2024 : une transition à durée indéfinie

Déjà reportée à deux reprises, l’élection présidentielle qui marquera le retour à l’ordre constitutionnel au Mali devrait se tenir en 2024. Initialement prévue pour février, en accord avec la CEDEAO, elle a été repoussée sine die en septembre dernier, sans l’approbation de l’institution sous-régionale. Même si cette dernière semble dans une nouvelle posture conciliante, ses relations avec le Mali pourraient à nouveau se tendre dans les mois à venir. Les partis politiques, dans l’incertitude, doivent se préparer pour une élection dont les dates ne sont pas encore connues.

« Les dates de l’élection présidentielle initialement prévues pour le dimanche 4 février 2024 (premier tour) et le dimanche 18 février 2024 (second tour) éventuellement, connaîtront un léger report, pour des raisons techniques (…) Le Gouvernement de la Transition précise que les nouvelles dates de l’élection présidentielle feront l’objet de communiqué ultérieurement, après échange avec l’Autorité indépendante de Gestion des Élections (AIGE) », annonçait le 25 septembre 2023 le ministre d’État de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, Colonel Abdoulaye Maiga. Trois mois après, les autorités de la Transition n’ont toujours pas communiqué de nouvelles dates pour cette élection très attendue.

S’accorder avec la Cedeao

Alors qu’elle était attendue lors du sommet du 10 décembre dernier pour se prononcer enfin sur le report de la présidentielle au Mali, la Cedeao s’est contentée d’une réaction a minima, déplorant les « décisions prises unilatéralement en ce qui concerne la mise en œuvre du programme de transition qui avait été convenu avec la Cedeao ». L’organisation sous-régionale, après avoir levé l’interdiction de voyage qui pesait sur certaines hautes autorités maliennes, a aussi décidé d’engager une Troïka présidentielle, composée des Présidents du Nigéria, du Bénin et de la Guinée Bissau, à entreprendre d’urgence des visites au Burkina Faso, en Guinée et au Mali, en vue de renouer le dialogue avec ces trois pays pour la mise en œuvre inclusive du programme de transition.

« Cette réaction de la Cedeao signifie qu’elle a pris acte du report de la présidentielle au Mali et qu’elle va s’employer à trouver avec les autorités maliennes de nouvelles dates, qui tiennent dans un délai raisonnable », estime un analyste. « Je pense que le fait de lever l’interdiction de voyage, de décider de renouer le dialogue avec les autorités de la Transition et aussi que le Représentant permanent et Ambassadeur du Mali auprès de la Cedeao ait été reçu dans la foulée par le Président de la Commission de l’institution sont autant de signes annonciateurs d’une certaine décrispation à venir dans les relations », poursuit-il.

Pour un expert politique qui a requis l’anonymat, le seul point d’achoppement entre les deux parties pourrait être la durée d’une nouvelle prolongation de la transition. « Les autorités maliennes ont annoncé un léger report. Mais, si au cours des échanges avec la Cedeao elles proposent de nouvelles dates au-delà de 2024, par exemple, évidemment que la Cedeao ne l’acceptera pas. Elle pourrait alors brandir de nouvelles sanctions contre le Mali ». Selon certains observateurs, il n’est pas exclu que le léger report de la présidentielle soit au delà de 2024. « Les autorités pensent aujourd’hui être dans une position de force vis-à-vis de la Cedeao et de la classe politique ».

Les partis politiques dans l’expectative

Si des signes avant-coureurs sont là, des partis politiques se projettent déjà vers la présidentielle. À l’annonce du report, en septembre dernier, plusieurs formations se sont opposées et exigé la tenue de la présidentielle aux dates initiales den février 2024. Mais, à défaut de pouvoir faire revenir les autorités de Transition sur leur décision, elles se préparent pour une échéance éventuelle avant la fin de l’année 2024.

