Charte pour la paix et la réconciliation : Outil d’unité ou texte vidé de l’essentiel ?

Annoncée comme un texte de référence, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation est en voie d’achèvement. Mais certains sujets majeurs, comme le sort des partis politiques, ont été exclus de ses discussions. Ce choix interroge sur sa portée réelle dans un contexte politique toujours tendu.

Selon Zeïni Moulaye, ancien ministre et membre de la Commission, la Charte vise à « unir tous les fils du Mali autour de l’essentiel » et doit servir de socle aux politiques de sécurité, de paix et de réconciliation. C’est ainsi qu’elle intègre cinq grands thèmes – Paix, Sécurité, Réconciliation nationale, Cohésion sociale et Vivre ensemble – et valorise plus de vingt mécanismes de règlement locaux issus des différentes cultures du pays. Le texte n’a pas vocation à être un document partisan, a précisé Zeïni Moulaye, mais plutôt un outil transversal à portée nationale.

Le volet Sécurité, piloté par le Général à la retraite Yamoussa Camara, insiste sur la nécessité d’un maillage sécuritaire complet du territoire en s’appuyant sur une collaboration active entre forces armées et populations civiles. Trois fonctions stratégiques sont retenues, la protection, l’anticipation et l’intervention. Le Général Camara a rappelé que les mesures d’autodéfense communautaire doivent être encadrées et intégrées à une stratégie nationale afin d’éviter les dérives constatées ces dernières années.

Sur le plan judiciaire, le Dr Marie-Thérèse Dansoko a souligné que la Charte aborde les questions de justice de manière globale, en intégrant la lutte contre l’impunité, la corruption, la délinquance financière et l’enrichissement illicite. La justice transitionnelle est également traitée, avec une reconnaissance du rôle des autorités traditionnelles dans la résolution des conflits mineurs, sans exclure les voies judiciaires classiques. Pour elle, « la réconciliation ne peut se faire au détriment de la justice ».

Suspens autour de l’ancrage juridique

Mais, au-delà du contenu, des zones d’ombre persistent. Le document est « pratiquement achevé », selon la Commission, mais son ancrage juridique n’est pas encore défini. Ce sera à la Présidence, avec l’avis de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, de déterminer son statut légal. Ce flou soulève des inquiétudes sur la portée réelle de la Charte à court et moyen terme.

Autre interrogation de fond : nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi la question du sort des partis politiques, et notamment leur dissolution, n’a pas été confiée à cette Commission, déjà mandatée pour traiter de la paix et de la cohésion nationale ? Le Dialogue Inter-Maliens d’avril 2024, à l’origine de la création de cette Charte, avait pourtant abordé des sujets éminemment politiques. C’est cette même instance qui avait proposé l’élévation du Colonel Assimi Goïta et de 5 autres officiers supérieurs au grade de Général, décision entérinée depuis. Et, selon plusieurs sources, l’avant-projet de la Charte avait également recommandé la libération, en décembre 2024, de onze personnalités politiques arrêtées en juin de la même année. Ces éléments démontrent que la Commission a déjà traité de dossiers politiques sensibles.

Dès lors, pourquoi avoir choisi d’écarter cette même Commission de la gestion du dossier explosif des partis politiques et de leur avenir, en lui préférant un nouveau cadre – les Concertations nationales du 16 au 29 avril  – annoncé tardivement et préparé dans l’urgence ? Une meilleure articulation entre les deux cadres aurait peut-être permis une sortie de crise plus apaisée, dans un climat de confiance renforcée.

Publication retardée

De plus, le retard dans la publication officielle de la Charte interroge. Annoncée comme prioritaire dès 2024, sa remise au chef de l’État n’interviendra qu’à la fin du premier semestre 2025. Entre-temps, le pays a connu des bouleversements majeurs, tant sur le plan sécuritaire que politique, sans que ce texte ait pu jouer son rôle d’outil d’apaisement et de cohésion.

Autre aspect non négligeable, le Programme d’action gouvernementale 2025-2026 évoque bien la paix et la réconciliation dans l’un de ses huit axes, mais sans lien direct explicite avec le document en cours. Il reste donc à espérer que cette Charte, une fois remise, ne devienne pas un texte de plus, mais bien un guide concret d’action accepté par tous, y compris par ceux qui, jusqu’ici, n’ont pas été associés à son élaboration.

MD

Paix et Réconciliation Nationale : Où en est l’avant-projet de Charte ?

La Commission de rédaction de l’avant-projet de Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale avait été mise en place en juillet pour une durée de deux mois. Elle a achevé son travail début octobre. Selon nos informations, le document final de l’avant-projet a été remis au Président de la Transition, auquel il revient de décider de la suite du processus.

Le Président de la Transition avait prolongé jusqu’au 30 septembre dernier le mandat initial de la Commission pour élargir les consultations aux Institutions de la République ainsi qu’aux anciens Présidents et Premiers ministres.

« Ce travail a été fait. Nous avons ajouté à l’avant-projet à la fois les éléments nouveaux proposés par les Chefs des différentes institutions, les anciens Présidents et anciens Premiers ministres, mais aussi une synthèse des propositions des forces vives de la Nation », affirme Dr. Ely Bréhima Dicko, membre de la Commission. Il  affirme que le document finalisé a déjà été remis au Président de la Transition, même s’il n’y a pas eu de cérémonie solennelle pour l’occasion.

