Transition : le réveil des partis politiques ?

Longtemps silencieux concernant la Transition, certains partis et regroupements politiques redonnent de la voix. Depuis la fin de la période transitoire, le 26 mars 2024 conformément au décret No2022-003/PT-RM du 6 juin 2022 en fixant la durée à 24 mois, ils montent au créneau pour exiger des autorités la tenue rapide de l’élection présidentielle qui mettra un terme à la Transition. Mais feront-ils le poids face à un pouvoir bien assis et qui semble avoir relégué au second plan un retour à l’ordre constitutionnel ?

Avalanche de réactions au sein de la classe politique. Depuis le 26 mars 2024, date à laquelle était censée prendre fin la Transition, certains partis et regroupements politiques montent au créneau pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel.

Dans une déclaration anticipée, le 25 mars, le RPM, après avoir invité les autorités de la Transition au respect des engagements souverainement pris devant la communauté nationale et internationale, appellait à la « mise en place de toute urgence d’un nouveau mécanisme transitionnel pour un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai de 6 mois ».

De leur côté, le M5-RFP Malikura et Yelema recommandent en urgence une concertation avec les responsables des forces vives nationales, pour redéfinir le contour et les objectifs et identifier les acteurs d’une nouvelle transition courte. « Le M5-RFP Mali Kura et le parti Yelema « le Changement » sont convaincus qu’après 3 ans et 8 mois de report en report provoqué, la Transition ne saurait aux forceps s’éterniser », ont dénoncé les deux entités dans une déclaration commune le 26 mars.

Dans la même veine, l’Adema-PASJ a lancé le 27 mars 2024 un « appel vibrant » aux autorités de la Transition pour « accélérer le processus devant conduire à la tenue de l’élection présidentielle qui mettra fin à la Transition ». Le parti, dans une  déclaration, estime que le « silence prolongé » des autorités de la Transition sur le chronogramme électoral suite au léger report de la date des élections « ne participe nullement à l’apaisement du climat sociopolitique ni à la consolidation de la cohésion sociale chère à tous les Maliens démocrates et républicains ».

L’Action républicaine pour le Progrès (ARP), pour sa part,  dans un mémorandum en date du 27 mars, appelle à la démission immédiate du gouvernement et à la mise en place d’un Exécutif d’union nationale dans le cadre d’un nouveau dispositif de transition véritablement inclusif. L’Alliance politique dirigée par l’ancien ministre Tiéman Hubert Coulibaly propose également de fixer une « date consensuelle raisonnable » pour l’élection présidentielle qui marquera le retour du Mali dans la normalité institutionnelle.

Actions 

Au-delà de leurs différentes réactions initiales, plusieurs partis et regroupements politiques, ainsi que des organisations de la société civile, ont réitéré leur position dans une déclaration commune le 31 mars 2024. « Nous demandons aux autorités en place, au regard du vide juridique et institutionnel ainsi provoqué, de créer les conditions d’une concertation rapide et inclusive pour la mise en place d’une architecture institutionnelle, à l’effet d’organiser dans les meilleurs délais l’élection présidentielle », indique la déclaration signée de près d’une centaine de partis politiques parmi lesquels, entre autres,  l’Adema-PASJ, le RPM, la Codem, l’ASMA-CFP, les Fare An Ka Wuli, le parti Yelema et l’UDD.

En plus d’attirer l’attention du gouvernement sur la fin de la Transition, conformément à l’article 22 de la loi No2022-001 du 25 février 2022 révisant la Charte de la Transition et au décret No2022-0335/PT-RM du 06 juin 2022 fixant le délai de la Transition à deux ans, ces partis avertissent qu’ils utiliseront « toutes les voies légales et légitimes pour le retour de notre pays à l’ordre constitutionnel normal ».

Le 28 mars dernier déjà, la Référence syndicale des magistrats (REFSYMA) et l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP), toutes deux membres de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali, signataire de la déclaration du 31 mars 2024, avaient déposé une requête devant la Cour constitutionnelle. Les deux structures demandent à la juridiction de « constater la vacance de la présidence de la Transition, de prononcer la déchéance de tous les organes de la Transition et d’ordonner l’ouverture d’une nouvelle transition à vocation de rassemblement et réconciliation », incluant toutes les composantes de la Nation, y compris l’armée républicaine, avec comme missions principales assignées l’organisation des élections en vue du retour à l’ordre constitutionnel.

À en croire Alassane Abba, Secrétaire général de la CODEM, tous les partis, regroupements politiques et organisations de la société civile se réuniront dans les prochains jours pour la mise en place du Comité de suivi de la Déclaration commune du 31 mars et pour se mettre d’accord sur les futures actions à mener.

« Sûrement que nous allons mener d’autres actions pour avoir gain de cause, parce que je ne vois pas le gouvernement tout d’un coup accéder à notre demande, compte tenu du fait qu’ils sont aussi dans leur logique. Le Premier ministre l’a dit et on le sent à travers les propos de beaucoup d’entre eux, les élections ne sont pas d’actualité », confie celui qui n’exclut pas par ailleurs parmi des futures actions la désobéissance civile. « C’est la première des choses à laquelle nous pensons », glisse M. Abba.

Bloc d’opposition ?

Depuis le début de la Transition, des plateformes opposées à la gestion des autorités se sont constituées, sans pour autant parvenir à inverser les rapports de force en leur faveur. Que ce soit le Cadre d’échange des partis et regroupements pour un retour à l’ordre constitutionnel, l’Appel du 20 février pour sauver le Mali ou encore, plus récemment, la Synergie d’action pour le Mali, elles peinent toujours à peser  face aux militaires au pouvoir.