À en croire Sékou Niamé Bathily, Secrétaire à l’Information et Porte-parole du RPM tendance Bocary Treta, la préparation de la prochaine élection présidentielle a débuté dans l’ancien parti présidentiel depuis la tenue du Congrès extraordinaire, en août dernier, en démarchant dans un premier temps certaines formations de la classe politique et de la société civile. « Nous avons ensuite mis en place des commissions de travail et créé des structures pour une meilleure participation à ces élections, à commencer par une commission qui a travaillé sur la carte politique, que nous avons adaptée à l’organisation interne du parti. Nous avons créé de nouvelles sections et fédérations régionales, conformément au nouveau découpage territorial à base duquel devraient se tenir les prochaines élections dans notre pays ».

Comme le RPM, l’Adema est aussi déjà tournée vers la préparation de la présidentielle à venir. Selon Yaya Sangaré, Secrétaire général du parti, il essaye d’avoir une force politique nouvelle, de tirer les enseignements de tout ce qui a été fait ces dernières années et, en raison du contexte nouveau, d’analyser la situation pour proposer une nouvelle offre aux Maliens.

« Des actions sont déjà engagées. Nous sommes en train de renouveler nos structures à la base. Nous sommes aussi engagés depuis quelques mois à mettre en place une force politique électorale avec d’autres formations, mouvements et associations politiques », confie-t-il, assurant que l’Adema aura son propre candidat, comme recommandé lors du dernier Congrès, et que le parti travaillera à ce que ce candidat bénéficie de l’accompagnement des autres partis qui vont se retrouver dans son projet de société.

Au RPDM de Cheick Modibo Diarra, on se dit également « prêt à aller à la conquête du pouvoir à tout moment », tout comme au parti Yelema, qui va d’ores et déjà désigner son candidat au prochain scrutin présidentiel à l’issue de son 4ème Congrès ordinaire, le 23 décembre 2023.

Préparation impactée ?

Si les partis politiques sont tournés vers la préparation du prochain scrutin présidentiel, cette préparation reste particulière, étant donné que les nouvelles dates de l’élection ne sont pas encore connues. « La préparation est un peu impactée parce que nous ne connaissons pas les dates de l’élection. Dans un premier temps, notre programme de société, nous l’avons calé sur une période donnée, en nous basant sur les engagements des autorités de la Transition. Maintenant que ce délai a été repoussé, bien sûr que cela nous perturbe un peu », avoue Sékou Niamé Bathily, même si, pour lui, cette situation ne constitue pas un handicap. « Cela ne met pas un frein à ce que nous sommes en train de faire. Nous continuons à nous préparer pour être prêts lorsque le collège électoral sera convoqué », assure-t-il.

« C’est à la fois un handicap et une opportunité. Mais nous pensons qu’il est bon qu’on indique une date pour que nous puissions bien nous préparer, parce qu’une élection demande beaucoup de ressources. On ne peut pas se lancer dans une campagne indéfinie », estime pour sa part Yaya Sangaré.

Tenir l’échéance 2024

Même si la classe politique a invité le gouvernement de transition à ouvrir le dialogue en vue de trouver de nouvelles dates consensuelles pour la tenue de la prochaine élection présidentielle, elle n’a jusqu’à là pas encore été sollicitée par les autorités dans ce sens. Mais, pour la plupart des partis politiques, la tenue de l’élection ne devrait pas aller au-delà de l’année 2024.

« Nous devons tout faire pour que les élections puissent se tenir avant la fin de l’année 2024. Un léger report ne devrait pas dépasser 3 à 6 mois. Les autorités doivent mobiliser toutes les ressources, créer un cadre favorable de dialogue et régler tous les problèmes techniques pour que nous allions à cette élection pour mettre fin à la Transition », préconise le Secrétaire général de l’Adema.

C’est ce qu’estime également le RPM, pour lequel le léger report ne devrait pas dépasser 6 mois au plus. « Pour nous, cette élection peut et doit se tenir en 2024. Nous croyons en la bonne foi des autorités pour aller vers une sortie de transition honorable pour tous », appuie pour sa part Sékou Niamé Bathily. Aujourd’hui, l’interrogation porte sur les actions politiques qui seront menées si la Transition se prolonge pour une durée indéfinie. Mais nul doute que la pression pourrait être forte sur les autorités, aussi bien de la part de la Cedeao, des PTF, de la classe politique et des acteurs de la société civile.

