Naira, Cédi, Franc guinéen : Des fortunes diverses

Le Naira a atteint un niveau historiquement bas ce 20 février 2024. Il fallait 1 712 unités pour un dollar sur le marché officiel. Même si les autorités de la banque centrale assurent que les devises en monnaie étrangère s’améliorent, le Nigeria est confronté à une pénurie de dollars qui pousse sa monnaie locale à la baisse. De la même manière, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest qui disposent de leur propre monnaie ont également été confrontés à une crise.

La crise d’argent liquide a coûté à l’économie nigériane un montant estimé à 20 000 milliards de nairas, en raison de la paralysie des activités commerciales, de l’étouffement de l’économie informelle et de la contraction du secteur agricole, a déclaré l’organisation pour la promotion des entreprises privées du pays. Elle a aussi estimé que la situation avait réduit le nombre de travailleurs et d’entreprises dans un pays où 63% de la population est pauvre et 33% est au chômage.

La plus grande économie du continent fait face à une inflation record, 29,9% en janvier, jamais connue depuis 1996. La population, confrontée à la hausse du prix du gaz suite à l’arrêt des subventions, manifeste son mécontentement. Le Nigeria, dépendant des importations pour satisfaire ses besoins, est vulnérable aux chocs externes.

Premier producteur africain d’or, le Ghana est également confronté à une grave crise économique. Sa monnaie, le Cedi, a perdu environ 81% de sa valeur fin 2022. Une baisse significative qui la classe au 4ème rang des 20 monnaies africaines les moins performantes, après la Sierra Leone (6èmeet le Nigeria (12ème). Selon la Banque mondiale, le pays est devenu le 8ème pays plus endetté du continent, avec une dette publique estimée à 90,7% du PIB fin 2022. Le Ghana, talonné par l’Angola au classement des monnaies les moins performantes, traverse une grave crise malgré sa richesse en matières premières. La faute à une mauvaise gouvernance et à peu de diversification, surtout pour l’Angola.

Dans ses perspectives économiques d’octobre 2023, la Banque africaine de développement note que la croissance, estimée à 4,4% en 2022, contenue d’être soutenue par la production minière et la résilience en Guinée. L’inflation a baissé à 12,2%, contre 12,6% en 2021. « Importée (elle) est partiellement compensée par l’appréciation du Franc Guinéen ». La croissance du PIB devrait atteindre 5,6% en 2024 grâce à la production minière et la disponibilité en énergie. L’inflation est prévue à la baisse à 9,9% en 2024.

Mais le faible regain d’activités dans les branches non extractives, les effets de la crise russo-ukrainienne et la faible mobilisation des ressources internes (12,6% du PIB en 2022), contre 20% dans la Zone CEDEAO, et les tensions sociopolitiques, continueront d’être des risques pour une croissance durable.

AES : Vers la création d’une monnaie commune ?

Le 15 février 2024, plusieurs ministres de l’Alliance des États du Sahel (AES) se sont réunis à Ouagadougou. Suite à la réunion des hauts fonctionnaires et en prélude à la rencontre des chefs d’État, ils ont recommandé la validation de l’architecture institutionnelle pour la nouvelle confédération. Avec pour ambition d’élargir les objectifs de l’Alliance aux domaines diplomatique et économique, les États de l’alliance souhaitent concrétiser des mesures et visent à terme une union économique et monétaire. Une monnaie commune est-elle envisageable, quel délai pour son émission, quels atouts et quels risques? Ce sont quelques-unes des questions posées à notre interlocuteur Mohamed Diarra, économiste financier au cabinet d’études et conseils Nord Sud Multiservices Consulting.

Une sortie des États de l’AES de la Zone CFA est-elle inévitable ?

Cette sortie est envisageable. Mais en ce moment la Zone AES n’est pas forcément prête à sortir de la Zone CFA. Les États peuvent sortir de la Zone CEDEAO, qui est un espace économique, et rester dans l’UEMOA, qui est une zone monétaire. Ce sont des entités différentes. Ces pays vont mettre un peu de temps et devront réfléchir, parce qu’il y a beaucoup d’instruments à mettre en place. Présentement, beaucoup d’États sont en train de se financer sur le marché monétaire des titres de l’UEMOA, ce qui est une méthode de gestion budgétaire. Il semble un peu prématuré que ces États sortent de cette zone.

Une monnaie commune à l’AES est-elle possible ?

Complètement. Il suffit que les États se mettent d’accord pour le faire, mettre en place un système de banque centrale et lui donner l’autorisation d’émettre la monnaie de l’AES. Naturellement il y a d’autres aspects techniques qui précèdent sinon a ma connaissance Il n’y aucune clause ou contrainte juridique qui leur interdit de le faire. Bien entendu il y a d’autres aspects qu’il faut voir, notamment sur plan international avec la Banque de Règlements Internationaux sis a Bale en Suisse, bien que mineur. Mais lors de la création ils devront par exemple régler leurs dettes au niveau de leur compte d’opération. À part cela, il n’y a pas de problème juridique, ils peuvent librement créer leur monnaie.

Combien de temps peut prendre la création de cette monnaie ?

L’émission d’une monnaie propre à l’AES dépend des États. Décider d’émettre une monnaie est une question de convention entre eux. Il suffit d’en prendre la décision en un jour ou deux. Il s’agit de créer le cadre conceptuel et juridique et d’émettre la monnaie. C’est une question d’accord. Mais je ne pense pas qu’ils veuillent le faire tout de suite. Parce qu’il y a un certain nombre de mesures à mettre en place, qui, a ma compréhension ne le sont pas encore, une façon de dire qu’il ne faut surtout pas se précipiter.

Quels seront les facteurs de réussite de cette monnaie ?

Les facteurs de réussite d’une monnaie résident dans la capacité de gestion de cette monnaie. C’est-à-dire le sérieux que l’on met dans sa gestion. Cela signifie d’abord la maîtrise des déficits budgétaires, de l’inflation. Il y a aussi la capacité de production c’est dire le revenu réel des Etats (PNB), le taux d’inflation, la gestion des taux
d’intérêt à court et moyen terme et le maintien d’une relation stable des taux d’intérêt. En d’autres termes le respect et la maitrise de l’évolution de certains agrégats macroéconomiques. Ceux-ci sont des aspect très importants a prendre en compte.

Les pays de l’AES peuvent-ils réunir ces conditions ?

Oui.

À quelle monnaie pourrait s’arrimer cette nouvelle monnaie ?

Si on décide de créer une monnaie, il ne faut pas penser à la faire s’arrimer à une autre (ce que l’on appelle dans le jargon Currency Bord). Parce que cela veut dire laisser sa souveraineté monétaire à une autre monnaie. L’AES peut créer sa monnaie et ne pas l’arrimer. Il y a la possibilité de production de ces États, que ce soit les matières premières ou autre chose. La viabilité d’une monnaie réside dans sa bonne gestion et la capacité de production de cette zone monétaire. Arrimer sa monnaie signifie qu’on ne peut pas bien la gérer, qu’on ne peut pas la supporter. Je préfère parler de garantie. Elle peut être l’étalon or qui garantissait d’ailleurs toutes les monnaies avant la modification a travers les accords de la Jamaïque des statuts de FMI pour prendre le dollar comme monnaie de référence. Aujourd’hui presque 80% de l’affacturage international est fait en Dollar US. La valeur de la monnaie par rapport à une autre dépend de la capacité de production du pays. Donc la capacité de production de
l’AES va déterminer la puissance de sa monnaie., pour garantir le dollar par exemple. Les monnaies d’ailleurs se donnent leur valeur sur le marché monétaire. Cela veut dire qu’elles doivent trouver un espace de fluctuation. Elle ne doit pas avoir normalement, comme ce que l’on a fait avec le franc CFA et l’euro une partite fixe qui,
au demeurent ne favorise pas trop le développement de nos économies. Cette parité fixe donne même une certaine contrainte pour ne pas dire asphyxie à l’égard de nos économies. Bien entendu il y a des défenseurs de la théorie de la parité fixe. Je peux d’ailleurs m’hasarder a dire que la valeur réelle du CFA aujourd’hui est surévaluée.

