Référendum : entre le « Oui » et le « Non », les jeux sont ouverts

Débutée le 2 juin dernier, la campagne en vue du référendum constitutionnel du 18 juin prochain bat son plein. Venant des partisans du « Oui » ou du « Non », les arguments en faveur ou contre l’adoption du projet de Constitution sur lequel le peuple malien est amené à se prononcer abondent.

Aussitôt ouverte, aussitôt révélatrice du rapport des forces en présence avant la tenue de ce scrutin référendaire, à bien des égards essentiel pour le respect du chronogramme de la Transition.

Ce rapport, qui semble en faveur des partisans du « Oui », n’est pas définitif, selon certains analystes, même si son évolution jusqu’à la fin de la campagne ne saurait être a priori renversante en faveur du « Non ».

Vague blanche

La majorité de la classe politique se positionne pour un « vote massif pour le Oui ». Les appels en ce sens se suivent et se ressemblent. « L’Adema a décidé de mobiliser ses militants et l’ensemble du peuple souverain du Mali pour un vote massif pour le Oui en faveur de la nouvelle Constitution », a déclaré sans ambages son Président, Marimantia Diarra, le 3 juin.

Un choix « démocratique, partagé, réfléchi et assumé », qui résulte d’une « longue consultation populaire des militants à la base et d’une analyse approfondie du contenu  du projet », soutient le numéro un de la Ruche, par ailleurs membre du CNT.

Tout comme l’Adema, l’URD, qui a d’ailleurs toujours affiché son approbation du projet de Constitution, mais aussi le nouveau parti issu de sa branche dissidente, l’EDR, appellent tous deux les Maliens à donner leur quitus au nouveau texte constitutionnel. « J’appelle l’ensemble du peuple malien à faire du 18 juin, jour du vote de la nouvelle Constitution, une grande fête nationale, républicaine et démocratique, en votant massivement Oui pour son adoption », a indiqué le Pr. Salikou Sanogo, lors d’un point de presse tenu le 3 juin.

De son côté, le CNID – Faso Yiriwaton va plus loin. Son Président, Me Moutanga Tall, s’est prêté à un exercice de décorticage du texte du projet de Constitution qui sera soumis au vote. Pour lui, le résultat sera sans appel. Au moins 10 raisons majeures motivent l’option du « Oui » de son parti. À en croire cette figure du mouvement démocratique, la nouvelle Constitution a certes des imperfections, comme toutes les Constitutions du monde, mais elle comporte plusieurs avancées. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga n’a d’ailleurs pas manqué lui aussi de « booster » la campagne pour le « Oui » lors de célébration du 3ème anniversaire du M5-RFP, le 5 juin dernier.

Résistance rouge

Même si la voie semble dégagée pour les partisans du « Oui » et que ceux du « Non » ne sont pas aussi  visibles qu’eux, les partis et / ou personnalités politiques, ainsi que les organisations de la société civile qui se dressent contre l’adoption de la nouvelle Constitution, n’en défendent pas moins leur choix.

À la télévision nationale le jour de l’ouverture de la campagne, Mohamed Kimbiri, mandataire national du « Non », a avancé quelques raisons. « Non à la laïcité, non à la référence aux valeurs  occidentales et à la notion des droits de l’Homme comme sources référentielles de notre législation », a-t-il déclaré.

« À mon humble avis, la nouvelle Constitution ne répond pas à l’idéal républicain que nous avons défendu lors de notre lutte contre le projet de Constitution du régime précédent », argue de son côté, de façon personnelle  Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema.

Ce fervent partisan du « Non », même si son parti ne semble donner aucune consigne, pointe du doigt le fait que le gouvernement ne soit plus responsable que devant le Président et non plus devant le Parlement. « Ce point dénote de la volonté des constituants de créer un monarque républicain à la tête de l’État et non de faire prévaloir un équilibre sain des pouvoirs », fustige-t-il.

Le M5-RFP Mali Kura s’est également vite positionné dans le camp du Non. L’ancien Premier ministre Modibo Sidibé est sans équivoque : « le Comité stratégique du M5-RFP Mali Kura ne soutient pas ce processus et dit Non au projet de nouvelle Constitution ».

Référendum constitutionnel : une date et des questions

C’est le scrutin qui va donner le coup d’envoi des différents rendez-vous électoraux prévus dans le chronogramme de la Transition d’ici à mars 2024. Reporté dans un premier temps le 10 mars, le référendum constitutionnel est finalement annoncé pour le 18 juin 2023. La date révélée par le gouvernement le 5 mai suscite depuis de nombreuses interrogations sur la bonne tenue de ce scrutin et l’aboutissement du processus électoral.

Alors que des voix commençaient à se lever pour pointer du doigt le retard pris dans l’annonce d’une nouvelle date pour le référendum constitutionnel, depuis son report il y a 2 mois, le gouvernement de la Transition a surpris. Un décret annonçant la tenue de cet important rendez-vous pour le 18 juin prochain a été lu à la télévision nationale le vendredi 5 mai 2023 par le ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maiga.

« Le collège électoral est convoqué le dimanche 18 juin 2023 sur toute l’étendue du territoire national et dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mali à l’effet de se prononcer sur le projet de Constitution. Toutefois, les membres des forces de Défense et de Sécurité voteront par anticipation le dimanche 11 juin 2023, conformément à la loi électorale », dispose l’article premier de ce décret, portant convocation du collège électoral et ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion du référendum constitutionnel. La campagne électorale sera ouverte le 2 juin 2023 et close 16 juin à minuit, selon l’article 4.

Défis

La tenue du référendum dans un temps assez court implique un certain nombre de défis à relever pour le gouvernement, mais aussi et surtout pour l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), l’organe chargé de la gestion et de l’organisation de ce scrutin. Entre autres, de l’élément d’identification (carte) pour exercer le droit de vote au récurent problème d’insécurité auquel font face certaines parties du territoire national, en passant par l’installation des coordinations de l’AIGE à l’intérieur du pays, les difficultés d’organisation sont légion.

