Transition : une opposition se dessine

Le report sine die de la présidentielle de février 2024 semble être celui de trop. Soulevant une vague d’indignation et de refus au sein de la classe politique et de la société civile depuis son annonce le 25 septembre dernier, il pourrait être le déclencheur d’un nouveau train « d’opposants » à la Transition.

C’est loin d’être une surprise. Le report de l’élection présidentielle continue de faire des remous et de donner un regain nouveau à plusieurs entités politiques et de la société civile. En réaction à l’annonce du report de la présidentielle, le 25 septembre dernier, une « décision unilatérale des autorités de la Transition qui renvoie de facto à une autre prorogation de la Transition », qu’elle a condamnée, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), avait décidé de « mobiliser tous ses militants, sympathisants et autres pour organiser dans les meilleurs délais la tenue d’actions patriotiques pour exiger la mise en place d’une transition civile, seule voie pour sauver la République »

Pour Youssouf Daba Diawara, Coordinateur général de la CMAS, selon des propos relayés par l’AFP, « cela fait plus de trois ans que la gestion de la Transition est confiée à des autorités militaires. Hélas, les raisons pour lesquelles le peuple malien est sorti pour combattre le régime de Ibrahim Boubacar Keïta n’ont pas pu être atteintes. Pour la CMAS, la faute incombe aux tenants du pouvoir ».

La CMAS a annoncé dans la foulée la tenue d’une marche le 13 octobre 2023 pour demander la mise en place d’une transition civile. L’annonce de cette marche a suscité de nombreuses réactions. En réponse, le Collectif pour la défense des militaires (CDM), soutien affiché des autorités de la Transition, a rendu publique l’organisation d’un meeting à la même heure et avec presque le même itinéraire. Face au risque de confrontation et suite à une mission de « bons offices » menée par le Président du Haut Conseil Islamique, Ousmane Madani Haidara, Mahmoud Dicko a finalement demandé à ses partisans d’annuler leur manifestation. Selon nos informations, le gouverneur n’a pas donné son autorisation pour la tenue de ces deux manifestations.

D’après des analystes, même avec l’annulation, l’Imam Mahmoud Dicko a réussi son pari en captant pendant plusieurs jours l’attention des autorités et des Maliens. Les relations de l’Imam ne sont plus au beau fixe avec les autorités de la Transition depuis la prise de pouvoir du Colonel Assimi Goïta. L’ex « autorité morale », qui était très influente lors des premières heures de la Transition, a été écarté. Une mise à l’écart qui lui a laissé un goût amer. Même s’il s’astreint à un certain silence, il arrive à l’Imam Dicko de lancer des piques, comme lors du forum de Bamako en 2022 ou encore deux jours avant la tenue du scrutin référendaire, lorsqu’il a harangué des partisans du non. Un analyste politique qui a requis l’anonymat ajoute : « le fait que les autorités de transition aient discuté avec la CMAS et obtenu l’annulation de la manifestation démontre qu’elles ne minimisent pas la capacité de mobilisation des partisans de l’Imam Dicko, même si cela ne peut plus atteindre les proportions d’il y a quelques années contre le régime d’IBK ».

À en croire Jean-François Marie Camara, enseignant – chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), la posture actuelle de la CMAS n’est pas surprenante.

« Lorsqu’une transition dure trop, cela crée un sentiment de monotonie qui peut entrainer des frustrations. Et quand les élections sont toujours repoussées, il est normal d’aboutir à de tels mouvements. Il revient aux autorités de la Transition de revoir leur copie », affirme-t-il.

Bloc « anti-prolongation » ?

Si jusque-là la Transition n’a pas fait face à une véritable opposition, cette nouvelle prolongation va changer la donne. À la marche de la CMAS étaient attendus des membres de l’Appel du 20 février, dont les principaux responsables, les magistrats Cheick Chérif Koné et Dramane Diarra, ont été récemment radiés de la magistrature. Cette nouvelle opposition germe alors que les tensions se cristallisent autour de la situation sécuritaire, du report de la présidentielle, de la vie chère et des nombreuses arrestations.

« Le Parena est dans la dynamique de constitution d’un bloc contre le report et pour la non candidature des tenants de la Transition », confie Diguiba Keita dit PPR, Secrétaire général de la formation politique de l’ancien chef de la diplomatie malienne Tiébilé Dramé.

« Il est fort probable qu’un bloc puisse se former contre les autorités de la Transition. Si elles ne parviennent pas à créer un climat de dialogue avec l’ensemble des forces vives de la Nation ou à organiser une table-ronde avec la classe politique et la société civile, cela peut créer d’autres tensions pouvant aboutir à des manifestations », met en garde pour sa part Jean-François Marie Camara.

Mais, selon certains observateurs, une opposition à la Transition aujourd’hui aurait du mal à peser contre les autorités actuelles, engagées dans la « reconquête » de tout le territoire national. Un objectif dans « lequel beaucoup de Maliens se retrouvent ». D’ailleurs, le Cadre d’échanges des partis et regroupements de partis politiques pour un retour à l’ordre constitutionnel, qui était considéré comme un « opposition » à la Transition, n’a jamais réussi à faire tourner le rapport de forces à sa faveur. Il s’est par la suite effrité. La Coordination des organisations de l’Appel du 20 février pour sauver le Mali a semblé un moment prendre le relais, sans grand impact non plus.

Si un éventuel nouveau front d’opposition à la prolongation de la Transition pourrait réunir tous les partis politiques ou organisations de la société civile qui se sont prononcés contre le report de la présidentielle, il pourrait dès le départ être confronté à un manque d’unanimité autour des exigences vis-à-vis de la Transition.

En effet, au moment où certains prônent la tenue pure et simple des élections selon le chronogramme initial, d’autres optent plutôt pour la mise en place d’abord d’une transition civile qui organisera plus tard les élections.

« Le Parena ne maîtrisant pas le contenu de la transition civile, se limite à une demande, voire une exigence de respect du calendrier annoncé et s’oppose à un report des élections », clarifie le Secrétaire général du parti du Bélier blanc.

Positions tranchées

La CMAS a été jusque-là la seule à vouloir organiser des manifestations contre la prolongation de la Transition, en demandant la mise en place d’une transition civile. Mais plusieurs autres partis ou regroupements de partis politiques et organisations de la société civile se sont eux aussi érigés contre le report de la présidentielle, initialement prévue en février 2024.

Dans un communiqué au ton particulièrement virulent en date du 25 septembre, le parti Yelema a mis les gouvernants en garde sur « les risques qu’ils font peser sur notre pays dans leur approche solitaire, non consensuelle, non inclusive, pour des objectifs inavoués ». Pour le parti de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, cette nouvelle prolongation, en plus de violer la Charte de la Transition, « n’a fait l’objet d’aucune discussion interne entre les forces vives et ne saurait être une décision consensuelle ». Beaucoup de partis craignent que léger report ne devienne finalement « indéfini », alors que la Transition s’achemine déjà vers ses quatre ans, et que cette énième prorogation n’isole encore plus le Mali.