La parité fixe n’est donc pas un facteur de stabilité ?

Ce sont des facteurs que l’on peut envier. Mais, en réalité, je dirais que le franc CFA est surévalué. Une monnaie se donne de la valeur en fonction de la production du pays ou des groupes de pays qui l’émettent. Je préfère une monnaie qui n’a pas de parité fixe, qui flotte en fonction de l’offre et de la demande, plutôt que la parité factuelle que nous avons entre le franc CFA et l’euro. C’est un facteur de stabilité macroéconomique. Mais que vaut cette stabilité si les peuples qui vivent dans cette zone sont pauvres?

Quels sont les éléments déterminants d’une monnaie ?

Les déterminants d’une monnaie forte dépendent de la demande. Si beaucoup d’acteurs économiques demandent cette monnaie sur les marchés, dans un premier temps cela peut lui donner de la puissance. Il y a aussi la maîtrise de l’inflation, qui est un facteur important. Le taux directeur de la banque centrale, la croissance économique de la zone qui émet la monnaie ainsi que sa balance commerciale (ses échanges), peuvent rendre une monnaie forte.

Les problèmes de sécurité ne jouent-ils pas en défaveur des États de l’AES ?

Que ce soit pour la monnaie ou pour le commerce, le problème de sécurité est un facteur de risque, mais cela n’impacte pas du tout l’émission d’une monnaie. Il faut seulement maîtriser l’inflation et faire une bonne gestion.

L’Eco(monnaie commune de la CEDEAO) est prévu pour être lancé en 2027. Cela ne posera-t-il pas un problème, sachant que les pays qui l’adopteront seront les plus nombreux en Afrique de l’Ouest ?

Non, je ne pense pas que cela puisse poser un problème. La Gambie a sa monnaie, la Sierra Leone et la Guinée aussi. Même si l’Eco était lancé, cela ne posera aucun problème de confrontation. La réussite de la monnaie réside essentiellement dans la bonne gestion macroéconomique. Il n’y a pas de crainte vis-à-vis de la Zone Eco. Il pourra y avoir des relations monétaires pour faciliter les échanges entre les deux zones, qui sont obligées de vivre ensemble.

Quels sont les atouts de pays de l’AES ?

Ils disposent de matières premières et de pierres précieuses, d’uranium, de lithium, d’or ou encore de pétrole. Ils ont aussi un potentiel dans l’agriculture. Il leur suffit d’accroître la productivité pour assurer l’autosuffisance alimentaire à l’interne, ce qui leur permettra de réduire leurs importations de denrées alimentaires. Les pays de l’AES disposent donc d’atouts pour lancer une zone monétaire. Des atouts qui peuvent permettre de gérer leurs économies et de créer une zone de prospérité économique.

Kemi Seba : « Les premiers responsables de notre situation, c’est nous les Africains »

De passage à Bamako dans le cadre d’une tournée contre le néocolonialisme, l’activiste et panafricaniste Kemi Seba a au cours d’un long entretien répondu à nos questions. France, Russie, intégration africaine, IBK, le président de l’ONG Urgences Panafricanistes n’élude comme à son habitude aucun sujet.

Durant votre tournée de  sensibilisation sur la question du Franc CFA, vous avez été à Cotonou, interdit d’embarquement le 8 janvier 2020 pour Bamako. Selon vos dires, à l’époque, c’était sur ordre du gouvernement malien.  Une année après, vous revenez au Mali. Vous considérez-vous cela déjà comme une victoire ?

C’est très clairement une victoire. Je tiens à préciser que c’était dans le cadre d’une tournée contre la France-Afrique. En effet, j’avais été interdit d’embarquer devant témoins à l’aéroport. Les responsables m’avaient dit clairement que c’était une demande qui venait des autorités maliennes et que par conséquent ils ne pouvaient que s’exécuter. Et je reviens, autorisé, un an plus tard au Mali. Je ne vous cache pas que j’étais tendu en prenant l’avion parce que je ne voulais pas revivre évidemment la même situation, mais j’étais très ému de pouvoir rentrer. Je ne peux pas comprendre qu’un certain nombre de criminels aient le droit de rentrer sur nos sols, des touristes non africains qui n’ont parfois pas de très bonnes mentalités qui peuvent venir où ils veulent sur le continent, et des Africains qui, eux sont interdits de rentrer parce qu’ils veulent la souveraineté pour leur population. Je pense que c’était un non-sens. Je suis très touché de cette démarche des autorités maliennes.

Quel est votre regard sur le départ du président IBK, renversé par un coup d’Etat militaire ?

Chacun son tour chez le coiffeur. Comme le dirait l’autre chacun son tour chez le barbier. Je crois qu’il n’a ni cheveux ni barbe, je ne suis pas sûr. Mais ce qui est certain, c’est que la roue tourne. Il faut que les dirigeants n’oublient jamais qu’ils sont à la base des citoyens. Il n’y a qu’une seule entité qui est éternelle sur terre et c’est le Tout Puissant quel que soit le nom que chacun veuille lui donner. Il faut que nous soyons humbles.

Aujourd’hui on est devant, demain on peut tomber. Il faut faire attention à la manière dont on se comporte avec les concitoyens. La brutalité avec laquelle j’avais été interdit d’embarquer l’année dernière m’avait profondément blessé. D’autant plus que j’avais payé un billet d’avion cher. Et être autorisé à rentrer à Bamako et voir qu’il n’est plus là, est clairement une victoire qui est symbole de l’effort de la population malienne.

Vous approuvez la manière par laquelle il est parti ?

Je suis à un milliard de pour cent derrière la démarche de la population. Je pense que quelqu’un qui se comporte en étant, comme le dit mon professeur de philosophie, dans une logique de « mésécoute » vis-à-vis de son peuple ne peut que récolter le fruit de cette « mésécoute ». Si vous décidez de débrancher cette connexion que vous avez avec votre population alors que vous êtes censé être son président, dès lors qu’elle se rebelle vous en paierez le prix en premier. Il est parti et on souhaite qu’il puisse aller le mieux possible sur le terrain de la santé et que s’il y a un certain nombre d’actions qui doivent être poursuivies vis-à-vis de lui, qu’il en soit ainsi ou à l’encontre de son fils Karim.

Vous êtes présent aujourd’hui au Mali pour afficher votre soutien à « Yerewolo Debout sur les remparts » qui réclame le départ de la force Barkhane.  Pourquoi l’armée française doit-elle quitter le Mali ?

