Mali–Sahel, la paix sous écoute : quand les populations reprennent la parole

Un rapport d’Oxfam révèle la réalité vécue par les civils du Mali et du Sahel face à la violence persistante. Derrière les bilans diplomatiques, une parole s’élève pour réclamer une paix adaptée aux réalités locales, plus humaine et plus inclusive.

Les civils du Mali, comme ceux du Sahel en général, vivent au cœur d’une insécurité chronique où les armes dictent souvent la loi. Le rapport Seen but Not Heard, publié par Oxfam en octobre 2025, plonge dans leur quotidien. Il s’appuie sur les témoignages de 1 601 personnes réparties entre le Mali, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud, dont 765 femmes et 836 hommes. L’enquête, menée entre juillet 2024 et mars 2025, restitue leurs expériences face aux acteurs censés les protéger.

Au Mali, les récits recueillis montrent à quel point la population reste prise entre plusieurs forces. Toutes jouent un rôle, mais la confiance qu’on leur accorde varie d’un village à l’autre. Beaucoup de Maliens disent avoir perdu foi dans un système qui promet la paix sans la livrer.

L’exemple de la MINUSMA, déployée de 2013 à 2023, illustre cette ambivalence. Dans le nord, notamment à Gao, plusieurs habitants reconnaissent que la mission a contribué à stabiliser certaines zones et à créer de l’emploi. Plus au centre, dans les régions de Mopti et de Ségou, la perception est tout autre : les habitants se disent déçus d’une présence jugée distante et trop bureaucratique. Certains estiment que les casques bleus n’ont pas su écouter les besoins des populations ni s’adapter à leurs priorités.

Depuis son départ, les Maliens oscillent entre fierté et inquiétude. Fierté, parce que la fin de la mission est perçue par une partie de l’opinion comme un acte de souveraineté retrouvée. Inquiétude, parce que l’État reste fragile et que la protection des civils repose souvent sur des initiatives locales. Dans plusieurs localités, Oxfam a observé la montée de comités de veille, de groupes de médiation et de collectifs de femmes qui préviennent les tensions ou réparent les liens entre communautés. Ces structures, parfois soutenues par des ONG, s’imposent comme des relais essentiels de la cohésion sociale.

Le rapport situe ce phénomène dans un contexte régional plus large. À travers tout le Sahel, la confiance envers les forces internationales s’est érodée. Les missions onusiennes, tout en ayant contribué à contenir la violence, ont fini par se heurter aux attentes de populations qui veulent désormais construire leur propre sécurité. Dans le même temps, les États revendiquent un contrôle total de leurs territoires, préférant miser sur des partenariats bilatéraux ou sur des forces régionales.

Oxfam conclut que le modèle actuel du maintien de la paix est à bout de souffle. Les populations ne rejettent pas l’idée d’une présence internationale, mais elles réclament d’être entendues. Pour beaucoup de Maliens, la paix ne viendra pas d’un mandat ni d’une base militaire, mais d’une écoute plus attentive et d’un soutien réel aux initiatives communautaires.

Au-delà des institutions, ce sont donc les habitants du Sahel qui, malgré la fatigue et les blessures, réinventent la paix à leur manière — avec les moyens du bord, et la volonté farouche de continuer à vivre.

Afrique : l’aide au développement subit des coupes historiques

Un rapport d’Oxfam daté du 8 août 2025, intitulé Changing Face of Aid in Africa : Outlook, failures, and reform potential, montre l’ampleur des réductions prévues dans l’aide publique au développement de l’Afrique par les bailleurs majeurs.

Le document signale que dix-sept donateurs membres du comité d’aide au développement de l’OCDE envisagent une réduction totale de 31,1 milliards USD dans leurs budgets d’aide pour l’Afrique en 2025. Parmi ces bailleurs, les États-Unis prévoient un retrait de l’ordre de 90 %, tandis que la France envisage une coupe d’environ 40%.
Plus globalement, d’autres estimations évoquent une baisse potentielle de 74 milliards USD de l’aide mondiale en 2025, soit près de 30 % des dotations d’aide publique au développement.
Le rapport insiste sur la concentration de la réduction de l’aide dans les secteurs critiques tels que la santé, la sécurité alimentaire et l’éducation.
Il rappelle que l’aide destinée aux pays les moins avancés est extrêmement faible. En 2023, elle représentait seulement 0,06 % du revenu national brut des pays donateurs du CAD, contre des engagements internationaux situés entre 0,15 et 0,20 %. Les chiffres relatifs aux inégalités soulignés dans d’autres rapports d’Oxfam font écho à cette situation. Entre 2018 et 2023, seuls 20 % des financements ont été dirigés vers des secteurs essentiels comme l’éducation, l’agriculture, l’assainissement et la protection sociale. Un rapport publié en juillet 2025 souligne que les quatre Africains les plus riches détiennent plus de richesse que la moitié de la population du continent. Depuis cinq ans, la richesse des milliardaires africains aurait progressé de 56 % ; celle des cinq plus riches a augmenté de 88 %.
À ces déséquilibres s’ajoutent des coûts élevés liés à la gestion de l’aide, qui réduisent son efficacité. Selon d’autres analyses, la part des fonds humanitaires versée directement à des organisations locales reste très faible ; les organisations de défense des droits des femmes reçoivent à peine 0,4 % de l’aide dédiée aux questions de genre. Sur le plan climatique, 70 % des financements sont attribués sous forme de prêts, ce qui alourdit la dette des pays les plus vulnérables.
Le rapport évoque aussi les pertes financières massives liées à des flux illégaux. Chaque année, le continent perd 88,6 milliards USD à ce titre, soit plus que l’ensemble des aides et investissements étrangers combinés.
Les données spécifiques au Mali ne figurent pas dans ce rapport, mais d’autres sources montrent des effets concrets des coupes budgétaires. Au Mali, le programme de littératie “Shifin ni Tagne”, financé par l’USAID à hauteur de 25 millions USD sur cinq ans, a été interrompu en 2025 à la suite d’une réduction de 90 % du financement. Ce programme touchait 20 000 jeunes et assurait le soutien de 1 000 établissements scolaires.