La Ligue démocratique pour le changement, de son côté, tout en désapprouvant et en condamnant sans équivoque cette « tentative de prise en otage de la démocratie malienne », a invité le gouvernement à renoncer à son projet et à « organiser l’élection présidentielle au mois de février 2024 comme déjà proposé aux Maliens et convenu avec la communauté internationale ». « Face à l’enlisement évident de la Transition, la Ligue démocratique pour le changement fait appel à tous les Maliens, en particulier les acteurs politiques, à œuvrer pour l’organisation de l’élection présidentielle comme prévu, pour un retour à l’ordre constitutionnel », a écrit le parti de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Moussa Sinko Coulibaly, dans un communiqué, le 26 septembre.

La Coordination des organisations de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali plaide elle aussi pour la mise en place d’une transition civile. Lors d’une conférence de presse, le 30 septembre, elle a invité « les démocrates et républicains de tout bord et de tout horizon à rester mobilisés et debout comme un seul homme au secours du Mali en détresse jusqu’à l’installation d’une transition civile plus responsable, consciente de ses missions ».

Le M5-RFP Mali Kura, pour sa part, après avoir dénoncé cette décision « unilatérale », a rappelé « l’impérieuse exigence de respecter les engagements dans la mise en œuvre du chronogramme devant aboutir au retour à l’ordre constitutionnel ». Le ton est un peu plus mesuré au Rassemblement pour le Mali (RPM), qui a exprimé sa « profonde inquiétude et son étonnement de voir que le cadre de concertation mis en place pour un dialogue entre le gouvernement et les partis politiques n’ait pas été impliqué dans le processus de cette importante décision ».

Issa Kaou N’Djim : un prolixe désormais très taiseux

Anciennement Coordinateur général de la CMAS, membre actif du Comité stratégique du M5-RFP puis 4ème Vice-président du Conseil national de Transition (CNT), Issa Kaou Djim n’occupe plus aucune de ces fonctions aujourd’hui. Celui qui était très prolixe s’astreint désormais à un silence qui interroge.

Opposant comme proche du pouvoir, Issa Kaou Djim est l’un des rares hommes politiques maliens qui a toujours « farouchement » dénoncé ce qu’il considérait comme « déboires ». Comme en octobre 2021, où le gendre de l’Imam Mahmoud Dicko, bien qu’alors fervent partisan du Président de la transition, Assimi Goïta, n’a pas hésité à faire part de son désaccord via les médias sociaux sur la méthode utilisée par les autorités de transition pour le renvoi du représentant de la CEDEAO au Mali, Hamidou Boly, accusé d’être « impliqué dans des activités de déstabilisation contre la Transition ». En outre, le commerçant s’est toujours montré intransigeant contre l’instauration d’un bras de fer entre le Mali et la CEDEAO. Ces prises de positions, ajoutées à son « acharnement » contre le Premier ministre Choguel Kokala Maïga, qu’il considérait comme la source principale de « l’isolement diplomatique » du Mali, lui ont d’ailleurs valu, après un court séjour en prison, d’être condamné en décembre 2021 à 6 mois de prison avec sursis et à payer 500 000 francs CFA d’amende pour « atteinte au crédit de l’État et injures commises via les réseaux sociaux ». Pire, le 4ème Vice-président du CNT a été éjecté de l’organe législatif de la Transition le 9 novembre 2021 via un décret de « l’imperturbable Assimi Goïta », comme il aimait lui-même nommer le Président de la Transition. Son passage en prison, où on ne lui a pas fait de « cadeaux », l’a beaucoup marqué. Depuis, Issa Kaou Djim a pris ses distances avec la politique malienne. Après quelques brèves apparitions en décembre 2021 auprès du désormais Cadre des partis pour un retour à l’ordre constitutionnel et sur quelques médias sociaux mi-2022, le cinquantenaire a de nouveau choisi la discrétion.

« Il ne veut plus être l’agneau qu’on sacrifie », indique un analyste politique proche de lui. « À la CMAS et au M5-RFP, il prenait les coups pour l’Imam Dicko. De même, étant au CNT et bien qu’il pouvait se contenter de son poste, il a en quelque sorte apporté son soutien aux politiciens qui sollicitaient le départ du Premier ministre Choguel Kokala Maïga. Au final, par naïveté ou envie de bien faire, il a peut-être hypothéqué son avenir politique. Il lui fallait donc du recul pour mieux analyser la situation », explique l’analyste.

Silence radio                  

Le natif de Bagadadji partage à présent sa vie entre Lafiabougou Taliko, où il vit avec sa famille, et son Centre islamique Allah Kama Ton, un centre de formation coranique pour les jeunes et les femmes. « À part cela, il reste à la maison au calme et, de temps en  temps, il se renseigne sur ses activités que gère son grand frère au marché », confie un autre de ses proches, selon lequel, malgré son retrait actuel de la vie politique, « ses relations avec son beau-père, l’Imam Dicko, restent toujours tendues ».

Son parti, l’Appel citoyen pour la réussite de la Transition (ARCT), est aussi au point mort. « Il n’existe plus que de nom. Nous ne tenons plus de réunions et il n’y a pas plus d’activités de la part du parti », déplore un militant du mouvement politique. Contacté par Journal du Mali, le Secrétaire général de l’ACRT, Soya Djigué, n’a pas souhaité s’exprimer sur la vie du parti, préférant que l’on s’en « réfère directement au Président Kaou Djim ». Silence radio au niveau de ce dernier également.

Selon l’analyse politique Amadou Touré, « il était prévisible que l’ACRT ne pouvait plus continuer à exister puisqu’il a été créé par Kaou Djim dans l’espoir de soutenir une potentielle candidature du Colonel Assimi Goïta à la prochaine élection présidentielle, même si, au sein du parti, on essaie de prétendre le contraire. Les relations des deux hommes n’étant plus au beau fixe, l’organisation politique est destinée à disparaître ». Tout comme la carrière politique d’Issa Kaou Djim?

Mahmoud Dicko : « Un pays ne peut pas se construire sur du néant »

Suite au blasphème d’un individu contre la religion musulmane, Mahmoud Dicko, imam et leader religieux livre son analyse dans cette contribution pour le Journal du Mali.