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les défis liés à la garantie de la liberté d’expression ainsi qu’à la communication et à la sécurité sont les plus importants dans le contexte actuel. « Aujourd’hui, la logistique, les moyens financiers et humains, les capacités de l’armée ne permettent pas d’organiser le référendum sur toute l’étendue du territoire », indique-t-il, proposant par ailleurs que des capsules vidéo ou audio traduites dans les langues nationales soient disséminées un peu partout pour une meilleure appropriation du texte du projet de nouvelle Constitution afin de relever le défi de la mobilisation. Pour cet analyste, sur le plan du respect des libertés, la Transition gagnerait à laisser même les gens qui ne sont pas « pro Transition » s’exprimer sur ce référendum, « donner leur point de vue et dire qu’ils ne sont pas d’accord en toute liberté ».

Malgré les incertitudes, l’AIGE a tenu à se montrer rassurante. Lors d’un point de presse au siège de l’organe le 9 mai, son Président Moustapha Cissé s’est montré optimiste. « La dynamique est enclenchée et, de façon volontariste et responsable, nous sommes dans l’action pour l’accomplissement de tout ce que nous devons faire. Nous avons tous les moyens matériels et financiers pour pouvoir accomplir cette mission », a-t-il assuré.

Selon lui, concernant les démembrements à l’intérieur du pays, l’AIGE est prête. « L’installation des coordinations de l’AIGE est un processus qui a démarré et nous avons accompli plus de 90% de cette étape. La loi électorale dit que nous pouvons bénéficier à tout moment de l’appui de l’Administration territoriale et nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Il nous reste juste la phase de la nomination et de l’installation suivi de la prestation de serment des membres de ces coordinations », soutient l’ancien Bâtonnier.

Mesures exceptionnelles

Même si elles ne sont pas encore formellement actées, l’AIGE va prendre certaines mesures, au vu du délai serré pour la tenue du référendum. Pour ce qui est de la carte requise pour voter, qui est selon la nouvelle loi électorale uniquement la nouvelle carte nationale biométrique sécurisée, le Président de l’AIGE avance que les anciennes cartes d’électeurs ainsi que toutes les autres cartes d’identité légalement reconnues en République du Mali pourront être utilisées. « À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle fondée sur le droit. Des habilitations administratives et juridiques vont être faites pour permettre d’utiliser des éléments d’identification qui permettront à la majorité, sinon à tout le monde, de pouvoir participer à ce référendum. Notre rôle est de sauvegarder le droit de vote du citoyen », tranche M. Cissé.

Par ailleurs, relève-t-il, il sera extrêmement difficile pour l’AIGE d’organiser ce scrutin sur la base du nouveau découpage administratif, qui a été adopté mais qui n’est pas encore effectif. « Compte tenu du délai, le découpage électoral dont nous disposons aujourd’hui et qui correspond parfaitement au fichier électoral, révisé à environ 8,5 millions d’électeurs en décembre dernier, sera celui de l’élection référendaire », annonce le Président de l’organe indépendant en charge des élections.

Désaccords persistants

Bien avant son report en mars et l’officialisation de la nouvelle date de sa tenue, le référendum constitutionnel n’a jamais fait l’unanimité auprès de la classe politique et des forces vives du pays. Cette situation s’est exacerbée depuis la publication du décret du  5 mai 2023. Si certains partis et organisations de la société civile ont salué un grand pas vers l’adoption de la nouvelle Constitution et commencé d’ores et déjà à appeler au « Oui » le 18 juin prochain, d’autres, en revanche, continuent de demander l’abandon du projet.

Parmi ces derniers, les organisations de l’Appel du 20 février comptent passer à la vitesse supérieure. Dans un communiqué daté du 7 mai, elles indiquent vouloir exercer un recours en annulation du décret portant convocation du collège électoral en vue du référendum « pour excès de pouvoir sur différents motifs, tous bien fondés ». Pour elles, ce décret viole le cadre normatif et les conditions requises en cette matière par la Constitution en vigueur, « au respect de laquelle le Président de la Transition, initiateur du projet, avait pourtant solennellement souscrit ». Même si ce recours semble avoir peu de chances d’aboutir, les responsables de ce collectif semblent déterminés.

« De la façon dont nous avons réussi à faire adhérer une frange importante des populations à la pertinence de l’abandon de ce projet illégal de nouvelle Constitution, nous empêcherons sans nul doute, par les voies de droit, la tenue même de ce référendum irrégulier en vue de son adoption », indique le communiqué, signé du Coordinateur général, le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné.

Tout comme l’Appel du 20 février, mais sur un autre plan, la Ligue malienne des Imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (LIMAMA) est également opposée à l’adoption de la nouvelle Constitution concernant l’article sur la laïcité. Un mouvement de soutien qui est né pour la soutenir, composé d’une vingtaine d’organisations islamiques, culturelles et politiques, dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, (CMAS) est monté au créneau le 6 mai en réclamant la suppression du concept de laïcité dans le projet. Ils assurent en outre vouloir mener une campagne pour le « Non », « si les revendications légitimes de la LIMAMA et du mouvement de soutien ne sont pas adoptées ».

Par ailleurs, selon nos informations, beaucoup d’autres partis politiques sont encore à l’étape de consultation de leurs bases pour arrêter une consigne par rapport au vote référendaire. À en croire une source au parti des FARE an Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, qui a également demandé l’abandon du projet, ils n’ont pas encore reçu le document final du nouveau texte constitutionnel et s’abstiennent pour l’heure de se pencher sur la question. Plusieurs autres formations politiques seraient dans le même cas. Mais, en dépit de cela, si le scrutin se tient le 18 juin, le « Oui » l’emportera sans surprise, selon plusieurs observateurs.

Nouvelle constitution : des imams s’opposent à la laïcité

La Ligue Malienne des Imams et Érudits pour la Solidarité islamique au Mali (Limama) a appelé, mardi, tous les musulmans patriotes à voter contre le projet de la nouvelle constitution dans sa forme actuelle.

