans bien des cas, suivi les renouvellements, qui se sont bien déroulés. Elle se réjouit donc, « en tant que mère de famille de cette dissolution, car « les enfants ne sont pas envoyés à l’école pour se faire tuer ».

Comment réorganiser l’AEEM ?

« Pour le moment, il faut faire table rase » et trouver une solution à la violence et  aux étudiants qui refusent de quitter l’université pour ne pas quitter leurs postes au Bureau de l’AEEM, estime Mme Gakou. Une attitude qui ne doit rien au hasard, puisque l’AEEM est une source de pouvoir « économique et politique » dont les responsables ont appris à jouir « sans jamais avoir travaillé », déplore Elhadj Seydou Patrice Dembélé, Secrétaire général de l’Amicale des Anciens et sympathisants de l’UNEEM (AMSUNEEM).

Pourtant, les sources de financement de l’organisation avaient été coupées suite aux concertations de 2021. Malheureusement cela n’a pas arrêté la violence, relève l’ancien Secrétaire général. « Il faut sécuriser le milieu universitaire », suggère-t-il, et c’est l’État qui doit y veiller. « Souvent, les violences n’émanent même pas des militants de l’AEEM. Certains ont fini leur formation universitaire mais sont encore sur la colline », ajoute-t-il.

Mais « sans moyens », comment les étudiants se procurent-ils toutes ces armes ? Une question qui mérité d’être posée et à laquelle il y a désormais un début de réponse. « Pour avoir de l’argent, ils vont voir les écoles privées et font du chantage ». Ils ont ainsi «  eu des sous sans l’État, qui est resté silencieux », note M. Dembélé.

Ayant déjà soutenu la suspension, l’AMSUNEEM s’est prononcée majoritairement en faveur de la dissolution. Parce que l’espace universitaire ne doit pas être « criminogène ». L’État doit « continuer à nettoyer les écuries dans l’espace universitaire », préconise le Secrétaire général de l’AMSUNEEM. Il faut que les acteurs du 26 mars acceptent de se remettre en cause. « Tout n’a pas été mauvais, mais ayons le courage de faire notre mea culpa ». L’État doit mettre à profit ce temps pour restructurer l’AEEM et si une autre association doit voir le jour elle sera mise en place sous les regards vigilants de l’État, des partenaires de l’école et des étudiants.

Au-delà de la dissolution

Pour Mahamane Mariko, ancien membre de l’AEEM (1998 – 2000), la dissolution de l’organisation, qui s’était éloignée de ses objectifs, n’est pas une surprise. Elle s’était retrouvée dans une situation qui « n’honore point l’espace scolaire ». Mais il faut « pousser les investigations » et aller au-delà des « acteurs apparents » qu’étaient devenus les élèves et étudiants. Il faut chercher à « savoir qui manipulait les enfants » afin que l’espace scolaire et universitaire soit troublé. Il s’agit pour lui d’une question de justice, afin de donner le temps à la jeunesse de trouver la meilleure voie ».

Pour réformer l’association estudiantine, le Dr Almamy Ismaïla Koïta, ancien Secrétaire général de la Faculté de médecine (201 – 2013), propose de s’inspirer de la « spécificité » des comités de cette école, considérés comme des modèles. Il faut une nouvelle entité qui sera financée par les élèves et dont les organes seront élus sous l’égide d’autorités reconnues pour ce faire. Mais tout cela dépendra des étudiants, qui doivent prendre leur responsabilité, soutient-il.

Guère surpris par la dissolution, vu la tendance adoptée par l’association, Seydou Cissé, enseignant du Supérieur, préconise que la future organisation tire les leçons du passé et soit dirigée à l’issue d’une sélection rigoureuse et d’un choix démocratique pour éviter les dérives « qui ont fait plonger l’AEEM ».

Farouchement opposés à la dissolution de l’AEEM, les anciens de l’organisation « rejettent cette annonce et accompagneront les cadets pour faire annuler sans violence cette décision des autorités de la Transition », annonce Ibrahima Taméga, leur porte-parole.

Pour Amadou Koïta, ancien ministre et ancien membre de l’AEEM, « rien ne justifie cette dissolution ». Et il se demande si « certains ne veulent pas réécrire l’histoire du 26 mars ».

Création de l’AEEM : 1990

Suspension des activités de l’AEEM : 29 février 2024

Dissolution de l’AEEM : 13 mars 2024

Volontaires de l’Éducation : Recrutement en cours

Lancé par le ministère de l’Éducation nationale, le recrutement de 15 300 volontaires  est en cours et se poursuivra jusqu’au 7 février. Il concerne prioritairement des diplômés des IFM et de l’ENSUP. La gestion et le suivi de ces volontaires, qui seront déployés sur toute l’étendue du territoire, est assurée par le Centre national de promotion du volontariat (CNPV).

