Commune I : sursis à la dissolution des partis, renvoi vers la Cour suprême  

Le Tribunal de grande instance de la Commune I du district de Bamako a ordonné, ce lundi 25 août 2025, le sursis à exécution du décret ayant dissous les partis politiques. Le tribunal a, dans le même mouvement, orienté le dossier vers la Cour suprême.

 

Le tribunal a ainsi décidé un sursis à statuer sur la dissolution des partis, dans l’attente de l’examen définitif de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée, et a ordonné la transmission du dossier à la Cour constitutionnelle via la Cour suprême, conformément à l’article 153 de la Constitution du 22 juillet 2023.

 

Cette procédure fait suite à deux actes pris le 13 mai 2025 : la loi n° 2025-005 abrogeant la Charte des partis politiques (loi n° 05-047 du 18 août 2005) et le Statut de l’opposition (loi n° 2015-007 du 4 mars 2015), promulguée et publiée au Journal officiel à cette date, puis le décret de dissolution de l’ensemble des partis et organisations à caractère politique décidé le même jour à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire et annoncé à la télévision nationale.

 

Saisie par les partis dissous, la justice avait tenu une première audience le 7 juillet 2025 au TGI de la Commune I, marquée par l’absence de représentation de l’État, avant de renvoyer le dossier aux 28 et 29 juillet pour débats contradictoires et confrontation des pièces avec le Contentieux de l’État ; l’audience de la Commune I avait ensuite été reportée au 4 août, tandis que la Commune VI renvoyait l’affaire devant sa chambre de jugement.

 

Joint par nos soins ce 25 août, Me Mamadou Camara, conseil des partis requérants, confirme : « C’est exact. Le Tribunal de grande instance a fait droit à notre requête ». Interrogé sur la suite, Me Camara précise : « Le dossier sera renvoyé à la Cour suprême, à charge pour elle d’en saisir la Cour constitutionnelle, seule juridiction compétente pour connaître de la constitutionnalité d’une loi ».

 

Pour le Collectif des avocats, cette décision constitue une opportunité historique pour la Cour constitutionnelle de réaffirmer son rôle de gardienne des libertés et de dire si un pouvoir peut, par simple décret, suspendre les droits politiques essentiels garantis par la Loi fondamentale.

 

La Cour suprême est désormais saisie de l’affaire, à la suite du sursis prononcé, et devra se prononcer sur la légalité de la dissolution, les partis étant entre-temps rétablis dans leurs droits.

 

D’autres procédures restent pendantes : le dossier ouvert devant le Tribunal de grande instance de la Commune VI doit revenir le 24 septembre 2025, tandis que les décisions d’incompétence rendues par les Tribunaux des Communes 3, 4 et 5 ont été déférées devant la Cour d’appel de Bamako. Par ailleurs, la Section administrative de la Cour suprême a été saisie, mais attend toujours le mémoire en défense du gouvernement.

 

Un autre volet du dossier concerne une plainte déposée par les avocats contre deux membres du Conseil national de Transition, Biton Mamari Coulibaly et Moulaye Keïta, devant le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité. Selon Me Mountaga Tall, l’absence d’avancée dans cette procédure traduit une « inertie incompréhensible », poussant le collectif à engager une citation directe afin de contraindre les mis en cause à comparaître.

 

Menace de dissolution : Les partis politiques appellent au respect de la Constitution et des lois

Face à la menace de plus en plus persistante de dissolution des partis politiques, la classe politique monte au créneau. Plusieurs partis issus de l’Initiative des partis pour la relecture de la charte (IPAC) et du Forum des partis et mouvements politiques (FPMP) ont tenu un point de presse le 26 avril 2025 à la Maison de la presse à Bamako.

Dans la déclaration lue lors de ce point de presse, les partis politiques sont longuement revenus sur le processus en cours de relecture de la charte des partis politiques. À leur entendement, le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, devrait appeler la classe politique à discuter du document de propositions qui lui a été fourni, plutôt que d’engager des concertations avec les forces vives de la nation.

« Le ministre délégué n’a plus répondu à nos demandes d’audience répétées, préférant organiser des simulacres de concertations », ont-ils dénoncé.