Cette demande a été formellement exprimée lors d’un point de presse à Bamako exigeant, en outre, le retrait pur et simple de la laïcité dans le projet de la nouvelle Constitution du Mali. Le secrétaire général de Limama, Gaoussou Sidiki Minta, appelle les autorités à remplacer la laïcité par un État multiconfessionnel. Selon lui, « la laïcité est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions », soulignant que « cette pratique a été usitée tant par le pouvoir colonial que par tous les régimes de l’ère d’indépendance qui ont gouverné notre pays ». Mohamed Kimbiri, 1er secrétaire à l’organisation du haut conseil Islamique et président du collectif des associations musulmanes du Mali a de son côté indiqué que « la laïcité selon la mentalité française n’est rien d’autres que le rejet de la religion. La réalité française et la réalité malienne ne sont pas pareilles, donc, comment ça fait-il que nous allons faire de notre Constitution, une copie conforme certifiée du modèle français. C’est ça qui nous a beaucoup choqué ».

Religion / Etat : quelle laïcité pour le Mali ?

Inscrit au Préambule de l’avant-projet de nouvelle Constitution, le terme est devenu hautement sensible dans les débats politiques. Et pour cause : plusieurs leaders religieux sollicitent sa suppression de la Loi fondamentale. Sur la scène publique et dans les mosquées, l’indignation s’intensifie.

Sous les ventilateurs fatigués de la petite mosquée de Sirakoro Meguetana, ce 20 janvier 2023, la température est un peu chaude. Tout comme le discours de l’Imam de ce lieu de culte, toujours en construction. « Au nom de la laïcité, au Mali on réfute les enseignements du Coran », lâche le religieux en plein sermon du vendredi. « Dans ce pays, on se dit tous Musulmans, à commencer par les plus hautes autorités du pays, mais nous refusons de le montrer aux yeux du monde. Par exemple, pourquoi, avant de commencer leurs discours, elles [les autorités] ne commencent pas par invoquer Allah et le Prophète Mohamed (PSL) ? Tout cela à cause de cette soi-disant laïcité importée des pays non Musulmans. Il faut que ça change », s’exaspère-t-il.

À quelques mètres du prêcheur, un fidèle hoche la tête pour marquer son assentiment. Un autre, tout de blanc vêtu, acquiesce à son tour et murmure : « l’Imam dit vrai, les Musulmans doivent se montrer plus fermes sur cette histoire de laïcité ».

De même que dans la petite mosquée de Sirakoro, ces discours s’amplifient dans la capitale malienne. Quelques jours plutôt, le 7 janvier, une dizaine de personnes se regroupait à l’invitation du Collectif des associations musulmanes du Mali, à la Maison de la presse, pour débattre d’une laïcité « négative, sectaire, agressive et intolérante », qui, selon elles, marginalise et exclut délibérément la communauté musulmane de presque toutes les instances de décision du pays.

« La laïcité est un système qui exclut les églises de tout pouvoir politique, administratif,  spécifiquement de l’organisation de l’enseignement. Dans notre cas, il faut remplacer église par la religion. Étant définie comme cela, qu’est-ce qui reste à la religion dans la gestion de l’État ? », s’interrogeait Mohamed Kimbiri. Déterminé, le Président du mouvement haranguait la foule : « tout ce qui se fait sans toi se fait contre toi. Nous n’allons plus quitter la scène politique soi-disant que ça ne nous concerne pas. Et, pendant ce temps, au moment des élections, nous devenons des bêtes électorales dont on sollicite les votes et après on les exclut de la vie politique ».  L’assistance approuve. Le religieux enchaîne : « on constate que depuis l’indépendance tous ceux qui ont essayé de réviser la Constitution ne se réfèrent pas à nos réalités, telles que définies dans la Charte de Kurukanfuga, mais font plutôt un copier-coller de la Constitution française. Alors que nos réalités diffèrent. Par exemple, la loi de 1905 qui a institué la laïcité en France, dans son article 2, dit que « la République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte ». Cette forme de laïcité est antireligieuse et ne se conforme pas à notre histoire et à notre tradition », certifie-t-il. Même son de cloche au niveau du Dr Ahmadou Bolly. Également membre du Collectif, il estime qu’on ne peut pas construire le Mali Kura avec l’héritage colonial. « La souveraineté idéologique doit être cherchée via la Constitution », renchérit-il.

Le plus farouche des religieux et le plus connu, qui se mobilise contre la présence de la notion de laïcité dans la Constitution est Mohamed Mahi Ouattara. L’Imam de Sébénikoro, l’un des prédicateurs les plus suivis sur les réseaux sociaux au Mali, multiplie les prêches depuis novembre 2022 pour dénoncer « une laïcité qui constitue une entrave pour la religion musulmane » et « au nom de laquelle on se permet de tout faire dans le pays ».

Les raisons d’une révolte

Musulmane, chrétienne, animiste, athée… Plusieurs croyances sont pratiquées au Mali et la religion n’a jamais divisé le pays. De même que la notion de laïcité, qui a été toujours présente dans les anciennes Constitutions. Alors, pourquoi une polémique maintenant sur le sujet ?

« Au niveau de la communauté musulmane, vu qu’on estime le nombre de musulmans à plus de 90% de la population, on veut que la Constitution leur confère un pouvoir dans l’optique de prévenir tout ce qui pourrait faire entrave à leur religion. C’est ce qui suscite la révolte de certains leaders religieux. La laïcité telle que définie par la France ne leur convient pas. Ils pensent que si on laisse le mot laïcité dans la Constitution, tout peut être voté sur la base de ce terme. Je pense par exemple à l’homosexualité. C’est pourquoi ils veulent que cela soit carrément supprimé de la Constitution », explique l’enseignant-chercheur Mady Ibrahim Kanté, instructeur temporaire à l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye.

