Inondations : Faut-il craindre le pire ?

 

Alors que le nombre des victimes des inondations augmente, les alertes aux risques de nouveaux sinistres continuent d’être lancées. Dans un communiqué en date du 3 septembre, le ministère de la Sécurité et de la protection civile avertit de l’inquiétante hausse du niveau du fleuve Niger. Dans sa note, le ministre informe sur les risques de débordement des eaux et les inondations que cela pourrait provoquer. Des vagues aux conséquences désastreuses qu’il faut dès à présent penser à gérer.

Le 23 août 2024, lors du Conseil des ministres extraordinaire, les autorités ont adopté le Plan d’organisation des secours qui comporte certaines mesures et décidé de déclarer l’état de catastrophe au plan national suite aux inondations. Un fait inédit qui confirme l’ampleur de la situation, avec instruction au ministre de l’Économie et des finances de mobiliser 4 milliards de francs CFA pour faire face aux conséquences, renforcer le stock national de sécurité alimentaire et apporter l’assistance aux ménages touchés.

La situation hydrologique le long du fleuve Niger et du Bani est alarmante. Désormais, la côte d’alerte est atteinte à Beleny Keny (San). Elle est dépassée de 2 centimètres à Bamako et de 4 centimètres à Sofara (Mopti). Les risques d’inondation restent donc très élevés sur la majeure partie du pays à cause de la poursuite des manifestations pluvio-orageuses, selon les prévisions des services météorologiques.

Activé par le ministère de la Sécurité et de la protection civile par décision en date du 30 mai 2024 pour la période du 1er juin au 30 octobre 2024, le Centre de coordination et de gestion des crises (CECOGEC), logé au ministère de la Protection civile, multiplie les communiqués.

À la date du 5 septembre 2024, on enregistrait 254 cas d’inondations survenus à Bamako et dans toutes les régions depuis le début de l’hivernage, 6 cas de vents violents, 7 cas de foudre, 9 331 cas d’effondrements et 12 117 maisons à risque d’effondrement ou endommagées.

Etat de catastrophe

Face à cette situation exceptionnelle, et avec la déclaration d’état de catastrophe au plan national, les autorités ont adopté un Plan d’organisation des secours qui comporte différentes mesures. Parmi elles, la poursuite de la sensibilisation sur les risques d’inondation, le curage des collecteurs et caniveaux et le recensement des constructions obstruant les voies d’écoulement des eaux en vue de leur libération. Si ces mesures paraissent bien utiles, leur mise en œuvre semble bien compliquée en cette période. Plusieurs ménages, dans le District de Bamako et dans plusieurs régions du Mali, sont désormais en alerte. Les populations sont même « invitées à la vigilance et à l’évacuation des zones riveraines » des cours d’eau en raison des risques très élevés d’inondation dans une majeure partie du pays. Quand au curage des caniveaux, les opérations apparaissent comme un éternel recommencement tant les normes et règles en la matière sont loin d’être respectées. Entre le mois d’août et celui de septembre, les autorités ont dû procéder à des « opérations coups de poing » pour libérer des caniveaux fermés par des boutiques au bord de la route. Concernant la libération des emprises du fleuve, la tâche s’annonce colossale et quelque peu illusoire. L’absence de Plan d’aménagement pour la capitale est à cet effet un préalable indispensable sans lequel il sera difficile de prévenir d’autres catastrophes. Indexé, en plus des effets du changement climatique, le comportement humain rend souvent les populations sinistrées  doublement victimes de la situation. Propriétaires ou locataires de maisons construites au mépris des règles, elles ont quelquefois tout perdu dans les inondations. Relogées dans des écoles en attendant une accalmie, elles redoutent l’approche de la rentrée, ne sachant plus où aller. Outre les aides d’urgence, ces victimes ont besoin de bien plus pour garder espoir.

