Nouvelle Constitution : Assimi Goïta va-t-il céder à la pression politique ?

Enclenché en juin 2022, le processus d’adoption d’une nouvelle Constitution, en remplacement de celle du 25 février 1992, se poursuit. Mais, à l’approche du référendum prévu pour mars prochain, de plus en plus d’acteurs politiques s’y opposent, appelant à un abandon du projet. Le Président de la Transition, déjà tourné vers la finalisation du texte de l’avant-projet de nouvelle Constitution, va-t-il céder à cette pression et surseoir à l’adoption de cette nouvelle Loi fondamentale du Mali ?

C’était l’une des recommandations fortes des Assises nationales de la refondation (ANR), fin 2021. L’adoption d’une nouvelle Constitution figure également dans le Plan d’action du gouvernement de transition approuvé par le Conseil national de transition en août 2021.

Mais, dès le départ, le sujet a toujours divisé la classe politique. Si le constat est unanime sur les limites de l’actuelle constitution et la nécessité de la réviser ou de la remplacer, les positions sont par contre très tranchées sur la période et le contexte de l’adoption d’une nouvelle Constitution et sur le contenu de l’avant-projet rendu par la Commission de rédaction en octobre dernier.

Vague d’oppositions

Au sein de la classe politique, quelques partis sont farouchement opposés à l’adoption d’une nouvelle Constitution. C’est le cas de Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS Faso Hèrè). Dans un communiqué, le 10 janvier 2023, le parti de l’ancien Premier ministre de transition de 1991, Zoumana Sacko, s’est une nouvelle fois insurgé contre l’adoption d’une « Constitution octroyée » dont le « peuple militant du Mali » n’a pas besoin.

« La CNAS-Faso Hèrè invite à nouveau les autorités issues du double coup de force militaire du 18 août 2020 et du 25 mai 2021 à renoncer définitivement et sans condition à leur entreprise antirépublicaine et antidémocratique de démolition de la Constitution démocratique, dont le Peuple malien s’est librement doté au prix des larmes, de la sueur et du sang, en tant qu’acquis essentiel de la lutte de plusieurs générations contre la dictature CMLN/UDPM », écrit le parti, pour lequel le retour à l’ordre constitutionnel doit se faire dans le « cadre inchangé de la Constitution adoptée le 12 janvier 1992 ».

Même son de cloche au parti FARE An Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, où l’on estime que toute révision de la Constitution actuelle devrait être limitée et rigoureusement encadrée par les dispositions déjà prévues. « Le parti FARE demande au Président de la Transition d’abandonner le projet de nouvelle Constitution en cours et l’invite à reprendre l’initiative en créant les conditions d’inclusivité autour des forces politiques et sociales pour une refondation réelle du Mali en crise », indique son  Secrétariat exécutif national.

Cette position est partagée par la plateforme politique « Espérance Nouvelle – Jigiya Kura » autour de la Codem de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Housseini Amion Guindo, qui avait demandé dès juillet 2022 aux autorités de transition de surseoir à la rédaction d’une nouvelle Constitution, en raison des « motivations floues » qui entouraient cette démarche. Pour ce regroupement politique, le contexte de « crise multidimensionnelle, où la sécurité des personnes et des biens est plus que jamais menacée », n’est pas propice à modification de la Constitution.

Pour la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Dicko, « aucune disposition du droit positif ne donne compétence au Président de la Transition pour prendre l’initiative de l’élaboration d’une nouvelle Constitution et de la faire aboutir par voie de référendum ».

Ballan Diakité, analyste politique, pense que plusieurs facteurs expliquent les appels à l’abandon du projet qui se multiplient. « D’abord, les partis politiques ne sont pas rassurés par le contenu du texte de la nouvelle Constitution. Ensuite, au-delà du contenu, je pense qu’il y a un climat défavorable entre les partis politiques et les militaires au pouvoir. On sait que depuis le début de la Transition les militaires ont tout fait pour écarter les partis politiques de la gestion du pouvoir, ce qui a conduit à l’instauration d’une méfiance entre les deux parties », analyse-t-il.

Pour autant, selon lui, le Président de la Transition ne doit pas surseoir au projet d’adoption de la nouvelle Constitution mais plutôt établir un cadre de dialogue plus sincère avec les partis politiques, plus participatif, de sorte que leurs préoccupations puissent être prises en compte dans l’élaboration du nouveau texte.

« En  période de mandature normale, le Président qui va conduire cette révision de la Constitution risque de revoir son mandat présidentiel repartir à zéro. Pour éviter des tensions sociopolitiques dans les années à venir, il est important que la Transition puisse conduire cette révision de la Constitution ».

Revoir l’avant-projet

Certains partis politiques sont favorables au principe d’adoption de la nouvelle Constitution mais ont relevé des insuffisances dans le texte de l’avant-projet et apporté d’importants amendements, sur la forme et le fond, qu’ils entendent soumettre à la Commission chargée de la finalisation du projet.