Ainsi, depuis octobre 2022 plusieurs leaders religieux se montrent de plus en plus critiques envers la laïcité, ce principe qui sépare la société civile et la société religieuse. À la fin de ce mois était apparue sur les réseaux sociaux une vidéo mettant en scène Mamadou Dembélé, un adepte du kémitisme, piétinant le Coran après avoir tenu des propos blessants sur l’Islam. L’acte avait provoqué une grande polémique au sein de la société et une vive colère des Musulmans.

« S’il est vrai qu’un mouvement de ce genre, qui insulte Allah, notre prophète et le Coran, existe au Mali, nous demandons aux autorités du pays de déchirer le récépissé dès demain. Si le mouvement continue d’exister, cela prouvera que les autorités ont failli à leur mission. À ce moment-là, les Musulmans agiront en conséquence », avait réagi le président du Haut conseil islamique du Mali, Ousmane Cherif Madani Haidara, suite à la publication des images blasphématoires. Dans une vidéo, sur la question de la laïcité, sans l’évoquer directement, il s’était montré ouvert aux différentes religions, estimant que nous avons hérité nos obédiences de nos ascendants et qu’en conséquence il était nécessaire de laisser les autres, notamment les Chrétiens, pratiquer leurs cultes en paix.

Vers un bras de fer ?

Engagées dans un processus d’adoption d’une nouvelle Constitution et d’une loi pour encadrer les prêches, les autorités de la Transition risquent de se confronter aux religieux, en plus des acteurs politiques qui demandent son abandon. Déjà, fin décembre, le Collectif des associations musulmanes du Mali, estimant être écarté du Comité d’Observation Stratégique (COS), de la Commission de Rédaction de la Nouvelle Constitution (CRNC), de l’Autorité Indépendante de la Gestion des Élections (AIGE) et de la liste additive des membres du CNT, avait indiqué via un communiqué qu’il entendait rester « mobilisé » pour « répondre au besoin » aux appels, à tout moment et en tous lieux, pour militer contre « une Constitution copie-conforme certifiée du modèle colonial ».

Le risque est grand et les autorités le savent. Depuis l’avènement de la démocratie et la création du Haut conseil islamique du Mali, en 2002, la réussite de plusieurs manifestations politiques a été rendue possible par la capacité de mobilisation des leaders religieux. Avec presque toujours l’Imam Mahmoud Dicko en première ligne. Le soulèvement contre le projet de loi portant Code des personnes et de la famille en 2009, c’est lui. Les manifestations ayant conduit à l’éviction de Soumeylou Boubèye Maïga de la Primature en 2019, c’est encore lui. De même, l’Imam à la barbe grisonnante a fortement contribué à la chute de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keïta, qu’il avait pourtant soutenu en 2013. Va-t-il de nouveau se dresser contre l’Exécutif pour la suppression de la laïcité dans la nouvelle Constitution ? La question suscite débat. Début janvier, lors d’un sermon du vendredi, le natif de Tonka, 69 ans, a montré son désaccord face à ce principe. « Partout dans le monde, les pays se glorifient d’être des pays laïcs, c’est à dire qu’ils gèrent leurs affaires sans Dieu. C’est le projet qui est en cours. Ils veulent diriger le monde sans Allah, le Créateur de ce monde. Ça ne marchera jamais », a-t-il fustigé. La CMAS, Coordination de mouvements et associations portant son nom, et dont il est le parrain, a également appelé les autorités de la Transition à surseoir à la révision de la Constitution le 9 janvier dernier, estimant « qu’aucune disposition du droit positif ne donne compétence au Président de la Transition pour élaborer une nouvelle Constitution et la faire aboutir par voie de referendum ».

Un modèle de laïcité à la malienne ?

Au Mali, où la religion occupe une place considérable dans l’espace public, la laïcité « à la française » est remise en cause. Sans autant militer pour un État islamique, certains religieux optent pour une laïcité à la Malienne, « qui respecte nos traditions, nos cultures et croyances », s’exclame Mohamed Kimbiri. Par exemple, comme celle de la Suisse, où la Constitution commence par le nom de Dieu, ou celle de l’Allemagne, où dans le préambule il est écrit « devant Dieu et devant le peuple allemand ». Nous souhaiterons aussi que le nom de Dieu paraisse dans notre Constitution ».

Dans une chronique publiée en novembre dans « Opinion Internationale », l’ancien Premier ministre Moussa Mara trouve aussi qu’il est indispensable de définir « notre propre voie » de la laïcité. « Cela contribuera à faire en sorte que les citoyens sachent que la religion est aussi un facteur de stabilité si elle est bien comprise. Seule la religion bien comprise permettra de lutter efficacement contre l’intégrisme religieux et les intolérances religieuses. En se fermant à la religion, on détourne son regard d’elle et on la confine dans un espace qui facilitera la radicalisation et, à terme, la violence », explique l’homme politique, selon lequel « plus que jamais l’État doit sortir de sa léthargie face à la religion, la considérer comme une donne incontournable et un facteur d’harmonie sociale. Donc une chance plutôt qu’une menace ! ».

Cela suffira-t-il à faire baisser la tension ? « Peut être que oui, peut être que non. Mais l’option d’un modèle de laïcité à la Malienne mérite d’être soigneusement réfléchie par les autorités du pays. Ne serait-ce que pour contenir la colère des religieux, capables d’élire un Président, de le démettre de ses fonctions ou de faire annuler une loi votée par l’Assemblée nationale », signale l’enseignant-chercheur Mady Ibrahim Kanté.

