Soumaila Lah : « Le vrai chantier, c’est l’exemplarité du pouvoir »

Suite à la présentation du Plan d’Action Gouvernemental (PAG) 2025–2026 par le Premier ministre devant les membres du CNT, le 16 mai 2025, Soumaila Lah, chercheur-analyste, en livre une lecture lucide, critique et argumentée. Pour cet analyste indépendant, le vrai défi n’est pas d’accumuler les promesses, mais de garantir leur concrétisation, dans un contexte de tensions politiques persistantes.

La sécurité est de nouveau la grande priorité budgétaire. Est-ce soutenable ?

La défense et la sécurité ont toujours constitué les plus grosses poches budgétaires de l’État malien. Ce n’est pas nouveau et cela s’inscrit dans une continuité, avec des lois d’orientation et de programmation militaire, de réforme du secteur de la sécurité. Le gouvernement les considère comme prioritaires. Cependant, il s’agit là encore de prévisions. Leur exécution dépendra des capacités réelles à mobiliser les ressources. Si ces fonds ne sont pas disponibles, il faudra redéployer les moyens en puisant dans des secteurs jugés moins urgents, ce qui pourrait se faire au détriment de services sociaux déjà fragiles. L’équilibre budgétaire, dans un contexte aussi tendu, devient alors un enjeu majeur.

Les réformes annoncées (Relecture des lois, SIGRH) peuvent-elles garantir une meilleure gouvernance ?

Je ne le pense pas. Ce n’est pas une simple question de textes. Le vrai chantier, c’est l’exemplarité du pouvoir. Aucun logiciel, aucune relecture de loi ne remplace la volonté politique d’être exemplaire. Tant que ceux qui dirigent ne montrent pas l’exemple, les autres suivront difficilement. Revenir sur des textes déjà modélisés, vouloir tout changer sans raison claire, c’est parfois détourner l’attention, ou, pire, chercher à légitimer des desseins inavoués. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un pouvoir sobre, transparent et respectueux de la loi.

L’objectif agricole de 11 millions de tonnes est-il réaliste ?

C’est ambitieux, mais difficile à croire dans l’immédiat. Les capacités logistiques et techniques du pays sont encore mal connues. Il y a des aléas climatiques, des problèmes de distribution d’intrants. Et, surtout, on assiste depuis quelque temps à une inflation de promesses non suivies d’effets. Tant que les conditions ne sont pas réunies de façon concrète, cette projection reste une annonce politique parmi d’autres.

Peut-on croire à des élections transparentes bientôt ?

Je reste très sceptique. L’AIGE, bien qu’installée, ne dispose ni des moyens suffisants ni de l’autonomie nécessaire. On connaît les conditions floues de sa mise en place et ce flou persiste. Cela fait des années que le pouvoir répète les mêmes engagements, sans action concrète. Le Premier ministre a encore tenu un discours sans garanties, sans feuille de route claire. On est dans l’effet d’annonce, pas dans l’action réelle.

Plan d’action 2025-2026 : le Premier ministre Abdoulaye Maïga expose la feuille de route du gouvernement

Le Premier ministre, Dr. Abdoulaye Maïga, a présenté ce vendredi 16 mai 2025, devant le Conseil National de Transition (CNT), le Plan d’Action du Gouvernement (PAG) pour la période 2025-2026. À travers ce document, l’exécutif définit ses priorités pour renforcer la sécurité, améliorer les conditions de vie des populations, et poursuivre les réformes engagées dans le cadre de la Transition.

Le chef du gouvernement a indiqué que le PAG s’articule autour de huit axes majeurs, tirés de la lettre de cadrage du Président de la Transition, le Général d’Armée Assimi Goïta, en date du 27 novembre 2024. Ces axes concernent la sécurité, les réformes politiques et institutionnelles, la satisfaction des besoins fondamentaux, la santé, l’éducation, la stabilité sociale, la diplomatie et la préparation des élections.

Sur le plan sécuritaire, le gouvernement entend poursuivre la montée en puissance des Forces de Défense et de Sécurité à travers le recrutement de 15 000 militaires, la construction de nouveaux camps, l’acquisition de matériel moderne, ainsi que la création de plateformes opérationnelles et d’un hôpital militaire. Il est également prévu la sécurisation des axes routiers avec le renforcement des effectifs de la police et de la gendarmerie à hauteur de 9 000 agents.

Concernant les réformes politiques, le Premier ministre a rappelé la mise en œuvre progressive des dispositions de la Constitution adoptée en juillet 2023. Il a annoncé l’opérationnalisation du Système intégré de gestion des ressources humaines (SIGRH), la révision de la loi sur les associations et l’engagement du gouvernement dans la lutte contre la corruption et les atteintes aux biens publics.

Le troisième axe porte sur la réponse aux besoins essentiels. Le Premier ministre a mis en avant des mesures pour améliorer la sécurité alimentaire, notamment à travers la distribution gratuite de 17 666 tonnes de céréales à 1 115 000 personnes vulnérables, la reconstitution des stocks stratégiques, le soutien aux producteurs agricoles, et l’amélioration des capacités nationales de production. Le secteur de l’élevage bénéficiera de campagnes de vaccination et de soutien à l’insémination. Des importations sont également prévues pour stabiliser les prix des produits de première nécessité.

Dans le domaine de la santé, le PAG prévoit la construction de nouvelles infrastructures sanitaires, l’équipement de centres de santé, la mise en place de sept cliniques modulaires, d’un laboratoire P2, de trois centrales d’oxygène, et le renforcement de l’inclusion sociale à travers la prise en charge des populations vulnérables.

Sur le plan éducatif, des efforts seront déployés pour améliorer l’offre de formation, construire 85 écoles fondamentales et 11 lycées, et digitaliser les contenus pédagogiques. Un soutien est également prévu pour les établissements privés agréés et les universités publiques.

L’axe social du plan prévoit la poursuite du dialogue social, l’application des accords syndicaux, l’amélioration des conditions de vie des agents publics, et l’insertion professionnelle des jeunes. Le gouvernement annonce des milliers de stages et de journées de travail à haute intensité de main-d’œuvre, ainsi que des actions en faveur des personnes en situation de handicap.

En matière de diplomatie, le Premier ministre a réaffirmé l’engagement du Mali dans la Confédération des États du Sahel (AES), en vue d’une coopération renforcée avec le Burkina Faso et le Niger. Il a aussi évoqué les efforts en cours pour mobiliser les ressources extérieures, valoriser la diaspora et promouvoir le Mali dans les instances internationales.

Enfin, le gouvernement entend créer les conditions d’un processus électoral transparent et apaisé, en collaboration avec l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), à travers l’élaboration de textes juridiques adaptés et la prise en compte des aspects logistiques et sécuritaires.

Le Premier ministre a conclu son discours en insistant sur les principes de responsabilité, de redevabilité et d’exemplarité et a invité le CNT à approuver ce plan conçu dans un esprit d’écoute, de pragmatisme et de service à la Nation.