Aujourd’hui, nous avons une jeunesse qui a besoin d’être encadrée. C’est pour cela que je ne suis pas fier, ça dénote aussi de notre échec. Vous pouvez ne pas être dans une religion, mais ce comportement (vidéo de blasphème) dénote d’un manque d’éducation. Donc c’est l’ensemble de notre système éducatif et d’encadrement de notre jeunesse qui doit être revu. Parce que ce n’est pas seulement un comportement individuel isolé. Certes, il y a eu ce problème, mais il y en eu d’autres. Aucune personnalité de ce pays n’a été épargnée. Tout le monde a eu sa dose. Nous constatons des pertes de valeurs et de repères dans notre pays. Un pays ne peut pas se construire sur du néant. Un pays qui n’a pas de repères, de références, de valeurs, de patrimoine. Si rien n’est sacré, n’est tabou, ça dénote de l’échec de notre système. Les religieux peuvent changer la donne. Non seulement ils le peuvent, mais ils le doivent. Si réellement les religieux se mettent à l’écart et refusent d’être un partenaire fiable pour le système, il y aura toujours une faillite. On peut le faire en bonne intelligence, en respectant les principes fondamentaux d’une République. Cela ne doit pas nous empêcher pas de faire contribuer les religieux et les autres systèmes qui existent dans notre société. Parce que nous avons beaucoup de systèmes dans notre société pour encadrer. Nous sommes une vieille Nation, nous avons une grande richesse. Mettre cela entre parenthèses et imiter les autres de la mauvaise manière, cela ne se peut. Les religieux ont aussi leur rôle. Nous devrons contribuer à éduquer cette jeunesse d’une manière ou d’une autre. Concernant le châtiment pour le blasphème, nous sommes jusqu’à preuve du contraire dans une République qui se dit laïque, qui a des règles et des façons de faire qui diffèrent de la charia. Donc demander à une République d’appliquer ce que la loi islamique prévoit c’est se mettre en porte à faux. Il faut savoir raison garder. Même si on fait une fatwa aujourd’hui, il faut des juridictions pour l’appliquer et ce n’est pas nous. Le mécanisme juridique que l’Islam a mis en place n’est pas désordonné, chacun ne peut pas se lever et aller appliquer la loi ou faire subir la loi à quelqu’un. L’Islam est organisé comme un État. S’il s’agit de l’application de la charia dans le domaine du châtiment, cela ne peut se faire de manière isolée ou individuelle. Ce n’est pas la bonne manière. Je crois que sous le coup de l’émotion des paroles ont été tenues. Nous devons savoir raison garder. Et puis nous sommes dans une religion dont la grandeur est d’abord celle du pardon. Ce Monsieur de la vidéo peut se repentir. S’il revient demain pour se repentir, nous n’aurons aucun droit de le condamner. Donnons-lui aussi la chance, s’il le veut, de demander pardon à Dieu, puis aux Musulmans. Ouvrons aussi cette porte que Dieu nous a donnée. Il faut ouvrir la porte de la repentance. C’est cela la grandeur de la religion. Beaucoup de personnes ont blasphémé, combattu la religion, ensuite elles se sont repenties. Dieu les a acceptées. Nous ne pouvons pas fermer cette porte, elle appartient à Dieu. Et au Monsieur lui-même. Si demain il fait entendre qu’il regrette cet acte et demande à Dieu de lui pardonner, on ne peut pas refuser.

Imam Mahmoud Dicko

Pr. Clément Dembélé : « IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple »

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Après avoir changé de stratégie en élaborant un mémorandum, le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. Professeur Clément Dembélé, l’un des porte-parole du M5 répond aux questions du Journal du Mali.

                                                

Après l’échec de la rencontre avec le Président de la République, quel sera le mot d’ordre de la manifestation que vous organisez ce vendredi 10 juillet 2020 ?

Nous revenons à la case de départ qui est la démission d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais il faut d’abord rappeler la sagesse de l’imam Mahmoud Dicko que nous avons entendu. Nous avons écouté cette sagesse avec beaucoup d’attention. Nous avons accepté, sur sa demande et son conseil, de renoncer momentanément à la démission d’IBK et de poser d’autres revendications tout,  en respectant les médiations des grandes personnalités qui sont tous intervenus pour dire qu’ils comprennent notre revendication qui est légitime mais nous ont convié à enlever juste la démission du président IBK et de trouver une autre formule. Celle que nous avons trouvé c’est cela que nous avons proposé à l’imam sur sa demande et que nous lui avons remis pour qu’il le dépose auprès d’IBK. Ce n’est pas trop demander quand on sait qu’au préalable nous exigions la démission d’IBK et de l’ensemble de son régime. Maintenant qu’IBK n’a pas accédé à ces demandes, nous n’avons pas le choix. IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple que de sortir ce vendredi pour la désobéissance civile, dire non à l’atteinte de la forme de la République parce que cette forme c’est la stabilité, la sécurité, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance. Nous savons très bien que ces éléments ne sont pas réunis aujourd’hui et cela nous oblige à sortir le peuple malien pour demander simplement la démission d’IBK parce qu’il n’est pas celui qui écoute le peuple malien, qui entend la voix du peuple malien. C’est ce qui explique la sortie de ce vendredi 10 juillet. Nous allons demander à IBK de rendre aux Maliens ce qui leur appartient, c’est-à-dire le pouvoir du peuple malien.

Vous appellez désormais le peuple à la désobéissance civile. Croyez-vous en une adhésion massive à cet appel sur la durée ?

La désobéissance civile sera suivie parce qu’elle sera graduelle. Elle évoluera au fur et à mesure. Nous commençons le vendredi et la chose la plus importante pour nous c’est de mener cette désobéissance civile dans un cadre pacifique, légal et républicain. Nous ne voulons pas une désobéissance civile qui s’inscrit dans la violence. La violence est contraire à l’éthique du peuple malien. Le Mali n’a pas aujourd’hui besoin de violence. Mais cette désobéissance civile, nous allons laisser le peuple l’exprimer et la mener dans la paix et dans la sérénité mais montrer au pouvoir que désormais IBK n’a plus la main sur ce peuple et sur le Mali. La désobéissance civile sera suivie parce que le peuple malien est trop fatigué. Il est trop abandonné par ce pouvoir. Ce peuple a besoin de dignité,  d’honneur et de se retrouver. Il va donc exprimer sa solidarité, son enthousiasme, sa vigueur et sa détermination à se débarrasser d’un régime de corrompus, qui n’a  cessé de mentir et de piétiner la dignité du peuple malien. Elle sera suivie parce que la survie même du peuple malien en dépend. Aujourd’hui pour redresser le Mali, il faut le faire avec la vérité et la franchise qui ne sont pas du tout dans le camp de ce régime.

Jusqu’où ira le mouvement ?

