Mise en place de délégations spéciales : la CODEM s’inquiète

À l’issue du Conseil des ministres du 18 octobre dernier, le gouvernement a annoncé la mise en place de délégations spéciales dans certaines collectivités territoriales, suite aux dysfonctionnements, irrégularités et insuffisances constatés après des missions de contrôle et de suivi effectuées par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. À la CODEM, la pertinence « d’une telle décision à pareil moment » est mise en cause. Dans un communiqué daté du 27 octobre 2023, le parti de l’ancien ministre Housseini Amion Guindo déplore l’absence de transparence sur la désignation des collectivités territoriales concernées, s’interroge sur le suivi de la procédure légale en la matière et déplore la non dissolution des collectivités concernées au cas par cas, « seul préalable avant une telle décision, qui ne doit avoir aucun caractère global ». « Le parti CODEM suit avec beaucoup d’attention la mise en place desdites délégations spéciales, tout en souhaitant qu’elles soit faite avec objectivité et dans l’intérêt exclusif des collectivités concernées », précise le communiqué. Selon une source à la direction générale des collectivités territoriales, ces changements vont toucher les maires et conseillers communaux de Bamako notamment la Commune II, VI et le District. Les communes urbaines de Kayes, Ségou, Mopti, San, Bougouni, Kéniéba, Nioro du Sahel, Gao, Kita ainsi que certaines assemblées locales et régionales de ces localités.

Pour rappel, une délégation spéciale est une forme de gouvernance temporaire mise en place dans une municipalité ou une collectivité locale lorsque les organes normaux de gouvernance, tels que le conseil municipal, ne sont pas en mesure de fonctionner normalement. Cette mesure est généralement instaurée en réponse à une crise ou à des circonstances exceptionnelles qui empêchent le fonctionnement normal des institutions locales.

Référendum constitutionnel : une date et des questions

C’est le scrutin qui va donner le coup d’envoi des différents rendez-vous électoraux prévus dans le chronogramme de la Transition d’ici à mars 2024. Reporté dans un premier temps le 10 mars, le référendum constitutionnel est finalement annoncé pour le 18 juin 2023. La date révélée par le gouvernement le 5 mai suscite depuis de nombreuses interrogations sur la bonne tenue de ce scrutin et l’aboutissement du processus électoral.

Alors que des voix commençaient à se lever pour pointer du doigt le retard pris dans l’annonce d’une nouvelle date pour le référendum constitutionnel, depuis son report il y a 2 mois, le gouvernement de la Transition a surpris. Un décret annonçant la tenue de cet important rendez-vous pour le 18 juin prochain a été lu à la télévision nationale le vendredi 5 mai 2023 par le ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maiga.

« Le collège électoral est convoqué le dimanche 18 juin 2023 sur toute l’étendue du territoire national et dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mali à l’effet de se prononcer sur le projet de Constitution. Toutefois, les membres des forces de Défense et de Sécurité voteront par anticipation le dimanche 11 juin 2023, conformément à la loi électorale », dispose l’article premier de ce décret, portant convocation du collège électoral et ouverture et clôture de la campagne électorale à l’occasion du référendum constitutionnel. La campagne électorale sera ouverte le 2 juin 2023 et close 16 juin à minuit, selon l’article 4.

Défis

La tenue du référendum dans un temps assez court implique un certain nombre de défis à relever pour le gouvernement, mais aussi et surtout pour l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), l’organe chargé de la gestion et de l’organisation de ce scrutin. Entre autres, de l’élément d’identification (carte) pour exercer le droit de vote au récurent problème d’insécurité auquel font face certaines parties du territoire national, en passant par l’installation des coordinations de l’AIGE à l’intérieur du pays, les difficultés d’organisation sont légion.

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les défis liés à la garantie de la liberté d’expression ainsi qu’à la communication et à la sécurité sont les plus importants dans le contexte actuel. « Aujourd’hui, la logistique, les moyens financiers et humains, les capacités de l’armée ne permettent pas d’organiser le référendum sur toute l’étendue du territoire », indique-t-il, proposant par ailleurs que des capsules vidéo ou audio traduites dans les langues nationales soient disséminées un peu partout pour une meilleure appropriation du texte du projet de nouvelle Constitution afin de relever le défi de la mobilisation. Pour cet analyste, sur le plan du respect des libertés, la Transition gagnerait à laisser même les gens qui ne sont pas « pro Transition » s’exprimer sur ce référendum, « donner leur point de vue et dire qu’ils ne sont pas d’accord en toute liberté ».