Mais pour la première fois, ces trois plateformes, même si la Synergie d’action pour le Mali n’est pas signataire en tant qu’entité mais est représentée par Espérance Jiguiya Kura, se mettent ensemble pour mener des actions communes. Au-delà de la déclaration commune et d’éventuelles futures actions, l’initiative pourrait-elle aboutir à la formation d’un bloc d’opposition à la Transition solide ? Pour le Secrétaire général de la Codem, cela ne semble pas évident.

« Les partis ont signé, mais ils n’ont pas les mêmes positions. Certains ont signé juste parce qu’ils se sont d’accord pour le retour à l’ordre constitutionnel. Mais de là à faire un bloc d’opposition, ce n’est pas aisé. Les partis n’ont pas les mêmes visions. L’opposition suppose qu’il y ait un chef de file et il n’est pas facile de le dégager dans ce contexte », concède Alassane Abba.

Par ailleurs, selon certains observateurs, le succès même des actions communes annoncées des partis, regroupements politiques et organisations de la société civile signataires de la déclaration du 31 mars 2024 n’est pas garanti. « Il sera très difficile pour ces partis de mener des manifestations qui puissent aboutir à quelque chose de probant. Le pouvoir en place semble décidé à ne laisser émerger aucune forme de contestation », glisse un analyste.

« Quand la Synergie d’action pour le Mali a voulu mener ses activités, elles ont été tout simplement interdites pour motif de sécurité par la Délégation spéciale du District de Bamako. Je pense que les autorités vont brandir les mêmes motifs pour interdire également toute manifestation de la nouvelle dynamique des partis et regroupements politiques qui est en train de se mettre en place », prédit-il.

ASMA-CFP : la vie sans Soumeylou Boubeye Maïga

L’An I du décès de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga rappelle l’immensité de l’homme et les défis que son parti doit relever pour continuer d’exister après lui.

Cela fait un an que le « Tigre de Badala » ne rugit plus. En prison depuis août 2021, accusé entre autres de « faux et usage de faux et d’atteinte aux biens publics dans l’affaire de l’acquisition de l’avion présidentiel et des achats d’équipements militaires », l’état de santé de Soumeylou Boubeye Maiga s’était sévèrement dégradé durant sa détention. Il est décédé le 21 mars 2022 à Bamako dans la clinique où il était hospitalisé depuis décembre 2021, sans jamais avoir été jugé. Le chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, invité à prendre la parole lors de la 3ème Conférence nationale du parti, le 11 mars dernier, a affirmé que Soumeylou Boubeye Maïga avait été « assassiné ». Convoqué le 13 mars par la police, il a par la suite été placé sous mandat de dépôt par le Parquet de la Commune IV pour « simulation d’infraction ».

Les militants de l’ASMA-CFP, qui évitent de s’exprimer sur cette dernière affaire, indiquent « rester unis, debout et plus que jamais déterminés » à œuvrer pour que le parti continue de « peser » sur l’échiquier politique malien. Une volonté qui, selon des analystes, ne sera pas simple à matérialiser.

« Il y a la culture de la personnification des partis politiques au Mali. Et l’ASMA ne fait pas exception à cela. La disparition de l’ancien Premier Ministre fait que le parti se retrouve dans une situation un peu délicate, dans la mesure où toute la question qui se pose c’est la pérennité du parti. Il n’est pas évident qu’il puisse trouver en son sein quelqu’un de charismatique et qui dispose des moyens financiers et intellectuels nécessaires pour faire face au vide qu’il a laissé », craint l’analyste politique Ballan Diakité. Outre l’absence de figure charismatique, le spécialiste met aussi l’accent sur la non représentativité du parti sur tout le territoire du Mali.

Une dissension interne risque également d’obscurcir l’horizon de l’ASMA. Le 2 mars dernier, le 3ème Vice-président, Aboubacar Ba, et le Secrétaire général adjoint, Boubacar Traoré, ont été suspendus « pour leurs initiatives et attitudes qui sont de nature à compromettre le parti et à porter atteinte à son image », a justifié l’ASMA dans un communiqué.

Pour le Secrétaire général du parti, Issa Diarra, « au-delà de tout ce qui s’est passé », le parti a su prendre un nouveau départ, avec de nouvelles ambitions. « Contrairement à ce que beaucoup de gens auraient pensé, la disparition de notre Président a requinqué beaucoup de militants et nous a donné beaucoup plus de courage pour ne pas baisser les bras. Nous sommes dans cette optique », assure-t-il.

Unité

Même après le décès de son Président, le parti essaye de jouer des coudes pour rester présent sur la scène politique. Avec le Cadre des partis et regroupements politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel, dont il est l’un des principaux initiateurs, l’ASMA-CFP a participé aux différents ateliers et forums sur les réformes politiques et constitutionnelles organisés par les autorités de la Transition. Mais le manque de vigueur dans ses prises de positions ne réjouit pas tout le monde au sein de cette entité.

« Dès les premières heures de la Transition le parti s’est engagé dans une dynamique de soutien en vue de relever les défis sécuritaires et d’aboutir à un retour à l’ordre constitutionnel normal, à travers l’organisation d’élections justes, transparentes, crédibles dans un esprit de consensus et d’inclusivité », rappelle Amadou Baba Cissé.

L’ASMA se projette déjà pour les prochaines élections, si les dates sont tenues. Lors de sa première participation aux élections communales, en 2016, sur 185 partis qui s’étaient présentés, il était sorti 7ème, avec 300 conseillers et 14 maires. « Nous avons eu également 4 députés élus lors des législatives qui ont suivi. Mais nous ne nous satisfaisons pas trop de cela. Nous comptons travailler pour tirer ce parti encore plus vers le haut », indique le Secrétaire général Issa Diarra. Mais autre temps, autre contexte, puisque Soumeylou Boubeye Maiga vivait encore à ces dates et que son influence, renforcée après son passage à la Primature, lui avait permis de propulser haut le parti.