Le mouvement est prêt à aller jusqu’au bout. Nous nous inscrivons dans la logique du peuple malien. C’est le mouvement du peuple qui aspire aujourd’hui à une bonne gouvernance, à la redevabilité et à la transparence. Vous savez, en 1991 la promesse sur la démocratie était basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. Cela n’a pas été le cas. Le peuple a été dupé, trébuché dans la boue de la déchéance, de la honte, de l’indignité et de l’indignation pendant 30 ans. Aujourd’hui ce peuple se lève comme un seul homme. Il se dresse contre tous les maux de ce pays que constituent la corruption, l’injustice, l’insécurité, la magouille, la gabegie et autres. Le peuple malien va se débarrasser de ces maux pour que l’an zéro du Mali démarre avec une nouvelle génération. Certes, certains d’entre nous ont travaillé avec le régime mais quand ils ont compris que ce régime n’avait pas la solution du Mali, ils sont partis pour revenir dans la case de la vérité et de l’honneur. Cela est à saluer. Ils ne sont pas venus pour reprendre le pouvoir et moi je suis sûr et persuadé qu’ils ne sont pas venus pour prendre la place des jeunes. Ils vont les accompagner, les protéger, leur permettre d’avoir leurs places et de diriger ce pays. C’est cet ensemble qui se lève aujourd’hui pour mettre fin au régime et permettre aux Maliens d’avancer ensemble.

L’imam Mahmoud Dicko soutient-il le retour à l’exigence de la démission d’IBK quand on sait qu’il a essentiellement œuvré pour que vous l’abandonniez ?

L’imam Mahmoud Dicko est l’autorité morale. Nous l’avons choisi pour nous accompagner, pour recadrer les choses en cas de dérapage. L’Imam Dicko est très inquiet aujourd’hui. Il est inquiet pour le M5, il est inquiet pour le Mali. Il reste toujours celui qui prône la paix et la stabilité. Il nous a toujours dit de revendiquer nos droits mais de façon pacifique, démocratique et légitime. Il y a  seulement quelques jours nous l’avons rencontré et il nous a exprimé cette inquiétude, de faire tout pour ne pas répondre aux provocations, de rester Républicains, pour sauvegarder la laïcité, rester dans le principe légal et de ne pas tomber dans la violence. Aujourd’hui plus que jamais Mahmoud Dicko est solidaire au M5-RFP, à la paix et la stabilité du Mali. Il n’a jamais appelé à la violence. Cette autorité morale nous permet de gagner du terrain, de nous faire comprendre par les Maliens, et d’avoir une grande dimension. Pour cela, je tiens personnellement à le remercier, ainsi qu’au nom du M5 et du peuple malien, pour sa souplesse, sa disponibilité, la profondeur de sa sagesse. Nous restons avec Mahmoud Dicko jusqu’au bout, et ce bout c’est de donner cette  libération au peuple malien dont il a vraiment droit. Nous disons qu’entre Mahmoud Dicko et le M5, c’est une famille qui va durer toute la vie parce qu’il n’a fait que prôner ce que nous voulons, c’est à dire un Mali libre, uni, intègre et souverain.

Mali – Mahmoud Dicko: « Une main tendue symbolise qu’on est loin de son peuple »

La Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) ont tenu ce  mercredi 17 juin un point de presse au siège de la CMAS à Bamako. Le point de presse a été animé par Mahmoud Dicko, le coordinateur de la CMAS Issa Kou Djim et les présidents de la jeunesse et des femmes de la CMAS.

L’imam a fait observer une minute de silence en l’honneur des militaires récemment mort avant de s’emparer du microphone.

Dans son allocution, il soutient qu’avec la situation de crise que traverse la population, c’est « l’existence du Mali qui est danger ».

En ce qui concerne la rencontre du Président de la République avec les forces vives mardi 16 juin 2020 qui évoquait une main tendue du Chef de l’Etat à la population, l’Imam se questionne en ces mots:  » est-ce que cette main a été tendue? Non. C’est le peuple qui l’a contrainte. Et une main tendue symbolise qu’on est loin de son peuple.  Si c’était la main du Chérif de Nioro, nous allions l’embrasser. Mais ce n’est  pas le cas. »

Selon lui, à travers différentes manifestations et revendications,  » le Peuple a exprimé son mécontentement, et ceux qui nous gouvernent l’ont ignoré. (…)  Ce sont ceux qui nous gouvernent qui ont brûler ce pays. »

Il poursuit son allocution en invitant le peuple à « faire attention » car poursuit-il,  » on nous distraie. Il est temps qu’on sache que l’heure est grave. Tous les compartiments du pays souffrent. C’est ce qu’on leur dit. Nous devons faire attention.  Ils ont opposé tout le peuple.  »

En ce qui concerne la marche annoncée ce 19 juin 2020, l’Imam Dicko informe que  » les corporations de toutes les régions nous ont assuré de leur soutien pour la grande marche de ce vendredi ». Il convoque donc une sortie massive sans violences, ni insultes avant de fermer ce point de presse.

Idelette BISSUU et Boubacar Diallo

 

 

Boubacar Haidara: « Les intérêts de Mahmoud Dicko ont toujours été politiques »

Docteur en géographie politique, sciences politiques et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) de Sciences Po Bordeaux, Boubacar Haidara nous livre son analyse sur la CMAS et Mahmoud Dicko.

Ce virage politique ne s’est pas enclenché seulement avec la création de la CMAS. La CMAS est plutôt l’outil de perpétuation de l’engagement politique de Dicko depuis plusieurs années, lorsqu’il était le Président du Haut conseil islamique. La création de la CMAS répond, selon moi, au besoin pour l’Imam Dicko – qui a bien compris que sa force repose sur sa capacité à mobiliser – de s’adosser à une structure organisationnelle pour poursuivre ses combats, ceux qu’il a toujours menés.

La forte capacité de mobilisation dont il a toujours fait preuve lui suffit à peser sur la scène politique nationale.

L’alliance CMAS – groupements politiques peut-elle la parasiter ?

L’Imam Mahmoud Dicko a fondé sa notoriété sur les différentes luttes politiques qu’il a menées, notamment contre le Code de la famille, entre 2009 et 2011, la résolution de la crise depuis 2012, le refus de l’éducation sexuelle en 2019, etc. On constate donc que ses intérêts ont toujours été politiques. Il les justifie en affirmant qu’en tant que société majoritairement musulmane, les aspirations des Musulmans doivent nécessairement être prises en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

Certains voient dans les positions actuelles de la CMAS une manipulation politique pour peser dans le choix des ministres à venir. Le cas échéant, cette proximité de Mahmoud Dicko avec des organisations purement politiques – dans ce cas précis les mouvements FSD et EMK – n’est en rien un fait nouveau pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’actualité politique malienne. Les acteurs islamiques n’ont-ils pas contribué à porter au pouvoir le président actuel ? Ne l’a-t-il pas lui-même reconnu dans une apparition télévisée ?