Malgré les incertitudes, l’AIGE a tenu à se montrer rassurante. Lors d’un point de presse au siège de l’organe le 9 mai, son Président Moustapha Cissé s’est montré optimiste. « La dynamique est enclenchée et, de façon volontariste et responsable, nous sommes dans l’action pour l’accomplissement de tout ce que nous devons faire. Nous avons tous les moyens matériels et financiers pour pouvoir accomplir cette mission », a-t-il assuré.

Selon lui, concernant les démembrements à l’intérieur du pays, l’AIGE est prête. « L’installation des coordinations de l’AIGE est un processus qui a démarré et nous avons accompli plus de 90% de cette étape. La loi électorale dit que nous pouvons bénéficier à tout moment de l’appui de l’Administration territoriale et nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Il nous reste juste la phase de la nomination et de l’installation suivi de la prestation de serment des membres de ces coordinations », soutient l’ancien Bâtonnier.

Mesures exceptionnelles

Même si elles ne sont pas encore formellement actées, l’AIGE va prendre certaines mesures, au vu du délai serré pour la tenue du référendum. Pour ce qui est de la carte requise pour voter, qui est selon la nouvelle loi électorale uniquement la nouvelle carte nationale biométrique sécurisée, le Président de l’AIGE avance que les anciennes cartes d’électeurs ainsi que toutes les autres cartes d’identité légalement reconnues en République du Mali pourront être utilisées. « À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle fondée sur le droit. Des habilitations administratives et juridiques vont être faites pour permettre d’utiliser des éléments d’identification qui permettront à la majorité, sinon à tout le monde, de pouvoir participer à ce référendum. Notre rôle est de sauvegarder le droit de vote du citoyen », tranche M. Cissé.

Par ailleurs, relève-t-il, il sera extrêmement difficile pour l’AIGE d’organiser ce scrutin sur la base du nouveau découpage administratif, qui a été adopté mais qui n’est pas encore effectif. « Compte tenu du délai, le découpage électoral dont nous disposons aujourd’hui et qui correspond parfaitement au fichier électoral, révisé à environ 8,5 millions d’électeurs en décembre dernier, sera celui de l’élection référendaire », annonce le Président de l’organe indépendant en charge des élections.

Désaccords persistants

Bien avant son report en mars et l’officialisation de la nouvelle date de sa tenue, le référendum constitutionnel n’a jamais fait l’unanimité auprès de la classe politique et des forces vives du pays. Cette situation s’est exacerbée depuis la publication du décret du  5 mai 2023. Si certains partis et organisations de la société civile ont salué un grand pas vers l’adoption de la nouvelle Constitution et commencé d’ores et déjà à appeler au « Oui » le 18 juin prochain, d’autres, en revanche, continuent de demander l’abandon du projet.

Parmi ces derniers, les organisations de l’Appel du 20 février comptent passer à la vitesse supérieure. Dans un communiqué daté du 7 mai, elles indiquent vouloir exercer un recours en annulation du décret portant convocation du collège électoral en vue du référendum « pour excès de pouvoir sur différents motifs, tous bien fondés ». Pour elles, ce décret viole le cadre normatif et les conditions requises en cette matière par la Constitution en vigueur, « au respect de laquelle le Président de la Transition, initiateur du projet, avait pourtant solennellement souscrit ». Même si ce recours semble avoir peu de chances d’aboutir, les responsables de ce collectif semblent déterminés.

« De la façon dont nous avons réussi à faire adhérer une frange importante des populations à la pertinence de l’abandon de ce projet illégal de nouvelle Constitution, nous empêcherons sans nul doute, par les voies de droit, la tenue même de ce référendum irrégulier en vue de son adoption », indique le communiqué, signé du Coordinateur général, le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné.

Tout comme l’Appel du 20 février, mais sur un autre plan, la Ligue malienne des Imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (LIMAMA) est également opposée à l’adoption de la nouvelle Constitution concernant l’article sur la laïcité. Un mouvement de soutien qui est né pour la soutenir, composé d’une vingtaine d’organisations islamiques, culturelles et politiques, dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, (CMAS) est monté au créneau le 6 mai en réclamant la suppression du concept de laïcité dans le projet. Ils assurent en outre vouloir mener une campagne pour le « Non », « si les revendications légitimes de la LIMAMA et du mouvement de soutien ne sont pas adoptées ».