« Ces volontaires seront recrutés pour une période de 6 mois renouvelables », explique M. Ibrahim Ba, chargé de communication au CNPV. Ils seront choisis grâce à des commissions de recrutement mises en place au niveau régional et composées du CNPV, des directeurs de CAP, des mairies et de tous ceux qui interviennent au niveau de l’éducation. Au niveau national, la commission sera constituée d’un représentant du ministère de l’Éducation nationale, du CNPV et tous les directeurs d’académies et de CAP. Les volontaire bénéficieront ensuite d’une formation de 5 jours au pré volontariat, assurée par le ministère de l’Éducation.

Ce processus de recrutement, qui n’est pas conditionné à la fin de la grève des enseignants, se poursuivra, explique-t-on au CNPV, qui rappelle que 300 volontaires au niveau de l’Éducation sont déjà sur le terrain depuis 2017.

Les 15 300 volontaires seront recrutés pour une période maximale de 2 ans et seront gérés dans le cadre d’une convention de partenariat avec le ministère de l’Éducation. Pour juguler certaines difficultés relatives à l’absence d’extraits de casier judiciaire pour les dossiers reçus aux CAP et académies, la commission de recrutement sera chargée de décider en dernier ressort.

École publique : Le cadet de nos soucis ?

Depuis le 19 décembre 2018, une série des grèves des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 paralysent l’école publique malienne dans  l’enseignement préscolaire, fondamental et secondaire. Les négociations entamées n’ont pas encore abouti à un accord définitif et, avec les évacuations des écoles privées par l’AEEM, le risque d’une année blanche se précise. La décision des syndicats, après leur rencontre avec le Premier ministre le samedi 16 mars, sera déterminante, à un moment où la mobilisation de la société civile croît  pour dénoncer ce bras de fer sur le dos des enfants.

« Ça me touche vraiment d’être à chaque fois à la maison. Ça fait des semaines qu’on n’étudie pas à cause de la grève. On ne pourra pas terminer nos programmes, ce qui va jouer sur notre niveau », confie Amadou Diarra, élève en 10ème au lycée technique de Bamako. En 2018, il a été admis au Diplôme d’études fondamentales (DEF), avec la moyenne de 18,17, devenant ainsi le premier national. Quelques mois plus tard, il participe au camp d’excellence qui réunit chaque année à Bamako les meilleurs élèves de toutes les régions du Mali et a la chance d’être félicité par le Président la République Ibrahim Boubacar Keita au palais de Koulouba. Aujourd’hui, comme des milliers d’enfants, ce petit génie est au bord de la désillusion, contraint de rester à la maison. La grève séquentielle déclenchée le 19 décembre 2018 par les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016, prolongée jusqu’au 5 avril, n’a pas connu son épilogue. Si au début la situation n’émouvait pas la majorité des acteurs, de plus en plus des voix s’élèvent pour sonner l’alarme. En attendant, les obstacles demeurent.

L’impasse ?

Sur les dix points de revendications des syndicats, sept ont fait l’objet d’un accord. Après des rencontres sans succès avec la ministre du Travail et de la fonction publique, chargée des relations avec les institutions, les syndicats ont rencontré le samedi 16 mars le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga. Celui-ci a fait des propositions. « Il y a trois points de blocage : la prime de logement, la relecture du décret 529/P-RM du 21 juin 2013 portant allocation d’indemnité au personnel chargé des examens et concours professionnels en ses articles 1,2 et 3 et l’accès des enseignants fonctionnaires des collectivités aux services centraux de l’État », rappelle Ousmane Almoudou Touré, secrétaire général du bureau exécutif du Syndicat national des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales (SYNEFCT), membre de la synergie. « Sur la prime de logement, le Premier ministre a accepté le principe, mais pense qu’il ne peut pas nous faire une offre chiffrée avant la fin du deuxième trimestre. Sur le point concernant l’accès des fonctionnaires des collectivités aux services centraux, il est plus ou moins d’accord avec le principe, mais demande qu’on installe cadre de travail pour voir alternativement quels sont les articles à revoir. Le troisième point, en guise de concession et de bonne foi, les syndicats sont disposés à le mettre de côté », rapporte le secrétaire général, qui indique que les bureaux nationaux réfléchiront les deux jours suivants la rencontre pour donner suite à ces différentes propositions.