Le communiqué conjoint du 26 mai 2020 du Mouvement Espoir Mali Koura (EMK), du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) et de la CMAS, ne fait que conforter l’Imam dans sa ligne : continuer à peser dans le paysage politique malien.

Certains trouvent que Kaou Djim va beaucoup trop loin. D’aucuns estiment même qu’il pourrait desservir Dicko…

Issa Kaou N’djim n’annonce pas de réorientation majeure dans la stratégie de Mahmoud Dicko. Simplement, il exprime ses idées en des termes plus véhéments et manque certainement du tact et de la finesse de son mentor.

Propos recueillis par Boubacar Sidiki Haidara

Mali – Marche du 5 juin : l’Imam Mahmoud Dicko appelle à la mobilisation

Au Mali, l’imam Mahmoud Dicko, a dans une vidéo rendue publique ce 1er juin 2020 sur Facebook appelé à la mobilisation pour la marche du 5 juin. L’ancien Président du Haut Conseil Islamique s’est indigné de la gouvernance du pays par le Président Ibrahim Boubacar Kéïta. 

L’imam Mahmoud Dicko promet de diriger la prière de ce vendredi 5 juin à la place de l’Indépendance. Dans la vidéo réalisée par la cellule de communication de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants qui le soutiennent, Mahmoud Dicko a appelé toutes les régions du Mali à rejoindre la place de l’Indépendance pour une marche pacifique. « C’est une marche pacifique, sans bâton, ni haches, ni couteaux, ni insultes », a-t-il expliqué.

Il a pointé du doigt la gouvernance du Président Ibrahim Boubacar Kéïta qu’il qualifie d’échec. L’absence de l’Etat à Kidal, l’insécurité au centre du pays, la corruption sont entre autres problèmes qu’il a mis en exergue. 

L’imam Mahmoud Dicko a invité les manifestants à porter des masques en ce temps de covid-19.  Il a mis en garde l’Etat contre toute répression et a promis de ne pas « annuler la marche à la dernière minute pour une quelconque intimidation ». 

Rappelons que la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) et le Mouvement Espoir Mali Koura (EMK) avaient appelé le Président Ibrahim Boubacar kéïta à la démission le 30 mai dernier. Le 26 mai dernier, les trois mouvements avaient tenu une rencontre tripartite et ont convenu de l’unité d’action.

Boubacar Diallo

 

Législatives 2020 : Quel poids pour la CMAS de Mahmoud Dicko ?

Lancée en septembre 2019, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS) affiche désormais ses ambitions pour les prochaines échéances électorales, notamment les législatives de mars. Si l’influence et la popularité de l’imam de Badalabougou ne sont plus à démontrer, la CMAS parviendra-t-elle à peser dans les urnes ?

« Nous sommes en train de structurer ce mouvement. Nous avons dit clairement que c’était un mouvement politique, et un mouvement politique ce sont des ambitions politiques. Nous espérons avoir des candidats sur des listes, avec des partis politiques qui partagent nos valeurs », expliquait récemment à RFI Issa Kaou Djim, Coordinateur et porte-parole de la CMAS.

Son implantation d’ailleurs déjà commencé dans les six communes du District de Bamako, avant de s’étendre à l’intérieur du pays. Ne se positionnant ni dans la majorité ni dans l’opposition, le mouvement veut être une troisième voie pour l’électorat, appelé à élire de nouveaux députés pour les cinq prochaines années.

Quel poids ?

Pour Ballan Diakité, chercheur au CRAPES,  la CMAS de Mahmoud Dicko a toutes les chances de battre les partis politiques classiques lors des prochaines élections législatives.

« Un parti politique, c’est une organisation dans laquelle la société ou une partie de la société se reconnait. Mais, quand vous regardez les partis politiques au Mali depuis l’avènement de la démocratie, c’est un échec cuisant. Aujourd’hui, le marasme politique dans lequel se trouve le pays leur est en partie imputable », affirme-t-il.

« Cette situation a donné naissance à une crise de confiance chez les électeurs. Du coup, les yeux sont maintenant tournés vers les religieux, qui sont finalement les seules voix écoutées », ajoute -t-il.

Un avis qui n’est pas partagé par l’analyste politique Salia Samaké, pour lequel la CMAS de Mahmoud Dicko, toute seule, n’a pas de grandes chances de s’imposer lors des élections.

« Je ne crois pas que la CMAS puisse peser lourd aujourd’hui sur la scène politique. L’histoire de Sabati doit donner à réfléchir à tout le monde. En tant que religieux, l’Imam Dicko est incontournable, mais dans l’arène politique il fera face à d’autres facteurs, qui ne seront pas forcément à son avantage », soutient M. Samaké.

« Ils n’ont pas forcément quelque chose de nouveau à apporter, mais ils auront du poids  surtout en fonction des alliances qu’ils noueront avec les autres partis », relativise-t-il toutefois.

CMAS : La nouvelle monture de l’imam Dicko

Le 7 septembre prochain, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) sera lancée à Bamako, au Palais de la culture. Sous le parrainage de l’ancien Président du Haut conseil islamique du Mali, la structure se veut le seul représentant et soutien des actions de l’imam de Badalabougou. La suite de son combat pour un nouvel idéal  de gouvernance ?

« Sa déclaration du 7 septembre sera le fil conducteur de la CMAS. Quand l’Imam dira d’aller à droite, nous irons à droite, quand il dira le contraire, nous le ferons. C’est donc un outil politique qui est mis à sa disposition pour résoudre les problèmes de notre pays », affirme Issa Kaou N’Djim, porte-parole de l’imam Mahmoud Dicko et coordinateur  général du mouvement  qui sera lancé ce samedi à Bamako. Avec sa verve habituelle, il a rappelé les actions menées par son mentor, notamment la lutte contre le projet du Code de la famille en 2010, l’ouverture d’un cordon alimentaire lors de la crise dans les régions du Nord, les missions de bons offices, la lutte contre le projet d’éducation sexuelle complète et l’organisation des manifestations des 10 février et 5 avril 2019. La coordination entend défendre la vision religieuse, sociétale et coutumière, ainsi que politique, de l’imam.

Un goût d’inachevé 

À la tête du Haut conseil islamique de 2008 jusqu’à avril 2019, l’imam Mahmoud Dicko a beaucoup animé la scène nationale. Sa voix porte et son influence n’a de cesse de croître. Son rejet affiché de la gouvernance actuelle du pays et son indignation face aux atteintes aux principes de l’Islam lui font enfourcher un nouveau cheval. Pour Ballan Diakité, chercheur au CRAPES,  la création de la coordination que parraine l’Imam est une manière pour lui de compenser son départ du Haut conseil islamique et de se maintenir sur la scène. « Avec l’influence qu’il a sur la jeunesse musulmane aujourd’hui, il est évident qu’il doit se trouver un cadre de convergence de l’ensemble de ses partisans afin de pouvoir continuer à exercer l’influence qu’on lui a connue ces dernières années. La mise en place de ce collectif révèle l’ambition de l’homme : rester présent sur la scène politique malienne ».