Soumeylou Boubeye Maïga : où en est sa demande d’évacuation ?

Après son placement sous mandat de dépôt, le 26 août 2021, la santé de Soumeylou Boubeye Maiga s’est détériorée au fil des mois, selon ses proches. Suite à plusieurs demandes de sa famille et de ses avocats, l’ancien Premier ministre a été transporté d’urgence le 15 décembre 2021 dans une clinique privée de Bamako. Par la suite, la demande d’évacuation vers l’étranger demandée par son équipe médicale est restée jusque-là sans réponse favorable.

Dans un communiqué, le 23 décembre 2021, la famille de Soumeylou Boubeye Maïga alertait sur la grave détérioration de son état de santé et interpellait les autorités à différents niveaux pour qu’elles répondent à l’urgence de donner leur accord et d’éviter à tous une « situation irréparable ».

Elle faisait savoir par la même occasion que le rapport établi par l’équipe médicale, dont les autorités étaient saisies, soulignait que son pronostic vital était engagé à court terme. « L’équipe médicale pluridisciplinaire qui l’a pris en charge, à la suite de différents examens, a fait le constat de la gravité de son état et conclu à l’impérieuse nécessité de son évacuation à l’étranger afin de pouvoir procéder aux examens complémentaires indispensables à son traitement et nécessitant un plateau technique adapté, inexistant au Mali ».

Statu quo

Suite à cette demande d’évacuation, la justice a demandé une contre-expertise concernant le rapport établi par l’équipe médicale de Soumeylou Boubeye Maïga et un Conseil de santé relevant du gouvernement a été mis en place. Il s’est réuni le 15 janvier 2022 et a rendu ses conclusions, lesquelles, à en croire Issa Diarra, le Secrétaire général de l’ASMA-CFP, formation politique que préside Soumeylou Boubeye Maïga, confirment celles du premier rapport établi par l’équipe médicale.

« Même si ce rapport n’est pas officiel, l’information a été donnée aux plus hautes autorités pour les dispositions à prendre. Cela fait quelques jours, mais il n’y a pas encore eu de réponse. La demande d’évacuation reste stationnaire », confie M. Diarra.

« Ampliation du rapport a été faite au Premier ministre et au Président de la transition mais il n’y a pas eu de suite. C’est vrai qu’il y a des aspects politiques dans cette affaire et je pense que ce n’est pas seulement l’administration sanitaire qui va avoir le dernier mot. À mon avis, c’est à ce niveau qu’il y a un blocage », poursuit celui qui plaide pour que la situation de l’ancien Premier ministre soit vue sous un aspect humanitaire et sanitaire. Les autorités de la transition se refusent à tout commentaire sur le sujet.

« À notre avis, si on lui reproche des choses économiques, tout le monde aura intérêt à ce qu’il soit en bonne santé pour en répondre devant la justice. Mais aujourd’hui nous nous demandons qui a intérêt à ce qu’il ne se rétablisse pas pour que la vérité ne jaillisse pas », soupire le Secrétaire général.

À l’en croire, l’état de santé du Président de l’ASMA-CFP est toujours préoccupant un mois et demi après son admission en clinique, même s’il reconnaît que cette hospitalisation permet de stabiliser un peu son état.

Appel aux autorités

Depuis le début, de l’incarcération de Soumeylou Boubeye Maïga jusqu’à la détérioration de son état de santé, son parti a multiplié les manifestations de soutien à son égard et alerté maintes fois sur l’urgence de son évacuation sanitaire vers l’étranger.

Outre le Président de la transition et le Premier ministre, les responsables du parti ont interpellé les Présidents des différentes institutions du Mali, les leaders politiques et religieux, les familles fondatrices de Bamako et toutes les autorités morales pour s’impliquer activement afin que la demande d’évacuation sanitaire aboutisse.

« Tant qu’il est malade, nous n’allons pas l’oublier. Nous demanderons toujours ce qu’il y a lieu de faire. Nous exploiterons toutes les voies et moyens possibles pour qu’on puisse le soigner », affirme Issa Diarra

Pour rappel, Soumeylou Boubeye Maïga, incarcéré dans l’affaire dite de détournement des équipements militaires et l’achat de l’avion présidentiel, attend toujours son procès.

Assemblée nationale : Jeux et enjeux de la 6ème législature

Alea jacta est. Le renouvellement tant attendu de l’Assemblée nationale est désormais acté. La nouvelle législature devrait très bientôt remplacer la 5ème, six ans après. La nouvelle composition de l’Hémicycle, selon les résultats provisoires du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, ne présente pas de changements majeurs pour les forces politiques en présence. Mais d’autres aspects, liés, entre autres, à la cohabitation, au fonctionnement même de l’Assemblée nationale et à l’orientation des débats sur les réformes en attente au cours de cette 6ème législature suscitent des interrogations.

43 députés pour le RPM, 23 pour l’Adema, 19 pour l’URD, et 11 pour le MPM. Tel se présente le nouveau quatuor de tête à l’Hémicycle. Ensuite suivent l’Asma-CFP et l’ADP-Maliba, avec 8 députés chacun, la Codem avec 6 élus, et l’UDD, Yelema ainsi que le PRVM Fasoko, qui auront chacun 4 représentants dans la nouvelle Assemblée nationale. D’autres partis comme le Parena, Sadi, le PDES ou encore l’UM-RDA complètent le tableau.