Référendum constitutionnel : une date et des questions

C’est le scrutin qui va donner le coup d’envoi des différents rendez-vous électoraux prévus dans le chronogramme de la Transition d’ici à mars 2024. Reporté dans un premier temps le 10 mars, le référendum constitutionnel est finalement annoncé pour le 18 juin 2023. La date révélée par le gouvernement le 5 mai suscite depuis de nombreuses interrogations sur la bonne tenue de ce scrutin et l’aboutissement du processus électoral.

Alors que des voix commençaient à se lever pour pointer du doigt le retard pris dans l’annonce d’une nouvelle date pour le référendum constitutionnel, depuis son report il y a 2 mois, le gouvernement de la Transition a surpris. Un décret annonçant la tenue de cet important rendez-vous pour le 18 juin prochain a été lu à la télévision nationale le vendredi 5 mai 2023 par le ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maiga.

« Le collège électoral est convoqué le dimanche 18 juin 2023 sur toute l’étendue du territoire national et dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mali à l’effet de se prononcer sur le projet de Constitution. Toutefois, les membres des forces de Défense et de Sécurité voteront par anticipation le dimanche 11 juin 2023, conformément à la loi électorale », dispose l’article premier de ce décret, portant convocation du collège électoral et ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion du référendum constitutionnel. La campagne électorale sera ouverte le 2 juin 2023 et close 16 juin à minuit, selon l’article 4.

Défis

La tenue du référendum dans un temps assez court implique un certain nombre de défis à relever pour le gouvernement, mais aussi et surtout pour l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), l’organe chargé de la gestion et de l’organisation de ce scrutin. Entre autres, de l’élément d’identification (carte) pour exercer le droit de vote au récurent problème d’insécurité auquel font face certaines parties du territoire national, en passant par l’installation des coordinations de l’AIGE à l’intérieur du pays, les difficultés d’organisation sont légion.

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les défis liés à la garantie de la liberté d’expression ainsi qu’à la communication et à la sécurité sont les plus importants dans le contexte actuel. « Aujourd’hui, la logistique, les moyens financiers et humains, les capacités de l’armée ne permettent pas d’organiser le référendum sur toute l’étendue du territoire », indique-t-il, proposant par ailleurs que des capsules vidéo ou audio traduites dans les langues nationales soient disséminées un peu partout pour une meilleure appropriation du texte du projet de nouvelle Constitution afin de relever le défi de la mobilisation. Pour cet analyste, sur le plan du respect des libertés, la Transition gagnerait à laisser même les gens qui ne sont pas « pro Transition » s’exprimer sur ce référendum, « donner leur point de vue et dire qu’ils ne sont pas d’accord en toute liberté ».

Malgré les incertitudes, l’AIGE a tenu à se montrer rassurante. Lors d’un point de presse au siège de l’organe le 9 mai, son Président Moustapha Cissé s’est montré optimiste. « La dynamique est enclenchée et, de façon volontariste et responsable, nous sommes dans l’action pour l’accomplissement de tout ce que nous devons faire. Nous avons tous les moyens matériels et financiers pour pouvoir accomplir cette mission », a-t-il assuré.

Selon lui, concernant les démembrements à l’intérieur du pays, l’AIGE est prête. « L’installation des coordinations de l’AIGE est un processus qui a démarré et nous avons accompli plus de 90% de cette étape. La loi électorale dit que nous pouvons bénéficier à tout moment de l’appui de l’Administration territoriale et nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Il nous reste juste la phase de la nomination et de l’installation suivi de la prestation de serment des membres de ces coordinations », soutient l’ancien Bâtonnier.

