(Dossier) Eau et électricité : entre pénurie et optimisme

Comment se porte aujourd’hui, ce « double secteur » indispensable non seulement à  la vie, mais aussi et surtout au développement du pays ? Eléments de réponses. Lundi 25 avril. Il est 19h, tout Kalabancoro, au sud-est du District de Bamako est dans le noir. Après plusieurs « mini-coupures », à‰nergie du Mali (EDM) a fini par concrétiser la crainte des habitants. « Comment dormir dans ces conditions ? », se demande Madou Doumbia, un habitant. Non loin, dans le quartier de Baco Djicoroni Golfe, on attend de pied ferme l’heure à  laquelle, enfin, l’eau coulera du robinet : 23 heures. Le quartier considéré comme résidentiel n’échappe pas à  la corvée des barils, seaux et autres bidons de 10 litres à  remplir avant de dormir. Cristallisation du mécontentement général depuis le mois de mars et le début de la saison chaude contre les structures en charge de fournir l’eau et l’électricité. EDM et la SOMAGEP font donc l’objet de toutes les critiques de la part des consommateurs qui ne savent plus à  quel saint se vouer. Alors que le thermomètre atteint fréquemment ces jours-ci la barre des 45°C, il est tout aussi fréquent de se retrouver sans eau ni électricité. La situation est intenable dans certains quartiers o๠les robinets restent secs pendant des jours. Au ministère de l’à‰nergie et de l’Eau, on se dit conscient de la situation et à  pied d’œuvre depuis le début de la canicule pour apporter solution au problème. La pénurie d’eau, on y fait face en distribuant de l’eau gratuitement depuis plusieurs semaines dans les zones habituellement affectées mais aussi, pour la première fois, sur la rive droite de Bamako. Une situation inédite expliquée par les températures élevées, mais aussi par la croissance exponentielle de la demande dans la capitale. Les besoins en eau de Bamako augmentent en même temps que la population. De plus en plus de personnes s’installent dans les zones excentrées qui ne sont pas couvertes par la SOMAGEP, explique un cadre de cette société qui a la charge de la distribution et de la gestion de l’eau dans 18 villes du Mali, dont Bamako. 250 millions de litres d’eau sont nécessaires pour couvrir les besoins des quelques 3 millions d’habitants de Bamako, or la capacité de production de la SOMAGEP ne dépasse pas les 200 millions de litres. Les stations compactes installées dans les communes, mais surtout le grand projet de station de pompage de Kabala devraient permettre de résoudre le problème dans un proche avenir. Au lendemain de son interpellation à  l’Assemblée nationale le 21 avril dernier, Mamadou Frankaly Keà¯ta, ministre de l’à‰nergie et de l‘Eau, a annoncé que les problèmes d’eau ne seraient bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Lors d’une conférence de presse, il a en effet assuré que le gouvernement avait mobilisé en deux ans plus de 230 milliards de francs CFA pour renforcer l’approvisionnement de la ville de Bamako en eau potable et plus de 20 milliards pour les villes de Kati, Koutiala, Koulikoro et Sikasso. Des infrastructures en développement En ce qui concerne la fourniture en électricité, elle est elle aussi sujette à  une forte demande alors que les capacités de production de la seule société du pays peinent à  satisfaire les besoins sur le réseau connecté. Des dispositions avaient été prises pour les augmenter sensiblement avec la construction d’une centrale à  Dar Salam. Mais, explique-t-on, le décès du chef de projet de la nouvelle centrale dans l’attaque du Radisson Blu le 20 novembre 2015, a donné un coup de frein à  sa réalisation. Il est normal que « puisque nous n’avons pas de réserve, il y ait des coupures çà  et là  », explique Tiona Mathieu Koné, responsable de la communication d’EDM. Il faut noter cependant que « par le biais de l’interconnexion, la Côte d’Ivoire fournit actuellement au Mali 50 MW », et qu’une location de 50MW a été engagée dont 30 MW pour Kati, 10 MW pour Sikasso et 10 MW pour Koutiala. De quoi redonner du souffle aux abonnés et en particulier aux opérateurs économiques car, on le reconnait volontiers à  la Direction nationale de l’énergie, « les coupures répétées peuvent contribuer à  détériorer la qualité du service fourni et causer des tords aux usagers, notamment au secteur privé ». « Mais, avec les actions en cours, nous estimons que dans les mois à  venir la situation va s’améliorer », explique le Directeur. Les zones rurales peuvent également espérer de meilleurs jours, l’Agence malienne pour le développement de l’énergie domestique et l’électrification rurale (AMADER) étant en voie de lancer un nouveau programme permettant de produire et de vendre moins cher de l’électricité grâce à  des centrales hybrides, combustible et solaire, dont le financement est acquis pour une cinquantaine de villages. l’énergie solaire est une option de plus en plus mise en avant. Il faut noter que depuis une quinzaine d’année, les équipements solaires sont exonérés de toutes taxes et tous droits de douanes, à  l’exception des taxes de solidarité et communautaire et les redevances statistiques (environ 2%). Le Président directeur général de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP SA), Boubacar Kane est lui aussi optimiste. La construction de la station de Kabala va doubler la capacité de production de la ville de Bamako et combler le déficit entre l’offre et la demande qui s’élève à  plus de 150 millions de litres par jour. En attendant sa réalisation prévue pour fin 2018, « l’opération citerne » se poursuit. Avec plus ou moins de succès : « on dit nous apporter de l’eau mais en réalité tout le monde veut en avoir et il n’y en a pas assez », déplore Sita, qui attend depuis des heures l’arrivée des citernes dans le quartier de Moribabougou. La qualité de l’eau, une autre source de préoccupation des consommateurs qui fustigent souvent l’aspect peu ragoutant du liquide sortant de leur robinet. Boubacar Kane assure que l’eau de la SOMAGEP respecte les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une opinion confirmée par Almoustapha Fofana, Directeur général du laboratoire des eaux qui la contrôle régulièrement. Les réformes en cours pour rassurer les partenaires sur la gouvernance de l’eau et de l’électricité portent leurs fruits si l’on en croit les acteurs du secteur. Avec les financements obtenus des bailleurs de fonds, les chantiers majeurs en cours ou en projet devraient améliorer sensiblement la situation et permettre aux Maliens de bénéficier d’une fourniture constante et de bonne qualité, pour l’eau comme pour l’électricité.