Je suis là dans le cadre de la sensibilisation contre le néocolonialisme. Et nous nous appuyons toujours sur des partenariats ou des fédérations fiables. Yerewolo est une plateforme qui nous paraît rigoureuse, sérieuse, dynamique, animée par de jeunes courageux, notamment Ben le cerveau et d’autres. En ce qui concerne la base militaire, on essaie d’être le plus lucide dans notre grille d’analyse. Quand quelqu’un contribue à mettre le feu dans une zone voisine de votre maison, une zone voisine qui par hasard s’appelle la Libye et que ce feu finit par se propager partout dans la zone où vous vivez, est-ce que vous allez venir par la suite demander à ce quelqu’un, qui a mis le feu, qu’il puisse venir quelque part s’occuper de la sécurité dans votre maison ? Non ? Vous aurez tendance à vous dire qu’il vaut mieux se méfier du pyromane. Donc l’un des grands pyromanes dans le Sahel, c’est l’armée française. Et malheureusement l’armée française, ce sont des gens qui sont souvent instrumentalisés et qui ne se rendent pas forcément compte. Les responsables, ce sont l’oligarchie française et on ne peut pas lui faire confiance.

C’est une oligarchie qui a déstabilisé le Sahel et par conséquent notre responsabilité, c’est de demander au déstabilisateur de plier bagage.

 Quelle est votre réaction suite à la répression de la manifestation du 20 janvier appelant au départ de Barkhane ?

Quand on fait une analyse prospective, on se disait depuis une semaine que le contexte politique et social faisait qu’il était à craindre que les autorités maliennes cèdent aux pressions des autorités françaises. Il y a un an justement sous la pression j’avais été arrêté au Burkina Faso, un pays où j’ai énormément de sympathisants et où le président m’avait reçu avec les honneurs avant. C’est lorsqu’il y a eu  le sommet de Pau, quand Macron a tapé sur la table, que tous les dirigeants ont commencé à serrer la vis. Ils (les autorités de la transition, ndlr)  sont soumis à une pression internationale qui dépasse l’entendement. Et donc, ils ont le choix entre être fidèles à leurs principes et essayer de se conformer aux attentes de l’extérieur. C’est extrêmement dommage cette répression mais elle était prévisible. Elle ne fait que matérialiser notre dénonciation puisque notre but était d’illustrer le néocolonialisme français, de le dénoncer, de l’exposer aux yeux du monde. On interdit une mobilisation pour des motifs fallacieux, parce que partout dans le monde les gens se réunissent malgré la covid. Ces gaz lacrymogènes prouvent qu’on veut faire taire une dénonciation qui vise juste.

Dans des zones en proie aux violences terroristes, des populations se sentent en sécurité au regard seul des forces françaises présentes là où leur propre armée n’est pas. Est-ce que demander le départ de Barkhane dans ce contexte n’est pas problématique ?

Qui est-ce qui a fait ce constat ? Je pense que les populations de ces régions fragilisées demandent la sécurité. Elles n’ont pas cherché à savoir quelle est l’entité qui applique cette sécurité. Mais je peux vous assurer qui si elles peuvent être sécurisées par leurs semblables dès lors qu’ils ont une égalité en termes des armes, c’est quelque chose qui leur rassurerait profondément. Ce qui doit rassurer la population, c’est une armée régulière avec suffisamment d’armes. Alors que les rebelles sont surarmés par des entités qui ont tout intérêt que le chaos puisse prospérer et ces entités sont liées aux autorités françaises.

Plusieurs forces étrangères sont sur le territoire malien. MINUSMA, Takuba. Est-ce que vous appelez également à leur départ ?

Les choses ne sont pas si simples que ça. Il y a des mécanismes sur le terrain militaire, politique ou diplomatique qui font que ça ne se termine pas en 24 heures simplement. L’armée malienne est souvent raillée par des membres de sa propre population. Une propagande a été faite pour la décrédibiliser, pour justifier la présence d’armées étrangères sur le sol malien, qui sont là souvent pour sécuriser les diverses ressources maliennes. Qu’à la limite, il y ait une contribution de l’Union Africaine pour que l’armée malienne soit beaucoup plus soutenue par ses pairs. Cela va beaucoup plus dans le sens d’une véritable sécurisation parce qu’il en va de l’intérêt du continent africain. Les armées étrangères dès lors que le chaos perdure, c’est une possibilité pour elles de pouvoir sécuriser leurs ressources pour un certain temps.

Ben le cerveau souhaite la signature d’un accord de défense militaire avec la Russie. Le Groupement des jeunes Patriotes, un mouvement de la société civile malienne, demande l’intervention de la Russie en remplacement de la France. Est-ce que cela n’est pas le même interventionnisme ?

En tant que président d’ « Urgences Panafricanistes », nous soutenons toutes les démarches du petit frère Ben le cerveau. Maintenant, j’ai la possibilité de parler avec expérience. Je suis allé en Russie une cinquantaine de fois. J’ai de très bons amis au sein de l’appareil de l’Etat et même l’un des préfaciers de mon dernier livre (L’Afrique libre ou la mort, ndlr) est l’un des conseillers de Vladimir Poutine. Dans la Russie, il y a du bon mais aussi du mauvais. Sur le terrain de la géopolitique froide, il y a un constat et des victoires matérielles. La réalité c’est que la Russie aussi est une nation qui va à la recherche de ces contrées pour les ressources. Et le comportement de certains Russes ne va pas dans le sens, objectivement, de la souveraineté des populations locales aussi. Et donc si on veut des résultats pour faire taire des conflits, les Russes sont beaucoup plus efficaces que les Français. C’est une réalité. Mais à long terme, on ne peut pas compter sur les Russes parce qu’on ne va pas toujours être assisté par l’extérieur alors qu’on n’est pas inférieur à d’autres populations dans le monde. La Russie peut être une étape intermédiaire mais ne doit pas être une finalité. Sinon on va passer d’un colon à un autre.  

Vous êtes très proche de certains cadres russes. Et plusieurs personnes vous soupçonnent d’être un de leurs agents.  Qu’avez-vous à répondre?

Ça me fait doucement sourire. Dès lors que  Frantz Fanon était opposé à l’impérialisme occidental, on disait de lui que c’était un agent des forces anti-occidentales. Ça a toujours été ça. On disait que Lumumba était un pion des Russes, Malcom X, un communiste. Dès que quelqu’un s’oppose à l’hégémonie occidentale, il est qualifié d’agent russe. J’aime les anathèmes contre nous. Qu’on parle en bien ou en mal de nous, on s’en fout. L’essentiel c’est que notre message passe. Je suis un agent de mon ancêtre. C’est la seule réalité qui est la mienne et je dis que l’Afrique ne pourra s’en sortir que par elle-même. Certainement pas par Poutine. J’ai beau l’aimer sur le plan géopolitique, ce n’est pas quelqu’un qui sera un messie pour l’Afrique.

Considérez-vous les Africains ne partageant pas votre lutte comme des Oncle Tom ?

Je n’emploie jamais cette terminologie qui est anglo-saxonne. Nous, on parle plutôt de « bounty » (noir à l’extérieur blanc à l’intérieur, ndlr). Je pense qu’il y a du tout. Il y a des personnes qui font un travail actif pour les intérêts français dans nos pays et puis il y a des gens qui, peut-être par manque d’information ou par lassitude, finissent par se dire que les autres doivent être là.  Quand j’étais plus jeune, j’étais peut-être plus franc-tireur, radical. Et aujourd’hui j’essaie d’avoir beaucoup plus « d’empathie » et essayer de comprendre qu’il y a différents mécanismes qui poussent des gens à avoir des sentiments de résignation.