« Nous pensons que la période de transition est la période idéale pour aller vers une nouvelle Constitution. Pour l’APR, la Constitution du 25 février 1992 a atteint ses limites au cours de ces dernières années et n’a pas permis d’apporter des atténuations aux crises répétitives qu’a connues le Mali. Elle doit être réformée pour faire face aux circonstances changeantes du moment et tenir compte de l’évolution de la société et de la matière constitutionnelle », clame Oumar Ibrahim Touré, Président de l’Alliance pour la République (APR).

Le parti a relevé les dispositions encourageantes contenues dans l’avant-projet, à l’instar de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les citoyens, la révocation du Premier ministre sans que celui-ci ne présente sa démission ou encore la fixation du nombre de membres du gouvernement au maximum à 29.

Mais l’APR pointe des dispositions « problématiques », comme le « bicamérisme inégalitaire » et la disparition du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale, un risque de constitutionnalisation des coups d’État jugé « dangereux ». Il souligne en outre plusieurs dispositions manquantes, parmi lesquelles « l’absence d’un mécanisme de révision parlementaire » ainsi que de « démocratisation dans la saisine de la Cour constitutionnelle » et la « non constitutionnalisation des candidatures indépendantes ».

De son côté, la Coalition des forces patriotiques (COFOP), regroupement de partis politiques, propose entre autres que le poste de Premier ministre soit remplacé par celui d’un Vice-président, élu au même titre que le Président de la République, qui peut exercer le pouvoir en cas d’empêchement de ce dernier, que le Conseil économique, social, culturel et environnemental soit supprimé ou encore qu’avant leur nomination par le Président de la République les postulants à une responsabilité ministérielle présentent et défendent avec succès un « projet de société relatif au poste qu’ils désirent occuper ».

L’Union pour la République et la Démocratie (URD) affiche également son accord avec le gouvernement de transition pour l’adoption de la nouvelle Constitution. « Au Mali, toutes les Constitutions ont été faites dans des situations exceptionnelles. Aujourd’hui, nous sommes dans une transition et il est mieux pour nous de trouver la solution maintenant pour faire passer cette Constitution que d’attendre une prochaine fois », déclare son Président, Gouagnon Coulibaly.

Une finalisation très attendue

Beaucoup d’espoirs d’aboutir à un projet de Constitution consensuel reposent désormais sur la Commission chargée de la finalisation du projet, où les politiques souhaitent la prise en compte effective de leurs différentes suggestions et recommandations.

Créée par décret présidentiel le 19 décembre 2022, cette Commission, qui a pour mission d’examiner et d’amender, le cas échéant, l’avant-projet de Constitution, sera composée de 51 membres, parmi lesquels des représentants du Président de la Transition, du gouvernement, du CNT, des partis et regroupements politiques, des organisations de la société civile et du Conseil national des jeunes, entre autres.

Les membres de cette Commission n’ont pas encore été nommés. Selon nos informations auprès de quelques structures qui doivent la composer, ces dernières n’ont pas encore été sollicitées pour envoyer les noms de leurs représentants.

Comme lors des trois tentatives de révision constitutionnelle par le passé (1999, 2008 et 2017) qui n’ont pas abouti, le Président de la Transition va-t-il reculer devant les opposants ? Pour l’heure, aucun signe ne laisse présager d’un abandon du processus d’adoption de la nouvelle Constitution.

Selon une source proche du gouvernement, les autorités de la Transition ne sont pas dans l’optique d’y renoncer. « Elles peuvent essayer de discuter et de prendre en considération quelques amendements, mais le projet en soi ne sera pas abandonné ». Le ministre d’État Abdoulaye Maïga a clairement affiché le 12 janvier dernier, lors de la rencontre du Cadre de concertation avec les partis politiques, l’intention du gouvernement de poursuivre et d’achever l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale avec l’organisation du référendum.

« Je voudrais dire à ceux qui pensent qu’il faut surseoir au référendum que c’est hors mandat. L’idée d’avoir une nouvelle Constitution est antérieure à la transition. Le DNI (Dialogue national inclusif) en a parlé. Bien avant le DNI, nous avons d’anciens Chefs d’État qui ont essayé de le faire. Cela n’a pas abouti. Les ANR l’ont très clairement mentionné. Je pense que la vision politique du chef de l’État est d’appliquer systématiquement, autant que faire se peut, toutes les recommandations des ANR », a-t-il clarifié, insistant sur le fait que la Transition « ne peut pas laisser le soin à un parti politique d’entraver ce processus ».

Mais, comme pour illustrer le peu d’engouement de la classe politique sur le sujet, seulement 50 partis politiques sur 281 saisis par le ministère de l’Administration ont pris part à cette rencontre.  Certains analystes n’excluent pas la possibilité de création d’un grand bloc de partis politiques pour empêcher le référendum, qui, au vu du retard accusé, pourrait faire l’objet d’un glissement de date.