Leo Lithium : suspension de la cotation en bourse

La compagnie minière australienne Leo Lithium, copropriétaire et opérateur de la future mine de lithium de Goulamina au Mali, a annoncé le 19 septembre la suspension de la cotation de ses actions à la bourse australienne ASX. La société précise que cette décision a été prise dans l’attente d’un autre communiqué sur une correspondance du gouvernement malien portant sur l’application du nouveau Code minier à son projet. Ce nouveau Code fait passer la participation de l’État et des investisseurs locaux à 35% contre un maximum de 20 % pour l’État dans l’ancienne loi. Promulgué le 28 août 2023 par le Président de la Transition Assimi Goïta, ce nouveau texte a pour objectif d’accroitre les revenus miniers, avec 500 milliards de francs CFA de recettes en plus attendus chaque année. Les compagnies minières souhaitent des précisions, car elles estiment que leurs permis miniers sont conformes aux règles en vigueur au moment de leur octroi. Une éventuelle réponse du gouvernement à la compagnie australienne devrait permettre de lever les équivoques, espèrent des acteurs miniers. Leo Lithium avait déjà annoncé le 4 septembre avoir suspendu l’exportation du minerai à expédition directe (DSO), à la demande du gouvernement malien, dans une correspondance adressée à la société le 17 juillet dernier.

Pour rappel, c’est la deuxième fois en quelques mois que Leo Lithium suspend la cotation de ses actions. La compagnie avait utilisé le même procédé entre juillet et août, avant d’annoncer la suspension de son projet d’exporter du minerai avant l’entrée en production de Goulamina l’année prochaine.

Mines : un potentiel inexploré

Outre ses 63 tonnes d’or de production en 2021 et son troisième rang en matière d’exploitation de l’or en Afrique, le Mali regorge d’énormes autres potentialités minières. Du lithium au fer en passant par le calcaire ou encore la bauxite, les ressources inexplorées sont nombreuses et leur potentiel important. Outre une politique minière à adapter, le pays doit aussi relever de nombreux défis, dont celui des ressources humaines qualifiées et celui de  l’amélioration des pratiques en matière de gestion.

Pour l’or, deuxième produit d’exportation après le coton, les recherches sont bien avancées, et cela même dans le domaine de l’orpaillage grâce au développement des technologies, explique Yacouba Traoré, Directeur de Geo Training, une société spécialisée dans la formation minière.

Mais pour des ressources comme le pétrole, par exemple, même s’il existe des indices, les recherches n’ont pu être menées à bout. En cause notamment la situation sécuritaire, qui a rendu difficile l’accès aux zones potentiellement riches.

Pour le lithium, dans la zone de Bougouni les recherches ont déjà abouti à la découverte d’un gisement, dont l’exploitation débutera avec la construction d’une usine qui devrait être effective d’ici à 2023.  Mais le problème à ce niveau est que la matière extraite sera traitée ailleurs, faute de possibilités sur place, ce qui constitue un important manque à gagner, déplore M. Traoré.

Le Mali regorge aussi de terres rares et d’énormes potentialités en calcaire. Le développement des usines de ciment et la mise en évidence d’autres ressources sont autant d’atouts dont l’exploitation pourrait rapporter davantage grâce à des études. Cependant, pour mener à bien les recherches il faut des personnes ressources qualifiées et des moyens techniques adéquats pour déterminer avec certitude le potentiel existant.

Si les indices sont les premiers pas qui permettent d’orienter, pour développer il faut rechercher en profondeur et déterminer avec précision la quantité et la valeur économique afin que les investisseurs puissent s’engager. Des travaux importants sont donc nécessaires avant d’envisager une éventuelle production.