Vous êtes un panafricaniste. Et selon vous il s’agit d’une unité dans la diversité et dont l’objectif doit être la souveraineté. Que pensez-vous de l’Union Africaine aujourd’hui ?

C’est l’union d’un gang de dirigeants, un club de golf d’autocrates qui n’a aucune incidence sur la vie des Africains. C’est l’union des autocrates africains. Je pense qu’on devrait changer le sigle (UA) en UAA. Ce n’est pas l’Union africaine. L’Union africaine, c’est ce que nous essayons de faire en allant partout sur le continent pour prôner l’unité entre nous, la solidarité et le respect de nos populations.

On a aujourd’hui la zone de libre-échange économique (Zlecaf), des efforts sont en train de se faire pour la création de la monnaie commune de la CEDEAO, l’Eco. Comment jaugez-vous l’intégration africaine ?

Je regarde plus l’intégration africaine dans le cadre de nos ressources humaines, notamment les capacités des populations à migrer les unes aux autres. Avec la Zone de libre-échange, j’ai toujours un problème par rapport à l’implication du néolibéralisme dans les enjeux africains. Qu’on le veuille ou pas elle est une plaie qui est la résultante contemporaine d’un processus de prédation qui est le capitalisme, qui nous a entraîné dans des situations que nous avons connus auparavant. Le libre-échange, si ça peut permettre de faciliter le commerce entre nos nations, c’est positif. Mais si c’est en réalité une zone de libre-échange faite pour favoriser quelque part le commerce d’entités étrangères qui vont bénéficier de nos règles sur notre continent, on ne va pas s’en sortir. Et j’ai l’impression que c’est vers cette direction que nous allons.

Pour ce qui est de l’Eco, qui est un maquillage extrême du franc CFA, les autorités françaises ont pris peur parce qu’elles ont vu notre capacité de mobilisation en Afrique francophone à travers l’ONG Urgences Panafricanistes et son extension qui est le front anti CFA. Par conséquent, ils ont essayé de faire un changement cosmétique. Il y a eu des changements  notables qu’on ne peut pas nier, mais ils ont gardé un point crucial qui est l’arrimage à l’euro. Ce qui fait que l’euro est une monnaie beaucoup trop forte pour les économies locales et cela anéantit tout processus de compétitivité. Donc on a un problème de fond par ce système qui arrange les multinationales occidentales et françaises mais qui ne facilite pas le processus d’élévation économique pour les populations africaines.

N’est-ce pas un peu simpliste de dire toujours  que le problème vient de « l’oligarchie occidentale », alors que nous sommes pour la plupart indépendant depuis une soixantaine d’année. Qu’en est-il du rôle de nos dirigeants à nous, de nos peuples aussi ?

Je suis le premier à dire qu’une civilisation est détruite par l’extérieur que si elle est rongée de l’intérieur. Les premiers responsables de notre situation, c’est nous autres Africains. Il y a ce passage du coran qui dit que Dieu ne change pas les conditions d’un peuple tant que le peuple ne change pas lui-même. On peut toujours se plaindre de l’autre qui a besoin de toute façon de piller nos ressources pour exister. Mais pourquoi nous qui devrions être les premiers garants de notre souveraineté, nous sommes les premiers à laisser cette souveraineté être trouée ? Je ne suis anti personne. Je suis pour le changement, pour l’évolution de nos populations. Je suis à un stade de mon combat où je n’arrive plus à en vouloir au colon de vouloir nous coloniser parce que le capitalisme, comme le disait El-Hadj Malik El-Shabazz (Malcom X, ndlr), c’est le vautour. Certaines nations ont besoin de piller pour exister. Très bien, c’est leur rôle. Le nôtre doit être de résister. Pourquoi nos dirigeants se courbent ainsi même s’il y a des pressions au lieu de jouer leur rôle comme d’autres ont pu le faire auparavant. Et ce qui est triste, ce sont les gens de la société civile comme nous qui jouons leur rôle.

Le combat que vous menez  »l’Afrique aux africains » est le combat de plusieurs vies, depuis que vous avez commencé, estimez-vous avoir fait bouger les lignes?

En termes de prise de conscience de la population en Afrique francophone sur les questions relatives au néocolonialisme, sur la nouvelle génération, on a eu une incidence considérable à différents endroits de telle sorte qu’aujourd’hui la problématique de la France-Afrique dans la zone Franc est devenue plus prépondérante. Nous avons une grosse responsabilité dedans. Deuxième chose, c’est que le basculement Franc CFA-Eco qui, pour moi n’est qu’un changement de façade pour l’instant mais qui n’aurait jamais lieu si on n’avait pas été capable d’embrayer la machine. C’est une course de fond, ce n’est pas un sprint. Le combat continue, mais le simple fait aujourd’hui qu’il y ait des changements mécaniques qui ont été effectués à la suite de nos mobilisations est la preuve que la France-Afrique est en train de commencer à vaciller même si le chemin est encore long.

Avez-vous songé à faire la politique pour porter haut votre combat ?

Je fais de la politique, la participation à la vie de la cité. Mais est-ce que j’irai un jour sur le terrain institutionnel ? C’est une possibilité. A titre d’exemple, lors des dernières élections législatives un peu tronquées au Benin, le seul parti de l’opposition qui a pu se présenter, les FCBE (Forces cauris pour un Bénin émergent, ndlr) m’avait proposé d’être dans les postes à responsabilité parmi les candidatures et j’avais refusé. J’estime que nous sommes dans une démarche où nous devront prendre le temps. Je ne suis ni de l’opposition ni du pouvoir, nous sommes une troisième voix qui va au-delà de cette dichotomie.

Nous essayons de poser un schéma qui va simplement de l’idéologie prépondérante de ce 21ème siècle, de la Russie à Cuba, l’Iran et partout, qui est le souverainisme. C’est notre ligne politique et pour l’instant nous exploitons ses idées, nous les diffusons, nous les matérialisons à travers la société civile qui nous laisse une liberté de ton malgré les répressions. Je n’ai que 39 ans, peut-être qu’il arrivera un temps où je me lancerai sur le terrain institutionnel, mais ce n’est même pas sûr que ce soit essentiel. Il y a des gens qui n’ont jamais été politiciens au sens institutionnel du terme qui ont beaucoup plus laissé une empreinte sur le monde.  Je nuance ma réflexion toujours là-dessus. C’est une hypothèse, mais certainement pas une thèse.

Franc CFA – mépris – tutelle : l’Afrique humiliée !

Dans une tribune que j’avais écrite en 2013, intitulée « SOMMEIL France-Afrique sur le Franc CFA : A quand le REVEIL ? », je démontrais que la servitude monétaire que subissent depuis 1945 les Etats africains, à cause du Franc CFA, est illégitime. Que la dévaluation du franc CFA et la disparition du franc français justifient l’émancipation monétaire des Etats africains. Mais du Général De Gaulle à Macron, en passant par Sarkozy, les présidents africains sont infantilisés. L’attitude de Macron devant le président Burkinabé en est une illustration. Seuls les peuples africains pourront impulser une rupture. 