Au ministère de l’Éducation Nationale, la question est sensible. « Aujourd’hui, c’est l’impasse. Le fait que l’école ne marche pas est plus un casse-tête pour nous que pour les autres. Dans toute lutte syndicale, tu prends ce que tu as obtenu et tu continues le travail. Mais dire tout où rien, surtout pour qui connait les réalités du Mali, c’est vraiment une manière de bloquer le système », proteste Mamadou Kanté, directeur national adjoint de l’enseignement fondamental. Il précise que leur « responsabilité est de mettre en œuvre la politique éducative. Cela embrasse tout le domaine, depuis les infrastructures et les matériels pédagogiques. La gestion du personnel est assurée par d’autres départements ».

Selon lui, si les deux camps parviennent à s’entendre, « il peut y avoir des possibilités des cours de remédiation ou de décalage des dates de fermeture, mais si chacun campe sur ses positions, l’espoir n’est plus permis », s’inquiète le directeur adjoint. Une urgence que reconnait le secrétaire général du SYNEFCT. « Même si la grève devait prendre fin aujourd’hui, il faudra prolonger l’année scolaire jusqu’à mi-juillet ou fin juillet pour rattraper le temps perdu. Mais si on continue encore deux semaines, ce sera très compliqué. C’est à l’État de décider ».

Le temps de l’action

« Les enfants à l’école et non dans la rue », « Un peuple sans éducation est un peuple sans avenir », ou encore « Trop c’est trop ». Tels sont certains messages des affiches brandies par les femmes de la plateforme Am be Kunko (Notre affaire à tous) samedi dernier devant la Bibliothèque nationale à Bamako. Un premier meeting pour interpeller les acteurs de l’école malienne sur la longue attente des élèves. « Nous avons organisé ce meeting à cause de la situation des enfants, parce qu’ils ne vont pas à l’école. Nous n’avons pas besoin d’une année blanche », se justifie Madame Coulibaly Moiné Dicko, présidente de la plateforme. Pour cette mère ayant quatre enfants à l’école, « les lignes doivent bouger. Il s’agit pour nous de dire au gouvernement que nous sommes inquiètes pour l’avenir de nos enfants. Ce sont les mamans qui paient les inscriptions et notre combat d’aujourd’hui est juste», plaide-t-elle.

Au même moment, d’autres femmes leur emboitent le pas pour que les élèves retrouvent le chemin de l’école. « Nous avons constitué le collectif des mamans pour sonner l’alarme et nous comptons organiser une marche blanche ce samedi. C’est pour dire au gouvernement et aux maitres d’arrêter de prendre nos enfants en otage », annonce Fatoumata Coulibaly, présidente du collectif. Alors que l’année scolaire tend dangereusement vers sa fin, ces femmes sortent désormais du silence pour secouer les décideurs.

« J’ai mon fils qui est à la maison et qui doit passer le DEF cette année. Il a commencé l’année motivé, tellement fier de pouvoir passer cet examen à 12 ans! Mais c’est décourageant de voir qu’il ne le pourra peut-être pas ». Elle renchérit : « c’est lui d’ailleurs qui m’a appelé pour me dire Ma, on nous a encore fait sortir. Qu’est-ce que vous pouvez faire pour qu’on reste en classe ? ». C’est une question qui m’a fait mal, parce que nous sommes censés être les protecteurs et qu’il est encore plus désolant que les parents soient restés sans réagir jusqu’à présent », se désole la présidente du collectif.

L’école, le cadet des soucis ?

« L’école, c’est notre sacerdoce, c’est vraiment une  priorité pour nous. Malgré la crise que nous connaissons, environ 37% du budget alloué à l’éducation est resté intact. Mais il faut reconnaitre également qu’à cause de la crise, d’autres priorités sont venues nous tordre la main et nous forcer à mettre l’accent sur d’autres aspects que l’école seulement », souligne Mamadou Kanté. Un langage que les parents d’élèves et les syndicats peinent à croire.

« Pendant les négociations avec la ministre du Travail, elle n’a pas cité parmi les priorités du gouvernement l’éducation. Nous le lui avons rappelé. En tant que syndicats d’enseignants, nous mesurons toute notre responsabilité. Nous savons que les semaines perdues auront un impact sur les enfants, mais si chacun y met du sien, nous pouvons encore rattraper le temps perdu », insiste le secrétaire général du SYNEFCT. C’est dans ce contexte d’immobilisme et d’une école délaissée que le mouvement SOS école, composé d’activistes, d’influenceurs, d’associations et de leaders d’opinions est né. « Nous avons senti que les gens ne s’intéressaient pas beaucoup à la grève qui frappe l’école, qui est l’avenir des enfants (…). En mettant  l’avenir de toute une nation en danger, on se demande si l’école est une priorité », se demande Ibrahima Khalil Touré, membre actif de ce mouvement qui se veut  « apolitique », avec pour seule « ambition la réouverture des classes ». Pour Fatoumata Coulibaly, la négligence dont souffre ce domaine primordial pour le pays est de trop. « Nous ne devions pas en arriver là et attendre que les femmes s’agitent pour que le Premier ministre reçoive les maitres. Je suis désolée », dit-elle, irritée.