Des moyens en deçà de la demande

À la date du 22 août 2024, les autorités « ont apporté l’assistance nécessaire aux sinistrés à travers la fourniture de vivres et non vivres, la distribution de 128 595 800 francs CFA de cash et le relogement de 903 ménages dans des écoles ». Des réponses tout de même insuffisantes face à l’ampleur des dégâts. Conscientes de cette situation, les autorités ont fait appel à la solidarité nationale et internationale. Du 28 août au 2 septembre, il y a eu 29 cas d’inondations, 9 effondrements, 1 cas d’électrocution par la foudre, 4 7 77 personnes sinistrées, dont 1 261 hommes, 1 333 femmes et 2 184 enfants, 20 pertes en vies humaines (Bamako 8, Koulikoro 9, Ségou 1, Kita 2) et 8 blessés. Les besoins pour cette période étaient de 25 tonnes de riz, 25 tonnes de mil et 1 625 litres d’huile, sans compter les besoins en non vivres.

Pour la même période, le ministre en charge de l’Assainissement et de l’environnement informait que pour l’aménagement des collecteurs financé par le Budget national et certains projets, le taux d’avancement était d’environ 60%. En ce qui concerne le curage des caniveaux, pour les 213 km à curer, il fallait noter un taux d’avancement de 20%. Des efforts louables, mais qui semblent dérisoires face à l’ampleur de la tâche. Habituellement confrontées à la problématique d’évacuation des eaux de pluie, la capitale et plusieurs localités du pays sont dépassées par les défis de l’heure. Pour y faire face, les autorités ont décidé d’encadrer l’intervention des acteurs humanitaires, qui sont nombreux sur le terrain.

Selon le ministère de la Santé et de l’action humanitaire, 18 000 ménages ont besoin d’une assistance d’urgence et 3 milliards de francs CFA doivent être mobilisés par le département pour faire face aux conséquences de la catastrophe. Le ministère a donc sollicité le concours des partenaires pour contribuer à réduire l’impact des dégâts et circonscrire les conséquences d’une situation inquiétante. Dans « ce nouveau contexte d’extrême urgence », la ministre a souhaité non seulement « plus de solidarité et d’engagement », mais également une coordination des actions pour plus d’efficience. Le ministère, qui en outre été impacté à travers ses services, dont la Pharmacie populaire du Mali, redoute les conséquences que pourraient avoir ces inondations sur le système sanitaire et la situation déjà vulnérable de plusieurs personnes.

Risques sanitaires

En alerte depuis plusieurs semaines, les populations victimes d’inondations se préoccupent en outre de l’après sinistre. Une période délicate qui pourrait être propice à la prolifération de certaines pathologies, comme les maladies diarrhéiques ou encore le paludisme ou d’autres maladies liées à la prolifération des moustiques. Compte tenu de la fragilité du système sanitaire, cette période est attendue avec appréhension par les acteurs. « L’après inondation nous préoccupe » et « ce n’est pas négligé », soutient Markatié Daou, Président du comité de crise des ressortissants de Bla. Une grande partie du mur du Centre de santé de référence (CSREF) de cette localité a cédé, explique M. Daou.  Une situation qui pourrait avoir plusieurs conséquences. Cette structure, censée accueillir les malades référés par les Centres de santé communautaires (CSCOM), ne pouvant plus les accueillir, ces deniers seront pris en charge avec les moyens des CSCOM, qui à défaut les orienteront vers Koutiala ou Ségou, toutes deux distantes de Bla d’environ 80 km. Et l’état des routes en cette période de fortes pluies ne favorise pas le transport. Il s’agit donc de « faire en sorte de reconstruire le centre et de remplacer les médicaments perdus ».  

La crise sanitaire est donc une menace supplémentaire qui plane sur les personnes sinistrées. Une crise généralisée qui semble avoir été anticipée avec la déclaration de l’état de catastrophe au niveau national. Selon le dernier communiqué du Centre de gestion des crises, seules 2 régions n’ont pas été touchées lors des derniers incidents. Dioïla, Ségou, Bandiagara, Sofara, Tombouctou, Kita, Kayes, la liste des localités touchées n’est pas exhaustive. Outre les effondrements de maisons ou de latrines, avec leurs risques sanitaires, leurs populations sont confrontées à une menace sur la campagne agricole, avec des pertes de superficies. Des dégâts qui constituent un risque pour la sécurité alimentaire et un facteur aggravant la vulnérabilité de personnes déjà confrontées à des situations précaires.

Fatoumata Maguiraga

Inondations : Aller au-delà des plans d’urgence

33 inondations dans 9 régions et le District de Bamako ont été enregistrées en ce début de mois d’août. Plus de 2 000 ménages ont été touchés et plus de 22 000 personnes sinistrées, avec 8 décès à la date du 5 août 2024. Une situation préoccupante, qui inquiète les populations concernées et appelle à des solutions pérennes.