Booster la recherche

Jusqu’à présent, concernant le pétrole, on n’a pas pu déterminer avec précision que l’on disposait de telle ou telle quantité. Les estimations sont celles faites à partir de ce qui est observé chez nos voisins. Dix conventions avaient été accordées à des sociétés pétrolières pour mener des recherches sur certains blocs dans le nord, à Taoudéni, considérée comme la plus prometteuse, à Gao également et à Nara. Mais la crise sécuritaire a entravé le développement et refroidi les ambitions des investisseurs. En 2014, le gouvernement a résilié ces contrats. Boubou Cissé, alors ministre des Mines, reprochait à ces sociétés l’absence de recherches sans motif justifié pendant un an ou encore le défaut de paiement des taxes et redevances. Outre le facteur crucial de l’insécurité, qui entrave toute velléité d’entreprise, le manque de moyens et de ressources humaines reste un problème récurrent. Même si le pays dispose de « géologues expérimentés qui peuvent mener des explorations, pour faire l’estimation de ressources, les statistiques de données et les calculs, nous sommes obligés de faire intervenir des expatriés », explique M. Traoré.

Cependant, aujourd’hui, grâce aux technologies de pointe qui servent à quantifier « nous effectuons aussi des estimations avec des niveaux de certitude », confie-t-il. Mais, en ce qui concerne également le lithium, les échantillons sont envoyés à l’extérieur pour des études.

Les recherches coûtent cher et sur le terrain les acteurs doivent toujours essayer « de revoir l’approche et la formation technique avec les nouvelles technologies », car, comme dans tous les domaines, les évolutions sont rapides et l’adaptation est indispensable.

Moderniser l’orpaillage

Mieux organisé, ce secteur pourrait être plus rentable pour la société. Confiée aux collectivités territoriales, la gestion de cette activité sur le terrain s’est avérée compliquée pour ses acteurs et menace les relations avec les investisseurs déjà installés.

Pourtant, selon la législation, les collectivités peuvent faire des demandes de « couloirs d’orpaillage ». Si, après vérification, il n’existe pas de permis sur ladite zone, un arrêté interministériel pris conjointement par le ministre en charge de l’Administration et celui des Mines accorde cette possibilité. Mais, généralement, dans la pratique les collectivités qui ont théoriquement le droit de gérer l’orpaillage accordent des espaces faisant déjà l’objet de permis, ce qui contrarie l’activité des détenteurs de droits et peut être de nature à rendre réticents les potentiels investisseurs.

Sur les 30 permis accordés pour les petites mines, « qui fonctionnent comme l’orpaillage », seules deux sont en activité. Il faut donc revoir la méthodologie. Intervenant à partir de la phase Recherche et développement, de l’exploitation jusqu’à produit fini, la société aide les opérateurs économiques à s’installer et à se développer afin d’obtenir des résultats positifs. Jusqu’à présent, 99% des recherches sont basées sur l’or, parce qu’il est le minerai le plus développé en termes de recherche et celui où le retour sur investissement est le plus rapide.

Mais à côté se développent aussi d’autres minerais, comme les matériaux de construction. Sur le plan géographique, les zones de l’ouest, comme Kayes et Kéniéba, sont les plus pourvues, comme celles du sud, Yanfolila et Kolondiéba. La zone de Kéniéba constitue une particularité, avec un accès plus facile à l’or, tandis que vers Sikasso il existe une profondeur de couches de latérite. D’où plus de zones en exploitation à Kayes que dans le sud.

Mais des zones auparavant classées comme peu favorables à l’exploitation de l’or sont en train de se révéler aussi riches en potentialités, comme Kidal, dans le nord, contrôlé par la CMA, un groupe armé signataire de l’Accord pour la paix.

Renforcer le cadre juridique

Le cadre juridique pour encourager la recherche existe mais doit être renforcé, selon les acteurs. Pour le moment, il n’existe pas de fonds spécifiques pour la recherche, mais certains partenaires initient des programmes, notamment pour la cartographie afin d’évaluer les potentialités. Un programme financé par la Banque mondiale, en cours d’exécution et  freiné par l’insécurité, doit bientôt être relancé.

En plus des projets de cogestion avec l’extérieur, selon des analystes, l’État doit mener des collaborations avec les universités pour la recherche, en leur donnant notamment des termes de référence afin qu’elles puissent travailler avec d’autres chercheurs pour avoir une idée claire du potentiel par zone, par exemple.

