Minusma : un retrait mouvementé

Alors que la 2ème phase du retrait de la Minusma est marquée par des affrontements entre les Forces armés maliennes et les groupes armés du CSP-PSD, la mission doit également faire face aux accusations des deux parties mettant en doute sa neutralité. Une situation qui complique davantage le désengagement de la mission onusienne, désormais prise entre le marteau et l’enclume.

S’il était déjà difficile pour la Minusma de se retirer du Mali dans des conditions sécuritaires idoines, les accusations des différentes parties qui revendiquent le contrôle des camps de la mission la mettent définitivement dans une situation encore plus délicate.

Le 13 octobre, devant le corps diplomatique accrédité au Mali, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Abdoulaye Diop, n’a pas mâché ses mots sur la situation à Kidal, où, quelques jours plus tôt, les groupes armés de la CMA avaient pris le contrôle des positions avancés de la Minusma.

« Au-delà du manque de communication sur un sujet aussi sensible, le gouvernement déplore profondément l’abandon des unités maliennes du Bataillon des forces armées reconstitués et aussi l’encerclement et l’occupation de leur camp par la CMA sans aucune réaction de la Minusma », a-t-il fustigé, soulignant que le gouvernement avait été mis devant le fait accompli concernant l’occupation du Camp BAFTAR de Kidal.

Entre deux feux

Dans une note d’information en date du 16 octobre 2023, le ministère a exprimé son étonnement et dénoncé « l’action unilatérale de la Minusma, contraire à l’esprit de coordination et de collaboration voulu entre les deux parties dans le cadre du processus de retrait et non conforme au plan de retrait convenu en ce qui concerne le camp de Kidal ».

Le CSP-PSD, de son côté, a dénoncé dans un communiqué, le 13 octobre, un parti pris de la Minusma avec un « chronogramme flexible que nous soupçonnons d’être en phase avec le rythme opérationnel et tactique des FAMa ». « Nos remarques et suggestions sur la présence de zones d’ombres pendant les précédentes rétrocessions des emprises aux forces maliennes semblent avoir été purement et simplement écartées », a indiqué le CSP, prévenant que ses forces « ne sauraient rester observatrices dans la situation sans également agir ».

Menace d’attaque directe de la mission onusienne ? Pour Dr. Alpha Alhadi Koïna, géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel, cela semble très peu probable. « Les groupes armés ne veulent pas du tout se mettre à dos la communauté internationale, qu’ils sollicitent d’une manière ou d’une autre pour une solution pacifique. Certainement ils vont mettre la pression, mais je ne les vois pas directement attaquer les forces onusiennes », tranche-t-il.

Délai tenable ?

Selon la Résolution 2690 du Conseil de sécurité des Nations unies, le désengagement de la Minusma doit être effectif le 31 décembre 2023. Si, d’une part, le gouvernement du Mali et, de l’autre, les groupes armés du CSP-PSD tiennent au respect de ce délai, les Nations unies, également « déterminées à achever le retrait de la Minusma dans le délai prévu », se disent toutefois préoccupées par l’intensification des tensions et une présence armée croissante dans le nord du Mali, « qui risquent d’empêcher le départ ordonné et dans les délais ».

Dans une note aux correspondants en date du 14 octobre 2023, la Minusma a fait cas de convois logistiques n’ayant pas été autorisés à quitter la ville de Gao depuis le 24 septembre pour récupérer le matériel des Nations unies et des pays contributeurs de troupes actuellement à Aguelhok, Tessalit et Kidal. « Cela pourrait avoir un impact important sur la capacité de la mission à respecter le calendrier imparti ». Mais, selon le gouvernement, les autorisations concernant ces convois sont liées à la situation sécuritaire et seront délivrées « en fonction des améliorations constatées ».

« La Minusma va tout faire pour s’en tenir au délai. À défaut de pouvoir acheminer le lot de matériels, je pense qu’elle va les abandonner sur place. Mais le respect du délai est très important pour la mission et jusque-là le déroulement du processus nous conforte dans l’idée qu’elle va le respecter », affirme Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité.