Pour la plupart de ces acteurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de sauver seulement une année, mais de sauver l’école malienne en opérant une réforme approfondie du système éducatif né en 1962. Mais au regard des tables rondes et séminaires tenus sur le sujet, le  problème n’est-il pas finalement les hommes, et non les textes ?

Enseignement fondamental : La baisse de niveau, une plaie incurable ?

Dès le lendemain de l’accession du Mali à l’indépendance, les autorités d’alors, conscientes de l’urgence d’une éducation de masse et de qualité, ont mis en place la première grande réforme du système éducatif malien, en 1962. Un pari ambitieux, qui passait par un enseignement fondamental servant de socle à la suite du cursus scolaire. Malgré les séminaires, tables-rondes et innovations qui ont  suivi, le constat de la baisse de niveau des élèves interpelle.  Bref aperçu des causes du glas de cet ordre d’enseignement.

C’est à bras le corps que les autorités de la Première République ont pris la question de l’éducation nationale. La réforme de 1962 est le témoignage de leur volonté de former un maximum d’enfants avec un enseignement de qualité. Un vrai défi pour  un pays dont les ressources ne permettaient pas de répondre aux besoins cruciaux du moment. Malgré tout, le produit fini était de qualité. Mais les difficultés nées sous la Deuxième République, avec le Programme d’Ajustement Structurel imposé par les bailleurs de fonds dans les années 1980 et la fermeture pendant dix ans des écoles de formation des maitres (IFM) ont créé un vide sans précédent.  Ce n’est qu’avec l’avènement de la Troisième République que l’éducation est redevenue une priorité. Des États généraux, en passant par  la loi d’orientation instaurant le PRODEC et les recommandations du Forum national sur l’éducation de 2008, que des rencontres autour de l’école! Mais à quelles fins ?

L’éducation et la formation sont un droit pour tous les enfants de la Nation. Les parents ont le devoir de les inscrire à l’école et de les y maintenir jusqu’au terme du cycle fondamental qui, depuis 2010, dure neuf ans. Selon la loi d’orientation sur l’éducation de 1999, cet ordre d’enseignement «  a pour objectif de développer chez les élèves des apprentissages fondamentaux qui contribueront au développement progressif de leur autonomie intellectuelle, physique et morale, afin de leur permettre de poursuivre leurs études ou de s’insérer dans la vie active ». Moins de deux décennies après, le constat de la baisse de niveau ne cesse de scandaliser. Pourtant, l’école malienne était citée autrefois en exemple.  Les autorités, les enseignants, les parents d’élèves, les élèves sont à tort ou à raison mis en cause. La complexité  de dissocier ces acteurs, dont chacun compte, fait de la déliquescence du système une affaire partagée. Des résultats comparatifs réalisés dans le cadre du PASEC et d’EGRA en 2009 montrent que le score moyen d’acquisition des élèves maliens (en français et en mathématiques) est très faible et se situe à environ 10 points en dessous de ce qui est observé en moyenne dans les neuf pays francophones ouest-africains. Selon EGRA, l’évaluation des compétences des élèves du  premier cycle fondamental, en lecture, écriture et calcul, effectuée en 2009, atteste qu’en 2ème année, dans toutes les langues, les élèves lisent moins de 18 lettres par minute et, en 4ème année, moins de 27 lettres par minute. Selon la même étude,  94% des élèves de 2ème année sont incapables de lire un seul mot d’une phrase du type : « mon école est jolie ». Une réalité qu’admet le Directeur national de l’enseignement fondamental, Kinane Ag Gadeda, qui précise tout de même « le niveau en lecture et en écriture est mauvais, mais, pour déterminer le niveau de l’enfant, il faut l’évaluer dans tous les domaines cognitifs ».