Le décalage entre les estimations et la production conduit souvent à des faillites pour les sociétés minières, ce qui peut conduire à des chômages techniques ou même à des licenciements. Il faut donc renforcer l’usage des technologies pour améliorer la récupération des données.

Pour assurer une participation nationale dans les sociétés d’exploitation minière qui opèrent sur le territoire, le Code prévoit une participation nationale de 5%. Mais, dans la pratique, les opérateurs n’y arrivent pas, confie un cadre du domaine. Parce qu’il faut se mettre à plusieurs, car individuellement l’importance des fonds à investir constitue un véritable frein. L’autre obstacle à une contribution locale efficiente est la mentalité, qui ne sied pas au domaine. En effet, dans la gestion des mines, il faut de la rigueur et privilégier les compétences.

Il faut aussi tenir compte du fait que « des investissements importants peuvent se révéler non rentables ». Ce qui permet de partager les risques lorsque l’on est plusieurs.  C’est ainsi que plusieurs permis ont été accordés à des nationaux dans le but de favoriser leur participation, mais il s’est avéré que beaucoup n’ont pas réussi à les rentabiliser. Or, le permis, qui n’est pas définitif, peut aussi être retiré. Selon les récents chiffres de la Direction nationale de la Géologie et des mines (DNGM) publiés le 5 décembre 2022, 1070 titres sont actifs sur 2 833 attribués, 1 623 permis sont expirés et 138 ont été annulés. L’État a en outre le 28 novembre dernier suspendu l’attribution des titres miniers afin de « mieux servir » les acteurs du secteur.

Cette suspension, de même que la création de la nouvelle société à capitaux 100% maliens sont vues comme de nouvelles opportunités afin que les ressources minières soient plus profitables aux Maliens.

Lithium de Bougouni : des gisements prometteurs

Le Projet de lithium de Goulamina, dont la phase d’exploitation est prévue pour 2024, entre dans sa phase de construction en février 2022. Elle s’étalera sur 15 à 18 mois et débutera par la construction des infrastructures d’accès et d’installation.

Le projet de Goulamina sera mis en œuvre dans le cadre d’un partenariat entre Timbuktu Ressources SARL, filiale du groupe Firefinch Limited, et Ganfeng.

Si des données complètes fournies par les autorités n’existent pas encore, 2 permis d’exploitation ont pour le moment été accordés. Le secteur existe depuis une dizaine d’années et la forte concentration en minerai se localise à Bougouni, explique le Dr Amadou Maïga, économiste et membre du Conseil national de transition (CNT). Mais il est possible qu’il y en ait ailleurs sur le vaste territoire malien, ajoute-t-il.

Même si le point sur le potentiel n’est pas encore fait, « ce projet est l’un des plus grands gisements de spodumène de haute qualité non développés au monde », explique M. Seydou Séméga, Directeur pays de Firefinch Limited.

Le projet sera développé au moyen d’une coentreprise constituée à 50/50. Ganfeng contribuant à hauteur de 194 millions de dollars au financement, dont 130 millions de dollars sur fonds propres et 40 à 64 millions en financement par emprunt.

L’étude de faisabilité actualisée a confirmé Goulamina comme étant un projet de mine à ciel ouvert à longue durée de vie (21 ans), à grande échelle et à faible coût qui devrait produire 726 000 tonnes de concentré de spodumène à un coût décaissé moyen de 312 dollars par tonne.

L’un des minerais les plus convoités, qui entre dans la fabrication de tous les équipements technologiques, permettra au Mali d’ouvrir « une voie pour accueillir la première opération de production de concentré de spodumène en Afrique de l’Ouest » et fournira des opportunités d’emplois et de revenus.

La Commission des finances, de l’économie, du plan, de la promotion du secteur privé, des industries et des mines du CNT, qui travaille dans le domaine des ressources naturelles, enverra s’il y a lieu une équipe pour en voir plus clair, indique le Dr Maïga. Le souhait étant que les sociétés maliennes participent, dans le cadre de la réalisation du développement du « contenu local ».

Pour cela, « il faut du sérieux, de la rigueur et surtout du cash, d’où la nécessité de l’accompagnement des institutions financières », conclut-il.