Pour les partis politiques signataires de la déclaration, les 1500 représentants au plus qui participent aux concertations des forces vives ne sont pas plus légitimes que les 76 000 Maliens qui ont pris part aux Assises nationales de la Refondation (ANR) et les plus de 3 millions lors du Référendum constitutionnel de 2023.

C’est pourquoi, préviennent-ils, « la violation de la Constitution, de la Charte de la transition et de la charte des partis politiques entraînerait des conséquences réversibles dans notre pays, alors que 300 morts ont conduit au multipartisme ».

Actions en vue

Déterminés à ne pas assister sans broncher à une éventuelle dissolution des partis politiques, qui revient largement parmi les propositions au niveau des concertations régionales, les partis politiques ont annoncé qu’ils entameront des rencontres avec toutes les autorités morales, associatives et syndicales du Mali qu’ils « prendront à témoin devant les Maliens et devant l’histoire ».

Ils ont également lancé un appel à la mobilisation des militants, tout en restant attentifs aux conclusions de la phase nationale, à partir desquelles ils établiront un calendrier d’actions.

« Nous réitérons notre soutien aux libertés et à la démocratie au Mali. Nous resterons engagés et disponibles pour travailler dans l’intérêt supérieur de tous les Maliens », affirment les partis politiques.

Débutée ce lundi 28 avril 2025, la phase nationale des concertations des forces vives s’achèvera 24 heures après, le 29 avril. Ces conclusions très attendues détermineront la poursuite ou non des actions annoncées par les partis politiques.

Mohamed Kenouvi

AEEM : Oser la reconstruction

Le 28 février 2024, dans le cadre du renouvellement des instances du Bureau de coordination de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), de violents affrontements opposent des camps rivaux. Un étudiant trouve la mort et de nombreux autres sont blessés. Une énième scène de violence dans l’espace scolaire qui aboutit à la suspension des activités de l’organisation, puis à sa dissolution le 13 mars 2024 par les autorités. Salutaire pour les uns, liberticide pour les autres, la décision doit permettre une réinvention du mouvement scolaire, qui s’est détourné de ses objectifs depuis trop longtemps.

« Après la suspension, je m’attendais plutôt à des réformes au sein de l’association, qui a beaucoup contribué à l’avènement de la démocratie au Mali. Elle fait partie des acquis », regrette Moussa Niangaly, Secrétaire général de l’AEEM de 2018 à 2021. Sans nier les actes de violence qui caractérisent « actuellement » l’association, il estime que les réformes effectuées par le passé ont « contribué à diminuer le phénomène ». Il fallait donc continuer dans ce sens. D’ailleurs, plusieurs anciens de l’AEEM avaient salué la suspension, espérant que cela serait « l’occasion de penser un cadre de réflexion », poursuit-il. Un espace pour réorganiser l’association et éviter les violences en milieu scolaire. Au-delà de la « surprise » qu’elle a créée, selon M. Niangaly, « la dissolution n’est pas la solution », car elle pourrait permettre, comme par le passé, à l’organisation de renaître. C’est après la dissolution de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) que l’AEEM est née. Il vaut mieux donc « réparer et réorganiser ce que nous avons » et assurer un suivi afin d’éviter toute dérive.

Dépolitiser l’école

C’est la question cruciale qui préoccupe à présent les acteurs de l’école. Comment remettre dans son rôle une organisation de défense des intérêts des élèves et étudiants qui, depuis sa création, a été associée à la gestion du pouvoir, jusqu’au plus haut niveau ? Un instrument politique et « un électorat » ménagé par les pouvoirs successifs, car « personne n’avait intérêt à avoir une école bouillante », nous confiait un analyste en 2020.

À cette gestion du pouvoir s’est ajoutée la gestion des œuvres universitaires lors de la création de l’université en 1993 et en l’absence du Centre national des œuvres universitaires (CENOU), qui ne verra le jour qu’en 1996. Après la création de cette structure, des conventions instituant une collaboration entre cet établissement public et l’AEEM ont été instaurées. Jusqu’en 2020, où le 12 octobre un autre incident, toujours dans le contexte du renouvellement des instances de l’organisation, a causé la mort d’un étudiant et fait de nombreux blessés. Une mort de trop, qui a indigné le monde scolaire et les parents d’élèves, singulièrement les femmes, qui ont alors interpellé fortement les autorités.