Plus d’un mal Il s’avère d’emblée qu’aux grands maux il n’y a pas eu de grands remèdes. Aux   innovations pédagogiques non mises en œuvre se sont ajoutés le déficit en ressources humaines, pédagogiques, didactiques et financières, l’insuffisance des infrastructures,  le  curriculum  non maitrisé, la démission des parents d’élèves et  la vocation foulée aux pieds. Tout un réquisitoire. Le phénomène est tel que même les élèves du secondaire et les étudiants sont affectés tout au long du processus. Pour  Moustaphe Coulibaly, enseignant et Directeur des études du complexe scolaire Nampalé Ballo de Baco Djicoroni, la faute incombe aux enseignants, aux programmes et aux plus hautes autorités, épargnant  les enfants. « La responsabilité de l’État est totalement engagée, car c’est lui qui  recrute les éducateurs » s’insurge-t-il. Selon Hamidou Doumbia, parent d’élève qui enseigna au premier cycle une trentaine d’années avant de devenir professeur de l’enseignement secondaire général, « les enseignants ne maitrisent pas le curriculum » et « toutes sortes d’individus qui se retrouvent dans l’enseignement ». Une formation et un recrutement catastrophiques donnent des résultats catastrophiques. « L’État recrute des individus  qui n’ont  aucun profil, aucune formation, pour exercer le métier : des mécaniciens, des secrétaires, des comptables, etc.» énumère M. Doumbia. Un fait que corrobore le Directeur Kinane Ag Gadeda, qui pense tout de même que l’État fait ce qu’il peut.  Pour lui, la corruption, les alliances interpersonnelles et l’intrusion des politiques dans le système contribuent  à vivifier le phénomène. «  Quand vous nommez un directeur sans grande compétence parce que c’est votre ami, la gestion sera difficile », dit-il. « Les différents fora ont toujours identifié des difficultés et fait des recommandations, mais au regard des ressources, faibles et souvent mal orientées, le problème n’a fait que  persister ». Le talon d’Achille du système reste le financement, car, selon lui, toutes les approches mises en œuvre ont été soutenues par des financements extérieurs. « On est soumis aux conditionnalités des financements et ensuite, quand les financements s’arrêtent, on a des problèmes pour pérenniser les acquis ». 35% du budget national sont consacrés au système, dont 85% destinés aux salaires et accessoires et le reste éparpillé entre les services centraux et locaux et les investissements. La bonne conduite des politiques éducatives passe pourtant nécessairement par une autonomie en investissements. L’échec des innovations est dû au manque « de ressources pédagogiques disponibles et pertinentes,   d’enseignants formées, d’un suivi et d’une évaluation réguliers pour réguler et corriger » souligne  le directeur. Selon un responsable du ministère de  l’éducation  « ceux qui doivent accompagner la mise en œuvre du curriculum ne le font pas et les effectifs pléthoriques compliquent la transmission des connaissances ». Bien que la pédagogie des grands groupes puisse être une solution, le déficit d’espace et la maitrise technique font défaut.

Sortir du tunnel ? Pour pallier ces multiples défis, l’État, depuis 2010, ne recrute que des sortants des IFM, mais cela ne suffit pas pour résoudre les problèmes. « On s’est rendu compte que, dans tous les cas, nos enseignants ne comblaient pas les attentes », rapporte le directeur. Le déphasage entre les curricula de l’enseignement normal  et la réalité sur le terrain et la qualité des enseignants et des formateurs des IFM ont abouti à une multitude de difficultés. Pour le directeur national, « ce ne sont pas les enfants qui ne  maitrisent pas les mathématiques et autres, ce sont les fondamentaux même qui manquent », entrainant le fait que « nos enfants ne peuvent même pas lire un  simple énoncé ». C’est le système éducatif en entier, dans ses méthodes, ses évaluations, ses suivis et son organisation générale qui est indexé. Mais la réforme n’est nullement en cause. Il déplore l’absence de vocation, « nos enseignants ne réfléchissent pas en termes de responsabilités mais en termes de droits ». « Lorsque la vocation manque à l’enseignant, cela veut dire qu’il n’y a pas d’espoir, car ce  métier est bâti sur la vocation ».

En 2016, la méthode syllabique revient, mais se heurte aux problèmes d’antan. Seule l’approche équilibrée, financée et mise en œuvre par le projet SIRA depuis deux ans, produit des résultats qui comblent les attentes. Pour Kinane Ag Gadeda, le département est conscient de tous ces problèmes et certains sont en train d’être corrigés. C’est dans cette perspective que la Primature prévoit une table-ronde sur l’éducation.

Une certitude se dégage : tant que les autorités, les enseignants, les parents d’élèves, les élèves, ne s’investiront pas, aucun miracle, ni aucune table-ronde, ne pourra sauver l’avenir de notre pays.