Des résultats qui n’augurent pas de réels changements au sein du Parlement, selon plusieurs analystes politiques. « Le premier constat est que la majorité se maintient. On aurait pu croire que l’opposition, après tant de bruits et de gesticulations, allait tirer beaucoup plus d’avantages de ces législatives, mais elle n’a pas percé. L’URD a tenté de résister, mais il y a d’autres partis qui ont complètement disparu. Ce qui me fait penser que, jusqu’à preuve du contraire, l’Adema originelle tient toujours la dragée haute au plan politique national », relève Salia Samaké, analyste politique.

Pour le politologue Boubacar Bocoum, il aurait été souhaitable qu’il y ait une force qui s’oppose au régime et donne une certaine impulsion pour que les choses aillent dans un autre sens. « Malheureusement, dès lors que le RPM est finissant, les partis qui s’inscrivent dans la logique de l’accompagner sont également vers la sortie. Ils n’ont donc pas d’autres choix que d’accompagner le régime pour que le Président IBK finisse tranquillement son mandat. Dans la configuration globale de l’Assemblée, il n’y aura pas de changement majeur, parce qu’il n’y aura pas de force réelle qui puisse s’opposer à la majorité », déplore-t-il.

Le RPM recule

Le parti présidentiel caracole toujours en tête en termes de nombre de députés élus à l’Assemblée nationale. Mais, comparativement à 2013 où il avait été largement plébiscité dans les différentes circonscriptions et avait obtenu 66 sièges, le RPM est cette fois en net recul, surtout à Bamako. 1 seul siège arraché sur les 14 à pourvoir dans la capitale, contre 9 il y a un peu plus de 6 ans.

Une régression que l’analyste politique et chercheur au CRAPES Ballan Diakité met sur le compte de l’insatisfaction de la majorité du peuple malien vis-à-vis de la gouvernance actuelle, les élections législatives n’étant pas séparées de la gestion politique générale du pays. « Le recul du RPM durant ces législatives peut d’abord s’expliquer par la non satisfaction des citoyens de la gouvernance d’IBK. Dans un deuxième temps, cet échec relatif est aussi dû à l’incapacité du parti à remobiliser ces électeurs. Quand les électeurs ne sont pas mobilisés, il est difficile d’asseoir une victoire écrasante, même si on est le parti au pouvoir », analyse-t-il.

Selon lui, il faut aussi pointer le relâchement du Président de la République lui-même vis-à-vis de sa propre formation politique, dû notamment au fait que son pouvoir tend vers la sortie et  qu’il ne peut constitutionnellement pas briguer de 3ème mandat.

Nouveau rapport de forces?

Pour la formation de la nouvelle majorité à l’Hémicycle, le RPM pourra compter sur certains de ses alliés politiques, au premier rang desquels l’Adema et le MPM. Mais pour les autres partis actuellement membres de la convention de la majorité et signataires de l’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019, rien n’indique qu’ils vont continuer dans cette direction.

Pour les analystes, tout dépendra des capacités des partis ayant des représentants à l’Assemblée nationale à former des groupes parlementaires, mais surtout de leurs stratégies d’alliances ou de coalitions, en fonction d’intérêts politiques pour l’heure non encore définis.

« Pour le moment, tout cela n’est pas encore dévoilé. Mais on sait que dans notre système politique l’Exécutif a toujours une certaine mainmise sur l’Assemblée nationale. Je pense donc que le rapport de forces, s’il doit y en avoir, ne sera pas en défaveur du régime en place », indique Ballan Diakité.

Toutefois, à en croire l’analyste politique Salia Samaké, dans le contexte malien, après les législatives il y a des appétits qui s’aiguisent. Si certains partis politiques aujourd’hui membres de la convention majoritaire qui ont eu un nombre important de députés ne sont pas associés à la gouvernance, il n’est pas exclu qu’ils se démarquent.

« Si cela se passe ainsi, la majorité risque d’être fragilisée. Le RPM va devoir jouer très fin, sur le fil, pour ne pas provoquer cette fragilisation. Il n’a plus la capacité d’en imposer aux autres », pense M. Samaké

« En la matière, le combat risque d’être serré et il va falloir que le parti présidentiel bataille dur pour conserver cette majorité afin de pouvoir travailler. Ce qui, aujourd’hui n’est pas très évident, parce que les uns et les autres, après avoir engagé autant de moyens dans les élections, s’attendent à des retours », ajoute-t-il.

Un point de vue que ne partage pas Boubacar Bocoum, pour lequel, aujourd’hui, tous les partis politiques tournent autour du RPM. Il n’y aura donc pas de réelle démarcation vis-à-vis de ce parti à l’Assemblée nationale.

« Ces partis ont eu peur de s’opposer à l’organisation des élections dans le contexte que nous connaissons, juste pour ne pas que la machine les lâche. Cela veut dire qu’ils vont forcément chercher des équilibres à l’Assemblée. Il n’y a pas d’opposition fondamentale politiquement viable pour le Mali aujourd’hui », avance le politologue.

Réformes enfin effectives ?

Cette 6ème législature est fortement attendue pour l’adoption de différentes réformes institutionnelles et administratives, notamment la révision de la Constitution de 1992 et la relecture de certains paragraphes de l’Accord pour la paix dont l’application est bloquée en partie par la non effectivité des réformes.

Le 1er avril 2019, un comité d’experts chargé de la révision constitutionnelle avait  remis au Président de la République un nouveau projet comportant certaines propositions comme, entre autres, la création d’un Sénat, la redéfinition des rôles du Président de la République et du Premier ministre au sein de l’Exécutif , la mise en place d’une Cour des comptes, conformément au traité de l’UEMOA, ainsi que le réaménagement des attributions, des règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour suprême, de la Cour constitutionnelle et de la Haute cour de justice.