Dans une déclaration signée le 20 novembre 2020 et remise aux autorités, les femmes du Mali, réunies au sein d’un Collectif, ont d’abord demandé la « suspension immédiate de l’AEEM » et la fin de toutes les conventions et engagements qui liaient l’État à l’association. Avant de souhaiter la mise en place d’une Commission de suivi pour la mise en œuvre de ces mesures. À l’issue d’une journée de concertations organisée par le Premier ministre de l’époque, des recommandations ont été formulées et un début de mise en œuvre s’est concrétisé avec l’assèchement des sources de financement de l’AEEM.

Mais le renouvellement des instances a continué d’être le théâtre de scènes de violences et « d’affrontements toujours soldés par des morts d’hommes », regrette Mme Gakou Salamata Fofana, membre du Collectif. Les différentes commissions ont donc été déployées pour accompagner les processus de renouvellement. Malgré le climat délétère et le danger auquel ils étaient exposés, les membres ont, avec l’appui des forces de l’ordre dans bien des cas, suivi les renouvellements, qui se sont bien déroulés. Elle se réjouit donc, « en tant que mère de famille de cette dissolution, car « les enfants ne sont pas envoyés à l’école pour se faire tuer ».

Comment réorganiser l’AEEM ?

« Pour le moment, il faut faire table rase » et trouver une solution à la violence et  aux étudiants qui refusent de quitter l’université pour ne pas quitter leurs postes au Bureau de l’AEEM, estime Mme Gakou. Une attitude qui ne doit rien au hasard, puisque l’AEEM est une source de pouvoir « économique et politique » dont les responsables ont appris à jouir « sans jamais avoir travaillé », déplore Elhadj Seydou Patrice Dembélé, Secrétaire général de l’Amicale des Anciens et sympathisants de l’UNEEM (AMSUNEEM).

Pourtant, les sources de financement de l’organisation avaient été coupées suite aux concertations de 2021. Malheureusement cela n’a pas arrêté la violence, relève l’ancien Secrétaire général. « Il faut sécuriser le milieu universitaire », suggère-t-il, et c’est l’État qui doit y veiller. « Souvent, les violences n’émanent même pas des militants de l’AEEM. Certains ont fini leur formation universitaire mais sont encore sur la colline », ajoute-t-il.

Mais « sans moyens », comment les étudiants se procurent-ils toutes ces armes ? Une question qui mérité d’être posée et à laquelle il y a désormais un début de réponse. « Pour avoir de l’argent, ils vont voir les écoles privées et font du chantage ». Ils ont ainsi «  eu des sous sans l’État, qui est resté silencieux », note M. Dembélé.

Ayant déjà soutenu la suspension, l’AMSUNEEM s’est prononcée majoritairement en faveur de la dissolution. Parce que l’espace universitaire ne doit pas être « criminogène ». L’État doit « continuer à nettoyer les écuries dans l’espace universitaire », préconise le Secrétaire général de l’AMSUNEEM. Il faut que les acteurs du 26 mars acceptent de se remettre en cause. « Tout n’a pas été mauvais, mais ayons le courage de faire notre mea culpa ». L’État doit mettre à profit ce temps pour restructurer l’AEEM et si une autre association doit voir le jour elle sera mise en place sous les regards vigilants de l’État, des partenaires de l’école et des étudiants.

Au-delà de la dissolution

Pour Mahamane Mariko, ancien membre de l’AEEM (1998 – 2000), la dissolution de l’organisation, qui s’était éloignée de ses objectifs, n’est pas une surprise. Elle s’était retrouvée dans une situation qui « n’honore point l’espace scolaire ». Mais il faut « pousser les investigations » et aller au-delà des « acteurs apparents » qu’étaient devenus les élèves et étudiants. Il faut chercher à « savoir qui manipulait les enfants » afin que l’espace scolaire et universitaire soit troublé. Il s’agit pour lui d’une question de justice, afin de donner le temps à la jeunesse de trouver la meilleure voie ».