L’Afrique méprisée : De l’injure subliminale de Sarkozy à l’attitude infraliminale de Macron

Sciemment ou inconsciemment, Sarkozy injuriait tous les Africains en affirmant lors de son discours de Dakar que l’Homme Noir a raté le train de l’histoire. Mais ce que Sarkozy disait haut, beaucoup de Français et d’Européens le pensent bas. l’Église catholique qui décrivait le Nègre comme un être sans âme ; les missionnaires catholiques et les écrivains européens qui dressaient un portrait affreux du Nègre, dépeint comme un être paresseux, dont la science ne dépasse pas la répétition de gestes quotidiens, un être sauvage, cannibale et violent, ont terni l’image du Noir. Ce tableau rétrograde a fait naître chez les Européens un complexe subliminal de supériorité à l’égard du Noir, un sentiment de mépris, et parfois de racisme. 

Macron au Burkina Faso

Quand le président français Emmanuel Macron se défoule devant la jeunesse africaine au Burkina Faso ; quand il tutoie et ridiculise le président de ce pays, comme s’il faisait un One Man Show satirique, on atteint l’étape infraliminale du mépris. Macron n’oserait jamais avoir le même ton devant des étudiants français de l’université de Nanterre ou de la Sorbonne ! Il n’oserait jamais se compter ainsi devant le président russe, Vladimir Poutine, ou nord-coréen, Kim Jong-un. Il ne les ridiculiserait jamais devant leurs populations, encore moins leur intimer l’ordre « Reste là ! », comme il l’a fait au président Burkinabé Roch Kaboré. Mais en Afrique, c’est un jeu d’ENFANT avec des adultes qui refusent de grandir. On ne risque rien en humiliant un président africain ! On dira que c’était une blague, qu’il l’a bien aimée. 

La question du Franc CFA

Le Franc CFA met sous tutelle les présidents africains et viole la souveraineté de nos États. Françafrique. Ce mot désigne depuis longtemps la tutelle dont on accuse la France d’imposer aux dirigeants africains. Une tutelle pour les intérêts de la France et des dirigeants africains en manque de légitimité, mais qui nuit gravement à ceux des populations, des économies et des Etats africains. La plupart des présidents africains acceptent cette sujétion. Ils sont conscients qu’aucune nation ne se développera durablement sans une réelle souveraineté. Or, il n’y a pas de souveraineté politique effective sans souveraineté économique. Et aucune souveraineté économique ne peut tenir sans une réelle souveraineté monétaire nationale ou communautaire. Donc, tant qu’il y aura du Franc CFA, l’Afrique restera colonisée. Pour reprendre Henry FORD, si le peuple africain comprenait bien le micmac financier qu’induit le système monétaire du franc CFA, il y aurait une révolution avant demain matin. Il ne fait aucun doute que l’Afrique a intérêt à avoir un système monétaire autonome, en dehors de celui du franc CFA. C’est une urgence. Il ne s’agit pas de mener une croisade monétaire contre la France. Mais de privilégier les intérêts des économies africaines, en s’extirpant de ce résidu colonial. Au demeurant, il est possible de garder les relations politico-économiques privilégiées entre la France et l’Afrique, sans perpétrer les frustrations et les injustices du Franc CFA. Les présidents africains qui trouvent des subterfuges du genre « l’Afrique n’est pas encore prête pour gérer sa propre monnaie », devraient immédiatement démissionner. Car s’ils ne peuvent pas gouverner une monnaie, ils ne peuvent pas gouverner une nation. L’Afrique regorge d’experts juridiques, financiers et économiques capables de piloter et de gérer les mécanismes d’une monnaie nationale ou communautaire.

« Sortons du franc CFA pour sortir de cet esclavage ! »

Le Franc CFA est une arme d’ingérence et de domination politico-économique. L’idée serait alors de changer l’emballage du camembert toxique, pour convaincre les Africains que c’est un nouveau bon camembert. Pour avorter la révolte grandissante des peuples africains contre cette monnaie néo-coloniale, Macron pourrait proposer aux chefs d’Etats africains de revoir les accords monétaires sur le Franc CFA, ou de changer artificiellement le nom du franc CFA. L’idée serait alors de changer l’emballage du camembert toxique, pour convaincre les Africains que c’est un nouveau bon camembert. Si les dirigeants africains gobaient une telle duperie, ce serait une infamie pour l’homme Noir. Ce n’est pas Macron qui les alertera de la nécessité de se débarrasser du Franc CFA. Ce n’est pas Macron, produit de la finance, promu par les Jacques Attali, François Henrot et David Rothschild, qui démentira l’affirmation du fondateur de la banque Rothschild, selon laquelle celui qui a le contrôle de la monnaie d’une nation contrôle ses normes. Il ne démentira pas non plus Napoléon Bonaparte qui daisait que qui ceux contrôlent l’argent d’un gouvernement contrôlent la situation dans ce pays. On est l’esclave de ceux qui créent et contrôlent notre monnaie, tant que cela dure. Alors sortons du franc CFA pour sortir de cet esclavage ! 

Contributeur extérieur : Aliou TALL, Président du Réseau Africain de défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)

Pourquoi la France a-t-elle imposé le franc CFA ?

Kémi Séba a été interpellé le 19 août au Sénégal pour avoir brûlé à Dakar, en public, un billet de 5 000 francs CFA (soit 7,60 euros). Son interpellation a relancé la polémique sur l’intérêt de conserver ou non l’usage du franc CFA dans les 15 pays d’Afrique centrale et de l’Ouest.

Créé officiellement le 26 décembre 1945 sous la France du Général de Gaulle, le franc CFA est aujourd’hui la dernière monnaie coloniale encore en activité. Quinze pays africains l’utilisent toujours et sont tenus de verser 50 % de leurs recettes d’exportation à la Banque de France. Un système monétaire régulièrement critiqué par des hommes politiques ou des économistes qui estiment qu’il freine le développement du continent.

 

Kémi Séba relaxé après avoir brûlé un billet de 5 000 francs CFA

Le polémiste français Kémi Séba a été acquitté mardi par un tribunal de Dakar, où il était poursuivi pour avoir brûlé un billet de 5.000 francs CFA lors d’une manifestation contre la « Françafrique » le 19 août dans la capitale sénégalaise.

A l’issue de plus de deux heures de débats parfois houleux, le président du tribunal des flagrants délits a prononcé la relaxe de Kémi Séta et d’un membre de son mouvement poursuivi pour complicité pour lui avoir fourni un briquet.

Le parquet avait réclamé une peine de 3 mois de prison avec sursis contre Kémi Séba et la relaxe de son coprévenu.

Le polémiste, qui réside au Sénégal et s’est présenté comme « chroniqueur politique », était poursuivi sur la base d’une plainte de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont le siège est à Dakar.

La BCEAO est l’institut d’émission en Afrique de l’Ouest du franc CFA, monnaie de 14 pays francophones de l’ouest et du centre du continent, totalisant 155 millions d’habitants, réclamait pour sa part un franc symbolique en guise de dommages et intérêt.

Kémi Séta, en détention préventive depuis son arrestation à Dakar le 25 août, a revendiqué devant le tribunal un acte « symbolique ».

« L’objet de la manifestation était d’exposer les méfaits de la Françafrique », a-t-il dit, se comparant à la militante américaine des droits civiques Rosa Parks.

Une centaine de ses partisans, évacués de la salle d’audience pour avoir applaudi une intervention de l’ex-leader de la Tribu Ka, groupuscule dissous en France en 2006 pour antisémitisme et incitation à la haine raciale, ont bruyamment salué l’annonce de la relaxe, scandant des slogans comme « A bas la Françafrique », « A bas le CFA ».