Le 25 avril, finis les délestages!

C’’est la période caniculaire à  Bamako et dans tout le Mali. C’’est malheureusement également la période des coupures intempestives d’électricité. Le pauvre citoyen n’a d’autre recours que de rouspéter contre l’Energie du Mali qui le plonge dans l’obscurité par ces temps de forte chaleur. Les timides tentatives d’explication de la société qui a le monopole de la fourniture sont désormais balayées par le flot de récriminations des usagers. C’’est surtout pour expliquer les raisons de cette situation et surtout rassurer sur les efforts entrepris pour y mettre fin qu’a eu lieu la rencontre de ce mercredi. Dorroh Berthé, Directeur général d’EDM sa a, face à  la presse, assuré que « la société énergie du Mali (EDM-SA) est consciente des coupures intempestives que subit la population ces derniers temps ». « Elles sont dues à  plusieurs opérations que la société énergie du Mali-SA est en train de mener notamment pour renforcer sa capacité en matière de fourniture d’électricité », a-t-il assuré. Il a ainsi annoncé qu’au niveau de la centrale de Dar El Salem, de nouvelles installations sont en train faites. Il s’agit de 20 groupes avec une capacité de 18 MW chacun. Cela, avec le concours de la multinationale Aggreko. « La fin de ces travaux prévue le 25 avril va amorcer la fin des difficultés ». Déficit de production, augmentation de la demande Au cours de cette conférence, le Directeur Dorroh Berthé a évoqué les raisons des coupures actuelles d’électricité et a demandé la compréhension de la population. « Ces coupures sont surtout dues à  des arrêts de machine. l’EDM SA est à  pied d’œuvre pour pallier cette situation ». Selon lui, la société Energie du Mali a subi beaucoup de tort lors de la crise qu’a traversé le Mali. « A Sélingué, sur quatre machines, il n’y a plus qu’une seule qui soit en marche. Cette réalité s’applique un peu partout au niveau des centrales d’Energie du Mali. Des partenaires sollicités pour aider les techniciens d’EDM-SA avaient tourné dos au Mali pendant la crise », a expliqué M. Berthé. Aussi, indique le DG, les transformateurs dont dispose EDM SA sont saturés et ne peuvent plus contenir la quantité d’énergie envoyée par les réseaux. C’’est pourquoi la société est en phase de mettre en place deux grands transformateurs à  Dar El Salem toujours dans la logique de soulager la population en matière d’électricité. Un autre problème, non des moindres signalé par M. Berthé, C’’est la canicule actuelle qui joue beaucoup sur la bonne marche des machines de production d’électricité et provoque l’arrêt imprévisible de certaines. En attendant des jours meilleurs, un plan de délestage a été élaboré par la direction d’EDM SA, pour informer ses clients des périodes de coupure dans leurs zones respectives.

EDM: « kouran taara! »