Concernant la suite du processus d’élaboration de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale, plusieurs options s’offrent au Président de la Transition, selon Dr. Ely Bréhima Dicko. Comme pour l’élaboration de la Constitution du 22 juillet 2023, le Général d’armée Assimi Goïta peut mettre en place une Commission de finalisation de l’avant-projet élargie aux forces vives et aux institutions. Cette Commission aura un délai maximum d’un mois pour cette mission.

Le Président de la Transition pourrait aussi décider de faire passer le document final au Secrétariat général du gouvernement avant de le faire examiner et adopter par le Conseil des ministres. Par la suite, ce projet de loi pourrait être envoyé sur la table du Conseil national de transition (CNT), qui devra se prononcer sur son adoption finale pour en faire une loi.

Mais pour l’heure aucune information ne filtre sur le timing de la suite du processus. « Je pense que les autorités sont en train de se pencher sur ces différentes options afin de choisir la bonne approche. Et on sait également qu’il y a eu dernièrement des soubresauts politiques. Tout cela peut impacter l’agenda », confie Dr. Dicko.

Mohamed Kenouvi

 

Paix et réconciliation nationale : L’avant-projet de Charte bientôt finalisé

Durant le délai supplémentaire accordé par le Président de la Transition, la Commission de rédaction de l’avant-projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale a mené une série de consultations avec les institutions de la République et rencontré des personnes ressources qui ont apporté des contributions au document, dont la finalisation est en cours.

Initialement prévu pour deux mois à compter de juillet dernier, le mandat prorogé de la Commission de rédaction de l’avant-projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale a officiellement pris fin le 30 septembre dernier. Toutefois, avant la remise officielle du document final au Président de la Transition, les membres de la Commission sont en phase de relecture du texte depuis le début de cette semaine. « Nous sommes en relecture jusqu’au jeudi 3 octobre. D’ici là, si nous recevons les contributions des autres institutions, nous allons les intégrer à l’avant-projet », confie une source au sein de la Commission.

Le texte final de l’avant-projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale, ainsi que le rapport final de la Commission, pourraient être remis au Président de la Transition la semaine prochaine ou celle d’après, en fonction de la durée des travaux de relecture et d’intégration des contributions en cours dans le texte initial. « Toutes les étapes d’écoute ont été franchies. La prochaine sera la remise du document au Président de la Transition. Mais pour l’instant, aucune date n’est fixée », glisse une autre source interne à la Commission.

Charte inclusive ?

La Charte pour la paix et la réconciliation nationale constituera « le document de référence pour toutes initiatives, actions et activités qui concourent à la sécurité, à la paix, à la réconciliation nationale, à la cohésion sociale et au vivre-ensemble au Mali ». Recommandée lors du Dialogue Inter-Maliens après la caducité de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, elle se veut le nouveau socle pour la consolidation de la paix et de la réconciliation au Mali.

Contrairement au processus d’Alger, qui a abouti à l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale de 2015, la Commission de rédaction de l’avant-projet de Charte s’est appliquée à dialoguer avec toutes les couches représentatives du pays. « Par le passé, on a pris des décisions au nom du peuple malien sans le consulter et on a dû revenir dessus. La démarche, inspirée cette fois par le peuple malien et adoptée par les hautes autorités de la Transition, est participative et inclusive à tous points de vue », souligne Ibrahim Ikassa Maïga, ministre de la Refondation de l’État.

Un autre élément de différence majeur, selon le sociologue Fodié Tandjigora, est que la nouvelle Charte « n’est pas rédigée sur une table de négociation ou sous la contrainte de l’État » et pourra ainsi servir de socle à toutes les futures négociations.

Après les rencontres avec les forces vives de la Nation dès le début de leur mission, les membres de la Commission de rédaction, présidée par l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga, se sont rendus auprès des institutions de la République et du gouvernement du 24 au 26 septembre 2024. La Cour suprême, la Cour constitutionnelle, le Conseil économique, social, environnemental et culturel, le Haut Conseil des collectivités, le Conseil National de Transition (CNT), ainsi que le gouvernement, sous la houlette de la Primature, ont tous soumis des contributions à l’avant-projet.

Contributions diverses

Plusieurs propositions clés ont été faites par les différentes institutions. Le Conseil National de Transition préconise, entre autres, d’ériger la promotion et la défense de la paix et de la réconciliation nationale parmi les devoirs des citoyens, de travailler à la véritable réconciliation des Maliens et d’instaurer une gouvernance vertueuse. L’organe législatif de la Transition recommande également, pour s’assurer de l’accompagnement du peuple, que le projet de Charte soit soumis à un référendum, après sa formalisation par voie législative.

« Il serait bon que la Charte puisse être flexible afin de prendre en compte d’autres conflits ou tensions que nous ne connaissons pas encore ou dont les manifestations peuvent varier », a souligné au nom du gouvernement le ministre de la Justice, Mahamadou Kassogué, qui a par ailleurs assuré que le document ne serait pas « destiné au placard » mais « bien mis en œuvre ».

Mohamed Kenouvi