Pour réformer l’association estudiantine, le Dr Almamy Ismaïla Koïta, ancien Secrétaire général de la Faculté de médecine (201 – 2013), propose de s’inspirer de la « spécificité » des comités de cette école, considérés comme des modèles. Il faut une nouvelle entité qui sera financée par les élèves et dont les organes seront élus sous l’égide d’autorités reconnues pour ce faire. Mais tout cela dépendra des étudiants, qui doivent prendre leur responsabilité, soutient-il.

Guère surpris par la dissolution, vu la tendance adoptée par l’association, Seydou Cissé, enseignant du Supérieur, préconise que la future organisation tire les leçons du passé et soit dirigée à l’issue d’une sélection rigoureuse et d’un choix démocratique pour éviter les dérives « qui ont fait plonger l’AEEM ».

Farouchement opposés à la dissolution de l’AEEM, les anciens de l’organisation « rejettent cette annonce et accompagneront les cadets pour faire annuler sans violence cette décision des autorités de la Transition », annonce Ibrahima Taméga, leur porte-parole.

Pour Amadou Koïta, ancien ministre et ancien membre de l’AEEM, « rien ne justifie cette dissolution ». Et il se demande si « certains ne veulent pas réécrire l’histoire du 26 mars ».

Création de l’AEEM : 1990

Suspension des activités de l’AEEM : 29 février 2024

Dissolution de l’AEEM : 13 mars 2024

SADI : La possible dissolution, une épée de Damoclès pour les partis

Le part SADI d’Oumar Mariko est assignée en justice aux fins de sa dissolution. Une procédure qui inquiète les acteurs politiques.

Les débats de fond portant sur la requête pour dissolution du parti SADI introduite par le contentieux de l’État devrait débuter le 19 février. Prévu pour le 8 janvier dernier devant le Tribunal de Grande instance de la Commune I du District de Bamako, le procès avait d’abord été renvoyé pour le 12 février, avant ce nouveau renvoi. Si le premier renvoi était demandé par la partie défenderesse, les avocats du parti, pour connaître le dossier, le second renvoi pour le 19 février prochain est motivé par la non communication de certaines pièces. Selon le collège des avocats du parti, à part l’assignation en justice, aucune autre pièce du dossier ne lui a encore été communiquée. Ainsi, à la demande du tribunal, le Contentieux de l’État doit apporter trois autres pièces, les Statuts et règlement du parti SADI, le Statut modifié et la Charte des partis politiques du Mali. Pour beaucoup d’observateurs, les déclarations hostiles d’Oumar Mariko, Président du parti, en exil depuis 2022, sont la cause de cette assignation. Très critique à l’égard des autorités de la Transition, il n’hésite pas lors d’interviews accordées à des médias étrangers à tancer leur politique et leurs décisions. Si le PSDA, parti d’Ismaël Sacko, également en exil, a été dissous en juin dernier, ainsi que des associations de la société civile, c’est la première fois qu’une formation politique d’envergure se trouve dans cette situation. « Ce n’est pas un bon message, ni pour la liberté d’expression, ni pour les partis politiques. Nous nous sommes battus pour le pluralisme, nous nous sommes battus pour la démocratie, nous devons faire en sorte qu’aux questions politiques il y ait des réponses politiques. Nous ne pouvons accepter que des situations au sein des partis soient judiciarisées. Cela restreint les libertés et crée une épée de Damoclès. Ce n’est pas bon pour un pays qui traverse aujourd’hui une telle crise », s’inquiétait Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’ADEMA, dans nos colonnes le 17 janvier. Certains estiment le soutien de la classe politique sur cette affaire assez timide. Une position attentiste qui pourrait coûter cher, affirme un analyste qui a requis l’anonymat. Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema, sur ses pages officielles a attiré l’attention. « Les partis politiques n’auront que leurs yeux pour pleurer lorsqu’ils vont entendre à la télévision un communiqué répétant trois fois la dissolution des partis politiques. Ce jour-là nous ne serons que les victimes de notre cupidité et de notre manque de courage », a-t-il écrit le 5 février.