La religion et l’État au Mali

La laà¯cité au Mali est inscrite à  l’article 4 de la Constitution de 1992. La loi fondamentale définit ainsi le pays comme un à‰tat laà¯que et autorise les pratiques religieuses qui ne constituent pas des menaces pour la stabilité sociale et la paix. Au Mali, la religion n’est pas mentionnée sur les passeports ni les documents nationaux d’identité, comme C’’est le cas par exemple aux à‰tats-Unis. La loi requiert cependant que les photographies destinées aux documents nationaux d’identité montrent clairement la totalité du visage, y compris les cheveux et les deux oreilles. La discrimination religieuse est considérée comme une atteinte à  la liberté et aux droits d’autrui et donc comme un crime. Le code pénal précise également que toute persécution d’un groupe de personnes pour des motifs d’ordre religieux constitue un crime contre l’humanité. En ce qui concerne les liens entre l’exécutif et le religieux, il faut noter qu’il existe des structures faà®tières qui servent d’interfaces entre le gouvernement et les groupes religieux. Ainsi, avant de prendre des décisions importantes concernant des questions nationales pouvant prêter à  controverse, le gouvernement consulte un « Comité de sages » parmi lequel figurent l’archevêque catholique et les dirigeants protestants et musulmans. Bien que la laà¯cité soit un acquis garanti par la loi dans la société malienne, l’à‰tat tente depuis quelques années de réaffirmer le contrôle de la pratique religieuse, par crainte de sa « prise en main » par des groupes extrémistes. Plusieurs initiatives politiques ont donc été développées en réponse directe au nombre desquelles la création du ministère des Affaires religieuses en 2012, les considérations politiques sur l’organisation des écoles religieuses, et l’éducation d’imams maliens au Maroc entre autres.

Religion : Laicité en danger ?

La sortie controversée du procureur général Daniel Tessougué, le 30 novembre dernier, suggérant de « raser les longues barbes » et de « réduire l’impact du religieux dans la gestion des affaires publiques », répondait aux propos tout aussi controversés de l’imam Mahmoud Dicko, qui assimilait l’attentat du Radisson à  une « punition divine ». Ces deux déclarations ont choqué et ont aussi ravivé le débat sur l’influence grandissante de l’islam dans la société.

Au Mali, république laïque, où 92 % de la population est musulmane, l’islam a pris depuis quelques années une place dominante. Dans cet environnement particulier, les relations entre État et religion sont souvent entremêlées, et la laïcité malienne n’est plus un repère fixe. « Les leaders religieux maliens, sur la laïcité, font tout de suite un comparatif avec la laïcité française, et ont donc une réaction plutôt négative », explique le Professeur Massa Coulibaly, directeur exécutif du Groupe de recherche en économie appliquée et théorique (GREAT), qui a mené en 2014, une large série d’enquêtes sur les relations entre le religieux et le politique au Mali. « La loi sur la liberté d’association promulguée après l’indépendance, l’activité de missionnaires wahabites, et autres, l’implication de certains pays étrangers dans le financement de construction de mosquées, dans la formation des jeunes ou l’entraide, ont permis d’attirer plus de gens et d’accroître l’importance de la religion », précise le professeur Coulibaly. Aujourd’hui, près de deux Maliens sur trois (65%), pensent que la religion est plus importante qu’elle ne l’était il y a 10 ans. Pourtant, les Maliens n’ont pas une pratique orthodoxe de la religion. Des études ont montré que la majorité ne connaît pas les 5 piliers de l’slam et ne lit pas le Coran. « Mais au cours des 10 dernières années, ils ont commencé à  s’identifier à des groupes musulmans spécifiques, qui les intégraient plus facilement, qui les prenaient plus en charge, ou encore qui leur semblaient mieux organisés », poursuit le professeur Coulibaly.

Dans le but de fédérer et représenter les différentes tendances de cette société civile musulmane, le Haut conseil islamique (HCI) a été créé en 2002. À cette période, le pays comptait 150 associations islamiques, qui commencèrent à  exercer une influence substantielle sur la société. Deux leaders très écoutés sont devenus les porte-voix des musulmans : Mahmoud Dicko, président du HCI, d’obédience wahabite, et Chérif Ousmane Madani Haïdara, vice-président, qui représente l’islam malikite, largement majoritaire au Mali.

Une réponse à  l’échec des politiques À l’origine de leur influence grandissante, le discrédit des politiques. La pauvreté, le sentiment d’injustice face à  la corruption, ou encore la perte de certaines valeurs dans la société malienne, choses que n’a pu changer la classe politique, ont semble-t-il jeté les populations dans les bras des religieux, qui eux, « interviennent dans tous les échelons de la vie quotidienne et répondent de façon concrète aux attentes de la population ». Résultat, selon une étude du GREAT, 63 % des Maliens ont une opinion favorable des leaders religieux, contre 22 % pour les leaders politiques, fortement décriés. l’exemple de l’adoption par l’Assemblée nationale, le 3 août 2009, d’un nouveau code de la famille jugé progressiste est frappant. Opposé à  ce texte, le HCI, mobilisa une foule de 50 000 fidèles dans un stade de la capitale, une démonstration de force accompagnée de fatwas dans certaines mosquées et sur certaines radios, qui fit reculer le président Amadou Toumani Touré (ATT). Cet épisode semble avoir consacré l’avènement du pouvoir des leaders religieux. Conscients de cette force, ils ont poussé leur avantage jusqu’à  obtenir, pendant la transition de 2012, la création d’un ministère des Affaires religieuses et du Culte, une première au Mali. Le portefeuille échoira au Dr Yacouba Traoré, membre du HCI. l’étape suivante dans la montée de l’influence religieuse a été l’élection présidentielle de 2013. Le mouvement « Sabati », une plate-forme politique créée par le HCI pour, selon ses initiateurs, « influencer certaines décisions » dans la gouvernance du pays, a auditionné plusieurs candidats avant de choisir Ibrahim Boubacar Keita (IBK), « le mieux disposé à  défendre la cause de l’islam ». Une décision qui a divisé et aiguisé des tensions au sein de l’organisation musulmane. « On a eu beaucoup de problèmes, lors de la dernière campagne présidentielle. Certains au sein du HCI voulaient obtenir des postes de pouvoir. Ça n’allait pas dans notre sens, ce n’était pas notre volonté. Nous avons défendu le fait que le HCI ne devait pas utiliser les fidèles pour faire élire un politicien. Il faut rester au-dessus de la mêlée », explique Adam Traoré, imam de la mosquée Cheikh Hamad dans la commune VI de Bamako. Pour ce dernier, cette immixtion de la religion dans la sphère politique pourrait être évitée, en créant par exemple des bureaux d’écoute au sein de l’administration. En attendant, certains leaders religieux disposent de moyens colossaux pour renforcer leur influence, et même de médias, de nombreuses radios, et depuis peu des télévisions créées en toute illégalité, notamment Cherifla TV, et Sunna TV.