Le document prenait également en compte des propositions des précédentes tentatives de révision constitutionnelle, des clauses de l’Accord pour la paix et la réconciliation qui relèvent de la matière constitutionnelle et d’autres aménagements devant être apportés à la Constitution vu l’évolution du contexte institutionnel et juridique du pays.

Ce projet de loi, qui attendait d’être soumis à une Assemblée nationale légitime, le sera donc très certainement dans les prochains mois. Et si son adoption passe à l’Hémicycle, ce qui d’ailleurs ne devrait pas souffrir de contestations majeures, vue sa nouvelle configuration, toujours favorable à la majorité présidentielle, selon les analystes, il reviendra au peuple malien de trancher lors du référendum qui s’ensuivra.

« Même les grandes figures de l’opposition sont d’accord sur le principe des réformes, mais il y a débat sur des questions d’ordres temporel et structurel. C’est donc surtout la position des citoyens qui va être déterminante, pas celle des partis politiques. Tout va dépendre des positions des uns et des autres mais aussi de la dynamique qui sera enclenchée par la société civile », tempère Ballan Diakité.

Partis politiques : Faire face à la prolifération

Près de 200 partis politiques existent au Mali, selon les chiffres  du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. Mais, sur ce nombre, seuls quelques uns émergent du lot et sont représentatifs sur l’échiquier politique national. Face à cette prolifération, qui s’accentue, des voix s’élèvent de plus en plus pour une meilleure régulation des regroupements politiques.

Si le vent du multipartisme qui a soufflé sur le pays dans les années 90 a contribué à l’émergence d’un pluralisme salué dans le  débat politique, il a également favorisé la floraison des partis politiques, dont la plupart, sans réelles ambitions de conquête et d’exercice du pouvoir, s’activent plutôt pour d’autres intérêts.

« Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment d’idéologie politique au service d’une vision. Cela a conduit à une privatisation de l’action politique, en ce sens qu’il n’y a pas de vrai militantisme. Les gens n’adhèrent plus aux partis par conviction », estime Isaac Dakono, coordinateur par intérim de l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique Mali (ARGA- Mali).

Durcir les conditions ?

« Personne ne veut être dirigé par un autre et, comme notre Constitution le permet, chacun crée son propre parti politique », constate Cheick Diallo, deuxième Secrétaire à l’administration du bureau politique national de l’ASMA CFP. Pour arrêter la prolifération, il faut selon lui que l’État mette en place des pré requis pour la création des partis politiques.

« Il faut étudier la moralité de ceux qui créent les partis politiques et exiger que les leaders aient un certain niveau intellectuel. Ce serait bien également de placer très haut le montant financier requis pour la demande de récépissé », propose M. Diallo, car, soutient-il, la crise politique que connait le Mali est l’une des conséquences de cette prolifération des formations politiques.

« Un parti politique doit être représentatif sur toute l’étendue du territoire et non seulement dans une région. Le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation doit veiller au respect de l’ensemble des critères avant de délivrer le récépissé », souligne Mme Maiga Oumou Dembélé, porte-parole du Cadre de concertation des femmes des partis politiques du Mali.

Mais, pour M. Dakono, même s’il n’est pas mauvais d’avoir plusieurs partis politiques dans une démocratie représentative, la question essentielle est au niveau de leur mission. « Cette pluralité peut être envisagée sous forme d’indicateur en démocratie et la conquête ainsi que l’exercice du pouvoir doivent y ressortir », conclut-il.

Motion de censure : Quelles conséquences pour la majorité ?

Des groupes parlementaires membres de la majorité et de l’opposition ont déposé mercredi à l’Assemblée nationale une motion de censure commune  contre le gouvernement de Soumeylou Boubeye Maiga. Le vote devait intervenir après la réaction du gouvernement, dans les  48 heures qui suivaient. Quelles répercussions aura une telle action sur la majorité présidentielle ? 

Les yeux sont désormais rivés vers l’Hémicycle, jusqu’à la fin de la semaine. La motion de censure contre le gouvernement, portée désormais par le Rassemblement pour le Mali (RPM) a été déposée mercredi. Ce veto concocté par ce noyau dur de la majorité présidentielle suscite un grand remue-ménage au sein de l’alliance. Pour acculer le Président, qui refuse de faire partir son Premier ministre, le parti présidentiel comptait bien faire front commun avec le groupe Vigilance républicaine démocratique (VRD), piloté par l’Union pour la République et la Démocratie (URD).  « Je crois qu’il y aura une mise en commun pour faire une interpellation commune.  Ça sera un exercice inédit ici à l’Assemblée, parce que généralement c’est l’opposition seulement qui déposait des motions contre le gouvernement », se réjouissait l’Honorable Bakary Woyo Doumbia, membre de l’URD. Un acte qui semble pourtant surprenant. « On peut comprendre que l’opposition dépose une motion de censure, mais que la majorité le fasse est inédit », estime l’analyste politique Salia Samaké. « Le Premier ministre a été choisi au sein de la majorité. Le Président de la République est le père fondateur du parti qui est majoritaire dans la majorité. Soit le Président a laissé faire cette motion, soit c’est une fronde contre lui », explique l’analyste.

Cette motion intervient dans un contexte où le chef du gouvernement est rejeté par une frange importante de la population, dont beaucoup d’adhérents à certains groupes religieux. Tous mettent en cause sa façon de gouverner. « Une motion intervient lorsque l’on constate l’incapacité du gouvernement à faire fonctionner les institutions, à servir la population. C’est à ce moment qu’il faut donc, sans complaisance, déposer une motion de censure. Et le gouvernement est  remplacé par un autre, plus compétent », se justifie le député de l’URD Bakary Woyo Doumbia.