Les ressortissants du cercle de Bla ont procédé à une première remise de dons le 13 août 2024. Constitué de 10 tonnes de céréales, d’huile, des colis d’habits, d’un montant de 3 000 000 de francs CFA et de médicaments de lutte contre le paludisme et les maladies pédiatriques, ce lot est une action de solidarité des ressortissants de la ville, située dans la région de Ségou. Destinée à mobiliser l’ensemble des 17 communes du cercle de Bla et les chefs de village, la remise a servi de cadre pour assister les sinistrés mais aussi pour « sonner l’alerte, parce que l’eau continue à monter », s’inquiète M. Markatié Daou, Président du Comité de crise des ressortissants de Bla.

« Il faut expliquer aux habitants les réflexes à adopter pour réagir face à la situation, notamment quand il pleut la nuit ». La ville a enregistré 1 décès suite à la pluie diluvienne de ce 13 août, un homme d’une cinquantaine d’années parti pêcher et emporté par les flots. Depuis la première grande inondation le 22 juillet 2024, la ville voit grossir le nombre de ses sinistrés, estimé entre 7 000 et 8 000 personnes et plus de 1 600 ménages touchés. Des sinistrés en outre privés de cultiver leurs champs, envahis par l’eau. Une partie du don mobilisé par l’association Terre solidaire a été distribué à une centaine de personnes et le reste réservé à d’autres sinistrés, car malheureusement l’hivernage n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière.

« Solution définitive »?

Pour les localités touchées par ces inondations, au-delà du constat et de l’aide d’urgence, il faut surtout envisager des solutions à long terme. Plus qu’un appel à la solidarité, le responsable du Comité de crise des ressortissants de Bla plaide donc pour « une solution définitive » pour la ville, confrontée à cette situation depuis des années. Pour prévenir la répétition de ce phénomène, elle a besoin d’un collecteur qui doit s’étendre sur une trentaine de kilomètres, selon les estimations des experts. Le Comité s’est déjà engagé afin de trouver des partenaires, y compris l’État, pour réaliser l’étude nécessaire à la réalisation de cet investissement, vital pour la survie des populations.

Fatoumata Maguiraga

Flots de déchets

ll pleut et comme chaque année les rues de Bamako et d’autres grandes villes du pays sont inondées. Dans certains quartiers, ce sont des fleuves qui remplacent les rues pendant plusieurs heures, attendant que l’eau s’écoule dans des caniveaux bouchés. Chaque année, on fait mine de vouloir les libérer des ordures qui les obstruent. On fait remonter la terre et les déchets au bord. Et on attend que la pluie les y fasse redescendre progressivement, pensant qu’on a fait œuvre utile. Cette année, malgré le lancement le 8 juillet de ce travail inutile dans le District de Bamako, on n’en a pas vu l’effectivité dans beaucoup de quartiers.

De fait, ces actions dérisoires ne sont qu’un pansement minuscule sur la plaie béante de la gestion des déchets au Mali, à l’image d’actions ponctuelles menées sans cohérence, une absence de vision et d’efficacité. Comme cette loi de janvier 2012 qui interdit la production, l’importation et la commercialisation des sachets plastiques non dégradables. Bientôt 10 ans que cette loi est passée et qu’absolument rien dans nos habitudes n’a changé.

Rien n’a changé non plus dans la gestion qui est faite de ces déchets : ils ne sont pas détruits et quasiment pas recyclés. Nous vivons comme si nous ne produisions pas quotidiennement 3 210 m3 de déchets solides rien que pour la ville de Bamako selon une étude menée par l’INSTAT en 2021. Et ce chiffre ne prend pas en compte le volume dispersé de manière sauvage aux alentours de la ville, polluant de manière irréversible les terres et l’eau.

Pour couronner le tout, alors que notre capitale compte plus de 5 millions d’habitants, nous ne sommes toujours pas équipés d’une usine d’incinération des déchets, attendant peut-être que les centaines de milliers de tonnes produites chaque année disparaissent par miracle.

Alors on pourra parler longtemps de changement climatique mais c’est surtout notre politique environnementale et d’assainissement qu’il faut changer.

Aurélie Dupin