Le 16 octobre, la Minusma a entamé, comme prévu, « dans un climat de haute tension », le processus de retrait de ses camps dans la région de Kidal, en commençant par Tessalit et Aguelhok. Cela alors que dans la matinée l’armée malienne, anticipant le décrochage, avait fait atterrir à Tessalit un avion qui a essuyé des tirs de rebelles séparatistes, mais qui a pu se poser et repartir sans difficulté après que l’aviation eût neutralisé les positions ennemies, selon un communiqué des FAMa. La Minusma a cité ces accrochages comme illustrant la détérioration rapide des conditions de sécurité pour la vie de centaines de soldats de la paix, indiquant que son personnel avait été contraint de chercher abri dans les bunkers en raison de ces échanges de tirs. Initialement prévu pour la mi-novembre, son retrait du camp de Kidal pourrait s’accélérer. Les camps de Tessalit et de Douentza ont été rétrocédés aux FAMa le 21 octobre dernier. Dans un communiqué publié hier 22 octobre, la mission onusienne a révélé avoir « achevé son retrait accéléré de sa base de Tessalit dans la région de Kidal, au nord du Mali, dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu et dégradé, mettant en danger la vie de son personnel. De nombreux soldats du contingent tchadien ont été rapatriés directement à Ndjamena à bord d’avions affrétés par leur pays. Pendant ce temps, les autres contingents présents à Tessalit, tels que l’équipe népalaise de neutralisation des explosifs et munitions (EOD), les ingénieurs cambodgiens et l’unité de services et de gestion de l’aérodrome bangladaise, sont tous partis à bord d’avions des Nations unies. Le personnel restant est parti dans un dernier convoi terrestre en direction de Gao le 21 octobre 2023, mettant fin à la présence de la mission à Tessalit. « Avant son départ, la MINUSMA a dû prendre la décision difficile de détruire, désactiver ou mettre hors service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs et d’autres biens, parce qu’ils ne pouvaient pas être retournés aux pays contributeurs de troupes auxquels ils appartenaient, ou redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies. Cette décision, qui constitue une option de dernier recours suivant les règles et procédures de Nations-unies, est due au fait que 200 camions, qui devaient se rendre dans la région de Kidal récupérer ce matériel, sont à Gao depuis le 24 septembre, faute d’autorisation des autorités au vu de la situation sécuritaire » peut-on lire dans le communiqué.

Accord pour la paix : l’inévitable confrontation entre les parties ?

Alors que le processus du retrait de la MINUSMA doit s’achever le 31 décembre 2023, la mission onusienne a entamé le 1er septembre 2023 la deuxième phase de rétrocession de ses emprises à l’État malien. Cette phase, qui verra la rétrocession des camps d’Aguelhok, de Tessalit et de Kidal à l’armée malienne, des zones sous contrôle de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), fait craindre une reprise des affrontements armés entre les deux parties.

Si la rétrocession du camp de Ber, dans la région de Tombouctou, avait déjà occasionné mi-août un regain de tensions entre l’armée malienne et les groupes armés terroristes, d’une part, et la CMA, de l’autre, celles en vue dans le bastion des ex-rebelles des camps d’Aguelhok et de Tessalit, du 15 au 30 septembre 2023, et de Kidal deux mois après, le 15 novembre, risque de marquer définitivement la reprise des affrontements entre les Forces armées maliennes (FAMa) et la CMA, depuis la signature du cessez-le-feu du 23 mai 2014. C’est du moins ce que laissent présager les différentes prises de position des deux camps depuis un certain temps.

Escalade

Assurant le 12 août dernier qu’elle poursuivrait pleinement la défense de ses positions, consacrées par le cessez-le-feu du 23 mai 2014 et par les arrangements sécuritaires, lors des heurts qui ont émaillé la reprise en main du camp de Ber par les FAMa, la CMA a dénoncé dans un communiqué, le 28 août 2023, le largage de deux bombes par des avions FAMa sur le village d’Anefis, pour « terroriser les habitants et sur une position de la CMA, sans faire de victimes ».

« Après maintes analyses, et au vu de ce qui précède, la CMA considère que la junte de Bamako a définitivement et délibérément opté pour une escalade vers des hostilités ouvertes aux conséquences obligatoirement désastreuses », indique le communiqué, signé du Porte-parole Ibrahim Ag Eouegh.

Dans la foulée, l’armée malienne a de son côté annoncé avoir mené le même jour dans la localité une frappe aérienne contre un « groupe de terroristes armés, neutralisant plusieurs terroristes et quatre camions ».

À l’occasion de la réunion du Conseil de sécurité, à la même date, sur le rapport d’étape du Secrétaire général des Nations Unies sur le retrait de la MINUSMA, Issa Konfourou, Représentant permanent de la République du Mali auprès des Nations Unies à New York, a déclaré que si les Forces armées maliennes étaient attaquées ou empêchées d’accomplir leurs missions elles se verraient dans l’obligation de réagir vigoureusement.

« La détermination du Mali à faire occuper par l’Armée malienne tous les camps qui seront libérés par la MINUSMA ne constitue pas un acte de belligérance ou de rupture du processus de paix. Au contraire, cela s’inscrit dans le processus régulier de rétrocession des emprises de la Mission et dans le respect du cadre juridique en vigueur, notamment l’Accord pour la paix et la réconciliation, ainsi que toutes les résolutions du Conseil de sécurité qui reconnaissent la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Mali », a clamé l’ambassadeur.