Dans la recherche d’une ultime solution à cette situation, une délégation du RPM, conduite par le Vice-président de l’Assemblée, l’Honorable Moussa Timbiné, avait rencontré  le mardi 16 avril le président de la République. Il s’agissait de lui « notifier que ce gouvernement avait atteint ses limites ». « Si le Président leur a dit quelque chose qui tient, ils vont revoir leur copie, mais s’il est resté dans la logique de maintenir le Premier ministre, ils  assumeront leurs responsabilités », dit Demba Coulibaly, Vice-président de la jeunesse RPM. « C’est la marche organisée par les religieux le 5 avril qui a le plus compliqué la donne. Il faut aujourd’hui aller avec le peuple », explique-t-il.

Quelles incidences ? 

Pourtant, contre vents et marées, le Président IBK s’accroche encore à son Premier ministre. Et que cette motion soit adoptée ou non, la majorité présidentielle en sortira très affectée. « Il y a des pro et des anti motion de censure au sein  même de la majorité, ce qui crée la division. Mais je pense que les gens seront assez démocrates, car après le vote c’est la majorité qui l’emportera », observe l’honorable Bakary Woyo Doumbia. Certains spéculent même sur une dissolution de l’Assemblée nationale si les députés forcent la main au Président de la République. « On ne peut pas encore prédire les conséquences. Certains disent que le Président pourrait dissoudre l’Assemblée, mais nous ne pensons pas qu’il ira jusqu’à là. Parce que s’il dissout l’Assemblée, avons-nous les moyens financiers d’organiser des élections législatives dans les 40 jours, de Kayes à Taoudeni, dans cette situation d’insécurité ? », s’interroge le Vice-président de la jeunesse du parti présidentiel.

Quoi qu’il en soit, le fossé est déjà creusé entre l’ASMA-CFP, le parti du Premier ministre, et le RPM. « Il y a une probabilité que la majorité souffre de cette situation, car le parti du Premier ministre est important dans l’alliance autour du Président. S’ils vont jusqu’au vote, qu’ils gagnent ou pas, cela leur  donnera à réfléchir », prédit Salia Samaké.

L’énigmatique Soumeylou Boubeye Maïga

Depuis sa nomination à la tête du gouvernement fin décembre 2017, et sa reconduction après la réélection du président Ibrahim Boubacar Keïta, en août 2018, le président du parti ASMA-CFP, Soumeylou Boubeye Maïga, est sous le feu des projecteurs. Acteur du mouvement démocratique, « SBM » jouit d’un certain respect et ses interventions font écho. Diplomate et affable, ses détracteurs lui reprochent pourtant son « autoritarisme », alors que son parti entame une ascension fulgurante.

« Tigre, stratège, manipulateur, patriote, habile, figure politique », les qualificatifs ne manquent pas pour désigner l’actuel Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga (SBM), âgé de 63 ans. Son maintien par le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) après l’organisation d’une élection longtemps donnée comme incertaine n’a pas étonné. Depuis, le chef du gouvernement, revigoré par cette marque estime, est sur tous les fronts, dont celui de la sécurité et de la réaffirmation de l’autorité de l’État. Mais le décompte des victimes des tueries au centre et au nord du pays, ainsi que les attaques contre les forces armées maliennes noircissent ce tableau. Si le pays s’extirpe tant bien que mal de l’abîme, les assurances d’une résolution prochaine de la crise sécuritaire sont timidement accueillies. Pourtant, le « joker » d’IBK est à l’œuvre, multipliant les déplacements dans les régions du nord du Mali, Mopti, Kidal, Gao ou encore Tombouctou, plus récemment, montrant ainsi la volonté du Premier ministre d’occuper le terrain en collant aux préoccupations des populations. Sur d’autres sujets, comme le projet de loi d’entente nationale, le découpage administratif ou l’interdiction de manifester, « le Tigre », comme on le surnomme depuis les années 1990, montre toujours la même détermination.

Considéré comme l’un des principaux artisans de la réélection d’IBK, ce journaliste de formation est un homme à la fois séduisant et craint. Pendant près de trente ans, cet ancien syndicaliste a accumulé une grande expérience politique. Acteur du mouvement démocratique, d’apparence mesuré, il a eu à démontrer son audace à de nombreuses reprises, comme ce jour de 1986, cinq ans avant la chute du Président Moussa Traoré, où le jeune Soumeylou, tout fraichement diplômé du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de Dakar, affichait sa révolte contre le système de l’époque. Lors de la conférence sociale restée dans les annales, SBM dénonce publiquement et sans ménagement la gestion catastrophique du pays, et ce sous le regard médusé de Moussa Traoré.