« Kouran nana », « Kouran taara »*. Ces deux petites phrases font désormais partie de notre langage quotidien. A Bamako, la grande clameur qui s’élève dans le quartier n’est pas forcément consécutive à  un but marqué par l’équipe de football nationale ou encore du Barça que la plupart des Maliens supportent. Non, elle salue le retour de l’électricité après une coupure. Un délestage qui ne dit pas son nom puisque les usagers ne sont pas tenus informés d’un quelconque programme de coupure. Machines et appareils ménagers grillés, perturbation dans les activités économiques… si la situation s’est largement améliorée, elle ne semble pas prête de se stabiliser . A l’intérieur, « c’est la galère » San, Motel Teriya. Les clients ne se bousculent guère au portillon. Ici, une chaleur d’enfer et Camara, le gérant se tourne les pouces en désespérant de son sort. « Il n’y a pas d’électricité, comment voulez-vous qu’il y ait des clients? » se plaint-il? L’électricité est disponible à  peine 5 heures dans la journée. « On a le courant de 18h à  6h, quand on a de la chance, ils remettent à  9h et coupe à  14h », et le pire c’est « le week end, ils ne donnent que la nuit, dans la journée, on se débrouille ». Ceux qui en ont les moyens on trouvé une alternative. Panneaux solaires, petits groupes électrogènes pour ceux qui en ont les moyens. Pour les autres, c’est le rythme de la vie qui s’est inversée, on travaille la nuit et on se repose le jour. Pas évident pour les habitants de cette localité à  quelques 500 kilomètres de Bamako. A Mopti, la situation est encore pire! Dans cette ville qui s’est transformée en véritable forteresse depuis janvier 2012, la population a fini par marcher pour manifester son ras-le-bol. Rien n’y ait fait. Dès 6h du matin, c’est le vrombissement des groupes électrogènes au démarrage qui réveille les habitants. Pas d’électricité jusqu’à  18h. La ville qui abrite un port très actif ne sait plus à  quel saint se vouer pour avoir de l’énergie et conserver les fruits de la pêche. Moustapha a fermé sa petite gargotte à  Sévaré. Il a essayé pendant quelques mois de continuer, en achetant des glaçons pour rafraà®chir les boissons et conserver les aliments. Mais il a vite renoncé parce que les pertes s’accumulaient. « C’était trop la galère » déclare-t-il. A l’EDM, c’est le fatalisme. Un agent nous confie, sous couvert de l’anonymat, que tout se qui est possible d’être fait l’est déjà . « La société ne tient plus, on n’a plus les moyens de satisfaire tout le monde. On est obligé de fonctionner comme ça, surtout que l’administration, qui est le plus gros créancier de la société, doit continuer de fonctionner ». EDM s.a serait en effet dans de grosses difficultés financières, limitant ainsi les possibilités d’approvisionnement en hydrocarbures pour alimenter les centrales. En attendant de trouver une solution, les consommateurs, dont la facture n’a pour autant jamais diminué, continuent de broyer du noir. * « Le courant est venu », « le courant est parti »!

Délestage : sale temps pour les artisans

Souleymane Diallo tient un atelier de construction métallique sur la route Sébénicoro. Il y trime en compagnie de ses apprentis ce mercredi 22 mai 2013 à  22h 30 minutes au milieu des éclats d’étincelles et des bruits de fer. Un rythme inhabituel auquel s’est habitué le jeune soudeur depuis un certain temps. La raison est simple: les coupures récurrentes d’électricité qui émaillent la journée. « Cela fait près de deux mois que J’ai pris l’habitude de travailler pendant une bonne partie de la nuit en raison des coupures du courant », explique-t-il tout en regrettait au passage les désagréments causés aux voisins par les bruits tonitruants de ses outils de travail. Aussi M.Diallo nourrit-il des regrets liés à  la baisse de production et son corollaire de manque à  gagner. Quasi chômage technique « On travaille souvent moins de cinq heures pendant toute la journée. On est obligé de laisser partir les clients pressés qui préfèrent aller faire leur travail ailleurs. Depuis le début des délestages intempestifs, mon atelier gagne très peu d’argent », se lamente le soudeur de 33 ans. Le même sentiment de détresse anime Oumar Koné, tailleur de son état. Les yeux marqués par l’insomnie dan s son atelier en Hamdallaye ACI 2000, Barou comme l’appellent affectueusement ses clients, s’affairent autour de sa machine à  coudre « Je n’ai pas pu travailler dans journée d’hier, C’’est pourquoi je suis en train de travailler avec mes apprentis depuis le retour du courant vers 23 heures ». A-t-il le choix ? La réponse est non si l’on en juge à  la présence des cinq filles qui ont pris d’assaut l’atelier ce jeudi à  10 heures et déterminées à  retourner avec leurs habits de mariage. Comme Souleymane Diallo, le quadragénaire se plaint de la baisse de rentabilité. Pour ne pas laisser son commerce péricliter, Sékou Coulibaly, vendeur de poissons de mer, s’est résolu à  acheter un groupe électrogène au grand dam de son portefeuille. Grâce à  cet appareil, il parvient à  faire fonctionner son congélateur pour que les poissons ne pourrissent pas. Moins grincheux, le photographe et cameraman Youssouf Camara minimise l’impact des coupures sur son rendement. Seules les coupures intervenues dans la nuit, explique-t-il, nous cause des préjudices. Pendant la journée, poursuit-il, on se débrouille à  faire des photos avec des batteries bien chargées. Evoluant dans le domaine de la vitrerie et de l’aluminium, Amadou Traoré s’en sort plutôt. « Nous faisons le gros de notre boulot sans recourir forcement à  l’électricité. Notre rythme de production et le rendement demeurent presque au même niveau », déclare le diplômé en sociologie reconverti.