Par ailleurs, selon nos informations, beaucoup d’autres partis politiques sont encore à l’étape de consultation de leurs bases pour arrêter une consigne par rapport au vote référendaire. À en croire une source au parti des FARE an Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, qui a également demandé l’abandon du projet, ils n’ont pas encore reçu le document final du nouveau texte constitutionnel et s’abstiennent pour l’heure de se pencher sur la question. Plusieurs autres formations politiques seraient dans le même cas. Mais, en dépit de cela, si le scrutin se tient le 18 juin, le « Oui » l’emportera sans surprise, selon plusieurs observateurs.

Cadre national de concertation : Toujours viable?

Dans le but de traiter les questions liées aux réformes à venir et pour organiser les élections, le Premier ministre a signé un décret, le 17 janvier, portant création du Cadre national de concertation. Cependant, certains partis politiques, comme l’URD et la CODEM, se sont retirés de l’initiative en attendant la prise en compte de leurs observations. Le cadre sera-t-il vide de sens ?

« Ce cadre de concertation a été initié pour concilier la nécessité de dégager un consensus autour des grandes questions qui concernent la Nation et le temps limité que nous avons devant nous. Normalement, tous les citoyens, à tous les niveaux, doivent être associés pour aboutir aux concertations nationales, mais nous devons aller aux élections législatives au plus tard le 30 juin », justifie au préalable Brahima Coulibaly, conseiller technique au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. La première réunion depuis la mise en place de cette nouvelle formule du cadre national de concertation date du 31 janvier. Depuis, plusieurs rencontres se sont tenues pour aborder les questions à l’ordre du jour. Mais, dans une correspondance en date du 1er février, l’URD a adressé ses observations et recommandations sur le cadre national de concertation. Le parti du chef de file de l’opposition réclame un dialogue qui « doit aboutir à un accord permettant le consensus nécessaire sur les réformes institutionnelles et politiques pour une sortie de crise réussie », indique la lettre. « Cet accord politique déterminera les mécanismes de l’organisation d’un large débat national, sincère, global, inclusif, interactif, dynamique et transparent, avec l’ensemble des forces vives de la Nation », poursuit le document. Mais, quelques jours après, la CODEM, parti de l’ancien ministre des Sports, suspend aussi sa participation à ce cadre. Pour le parti de la quenouille, le cadre, « tel que proposé suivant l’arrêté du 17 janvier, dans sa composition, ses missions et son fonctionnement, ne correspond pas aux attentes de notre peuple ». La CODEM estime qu’il « n’obéit pas aux conditions d’inclusivité pour traiter des grandes questions qui assaillent notre Nation », dit le communiqué.

Pour donner suite à certaines de ces observations, le ministère en charge de la question a pris en début de semaine des nouvelles mesures. « Le ministre a pris  une nouvelle décision, dans laquelle le  cadre va être ouvert à tous les partis politiques, sans distinction, à toutes les organisations de la société civile et à tous les mouvements signataires de l’Accord. Tout cela pour qu’on soit d’accord sur ce qu’on va faire sur la Constitution, le découpage territorial, les élections des députés, celles des sénateurs, etc. », informe le conseiller technique du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation.

Un cadre vital

La volonté de réussir les réformes à venir et les enjeux du moment obligent le gouvernement à prôner le consensus. Une convergence de toutes les forces vives est nécessaire pour maintenir l’équilibre national. « Au départ, on avait dit qu’il fallait représenter les partis politiques en fonction de leur poids, mais aujourd’hui, même si vous êtes seul dans votre parti vous pourrez venir. Il y aura deux instances. D’abord une pour les formations politiques, qui regroupe les présidents des partis qui donneront les grandes orientations sur toutes ces questions. Ensuite il y aura la commission technique, composée des experts du ministère de l’Administration territoriale et des départements  ministériels concernés », détaille Brahima Coulibaly.  Selon lui, la tenue des  élections législatives avant fin juin, conformément à la loi électorale, est indispensable. Mais pour l’heure, le chargé de communication de l’URD, Me Demba Traoré, dit s’en tenir à leur lettre d’observations et de recommandations. « S’il y a des actes officiels qui sont pris, on va les analyser, mais pour l’instant c’est le status quo. On s’en tient à tout ce qu’on a développé dans la lettre », fait-il brièvement savoir. « Dans tous les cas, si l’opposition ne vient pas, il y aura un goût d’inachevé, mais la démocratie, c’est la loi de la majorité. Nous nous sommes engagés à mener toutes ces réformes et en même temps il y a la communauté internationale qui nous regarde », explique le conseiller technique.