« Il n’y avait pas de condamnation possible.Il n’a pas brûlé des billets, il a brûlé un billet qui lui appartenait », a réagi son épouse, Etuma Séba.

Les avocats du militant l’ont emporté grâce à un point de droit : le code pénal sénégalais punit la destruction « des » billets de banque, mais non d’un seul.

Mais ils ont aussi porté le débat sur la légitimité du franc CFA ou sur le rôle des anciennes puissances coloniales en Afrique, en particulier la France.

Ceux de la BCEAO avaient pour leur part accusé Kémi Séba de « semer la confusion » sur la politique monétaire de l’institution et affirmé qu’il était « archi-faux » de dire que Paris disposait d’un « droit de véto » sur ses décisions.

Les représentants de la banque centrale ont aussi dit craindre que ses émules brûlent des billets en francs CFA, comme certains l’ont fait lundi à Cotonou, au Bénin, le pays dont est originaire M. Séba.

« On est quand même dans des pays pauvres.On ne peut pas s’amuser à brûler des billets.Cinq cents francs, c’est déjà un début de petit-déjeuner.Donc c’était symbolique, comme (Nelson) Mandela brûlant son passeport.Mais ça ne veut pas dire que ça va se multiplier », a dit l’un de ses avocats, Cheikh Koureyssi Bâ.

« Il n’a rien à faire en prison.Ceux qui devraient aller en prison, ce sont ceux qui affament et pillent un continent depuis des siècles », a soutenu au milieu d’une petite foule Hery Djehuty, coordinateur stratégique de l’ONG Urgences Panafricanistes fondée par Kemi Séba.

« C’est la jeunesse qui pose le débat sur la table et qui veut juste que l’Afrique puisse décider elle-même de son sort, de son avenir, de sa politique économique, et que ce ne soit plus le fait d’une puissance tierce, d’une puissance étrangère comme la France », a ajouté M. Djehuty.

« Les questions impérieuses de la souveraineté et de l’autonomie des Etats africains postcoloniaux, des rapports de domination qui persistent dans les relations entre les anciennes puissances coloniales et les pays africains, méritent d’être posées, et Kémi Séba les pose », estimait lundi dans Le Monde Afrique l’économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr, tout en qualifiant de « simpliste » le discours de Kémi Séba.

CFA : 3 Questions à Etienne Fakaba Sissoko, Docteur en économie

Mettre fin à l’arrimage CFA-Euro, est-ce un choix économique ou politique ?

Quoi qu’il en soit, iI y a un choix politique à faire. Il s’agit de dire si nous allons rester dans le franc CFA ou pas. Si c’est le cas, nous devrons choisir entre la parité fixe actuelle et le fait de pouvoir convertir notre monnaie, indépendamment du cours de l’euro. L’autre alternative, c’est sortir totalement. Aujourd’hui, la question est beaucoup plus politique qu’économique, et ce sont les questions de souveraineté qui pèsent le plus dans le débat.

Quelle est selon vous la meilleure option ? 

Selon moi, il faut privilégier les monnaies sous-régionales et l’UEMOA est sur une très bonne voie, malgré tout ce qu’on en dit. La CEMAC a des problèmes, mais qui sont surmontables. Si nous décidons de partir de ce mécanisme-là, il y a de très fortes chances que nous puissions y arriver. Parce qu’on ira de façon séquentielle. On décidera des pays qui vont expérimenter la monnaie commune en premier, et progressivement on essayera d’inclure les autres.

Si ce scénario n’est pas choisi, quelles seraient les conséquences ? 

Le gros risque serait alors que la sortie se fasse sans négociation avec les partenaires commerciaux. Le premier problème sera donc la convertibilité de notre nouvelle monnaie avec les autres. Or, nous importons tout. Des pénuries de biens et de services se poseront, et la base de l’économie étant la loi de l’offre et de la demande, cela aboutira à une forte inflation et une perte de contrôle au niveau des prix. Tout cela peut entraîner les populations vers la précarité et provoquer des conflits sociaux.

 

Ces pays qui vivent bien sans le CFA

14 pays africains utilisent le franc CFA comme monnaie commune. Les quelques 40 autres ont chacun la leur, avec des fortunes diverses. Tour d’horizon de l’Afrique monétaire.

En 2010, Sanou M’Baye, économiste sénégalais, ancien haut fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD), publiait son essai « L’Afrique au secours de l’Afrique », dans lequel il posait la question : le franc CFA, monnaie ou relique coloniale ? Si cette question continue de diviser encore sur le continent et ailleurs, il n’en demeure pas moins vrai que le franc CFA n’est pas la seule monnaie en vigueur.

Anglophones vs. Francophones Tous les pays anglophones ont leur monnaie nationale, et il faut reconnaître que les monnaies des anciennes colonies françaises s’en sortent moins bien que leurs homologues anglophones. On peut ainsi citer l’exemple du Ghana, dont le Cedi, de l’avis des experts, évolue plutôt bien, contrairement au franc guinéen, héritage des années Sékou Touré, qui connaît des fluctuations fortes. Interrogé par le magazine AM Business, Mamadou Koulibaly, économiste, ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne et auteur de « Souveraineté monétaire des pays africains », explique que selon des chiffres de 2014 de la BAD, « dans le top 10 des économies africaines les plus compétitives, figurent Maurice, l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Maroc, le Botswana, l’Algérie, la Tunisie, la Namibie, le Kenya et la Zambie. » Le fait est que tous ces pays ont leur monnaie nationale et sont plus compétitifs que ceux de la zone CFA.

Le Nigéria et son naira, pour citer un nouvel exemple, reste un géant sur le continent. Au Maghreb, l’Algérie et la Tunisie avec le dinar et le Maroc avec le dirham, ont des économies stables, malgré les soubresauts politico-sécuritaires. En Afrique australe, l’Afrique du Sud et son rand, a rejoint en 2011 le club des puissances émergentes (BRICS). La stabilité du shilling kényan, de la pula du Botswana, et du kwacha zambien sont le fruit, selon les économistes, d’une rigoureuse politique monétaire. La bonne santé économique de ces pays, qui ne connaissent pas le CFA, contribue le plus souvent à raviver la colère des détracteurs de cette monnaie considérée comme une entrave au développement des pays qui l’utilisent. Pourtant, il existe aussi des contre-exemples, notamment le Zimbabwe qui utilisait le dollar américain et le rand sud-africain depuis 2009 après l’abandon du dollar zimbabwéen à cause d’une hyper inflation (un œuf coûtait 50 milliards !). Mais ce pays émet depuis fin 2016 une nouvelle monnaie, les « billets d’obligation ».

 

 

Faut-il brûler le franc CFA ?

Oui, ont répondu en chœur les « anti », qui ont réalisé une véritable démonstration de force le 7 janvier dernier, en mobilisant à travers l’Afrique et partout dans le monde pour demander la fin de cette monnaie. Pour eux, elle n’est qu’une « survivance » des colonies françaises d’Afrique et doit être éliminée si le continent veut prendre en main son économie et enfin se développer. Ce rejet, porté par de nombreuses personnalités, ne fait pourtant pas l’unanimité. Non pas pour sa pertinence, mais parce qu’il appelle à des conséquences économiques qui pourrait être désastreuses pour les pays concernés. Alors, faut-il s’accommoder de cette monnaie depuis décriée ? Quelles options pour en sortir ?