Pour le Dr Gilles Holder, co-directeur du Laboratoire Macoter de Bamako et spécialiste de l’Islam en Afrique,  la création de ce mouvement est loin d’être un pis-aller pour  l’Imam Dicko, qui mène  au quotidien des activités riches et diverses. « La question est comment prolonger au sein de la société civile les actions qu’il a souhaitées mettre en place lorsqu’il était au Haut conseil islamique, et en particulier à faire de ce Haut conseil un espace de société civile religieuse ? C’est-à-dire aller au-delà des aspects sociétaux et moraux pour être dans des aspects plus sociaux, plus citoyens, plus politiques, et politiques au sens noble du terme », explique l’anthropologue.

Un terrain  glissant

Au Mali,  l’imam Dicko veut influer sur  la gouvernance du pays. Un terrain glissant et semé d’embûches. « Il y a beaucoup des choses qui lui ont réussi, Dieu merci, mais  je crois qu’il aura sur ce projet beaucoup de problèmes. Il se lance dans quelque chose qu’il ne maitrisera pas. Il veut faire de la surenchère religieuse, ce qui est très mauvais », confie l’un de ses anciens collaborateurs. Pour le porte-parole de l’imam, le temps est venu pour eux « d’agir sur toutes les questions de la vie politique ». Il pose la question : « comment voulez-vous soustraire la vie politique de quelqu’un de sa foi ? ». Dans sa tirade, Issa Kaou N’Djim proteste contre la diabolisation de l’homme religieux et tire à boulets rouges sur les acteurs de la démocratie. « Il n’y a aucune loi au Mali qui donne un statut aux religieux. Pourquoi donc vouloir les diaboliser ? Un chef religieux qui s’est libéré de ses charges au nom de la communauté religieuse a le droit d’aller sur l’arène  politique », martèle-t-il, ajoutant « la démocratie, c’est le rapport de forces et si la majorité du peuple croit à la CMAS, alors la volonté du peuple se fera ». De son côté, l’islamologue Gilles Holder trouve « qu’on peut être citoyen et musulman. Ceux qui condamnent cela ont mal compris les choses, mais le problème est peut être au-delà, car un projet de société qui voudrait se baser sur la morale islamique pourrait introduire la Charia dans la Constitution », argumente-t-il.

Cependant, le co-directeur du Laboratoire Macoter de Bamako estime que l’imam n’a pas intérêt à se jeter dans l’arène politique. « On dit que quand on entre dans le marigot des caïmans c’est fini. Le fait de ne pas y avoir trempé son pied le sauve et lui donne une autorité morale, même si elle est contestée », relève l’islamologue. Il croit également que le mouvement en gestation guette les élections législatives à venir. Car, ajoute-t-il, Mahmoud Dicko et son équipe savaient qu’ils allaient quitter le HCI, vantant au passage leur savoir-faire organisationnel depuis  toujours. « Ce que je sais est qu’il entend animer la chose publique, pour le moment, dans le cadre de la société civile et, dans cette animation, tenir compte des valeurs religieuses. Il peut trouver son compte dans cela, mais s’il s’engage sur le terrain politique, il se cassera le nez d’emblée, car une fois dedans il sera confronté à des très dures réalités et décevra forcement », pense pour sa part Woyo Konaté, Docteur en philosophie politique et professeur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako.

Des analyses qui ne calment pas les ardeurs du porte-parole de l’Imam dont la conviction sur les atouts de son guide semble totale. « C’est le peuple qui décidera. C’est lui qui est souverain et à lui seul appartient la légitimité », dit N’Djim. Il ajoute « ce mouvement, c’est d’abord arrêter ce qui est inacceptable et proposer ce qui est la solution. Nous sortons de la contestation, nous voulons la solution. Il s’agit d’assurer l’intégrité du territoire national, d’organiser un véritable dialogue national et ensuite d’imposer les conclusions de ce dialogue, parce que c’est la volonté du peuple ».

Quel projet ?

Le changement de gouvernance passe par un projet novateur, pouvant redonner au peuple la confiance entamée. Mais la classe politique, majorité et opposition, a déçu. D’où ce qu’appelle Issa Kaou N’Djim « la troisième voie », l’Imam Dicko. « Est-ce que ce sont les religieux qui sont à la base de cette corruption généralisée ? Ceux qui se réclament acteurs de la démocratie, qu’ont-ils apporté dans leur majorité, si ce n’est le sang, le chaos, l’humiliation et la perte de notre souveraineté nationale. En 1991, pourtant, le Mali était souverain sur l’ensemble de son territoire. Aujourd’hui, toute la communauté internationale est chez nous à cause de l’incapacité de nos dirigeants à gérer notre pays », accuse le coordinateur de la CMAS.

Une désolation sur laquelle compte surfer le natif de Tombouctou pour faire miroiter son projet face à un peuple fatigué des scandales et de la mal gouvernance. « Ce qui caractérise Mahmoud Dicko, et cela on le sait depuis longtemps, ce n’est pas qu’il soit wahhabite, mais le fait qu’il ait un projet de société. Et ce projet est partagé par une minorité agissante et très bien formée. Son objectif est de moraliser la vie publique, politique, en disant qu’on a perdu toutes les valeurs et que seul l’Islam peut rétablir ces valeurs, qui sont nécessaires au développement et à la paix dans le pays. En disant que ce n’est pas l’homme qui a un libre arbitre, mais Dieu qui arbitre », détaille l’anthropologue Gilles Holder, qui considère que le mouvement se restructure en parti pour porter ce projet.

Cette coordination est désormais en marche. L’avenir nous dira sur quoi elle va déboucher.

Grogne sociale : Le gouvernement cèdera-t-il ?

Le 5 avril, des milliers de personnes ont répondu à l’appel de l’iman Mahmoud Dicko et du Cherif de Nioro à la  place de l’indépendance de Bamako. La démission du gouvernement et la mauvaise gouvernance étaient les catalyseurs de cette manifestation pacifique inédite. Mais cette énième défiance du Président du Haut conseil islamique aura-t-elle raison du gouvernement de Soumeylou Boubeye Maiga ?

« C’est une manifestation qui s’inscrit dans la logique de protestation de la gouvernance actuelle dans notre pays. C’est également une manière d’exprimer la colère que les populations ont longtemps gardé dans leur cœur vis-à-vis de ce qui se passe au nord, au centre, de la cherté de la vie. C’est tout un ensemble de problèmes sociaux, économiques, conjugués à des problèmes politiques, qu’ils ont essayé d’exprimer à travers le grand rassemblement de vendredi », explique Ballan Diakité, analyste politique au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES).