Vers une radicalisation ? Plus préoccupant, l’étude du GREAT montre que 3 Maliens sur 5 (58%) pensent que l’islam devrait être établi comme religion d’État, et 54% des personnes interrogées seraient favorables à  l’application de la charia. Pour le Pr Coulibaly, il faut nuancer ce dernier résultat, car « cette application de la charia ne concerne pas le code pénal, mais plutôt les questions de mariage, de succession, de droit des femmes », comme l’a montré le vote d’un Code de la famille plus conservateur en 2011. Plus récemment, les députés ont approuvé, après plus d’un an de reports, une loi instaurant des quotas pour la représentation des femmes dans les instances dirigeantes. Mais ils ne l’ont pas assumé publiquement, à  travers un vote à  bulletin secret, chose rare à  l’Assemblée nationale malienne. Cela fait penser à  bon nombre d’observateurs étrangers que la société malienne est en voie de radicalisation, au moment où des groupes terroristes, qui se revendiquent de l’islam, font planer la menace de l’enrôlement d’une jeunesse sans repères. La multiplication des mosquées, dont certaines permettent des prêches radicaux, renforce cette inquiétude. Des pays voisins, tels que le Sénégal, ont entrepris de fermer les mosquées radicales, alors que d’autres ont interdit des sectes musulmanes, comme la Dawa.

Pour une laïcité plus ouverte Au Mali, malgré le maintien d’un ministère chargé des Affaires religieuses et du Culte, dont la tâche est de réguler les affaires religieuses, on ne voit toujours rien venir. « La séparation entre la religion et l’État est un défi majeur, car le religieux a déjà  pris trop de place, il a pris trop d’ascendant », explique le professeur Moussa Coulibaly. « En l’état actuel de nos connaissances de l’opinion publique, je pense que les inquiétudes concernant un « État islamique » au Mali ne sont pas fondées. Mais nous pensons qu’il faut mener une réflexion des relations État-religions et du concept de laïcité dans son héritage colonial. Une laïcité, dans l’avenir, peut-être plus ouverte, qui garantirait un État sans base religieuse, mais aussi la liberté et l’expression de la religion », conclut Coulibaly.

Islam et Politique: à qui la faute?

On se souvient qu’en 2013, lors de l’élection présidentielle, plusieurs leaders religieux avaient appelé à  voter pour un candidat, Ibrahim Boubacar Keà¯ta, lui apportant ainsi un soutien décisif. Avant cela, l’épisode du code de la famille de juillet 2009 était passé par là . Le vote par l’Assemblée nationale d’un texte jugé progressiste et favorable aux femmes avait provoqué un tollé dans les milieux religieux musulmans qui, en guise de représailles, avaient organisé une manifestation géante réunissant plus de cinquante mille personnes au Stade du 26 mars. Cette démonstration de force s’était accompagnée de prêches violents dans les mosquées et sur les radios, entrainant la capitulation des pouvoirs publics, qui consacraient ainsi la toute puissance du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), présidé par l’imam Mahmoud Dicko. Depuis, un ministère du culte et des affaires religieuses a été créé. Comment en est-on arrivé là  ? Selon Moussa Balla Coulibaly, ancien président du patronat et du Conseil économique, social et culturel, « les politiques ayant démissionné, les leaders religieux se sont accaparé le pouvoir ». Même son de cloche pour Gilles Holder, anthropologue et spécialiste de l’islam au Mali, qui affirme que « les organisations politiques traditionnelles ont été vidées de leur substance par la culture du consensus promue au sommet de l’Etat (période ATT), et par le développement exponentiel du clientélisme ». Cette tendance a inspiré Alioune Ifra N’Diaye, promoteur culturel malien, qui ne cesse de la dénoncer et estime qu’ « il y a trente ans, le pouvoir se prenait par les armes, il y a dix ans par l’argent, et aujourd’hui par la religion». La danse du ventre pratiquée par certains politiques, qui vont de mosquée en mosquée, témoigne de la réalité du phénomène. Qu’en pensent les leaders religieux eux-mêmes ? Le célèbre prêcheur Ousmane Madani Cherif Haidara proclame leur neutralité dans la gestion des affaires publiques. Et pourtant, le mouvement Sabati 2013 a joué un rôle important lors des dernières élections, réussissant même à  faire élire des députés en son sein. «Les textes de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMA) nous interdisent de faire de la politique, C’’est la raison pour laquelle ceux qui ont décidé de s’y lancer ont créé leur propre mouvement », explique Abdou Diarra de l’UJMA. Pour d’autres, il est difficile d’exclure les religieux de la politique, étant des électeurs comme les autres, mais ils ne doivent pas devenir des acteurs. Va-t-on vers la création de partis religieux comme au Maghreb ? Dans un contexte de radicalisation et de menace fondamentaliste, « il ne faut pas tirer sur cette corde là  car elle est extrêmement dangereuse», selon Soumaà¯la Cissé, chef de fil de l’opposition.