La CMA soutient le contraire. Pour les ex-rebelles, en tenant « coûte que coûte à occuper les emprises de la MINUSMA, y compris celles situées dans les zones sous contrôle de la CMA », Bamako « viole tous les arrangements sécuritaires garantis jusqu’ici par la mission onusienne et la communauté internationale ».

Pour Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la Gouvernance et la Sécurité (OCGS), la question d’une violation ou non aujourd’hui des arrangements sécuritaires devient une « guerre d’interprétation » entre le gouvernement et la CMA.

« À partir de la signature de l’Accord pour la paix, il convient de s’interroger sur le cessez-le-feu de mai 2014, s’il va au-delà de cet Accord, qui prévoit des mécanismes, notamment l’armée reconstituée pour la gestion des zones qui étaient précédemment sous contrôle d’acteurs armés comme la CMA », relève -t-il, précisant qu’il n’y a pas eu d’arrangements sécuritaires sur la rétrocession des emprises de la MINUSMA dans le cadre de son retrait et que les arrangements que la CMA évoque sont ceux de 2014, qui avaient convenu que chaque camp devait rester sur ses positions.

Affrontements en vue ?

Selon Baba Dakono, la poursuite de la rétrocession des camps de la MINUSMA à l’armée malienne dans les régions du nord sera inévitablement jalonnée de tensions entre Bamako et la CMA, parce que la MINUSMA ne peut rétrocéder ses camps qu’à l’armée malienne, ce que conteste la CMA.

Le ministre de la Réconciliation, de la paix et de la cohésion nationale, chargé de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le Colonel-Major Ismaël Wagué, a invité le 28 août 2023 les « frères » des mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali à « revenir à la table des négociations dans le processus de paix, en vue de surmonter les défis actuels par la voie du dialogue ». Un « non évènement » du côté de la CMA, où la main tendue du gouvernement semble être rejetée.

« Un communiqué laconique d’appel au dialogue de la part de l’adversaire, publié concomitamment à des frappes aériennes sur tes positions, ne saurait être qu’une pièce d’un jeu préétabli. Celui qui consiste déjà à refuser d’assumer que l’on te vise en déclarant exclusivement cibler des terroristes. La recette est bien facile mais indigeste », a fustigé le 29 août Attaye Ag Mohamed, l’un des porte-voix de la CMA. « Nous avions tellement gardé les mains tendues pour le dialogue qu’elles souffrent encore de crampes », a-t-il ironisé.

Pour la poursuite de la rétrocession des camps de la MINUSMA à l’État malien, notamment dans le fief de la CMA à Kidal, Dr. Mady Ibrahim Kanté, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako, envisage pour sa part trois scénarios. Le premier serait celui, comme dans le cas de Ber, où l’armée malienne récupérerait les camps après des accrochages avec la CMA sans une véritable guerre.

Le deuxième serait un affrontement entre les deux parties, les camps de la MINUSMA revenant à la partie qui prendrait le dessus. Mais, avec un tel scénario, la partie perdante continuerait à harceler l’autre, avec le risque d’une aggravation par la suite de la situation, souligne-t-il.

Le troisième scénario, selon l’universitaire, serait celui de « discussions sous la table », qui seraient par ailleurs déjà en cours. À l’en croire, même si le gouvernement ne fait pas d’annonces, des discussions discrètes sont menées pour aller vers une solution négociée. Discussions qui, si elles aboutissaient, permettraient une entente entre l’armée malienne et la CMA pour éviter la « guerre ».

« Je pense que ce dernier scénario est le plus probable, parce que la guerre n’arrange pas la CMA aujourd’hui. Elle n’a pas la même position de force qu’en 2012, où elle était plus forte que l’armée malienne. Aujourd’hui, c’est le contraire, l’armée malienne a pris le dessus. Par ailleurs, la CMA n’a plus le soutien des populations locales dans certaines régions du Nord, comme en 2012 où elle était soutenue par ces dernières pour mener les combats contre l’État malien », avance Dr Mady Ibrahim Kanté.

Accord compromis

Soumis à plusieurs difficultés dans son application depuis sa signature en 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger n’a jamais autant frôlé la rupture que ces derniers mois.

Selon les analystes, une éventuelle reprise des combats entre la CMA et les Forces armées maliennes sonnerait le glas définitif de cet Accord, déjà bloqué depuis des mois dans sa mise en œuvre suite au retrait des groupes armés signataires réunis au sein du CSP-PSD de tous les mécanismes de son suivi depuis décembre 2022.

« Sauf illusion, il est difficile de croire qu’on puisse revenir à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Je pense que ce qui pourrait être fait aujourd’hui, ce sont de nouvelles discussions ou de nouveaux arrangements pour permettre de rétablir la stabilité dans le Nord du Mali », préconise Baba Dakono.