Le 5 avril, à l’initiative du Président du Haut Conseil islamique du Mali, l’imam Mahmoud Dicko, soutenu par le richissime Cherif de Nioro, des milliers des personnes avaient convergé depuis 14 heures, sous un soleil peu clément, vers la place de l’indépendance à Bamako. De tous les mots d’ordre et de revendication, la démission du gouvernement Soumeylou Boubeye Maiga était le noyau autour duquel gravitaient tous les autres. Certains manifestants réclamaient le départ de la MINUSMA et de la France  du Mali, estimant que « leur présence ne sert absolument rien si chaque jour le pays compte ses morts ». Arrivé sur place dans cette ambiance électrique, l’imam Mahmoud Dicko a fait la revue de la situation que vit le Mali, arguant que « ceux qui sont venus aider le pays doivent le faire en toute franchise ou quitter le Mali ». Il avertissait à cette occasion le Président de la République que les marches continueraient tous les vendredis si son message n’était pas entendu.

Revendications légitimes 

La manifestation de vendredi, au-delà de l’imam Mahmoud Dicko, était un cocktail explosif d’hommes et de femmes mécontents de la situation que travers le pays. Des religieux, des politiques, des commerçants, des  enseignants, chacun avait un message. « Les gens ont répondu à l’appel et la masse présente témoigne d’un haut degré de mécontentement au sein de la population. Derrière cette marche, il faut voir le niveau de frustration des Maliens par rapport à la manière dont les choses sont gérées », souligne Woyo Konaté, Docteur en philosophie politique et enseignant à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Selon lui, un réaménagement gouvernemental est nécessaire pour calmer les tensions. « On ne peut pas dire aujourd’hui que l’équipe qui est là est une équipe qui gagne. Ce sont des demandes légitimes. En démocratie, on est face à des gouvernements d’opinion et le nombre de gens qui ont marché constitue une tranche très importante de l’opinion publique, donc à prendre au sérieux », explique le philosophe.

Par contre, pour le  politologue Boubacar Bocoum, le terrain politique n’est pas celui du religieux. « Je ne pense pas qu’il soit du ressort de l’iman Dicko de réclamer la démission du Premier ministre,  encore moins de manifester pour dénoncer les tares politiques. Manifester fait partie de la liberté d’expression, mais en termes d’analyse  politique, je ne vois pas comment un imam peut demander à un ministre de démissionner dès lors qu’il y a une opposition, un Parlement et toutes les procédures administratives et juridiques », se démarque-t-il. « C’est anachronique et cela veut dire qu’il prend la place de l’opposition », ajoute-t-il. Que les messages mis en avant soient légitimes ou pas, il y a une évidence à prendre en compte : les frustrations. « La question de la légitimité de la marche ne pose plus aujourd’hui, mais plutôt celle du symbole qu’elle donne du point de vue démocratique. Dans cette marche il y avait toutes les sensibilités, les partis politiques, les syndicats, des citoyens lambda, des opérateurs économiques. C’est une frange importante de la société qui a répondu pour exprimer son mécontentement quant à la manière dont les choses publiques sont gérées et quant à la manière dont les acteurs qui sont censés répondre aux besoins des populations sont perçus », juge Dr Aly Tounkara, sociologue et  professeur à la faculté des Sciences humaines et des sciences de l’éducation de Bamako.

Messages entendus

Vingt-quatre heures après cet imposant rassemblement, le Président de la République reçoit en audience la Ligue des Imans du Mali(LIMAMA). Après cette rencontre dont il s’est réjoui de la tenue « au lendemain d’une journée d’effervescence », IBK a dénoncé « certains slogans et surtout des déclarations désobligeantes pour nos amis en souci du Mali, aujourd’hui à nos côtés pour combattre le terrorisme », a-t-il réagi. Des « amis » pourtant qui ne cessent d’être critiqués, au regard d’une situation sécuritaire toujours alarmante. « On dit que Barkhane est là pour lutter contre le terrorisme, la Minusma pour stabiliser le pays,  mais, malgré leur présence, l’insécurité n’a jamais été aussi grande dans notre pays. Les attentats continuent, des villages comme Ogossagou continuent d’être brûlés », expose l’analyse politique Ballan Diakité, pour lequel « à un moment donné il faudra revoir le mandat de la MINUSMA ». Dans un contexte de terrorisme international, l’enjeu lié au retrait des  forces étrangères dépasse le Mali. « Ce n’est pas facile d’obtenir dans l’immédiat le départ de ces forces. Parce que la menace va au-delà, pour porter atteinte à la sécurité internationale et cette question va aussi au-delà d’une seule souveraineté », décortique le Dr Woyo Konaté.

Pourtant, cette sortie avec les imans aurait été selon certains analystes une occasion pour le Chef de l’Etat de mettre « balle à terre ». Que nenni ! Alors que les organisateurs du meeting attendaient des réponses sur la démission du Premier ministre, le Président a éludé ce sujet qui fâche et s’est engagé dans un discours offensif. « Nul n’arrivera à subvertir le Mali, à le prendre de l’intérieur, nul ! Prétendre qu’Ogossagou nous aurait laissés indifférents est une infamie, une ignominie de la pire espèce », répliquait IBK. Un discours qui a reçu un froid accueil de ceux qui espéraient une détente après une journée à risques. « La réponse n’est pas adéquate. On n’a pas besoin d’une rhétorique pareille. Il aurait été plus élégant en les recevant, les écoutant », analyse Boubacar Bocoum. Une position que partage également le docteur en philosophie politique Woyo Konaté. « Il peut ne pas avoir compris. Le fait de ne pas considérer cette doléance, c’est se mettre dans une logique de va-t’en guerre. En démocrate, qu’il engage des pourparlers pour voir ce qu’il peut faire », suggère-t-il.

Pour le sociologue Aly Tounkara, « en invitant une partie de l’Imamat qui n’a pas pris part à la manifestation, notamment ceux de l’approche malékite, hormis le Cherif de Nioro, la Présidence a voulu jouer sur les dissidences ». Une pratique qui serait devenue récurrente. « La politique de ce gouvernement a toujours été de diviser pour mieux régner. C’est Mahmoud Dicko qui a dit aux gens de sortir. C’est un imam, Président du HCI, et pour casser la dynamique le Président  appelle certains autres imams pour parler avec eux comme s’il avait leur accord et que Mahmoud Dicko serait un réfractaire, ce qui n’est pas le cas », clarifie de son côté Ballan Diakité, qui se demande si IBK a compris la démonstration. Le chercheur du CRAPES alerte sur le danger que peut engendrer « la politique de la sourde oreille ». « Si jamais la foule sortie vendredi ressort encore sur la base des mêmes revendications, cela ne sera pas bon pour ce régime. Personne ne veut que ce pays éclate, mais à un moment donné, s’il faut une refondation, il faut la faire », estime Ballan Diakité, ajoutant que « la révolution est nécessaire dans ce pays, parce que nous sommes avec une  classe politique qui depuis 25 ans continue à gouverner sur la base d’oligarchies et de politiques de copinage ».