« L’Afrique des laïcités », vue par Naffet Keita

L’ouvrage « l’Afrique des laà¯cités », Etat, religion et pouvoirs religion au Sud du Sahara » coédité par les éditions Tombouctou et l’IRD, l’Institut de recherche et de développement, a été codirigé par deux experts. Gilles Holder et Moussa Sow, qui ont édité plusieurs écrivains, et universitaires pour évoquer le concept de laà¯cité en Afrique, plus particulièrement en Afrique Subsaharienne, au Burkina, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Naffet Keita, enseignant d’unversité à  Bamako, est l’un d’eux. Entretien. Journaldumali.com : Quelle est la genèse de cet ouvrage collectif auquel vous participez professeur ? Naffet Keita : Cet ouvrage est le fruit de plusieurs énergies, et de plusieurs rencontres. Gilles Holder dirigeait un programme de l’IRD sur l’Afrique des religions et lors d’un séjour au Mali, il nous a contactés pour savoir si on pouvait engager une réflexion commune sur la religion. Avec des collègues sénégalais, burkinabè, ivoiriens et d’autres pays africains, nous avons eu à  organiser un colloque en 2010 et cet ouvrage est la réunion de plusieurs contributions issues de ce colloque. Vous diriez qu’il y a une laà¯cité ou des laà¯cités en Afrique ? L’Afrique est diverse et le Mali l’est tout autant. Mais quand on parle de laà¯cité en Afrique, c’est plutôt au niveau de l’Etat et des religions et à  ce niveau, on feint d’ignorer les religions du terroir. Chacun de ces pratiquants de ces religions du terroir adopte une posture en rapport avec l’Etat ou commerce avec l’état. Idem pour toutes les religions révélées qui essaient d’adopter une forme de commerce avec l’Etat. C’’est au détour de ces relations là  que la laà¯cité, se décline, soit au singulier ou soit au pluriel. Les exemples divergent selon les pays, mais au Mali, on sent depuis l’épisode du Code de la famille une montée en puissance du religieux dans la sphère politique ? En réalité, le religieux s’est toujours manifesté dans l’espace public malien, l’un des premiers mouvements religieux que l’Etat a eu à  interdire était celui des Wahhabites, qui a occasionné de nombreux conflits fratricides entre Maliens, je prends l’exemple de la ville de Nioro du Sahel, o๠les wahhabites se sont affrontés aux malékites, avec mort d’hommes et jusqu’ à  présent, ces traces là  restent entre grandes familles, qui ne se fréquentent plus. Mais lorsqu’on regarde le rapport entre les religieux et l’Etat ces 40 dernières années, C’’est l’Etat qui a été à  la base de la réunion des différents courants religieux en un seul front. Le Haut conseil islamique découle notamment de la volonté politique de l’Etat. Donc l’Etat a de tout temps cherché à  gérer la sphère religieuse, malheureusement, ces derniers temps, le religieux a essayé de prendre une distance avec la chose politique. Ce qui a eu pour effet de dénaturer le fond laà¯c du Mali. Cette implication croissante des religieux ne découle t-elle pas du manque d’éducation, cela ne joue t-il pas sur la laà¯cité en question ? Ce n’est pas fondamentalement la question de l’éducation à  mon sens, mais plutôt la culture de l’Etat. Dans ces pays, nombre de Maliens sont dans la posture de l’Etat providence et lorsqu’il y a rupture, la seule ressource devient la religion. Mais face aux divergences entre religieux avec l’islam wahhabite dirigé par des lettrés en arabe contre un islam malékite beaucoup plus dominé par l’islam confrérique, avec les prêches populaires, les rapports entre marabouts et individus, on voit que C’’est plutôt l’influence wahhabite qui prévaut. Le Maroc va former 500 imams maliens aux rites malékites dans le sens d’un islam plus modéré face au fondamentaliste religieux qui gagne dans notre pays, est-ce parce que la laà¯cité a fait défaut au plan politique ? Je ne questionnerai pas l’intégrisme religieux, mais je préfère m’en référer à  l’épisode du code de la famille et des personnes, lorsqu’un imam de Kati s’est insurgé contre la posture du Haut conseil islamique et qu’il a été banni de la communauté religieuse et qu’aucun imam, aucun musulman, ni membre de la classe politique, n’ait eu à  dire un mot, en réalité, le ver était déjà  dans le fruit. Qu’espérez-vous de cet ouvrage, Cet ouvrage va davantage éclairer les Maliens sur ce qu’est la laà¯cité, comment elle se pratique sous d’autres cieux et pas seulement au Mali. J’ai pour ma part signé un texte dont le titre est assez provocateur : « Les forces religieuses musulmanes et le débat politique en République laà¯que » et je suis parti des lieux communs et des différentes incursions du religieux dans l’espace public, pour montrer que C’’était à  ce moment là , qu’il fallait tirer la sonnette d’alarme et dire qu’un changement était entrain de s’opérer mais nous n’avons pas été écoutés. Peut-on espérer une laà¯cité totale au Mali, en vertu des ces influences religieuses ? En réalité la laà¯cité est fondamentalement une forme d’organisation de l’Etat et la religion en tant que pratique collective, relève fondamentalement d’une affaire individuelle. Donc, de ce point vue, la religion ou les religions quelque soit la pratique démocratique d’une majorité, ne pourraient s’imposer à  d’autres. Parce que la religion qui voudrait s’imposer à  d’autres, n’est pas celle pratiquée par tous les Maliens. On doit respecter la religion des autres. Les protestants, les catholiques, les religions du terroir. Parce qu’en faisant le tour de chaque rond point, on se rendra compte que notre islam en Afrique est en réalité beaucoup plus syncrétique qu’il n’est postulé.