Le 11 aout 2015, le Tchad célèbre ses 55 ans d’indépendance et son président jette un pavé dans la mare. « Il y a aujourd’hui le franc CFA, qui est garanti par le Trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. […] Il faut maintenant que réellement, dans les faits, cette monnaie soit la nôtre. […] Une monnaie qui permette à tous ces pays qui utilisent encore le franc CFA de se développer », déclarait Idriss Deby Itno. Il relançait ainsi un débat vieux de plusieurs décennies déjà : celui de la survivance d’une monnaie née en 1945.

Héritage colonialiste Avant d’aller plus loin, petit rappel historique des conditions de sa création par le Professeur Abdoulaye Niang, économiste, ancien diplomate et grand pourfendeur de cette monnaie. « Le CFA est arrivé parce que le Franc français se dévaluait de manière régulière. En créant cette monnaie avec une parité fixe, la France a pu continuer à se ravitailler en ressources naturelles et produits premiers à partir de l’Afrique, sans subir la dévaluation. Quand il y a parité, vous n’avez plus besoin de devises, vous pouvez rapatrier vos bénéfices. C’est cette situation qui continue jusqu’après les indépendances et de nos jours, elle est la même », déplore-t-il. C’est là d’ailleurs le principal argument du front « anti-CFA » : cette monnaie sert avant tout les intérêts de l’ancien colon français, et surtout freine le développement du continent. De Bamako à Abidjan, en passant par Bruxelles ou Londres (même avant le « Brexit »), tous dénoncent le paradoxe qui dote des États parmi les plus pauvres au monde d’une monnaie aussi forte, puisqu’arrimée à l’euro. « L’argent est un produit qui joue sur le taux en fonction des besoins de l’économie, explique encore le Professeur Niang. À partir du moment où le pays n’a pas le droit de dévaluer par rapport à l’euro, mais que celui-ci peut être dévalué vis-à-vis du dollar, par exemple, on ne peut que subir la politique monétaire de l’Europe. Nous ne sommes donc pas indépendants ».

La question de l’indépendance est donc au cœur de ce débat. Indépendance politique, impliquant la fin du contrôle exercé par l’ex-colon sur les économies de la zone franc (créée en 1939, ndlr) et surtout de la domiciliation des réserves africaines au niveau du Trésor français. Indépendance économique, pour libérer les investissements sur le continent et doter les pays de la future « ex-zone CFA » d’économies fortes, basées sur leur propre capacité à se gérer, à déterminer leurs impôts, mieux contrôler leur balance commerciale, etc. Ce débat, et ce combat, ne sont pas nouveaux. Dans les années 70, alors que 100% des réserves des pays de la zone franc étaient hébergées au Trésor français, des chefs d’État avaient lancé des négociations qui ont abouti à la réduction à 75%, puis 50%. L’objectif est désormais de les amener à 0%, gageure pour certains, décision incontournable pour d’autres.

En dehors des politiques, et plus récemment des acteurs de la société civile qui mènent le combat, en particulier à travers les médias, les économistes se penchent sur la question. Longtemps resté silencieux, le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) donnait en novembre dernier à Jeune Afrique la position de son institution. Expliquant « les vertus » de la politique monétaire en vigueur dans la zone UEMOA, Tiémoko Meyliet Koné à la tête de la BCEAO depuis mai 2011, assure que ceux qui critiquent le CFA n’appréhendent pas correctement le rôle de la France et du Trésor français dans le système monétaire en vigueur. Selon lui, « le franc CFA est une monnaie africaine, gérée par des Africains. Il faut arrêter de voir les relations entre la France et les pays de l’UEMOA comme celles d’un colonisateur avec ses colonisés ». Les relations avec la France sont donc plutôt un partenariat entre l’espace communautaire et le Trésor français.

Africaniser la monnaie D’autres économistes ne l’entendent pas de la même oreille. Pour eux, il faut sortir de ce schéma et pour ce faire, ils proposent plusieurs scenarii. Le Dr Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais, grande voix de la fin du CFA, expliquait dans un entretien avec un journal français que l’objectif n’est pas tant la disparition du CFA que la quête de l’indépendance économique des États qui l’utilisent. « Rien n’empêche de conserver le franc CFA tout en rompant la fixité avec l’euro. Nous pourrions imaginer un tunnel monétaire dans lequel le franc CFA pourrait évoluer en fonction de sa propre conjoncture économique. Une fluctuation à la hausse, comme à la baisse, autour d’un cours pivot permettrait un assouplissement monétaire. Cela permettrait de donner plus de compétitivité à nos économies, qu’elles soient moins extraverties, de doper notre croissance, et surtout de créer des emplois… », assurait-t-il. Un avis partagé par l’économiste malien Dr Etienne Fakaba Sissoko. « Le défi est de faire en sorte que chaque pays s’engage sur un certain nombre de choses : d’abord le contrôle de nos budgets, car l’une des forces aujourd’hui du CFA est que la stabilité des prix et la convertibilité sont garantis. Il n’y a donc pas de hausses non contrôlées sur les marchés. Il s’agira donc d’arriver à contrôler ce niveau des prix et il faudrait que chaque pays s’engage à réduire ses déficits budgétaires, et donc à utiliser de façon efficace ses ressources. Le problème à ce niveau sera la question du leadership. Qui va dire à qui de ne pas faire de dépenses ? ». En effet, à l’inverse de l’Europe, où c’est la Commission de Bruxelles qui dicte les directives aux pays, dans la zone CFA, ce sont les conférences des chefs d’État (UEMOA et CEMAC) qui donnent des directives aux commissions. « Cela rend l’affaire plus compliquée », poursuit le Dr Sissoko. Mais pas impossible.

Les économies africaines ont les moyens de mettre ce schéma en place si l’on en croit le Pr Niang. « Nous avons des solutions pour avoir une monnaie forte, et le Mali peut en prendre l’initiative. Nos richesses peuvent nous permettre d’assurer la stabilité de notre monnaie, sans devoir les confier à autrui. La rectification de la structuration du capital d’investissement des mines d’or, d’Orange, par exemple, nous permettrait d’être riches de nos richesses. Si on ne le fait pas, un matin la France va tomber et le CFA tombera, alors que nous ne serons pas prêts », affirme celui qui avait dès 2008 tenté de sensibiliser, en vain, les décideurs africains à préparer la fin du CFA.

Créer une nouvelle monnaie, garantie par les richesses nationales et gérée par une instance supranationale de contrôle, telle est l’alternative au CFA. On ne peut pas avoir de schéma idéal, préviennent cependant les économistes. « […] Il y a des facteurs bloquants, si vous prenez la zone euro, où les pays ne sont pas au même niveau de développement, c’est pareil. Prenez le cas de la Grèce et de l’Allemagne, il n’y a pas photo au même titre que l’Espagne et la France. Pour vous dire que si la volonté politique est là, nous pouvons franchir les obstacles », assure Demba Moussa Dembélé, économiste et président de l’Africaine de recherche et de coopération pour le développement endogène (Arcade), co-auteur de « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ? ». Au finish, c’est donc aux politiques de décider s’ils veulent brûler le CFA, ou pas.

