Référendum constitutionnel : une date et des questions

C’est le scrutin qui va donner le coup d’envoi des différents rendez-vous électoraux prévus dans le chronogramme de la Transition d’ici à mars 2024. Reporté dans un premier temps le 10 mars, le référendum constitutionnel est finalement annoncé pour le 18 juin 2023. La date révélée par le gouvernement le 5 mai suscite depuis de nombreuses interrogations sur la bonne tenue de ce scrutin et l’aboutissement du processus électoral.

Alors que des voix commençaient à se lever pour pointer du doigt le retard pris dans l’annonce d’une nouvelle date pour le référendum constitutionnel, depuis son report il y a 2 mois, le gouvernement de la Transition a surpris. Un décret annonçant la tenue de cet important rendez-vous pour le 18 juin prochain a été lu à la télévision nationale le vendredi 5 mai 2023 par le ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maiga.

« Le collège électoral est convoqué le dimanche 18 juin 2023 sur toute l’étendue du territoire national et dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mali à l’effet de se prononcer sur le projet de Constitution. Toutefois, les membres des forces de Défense et de Sécurité voteront par anticipation le dimanche 11 juin 2023, conformément à la loi électorale », dispose l’article premier de ce décret, portant convocation du collège électoral et ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion du référendum constitutionnel. La campagne électorale sera ouverte le 2 juin 2023 et close 16 juin à minuit, selon l’article 4.

Défis

La tenue du référendum dans un temps assez court implique un certain nombre de défis à relever pour le gouvernement, mais aussi et surtout pour l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), l’organe chargé de la gestion et de l’organisation de ce scrutin. Entre autres, de l’élément d’identification (carte) pour exercer le droit de vote au récurent problème d’insécurité auquel font face certaines parties du territoire national, en passant par l’installation des coordinations de l’AIGE à l’intérieur du pays, les difficultés d’organisation sont légion.

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les défis liés à la garantie de la liberté d’expression ainsi qu’à la communication et à la sécurité sont les plus importants dans le contexte actuel. « Aujourd’hui, la logistique, les moyens financiers et humains, les capacités de l’armée ne permettent pas d’organiser le référendum sur toute l’étendue du territoire », indique-t-il, proposant par ailleurs que des capsules vidéo ou audio traduites dans les langues nationales soient disséminées un peu partout pour une meilleure appropriation du texte du projet de nouvelle Constitution afin de relever le défi de la mobilisation. Pour cet analyste, sur le plan du respect des libertés, la Transition gagnerait à laisser même les gens qui ne sont pas « pro Transition » s’exprimer sur ce référendum, « donner leur point de vue et dire qu’ils ne sont pas d’accord en toute liberté ».

Malgré les incertitudes, l’AIGE a tenu à se montrer rassurante. Lors d’un point de presse au siège de l’organe le 9 mai, son Président Moustapha Cissé s’est montré optimiste. « La dynamique est enclenchée et, de façon volontariste et responsable, nous sommes dans l’action pour l’accomplissement de tout ce que nous devons faire. Nous avons tous les moyens matériels et financiers pour pouvoir accomplir cette mission », a-t-il assuré.

Selon lui, concernant les démembrements à l’intérieur du pays, l’AIGE est prête. « L’installation des coordinations de l’AIGE est un processus qui a démarré et nous avons accompli plus de 90% de cette étape. La loi électorale dit que nous pouvons bénéficier à tout moment de l’appui de l’Administration territoriale et nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Il nous reste juste la phase de la nomination et de l’installation suivi de la prestation de serment des membres de ces coordinations », soutient l’ancien Bâtonnier.

Mesures exceptionnelles

Même si elles ne sont pas encore formellement actées, l’AIGE va prendre certaines mesures, au vu du délai serré pour la tenue du référendum. Pour ce qui est de la carte requise pour voter, qui est selon la nouvelle loi électorale uniquement la nouvelle carte nationale biométrique sécurisée, le Président de l’AIGE avance que les anciennes cartes d’électeurs ainsi que toutes les autres cartes d’identité légalement reconnues en République du Mali pourront être utilisées. « À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle fondée sur le droit. Des habilitations administratives et juridiques vont être faites pour permettre d’utiliser des éléments d’identification qui permettront à la majorité, sinon à tout le monde, de pouvoir participer à ce référendum. Notre rôle est de sauvegarder le droit de vote du citoyen », tranche M. Cissé.

Par ailleurs, relève-t-il, il sera extrêmement difficile pour l’AIGE d’organiser ce scrutin sur la base du nouveau découpage administratif, qui a été adopté mais qui n’est pas encore effectif. « Compte tenu du délai, le découpage électoral dont nous disposons aujourd’hui et qui correspond parfaitement au fichier électoral, révisé à environ 8,5 millions d’électeurs en décembre dernier, sera celui de l’élection référendaire », annonce le Président de l’organe indépendant en charge des élections.

Désaccords persistants

Bien avant son report en mars et l’officialisation de la nouvelle date de sa tenue, le référendum constitutionnel n’a jamais fait l’unanimité auprès de la classe politique et des forces vives du pays. Cette situation s’est exacerbée depuis la publication du décret du  5 mai 2023. Si certains partis et organisations de la société civile ont salué un grand pas vers l’adoption de la nouvelle Constitution et commencé d’ores et déjà à appeler au « Oui » le 18 juin prochain, d’autres, en revanche, continuent de demander l’abandon du projet.