Menace sur le Mali laïc

La laà¯cité est-elle en danger au Mali ? Depuis quelques jours l’influence de la religion et des organisations musulmanes dans les affaires publiques suscite la polémique dans un pays en crise, constitutionnellement laà¯c mais très majoritairement musulman. Pendant qu’au Nord les groupes armés imposent aux populations la charia et leurs châtiments (coups de fouet, amputations, lapidation), la confusion institutionnelle au Sud et les éventuelles possibilités de négociations avec les djihadistes favorisent l’implication du populaire Haut Conseil Islamique (HCI) et la mise au premier plan des questions religieuses. Plus grave, on assiste aujourd’hui à  Bamako à  des manipulations et des intimidations de la part d’acteurs religieux devenus incontournables dans la gestion des affaires publiques. Qui ose s’opposer à  eux risque d’en payer lourdement les frais. Soumana Sako, ancien Premier ministre et président du parti de la Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS- Faso Here) s’est ainsi attiré les foudres des religieux pour avoir critiqué la création d’un ministère chargé des Affaires religieuses et du culte dans le gouvernement d’union nationale.  Islam politique «Â Nous considérons la création de ce  nouveau département  comme un danger très sérieux pour la démocratie », a déclaré sur RFI Soumana Sako, aussitôt taxé par certains fidèles musulmans de défenseur de l’idéologie occidentale.  Le HCI a répliqué par la voix de son porte-parole Mohamed Kimbiri dans le quotidien l’Indépendant daté du 27 aout : «Â Je me trouve dans l’obligation de répondre à  ces attaques directes et frontales dans le but d’apporter une modeste contribution à  l’éclairage d’une certaine compréhension non fondée faisant croire que l’Islam est une religion rétrograde, de donner des précisions de notre vision sur le concept de la laà¯cité, et de lancer un appel à  toute la communauté  musulmane à  l’union sacrée contre les prédateurs de la démocratie, à  la concertation, et la cohésion pour faire un bloc unique et homogène pour le triomphe de l’islam. » Ce même HCI a également demandé le départ du directeur de l’ORTM Baba Daga pour avoir limité le nombre des membres de la Commission lunaire sur le plateau est un exemple de l’ingérence des religieux dans les affaires courantes. N’eut été l’intervention du jeune ministre de l’Administration Moussa Sinko Coulibaly, Baba Daga allait plier ses bagages.  Force est de se rendre à  une bien cruelle évidence : il y a bel et bien péril en la demeure dans la république du Mali, laà¯que jusqu’à  preuve du contraire.

Laïcité au Mali : l’AMDH pointe du doigt les leaders musulmans

Le code de la famille, toujours objet de polémique Invité d’Afrique soir (RFI), jeudi dernier, pour parler du principe de la laà¯cité tel que pratiqué au Mali, le bouillant président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), Maà®tre Ibrahim Koné, n’est pas allé avec le dos de la cuillère. L’avocat a systématiquement centré le débat sur le principe de la laà¯cité qui, dit-il, est piétiné par les musulmans, et le renvoi du code des personnes et de la famille, actuellement en seconde lecture à  l’Assemblée nationale. En effet, la Communauté musulmane est perçue dans ses propos comme celle qui profère des menaces aux relents terroristes contre les défenseurs des droits humains. « Depuis qu’il y a eu les débats sur le Code des Personnes et de la Famille au Mali, les défenseurs des droits humains font l’objet de menaces de mort de la part de certains groupes, et nous considérons cela comme un recul », disait l’avocat. La communauté musulmane a vu rouge après ces déclarations de Me Koné. Mohamed Kimbiri, premier Secrétaire à  l’Organisation du Haut Conseil Islamique du Mali s’est vu donc obligé de réagir. « Sur la question relative à  une remise en question de la laà¯cité du Mali par un nouveau code issu d’une seconde lecture de notre Assemblée Nationale, les propos du Président de l’AMDH, Maà®tre Koné, nous ont surpris ». En effet, Me Koné disait, « le Mali est une République laà¯que, et cette laà¯cité est consacrée par notre Constitution. Mais aujourd’hui on ramène le débat sur le plan purement religieux. On voudrait imposer un code musulman d’après ce que nous avions constaté. Et là , il faut faire extrêmement attention. Parce que si cela se passait, C’’est vraiment le principe de la laà¯cité républicaine qui serait mise en question ». Selon M. Kimbiri, le seul crime des musulmans du Mali est leur opposition à  un code « made in Occident ». l’AMDH ne mène pas les bons combats, dixit Kimbiri Sur tout autre plan, les musulmans s’interrogent sur la pertinence d’une telle « sortie maladroite avec des propos incendiaires et alarmistes » alors qu’au même moment un malien neutralisé avec un Taser par la police française mourait par asphyxie, sans que l’AMDH réagisse sur l’affaire. Ce mutisme de l’AMDH, selon M. Kimbiri, est coupable et complice. « Comment l’AMDH peut-elle se taire devant une telle violation des droits humains? « , s’exclame-t-il. En application de la sourate La vache verset 39 qui dit que « autorisation est donnée à  ceux qui sont attaqués de se défendre, parce que vraiment ils sont lésés », la communauté musulmane se dit lésée par les propos de Me Koné. « Je me trouve dans l’obligation non pas de répondre aux propos diffamatoires et alarmistes, quels que soient l’élégance et la ruse avec lesquelles ils sont proférés, mais tout simplement d’apporter ma modeste contribution pour corriger une certaine compréhension non fondée de notre réaction qui n’était aucunement une menace contre le principe de la laà¯cité du Mali ». Et M. Kimbiri d’ajouter que si la laà¯cité consiste à  faire en sorte que la religion ne soit pas imposée à  tous, que les non-croyants et les autres confessions puissent exister et vivre leur différence sans partager forcement cette conviction, l’on pourra la respecter. l’éminent avocat, Me Moutaga Tall définit l’Etat laà¯c comme l’Etat a- religieux, C’’est-à -dire un Etat qui ne s’immisce pas dans les questions religieuses et qui est d’égal partage entre les différentes religions. Pour lui, l’Etat laà¯c ne rejette pas les religions : ceci est le fait des Etats irréligieux. « l’Etat laà¯c intègre les religions dans la conduite des affaires publiques ». « Tout ce que nous avons souhaité et demandé, C’’est que la loi qui devrait régir notre existence en tant qu’être social soit conforme à  nos aspirations profondes, à  nos valeurs sociales et religieuses. Hélas, nous sommes désolés qu’un Président d’une structure aussi importante que l’AMDH, à  court d’arguments, veut prendre le débat en otage à  coups de stigmatisation, de dénigrement, de délation, de manipulation, et de désinformation. Cela est intolérable ! », a conclu M. Kimbiri.