 

 

Kemi Séba : « nous allons élargir la thématique au-delà du Fcfa »

Kemi Seba, activiste panafricaniste, virulent pourfendeur du franc CFA, a lancé, samedi 7 janvier dernier, dans le monde (14 pays), une conférence simultanée contre le franc CFA . Il revient, pour le Journal du Mali, sur ces manifestations d’ampleur et évoque la suite qu’il entend donner à ces mobilisations.

Journal du Mali : quel bilan faites-vous des conférences anti-CFA organisées simultanément dans plusieurs pays ?

Kémi Séba : Je suis très satisfait. C’est une première qui à mon avis rentre dans l’histoire. Dans les 14 pays, nous avons mobilisé de manière simultanée les populations africaines et afro-diasporiques pour une cause commune. Cela nous remplit d’espoir pour la suite. Les africains ont compris qu’il est possible d’agir de manière coordonnée et unie. Nous sommes arrivés à réunir des personnalités avec des idéologies différentes et des agendas chargés. C’est donc du domaine de l’histoire.

Quelle suite entendez-vous donner à cette mobilisation contre le CFA ?

D’ici très peu de temps nous allons rendre publique la date de la prochaine mobilisation internationale avec encore plus de pays. Nous allons donc élargir la thématique au-delà du FCFA tout en restant dans la même dynamique. Un comité d’expert est en train de se réunir pour conclure le cahier des charges en termes de résolution qu’ils présenteront aux chefs d’État africains qui à leur tour le présenteront aux dirigeants français. Au cas ou ces derniers refouleraient cette dynamique alors nous enclencherons le processus de boycott des produits français.

Quid des chefs d’État africains qui se montreraient prudent face à votre demande ?

Il y a beaucoup plus de chef d’État africains qui partage l’idée d’une éventuelle sortie du Fcfa qu’on ne le croit. Certains hommes comme le président Idriss Déby qui n’est certes pas un modèle politique pour nous, a fait preuve de courage politique sur le terrain de la sortie du Fcfa. Il est en train de mobiliser d’autres chefs d’État qui pensent qu’il est nécessaire que nos pays quitte la zone franc qui ne nous arrange pas.

Que vaut votre combat à la veille du sommet Afrique France qui quelque part renforce les liens du Fcfa, est-ce que ce n’était pas un coup d’épée dans l’eau ?

Bien au contraire, c’est un hasard du destin qui nous favorise. Attendons de voir ce qu’il sortira de ce sommet. Une chose est certaine le sujet sur la sortie du Fcfa revient énormément dans les chancelleries. Les gens le prenne très au sérieux car c’est devenu une sorte de virus qui touche les sociétés civiles.

Front contre le Fcfa, ce samedi, au Mali et dans 13 pays

Ce samedi 7 janvier est organisé simultanément dans 14 pays à travers le monde des conférences anti-CFA. Le mot d’ordre a été lancé par l’activiste panafricaniste, Kemi Seba, il y a quelques semaines. Une feuille de route sera soumise aux autorités françaises et aux Chefs d’État africains à la sortie des conférences. 

« Les accords monétaires sont un goulot d’étranglement pour nos pays », estime Kemi Seba, activiste panafricaniste, l’un des plus virulents pourfendeurs de la monnaie francs CFA. C’est depuis Dakar, que Kemi Seba a lancé, le 26 décembre dernier, un appel à organiser à travers le monde et dans les pays africains utilisant encore aujourd’hui le Fcfa, une conférence pour dire non à l’utilisation du Fcfa comme monnaie d’échange. « C’est inacceptable », rétorque-t-il. En seulement une semaine Kemi Seba a réussi à mobiliser des économistes de renom tels que Nicolas Agbohou, docteur en économie politique et l’un des pères de la résistance au franc CFA pour l’organisation de plusieurs conférences organisées simultanément dans 14 pays, ce samedi 7 janvier. « Le Congo et le Canada se sont rajoutés », affirme-t-il.

À Bamako, on s’active d’ores et déjà pour ce grand rendez-vous qui se tiendra à l’hôtel le Djenné dans la salle Amadou Hampaté Ba. « La conférence est organisée par l’association Maya. J’en suis la marraine », affirme Aminata Dramane Traoré, altermondialiste. Et d’ajouter que l’objectif est d’aller vers la création d’une plateforme de débat sur la question du Fcfa. Kemi Seba va plus loin, « notre dynamique est d’aller vers la création d’une monnaie unique car il n’est pas normal que les populations ne puissent pas décider librement de leur avenir monétaire », explique-t-il. Les conférences représentent la première étape de la lutte. Selon Kemi Seba, un cahier des charges sera soumis aux chefs d’État africains ainsi qu’aux autorités françaises pour qu’enfin ces pays puissent avoir leur propre monnaie.

Si cela n’est pas accepté, Kemi Seba brandit la menace d’un boycott des produits français dans les pays utilisant le monnaie, « le boycott arrivera plus vite que prévu si la sortie du Fcfa n’est pas réalisée en 2017 », assure-t-il.

En attendant, chaque point focal dans les 14 pays se mobilise pour faire de cette conférence une réussite.

 

Si le franc malien m’était conté…

Il y a tout juste 54 ans, juste après avoir acquis son indépendance politique, le Mali se lançait dans un autre combat, celui de l’indépendance économique. Le Franc malien en était le symbole, mais il fit long feu…

« Depuis le 1er juillet 1962 à zéro heure, la République du Mali dispose de sa propre monnaie », déclarait le président Modibo Keïta, au lendemain de la création du franc malien. Le Mali, à la différence de plusieurs pays africains, prenait donc en main sa politique monétaire. Le père de l’indépendance, Modibo Keïta avait pris la décision de ne plus procéder au dépôt des 50% de réserves de change au Trésor français, auquel étaient contraintes chaque ancienne colonie française d’Afrique, en contrepartie de la garantie par Paris du franc, de façon illimitée. Tournant le dos « à la stabilité et la crédibilité internationale » qu’offrait cet accord, le Mali décidait d’emboîter le pas à la Guinée, qui avait fait de même deux ans plutôt. Pour Étienne Fakaba Sissoko, économiste, la création du franc malien était un symbole de souveraineté. « Il permettait au Mali de jouir pleinement de sa monnaie et de s’en servir comme un instrument de politique économique. On pouvait désormais décider de faire venir des investisseurs étrangers, d’investir librement dans les secteurs de développement tels que l’industrie », explique l’économiste. « Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui » précise-t-il.

Pari risqué

Pour les commerçants, le franc malien, fabriqué en Tchécoslovaquie et surtout non convertible, rendait difficiles les relations économiques, ne serait-ce qu’avec les voisins de la zone CFA. Le ravitaillement en produits de première nécessité fut compromis, reconnait le spécialiste. Le Mali plongeait ainsi dans un marasme économique consécutif, sa monnaie fut rapidement dépréciée, entraînant la ruine du commerce local et du secteur informel. Le gouvernement finit par dévaluer de 50 % sa monnaie en 1967, afin de relancer l’économie. Malgré la mauvaise tournure prise par cette « aventure du franc malien », ils sont nombreux à être nostalgiques de cette révolution éphémère. 56 ans après son accession à l’indépendance, le Mali à l’instar des pays de la zone franc, souffre toujours de dépendance monétaire. Pour Étienne F. Sissoko, il n’est plus question de créer des monnaies nationales, mais de tirer les leçons de ces expériences pour avoir une monnaie commune viable, pour l’espace CEDEAO.