Chef de cabinet du Président Alpha Oumar Konaré en 1992, puis successivement directeur général de la sécurité d’État et ministre de la Défense, SBM a été candidat malheureux lors des primaires de l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) en 2002, avant de connaître une première traversée du désert sous ATT, qu’il avait pourtant appuyé au détriment de Soumaïla Cissé, le candidat de son propre parti. Son retour en grâce intervient en 2005, lors de sa nomination comme Président du conseil d’administration de l’Agence pour l’emploi des jeunes (APEJ) en 2005, avant d’occuper le poste de ministre des Affaires étrangères en 2011 jusqu’au coup d’État de mars 2012, qui le verra détenu plusieurs jours par la junte militaire. Après l’élection d’IBK en 2013, qu’il a soutenu dès le premier tour, « Boubeye », comme on l’appelle le plus souvent, est de nouveau nommé à la Défense, jusqu’en mai 2014, suite à la débâcle de l’armée à Kidal. Cette seconde traversée du désert sera plus courte, puisque le président de l’Alliance pour la solidarité au Mali (ASMA – CFP), parti créé en 2007 après sa dissidence de l’ADEMA, sera nommé Secrétaire général de la Présidence en août 2016 avant de devenir Premier ministre fin 2017, en remplacement de son « frère ennemi » Abdoulaye Idrissa Maïga, et au grand dam de Bokary Treta, président du Rassemblement pour le Mali (RPM), à qui le poste semblait promis. « Il connait bien le nord du pays et de tous les Premiers ministres d’IBK, il est le plus politique. Il a une vision nationale de la situation, ce qui lui permet de faire des avancées dans la résolution de la crise du nord », estime Perignama Sylla, secrétaire général du parti Bara.

 

« Le Tigre » sur le front

Le 14 décembre, Soumeylou Boubeye Maïga, en compagnie de certains ministres, se rend dans la Cité de 333 Saints. Une ville martyre, qui vit au rythme de l’insécurité récurrente. Pour rassurer les populations, déboussolées par des assassinats et autres vols de véhicules, le chef du gouvernement annonce le déploiement prochain de 350 éléments, répartis entre la police, la gendarmerie, la garde nationale et la protection civile. « Afin de ramener la paix et la sécurité, un corps de gardes-frontières sera créé et les moyens logistiques renforcés », affirmait celui dont l’expertise dans le domaine de la sécurité est reconnue. Et d’ajouter : « lorsque nous sommes loin, il y a beaucoup d’approches qui ne correspondent pas à la réalité du terrain, ni aux attentes des populations. Chaque fois que nous nous déplaçons avec des membres du gouvernement, nous avons une perception beaucoup plus réaliste des priorités ». « Grâce à lui, certaines mesures sécuritaires ont été prises, car il connait bien l’outil pour avoir été ministre de la Défense et chef d’un service de renseignements », témoigne Abdoulaye Tamboura, docteur en géopolitique. « Il a les capacités pour comprendre ce pays », ajoute-t-il. Homme de réseaux, Boubeye peut en effet compter sur l’appui de nombreux partenaires du Mali, notamment la France et l’Algérie, pays où il a effectué sa première visite en tant que Premier ministre.

Deux semaines plus tôt, SBM s’était rendu à Gao, dans le nord du pays, pour sonder la situation des populations. Malgré la militarisation de la ville, les attentats, assassinats et braquages se multiplient. Sur place, ce natif de la région annonce, entre autres, le redéploiement de 300 agents de sécurité et la dotation d’un nouveau commissariat. Sans détours, Soumeylou Boubeye Maïga interpelle la population sur sa responsabilité, indispensable pour contribuer à sa propre sécurité. Profitant de cette occasion, ce vétéran de la politique malienne a exprimé son incompréhension face à l’empêchement, dans la ville, de la tenue des concertations sur le découpage administratif.

Bien avant la Cité des Askia, c’est la région de Mopti, épicentre des violences armées, qui a nécessité certaines mesures gouvernementales. Entre conflits communautaires, multiplications des milices et activisme des djihadistes, la région est au bord de l’embrasement. L’ancien ministre de la Défense (2000-2002 et 2013-2014) y avait promis, le 11 février dernier, un renforcement des effectifs militaires. Face à la gravité de la situation, il avait même menacé les semeurs de troubles, tout en leur laissant le choix de la paix. « C’est le moment de choisir son camp. A tous ceux qui ont des informations sur les terroristes, c’est le moment de les donner. Nous ferons tout pour récupérer tous ceux qui sont récupérables, et nous combattrons ceux qui devront être combattus », a t-il martelé. « Il tient le langage de la vérité. Nous l’avons suivi depuis l’ADEMA parce que c’est un homme capable et qui a des idées », se souvient Cheick Diallo, secrétaire administratif chargé des structures de l’ASMA et compagnon de route. Le 13 octobre, il était à Tenenkou et à Togoré-Coumbé. Une manière d’affirmer l’autorité de l’État dans cette localité sous embargo des djihadistes depuis des mois. Mais ces annonces n’ont permis de limiter ni les actes d’hostilité envers l’État, ni les tueries. « Il montre qu’il a une certaine maitrise du terrain, ce qui est probablement rassurant pour les forces de défense et de sécurité, mais aussi pour les populations, qui voient en lui un responsable soucieux du terrain », avance Docteur Fodié Tandjigora, sociologue et enseignant chercheur à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. Ce dernier s’interroge pourtant sur l’impact de ces mesures. « Est-ce que tout cela a des répercussions réelles et matérielles sur le terrain? C’est de cela que les populations ont besoin dans ces localités d’insécurité », estime-t-il.