Mesures exceptionnelles

Même si elles ne sont pas encore formellement actées, l’AIGE va prendre certaines mesures, au vu du délai serré pour la tenue du référendum. Pour ce qui est de la carte requise pour voter, qui est selon la nouvelle loi électorale uniquement la nouvelle carte nationale biométrique sécurisée, le Président de l’AIGE avance que les anciennes cartes d’électeurs ainsi que toutes les autres cartes d’identité légalement reconnues en République du Mali pourront être utilisées. « À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle fondée sur le droit. Des habilitations administratives et juridiques vont être faites pour permettre d’utiliser des éléments d’identification qui permettront à la majorité, sinon à tout le monde, de pouvoir participer à ce référendum. Notre rôle est de sauvegarder le droit de vote du citoyen », tranche M. Cissé.

Par ailleurs, relève-t-il, il sera extrêmement difficile pour l’AIGE d’organiser ce scrutin sur la base du nouveau découpage administratif, qui a été adopté mais qui n’est pas encore effectif. « Compte tenu du délai, le découpage électoral dont nous disposons aujourd’hui et qui correspond parfaitement au fichier électoral, révisé à environ 8,5 millions d’électeurs en décembre dernier, sera celui de l’élection référendaire », annonce le Président de l’organe indépendant en charge des élections.

Désaccords persistants

Bien avant son report en mars et l’officialisation de la nouvelle date de sa tenue, le référendum constitutionnel n’a jamais fait l’unanimité auprès de la classe politique et des forces vives du pays. Cette situation s’est exacerbée depuis la publication du décret du  5 mai 2023. Si certains partis et organisations de la société civile ont salué un grand pas vers l’adoption de la nouvelle Constitution et commencé d’ores et déjà à appeler au « Oui » le 18 juin prochain, d’autres, en revanche, continuent de demander l’abandon du projet.

Parmi ces derniers, les organisations de l’Appel du 20 février comptent passer à la vitesse supérieure. Dans un communiqué daté du 7 mai, elles indiquent vouloir exercer un recours en annulation du décret portant convocation du collège électoral en vue du référendum « pour excès de pouvoir sur différents motifs, tous bien fondés ». Pour elles, ce décret viole le cadre normatif et les conditions requises en cette matière par la Constitution en vigueur, « au respect de laquelle le Président de la Transition, initiateur du projet, avait pourtant solennellement souscrit ». Même si ce recours semble avoir peu de chances d’aboutir, les responsables de ce collectif semblent déterminés.

« De la façon dont nous avons réussi à faire adhérer une frange importante des populations à la pertinence de l’abandon de ce projet illégal de nouvelle Constitution, nous empêcherons sans nul doute, par les voies de droit, la tenue même de ce référendum irrégulier en vue de son adoption », indique le communiqué, signé du Coordinateur général, le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné.

Tout comme l’Appel du 20 février, mais sur un autre plan, la Ligue malienne des Imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (LIMAMA) est également opposée à l’adoption de la nouvelle Constitution concernant l’article sur la laïcité. Un mouvement de soutien qui est né pour la soutenir, composé d’une vingtaine d’organisations islamiques, culturelles et politiques, dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, (CMAS) est monté au créneau le 6 mai en réclamant la suppression du concept de laïcité dans le projet. Ils assurent en outre vouloir mener une campagne pour le « Non », « si les revendications légitimes de la LIMAMA et du mouvement de soutien ne sont pas adoptées ».

Par ailleurs, selon nos informations, beaucoup d’autres partis politiques sont encore à l’étape de consultation de leurs bases pour arrêter une consigne par rapport au vote référendaire. À en croire une source au parti des FARE an Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, qui a également demandé l’abandon du projet, ils n’ont pas encore reçu le document final du nouveau texte constitutionnel et s’abstiennent pour l’heure de se pencher sur la question. Plusieurs autres formations politiques seraient dans le même cas. Mais, en dépit de cela, si le scrutin se tient le 18 juin, le « Oui » l’emportera sans surprise, selon plusieurs observateurs.