Parmi ces derniers, les organisations de l’Appel du 20 février comptent passer à la vitesse supérieure. Dans un communiqué daté du 7 mai, elles indiquent vouloir exercer un recours en annulation du décret portant convocation du collège électoral en vue du référendum « pour excès de pouvoir sur différents motifs, tous bien fondés ». Pour elles, ce décret viole le cadre normatif et les conditions requises en cette matière par la Constitution en vigueur, « au respect de laquelle le Président de la Transition, initiateur du projet, avait pourtant solennellement souscrit ». Même si ce recours semble avoir peu de chances d’aboutir, les responsables de ce collectif semblent déterminés.

« De la façon dont nous avons réussi à faire adhérer une frange importante des populations à la pertinence de l’abandon de ce projet illégal de nouvelle Constitution, nous empêcherons sans nul doute, par les voies de droit, la tenue même de ce référendum irrégulier en vue de son adoption », indique le communiqué, signé du Coordinateur général, le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné.

Tout comme l’Appel du 20 février, mais sur un autre plan, la Ligue malienne des Imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (LIMAMA) est également opposée à l’adoption de la nouvelle Constitution concernant l’article sur la laïcité. Un mouvement de soutien qui est né pour la soutenir, composé d’une vingtaine d’organisations islamiques, culturelles et politiques, dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, (CMAS) est monté au créneau le 6 mai en réclamant la suppression du concept de laïcité dans le projet. Ils assurent en outre vouloir mener une campagne pour le « Non », « si les revendications légitimes de la LIMAMA et du mouvement de soutien ne sont pas adoptées ».

Par ailleurs, selon nos informations, beaucoup d’autres partis politiques sont encore à l’étape de consultation de leurs bases pour arrêter une consigne par rapport au vote référendaire. À en croire une source au parti des FARE an Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, qui a également demandé l’abandon du projet, ils n’ont pas encore reçu le document final du nouveau texte constitutionnel et s’abstiennent pour l’heure de se pencher sur la question. Plusieurs autres formations politiques seraient dans le même cas. Mais, en dépit de cela, si le scrutin se tient le 18 juin, le « Oui » l’emportera sans surprise, selon plusieurs observateurs.

HCI : Les dessous du congrès

Le 21 avril, à la suite d’un consensus, Ousmane Chérif Madani Haidara est devenu le nouveau Président du Haut conseil islamique du Mali. Pour y parvenir, les négociations furent longues et délicates et les protagonistes difficiles à convaincre.

Quinze jours avant le congrès du Haut conseil islamique, le Groupement des leaders religieux reçoit, chez son Président, Ousmane Madani Haidara, l’Union nationale des femmes musulmanes. Dans le salon du guide religieux, les dames tentent de le convaincre. En mission depuis deux mois, elles ont rencontré toutes les autres associations susceptibles de présenter un candidat pour le congrès. Objectif, éviter une élection qui se déciderait au vote et, par extension, de « possibles divergences ». Afin de se faire entendre, elles brandissent la menace d’un boycott du vote si un consensus autour d’un candidat n’est pas trouvé d’ici là. Convaincus par le plaidoyer, une rencontre est décidée quelques jours plus tard entre Thierno Hady Thiam, du Groupement des leaders religieux, Aboubacar Camara, de la Ligue des imams du Mali (LIMAMA) et Mohamed Traoré, Président de l’Association des prédicateurs. Un aparté inédit entre  des membres de tendances présentées comme opposées (Tidjanis – Wahabites). « Nous sommes responsable devant Dieu. Nous devions nous effacer, oublier les tendances. Il n’y a qu’un seul Islam, c’est la pensée islamique qui diffère », raconte Thiam, aujourd’hui deuxième Vice-président du HCI. « Le pays avait beaucoup de problèmes, nous ne voulions pas en rajouter ». S’ensuivent deux premières réunions, pour instaurer un climat de confiance entre les deux groupes. Sept réunions en tout, qui se sont pour la plupart étirées tard dans la nuit, ont été nécessaires pour rassembler les différents points de vue. Entre les deux premières et la toute dernière, le groupe de négociation, qui s’était entre temps élargi, avait réussi à convaincre la plupart des protagonistes. Soufi Bilal mis à part. Ce dernier, candidat à la présidence et qui n’était avec aucune des deux entités, s’est dit opposé à l’accord. Selon l’une des personnes présentes aux négociations, le poste de sixième Vice-président qui lui avait été proposé ne lui convenait pas. Mais, à la dernière minute, selon Hady Thiam, se rendant compte de son handicap face à cette alliance inattendue, le guide de la communauté soufi décidera de se retirer en échange de la fonction de Président du Poste de contrôle. Plus rien ne pouvait donc s’opposer à la victoire de Chérif Ousmane Haidara. Tout nouveau Président, le guide des Ancar a assuré devant l’assistance n’avoir jamais demandé cet honneur, mais y avoir été contraint par ses admirateurs.

Oui, non, oui

Le Groupement des leaders religieux confie avoir décidé depuis un moment de faire de Haidara son candidat. Informé des intentions de l’association, le leader religieux aurait accueilli la nouvelle avec froideur. Néanmoins, honoré de la marque d’attention de ses collaborateurs, il a accepté sous conditions. Avant le meeting du 10 février du l’ancien Président Mahmoud Dicko, durant lequel il était absent, son représentant, à l’évocation du nom de Haidara, avait été conspué. À son insu, quelques jours avant le congrès, lors du dépôt des candidatures, l’un de ses collaborateurs en déposait une à son nom. Courroucé, il reçut une délégation du groupement dans une ambiance lourde. Cette dernière arrivera tout de même à le convaincre, en présentant la situation comme irrévocable. « C’est Dieu qui t’a choisi, tu ne peux plus refuser », lui dira-t-on.  Ce à quoi Haidara a rétorqué « je vous fais confiance ».