 

Un personnage « de l’ombre » 

Après la débâcle des forces armées à Kidal en 2014, suite à la visite controversée du Premier ministre de l’époque, Moussa Mara, Soumeylou Boubeye Maïga démissionne. Il fait les frais d’une mission à l’issue dramatique. Il fera ensuite profil bas, cultivera ses réseaux au Mali comme à l’étranger, tout en maintenant son soutien à IBK, convaincu qu’il reviendrait. De secrétaire général de la présidence, il grimpe les échelons jusqu’à devenir chef du gouvernement. « Il s’est imposé par la force des choses et est devenu au fil du temps un acteur incontournable », juge Abdoulaye Tamboura. « SBM peut avoir des défauts, on peut l’aimer ou pas, mais c’est un grand patriote, capable d’opérer de grandes réformes au Mali », affirme Cheick Diallo. Lors d’une conférence de l’opposition, le 3 juin 2018, l’ancien ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Mohamed Ali Bathily, désormais opposant, le qualifie « d’homme de l’ombre, toujours dans des affaires sombres, qu’il s’agisse de l’État ou des finances ». Quoi qu’il en soit, cet ancien élève du lycée de Badalabougou est une énigme difficile à cerner. « C’est un personnage mitigé. D’aucuns disent que c’est l’homme de l’Algérie, (…) c’est un homme de coups tordus, mais compétent », reconnait Abdoulaye Tamboura. Son professeur au CESTI de Dakar, Diomansi Bomboté, ancien conseiller à la Primature, aujourd’hui enseignant à l’école de journalisme de Bamako, garde de lui le « souvenir d’un élève brillant, doté d’une grande maturité politique. Son parcours est riche, c’est un grand volontariste. Il sait ce qu’il veut et se donne toujours les moyens pour l’obtenir », témoigne-t-il. Déjà, « il attirait l’attention par la maturité de sa réflexion et de son analyse », se rappelle Bomboté. Hier comme aujourd’hui, certains le soupçonnent des manœuvres les plus viles. « Son nom a récemment été cité dans l’affaire des deux journalistes français assassinés à Kidal. Que ce soit lui ou le président de la République, ils ont fréquenté à un moment donné de leur vie des personnalités troubles »rapporte Dr Abdoulaye Tamboura. Dans le bourbier du centre, « on l’accuse d’instrumentaliser les milices » ajoute t-il. Une thèse qui ne tient pas, pour Dr Fodié Tandjigora. « Certains pensent qu’il y a des forces spéciales infiltrées dans les milices, mais je ne pense pas que l’État puisse s’adonner à cela ou qu’il accepte d’armer certaines milices contre d’autres. L’État n’a pas intérêt à nourrir des milices qui pourraient se retourner contre lui un jour », argumente-t-il.

 

Indispensable ?

« Il n’y a pas d’homme indispensable. IBK a beaucoup de raisons de lui faire confiance, mais il n’est pas indispensable », reprend Dr Abdoulaye Tamboura. Un point de vue repris par de nombreux acteurs politiques, notamment de la majorité, qui ont fait de lui sa bête noire. « Est indispensable qui représente une force non négligeable. Ce n’est pas le cas du parti de Boubeye », assène un cadre du RPM. En attendant, le PM occupe le terrain, fort de la confiance du « chef », avec lequel « il entretient une relation, non pas d’amitié, mais de respect et d’estime mutuels », selon un proche d’IBK. « Le président n’est pas rancunier et ils ont besoin l’un de l’autre. C’est ce qui fait durer ce couple », ajoute t-il. Fort de cet avantage, et à la tête d’un gouvernement où aucune personnalité n’émerge vraiment, Boubeye n’est pas seulement actif dans le domaine sécuritaire. Lors de la journée consacrée à l’interpellation démocratique, le 10 décembre, il tacle les organisations de défense des droits de l’Homme, opposées au projet de loi d’entente nationale. Au même moment, il défend la pertinence de l’arrêté interdisant les marches et attroupements au niveau des grands axes de la capitale. Intransigeant, il parvient à calmer les ardeurs de l’opposition. Tout en se disant ouvert au dialogue. « Depuis qu’il est là, rien ne bouge en réalité, mais les autres politiques sont obligés de se taire, par ce qu’il en sait trop sur eux », pense savoir le politologue Boubacar Bocoum. Certains des acteurs de mars 91, comme Oumar Mariko du parti SADI, « se demandent aujourd’hui s’il s’agit du même homme que celui avec lequel ils ont défié la dictature de l’époque »…

La question de l’après IBK

Le parti du Premier ministre, l’ASMA-CFP, enregistre des adhésions massives depuis sa reconduction. De 4 députés en août, il en revendique désormais 21 et plus de 300 conseillers communaux, essentiellement au détriment du RPM, dont plusieurs élus ont quitté le parti car l’investiture pour les législatives leur avait été refusée. « C’est quand même extraordinaire que le parti du président perde des députés au profit de celui de son Premier ministre. Ce sont des calculs pour l’après IBK », souligne Perignama Sylla du Bara. Boubeye se garde bien d’en parler et élude systématiquement toute question portant sur 2023. Mais avec « un leader de l’opposition, Soumaïla Cissé, affaibli par sa 3ème défaite à l’élection présidentielle, et une majorité où personne n’émerge vraiment, il apparaitrait comme un candidat sérieux », prévient un diplomate en poste à Bamako. En 2007, SBM avait obtenu un très faible score lors du scrutin présidentiel. La progression de l’ASMA sur l’échiquier politique provoque la colère au sein du parti présidentiel, où beaucoup ne digèrent pas le silence d’IBK. De là à y voir un soutien déguisé pour 2023 ? « Nous n’y croyons pas, car Boubeye quittera la Primature bien avant la fin du mandat, et son parti connaîtra un reflux, tout comme le nombre de ses laudateurs », affirme un cadre RPM. Le contexte actuel donne pourtant le champ libre au locataire de la Primature. « IBK est vieillissant et sortant. Le RPM n’a pas été capable de travailler pour lui et SBM s’est mis à sa disposition, avec ses hommes et tout ce qu’il faut. Qui aujourd’hui peut lui faire de l’ombre ? », s’interroge Boubacar Bocoum.

Pour tenter de succéder au président, le Tigre doit résoudre une équation à deux inconnues : se maintenir le plus longtemps possible à son poste pour affirmer sa stature d’homme d’État, et créer un lien populaire avec les Maliens, qui le craignent plus qu’ils ne l’aiment.