Depuis, le lundi 8 avril, IBK a reçu toutes les confessions religieuses et les familles fondatrices de Bamako à Koulouba, avec la présence très remarquée de l’imam Mahmoud Dicko. Les démarches entreprises ont permis de surseoir à la marche annoncée pour vendredi prochain. À l’issue de cette rencontre nocturne, une dynamique de dialogue constructif semble se dégager. Mais le porte-parole de l’Imam, Issa Kaou Djim manifestera sa déception après cette audience. « Les chefs traditionnels n’ont pas pu faire entendre raison au Président afin qu’il comprenne que c’est une question de Nation et non une question de Boubeye. Une grande partie de la population demande à ce que Boubeye parte, mais le Président refuse de le lâcher. On verra ce qui va se passer », s’insurgera le porte-parole, selon qui, toutefois, « l’imam Dicko demande à tout le monde de la retenue pour le moment ».

Un  dilemme cornélien

La manifestation de vendredi dernier n’était pas la première injonction faite au Président de se débarrasser de son Premier ministre. Sa résistance face aux requêtes insistantes aussi bien des religieux et de l’opposition que du  Rassemblement pour le Mali (RPM) témoigne d’une certaine reconnaissance envers celui qui a contribué à sa réélection en 2018. « Le Président serait dans une sorte de considération de fidélité vis-à-vis de son Premier ministre, qui est peut-être pour beaucoup des choses dans sa réélection. Ce qui n’est pas facile », révèle Dr Woyo Konaté.  Or, selon lui, il faut souvent évoluer en fonction des réalités et « les hommes se doivent de comprendre que la politique a sa morale, différente de la morale ordinaire. Il doit lui dire je te suis reconnaissant, mais le Mali est au-dessus de nos amitiés », souffle-t-il.  Une autre hypothèse concernant ce refus du Président serait qu’il ne veut pas se montrer fébrile face aux exigences des ces groupes religieux. « Toute décision qui sera prise au lendemain de cette marche sera vue comme une victoire d’une frange importante des leaders religieux. C’est cela le dilemme aujourd’hui. Cela veut dire que l’État aussi se bat pour ne pas être étiqueté comme étant à la merci des religieux. Mais en même temps il sait pertinemment qu’il y a un poids qui le gène dans son fonctionnement », relève Dr Aly Tounkara.

Dans cette bataille, dont l’issue est encore incertaine, toute résolution sera décisive pour l’avenir du Mali. « Je ne  pense pas qu’il va les écouter, parce que s’il accepte leurs revendications ce sont eux qui vont piloter le pouvoir et son autorité sera mise à mal. Cela lui coûtera ce que ça va lui coûter, mais il ne va pas céder », conclut Boubacar Bocoum. Alors que le sociologue Aly Tounkara privilégie l’hypothèse d’une ouverture, car « ces leaders religieux sont des pourvoyeurs de paix sociale et cela est essentiel dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme religieux. Ce sont des acteurs légitimes et peu coûteux, et qui ont des accointances avec certains  leaders religieux violents ».

Incertitudes ?

Pourtant, l’absence d’un consensus sur les questions soulevées par les manifestants  pourrait cristalliser les tensions dans les jours à venir. « Il est important de rester ouvert. Quelqu’un qui a une foule derrière lui, en démocratie, est à craindre. Le Président doit regarder les choses en face et savoir que ce ne sont pas deux individus qui le combattent. Derrière eux, combien d’hommes et de femmes sont mécontents aujourd’hui? », fait remarquer Dr Aly Tounkara. Pour le Dr Woyo Konaté, le péril à chaque mobilisation deviendra plus grand. « Le risque est que, si les marches continuent, le discours pour mobiliser les gens va monter en grade en termes de menaces. Pour remobiliser les gens il faut changer de discours et en changeant de discours il ne faut pas être surpris de voir de voir des propos qui ne vont pas dans le sens pacifiste », avertit-il. Les difficultés sociales, exacerbées par la crise sécuritaire et politique, ont réduit l’horizon d’une large frange de la société malienne. Un changement dans la gouvernance serait la seule issue, selon le politologue Ballan Diakité. « Il faudra à un moment donné qu’il change de gouvernement et qu’il fasse appel à d’autres personnes, avec une nouvelle feuille de route, une nouvelle vision, qui puissent donner l’impression au peuple qu’il y a du travail qui est fait. Pendant que nous autres végétons sous le soleil ardent dans la pauvreté, il y en a certains qui fêtent leur anniversaire à hauteur de 50 millions, ce qui crée des blessures profondes dans les cœurs des gens », prévient-il.

Véritable marée humaine à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko, la démission du Premier ministre exigée

Plusieurs milliers de personnes, répondant à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko ont investi le boulevard de l’indépendance ce 5 avril.  Après la prière du vendredi, une véritable marée humaine a déferlé de tous côtés pour rejoindre le point de rencontre. Aux cris des ‘’IBK dégage’’ et ‘’Boubeye démission’’, les manifestants ont exprimé leur mécontentement et leur ras-le-bol à l’encontre du pouvoir. « Nous en avons marre, la situation empire, le pays est dans le gouffre, absolument rien ne va dans le bon sens, nous ne voulons plus de ces personnes qui mettent notre Mali à terre » s’écrie un manifestant qui confie avoir fermé sa boutique pour répondre à l’appel.  Plusieurs autres ayant défié soleil et déshydratation brandissaient des pancartes hostiles au chef de l’État, au Premier ministre mais également aux forces étrangères présentes dans le pays.

Le porte-parole de l’imam Dicko, Issa Kaou Djim a assuré que « ce gouvernement doit partir, et il partira ». « IBK est décrié par le peuple.  Ce peuple sort, si c’est un démocrate, il doit se poser des questions sur sa légitimité » ajoute-t-il. Dans son adresse difficilement audible, notamment à cause d’une mauvaise sonorisation et d’une coupure d’électricité par la suite, le président du Haut conseil islamique a une nouvelle fois pointé du doigt la gouvernance du président IBK, jugée « très mauvaise ». Il a lancé un ultimatum au Premier ministre, à qui il enjoint de démissionner, faute de quoi, la manifestation deviendra hebdomadaire jusqu’à satisfaction.  Injonction accueillie avec une large clameur par les milliers de personnes présentes, obligées de capter différentes stations de radio pour entendre le message de Dicko.

A la fin de l’évènement qui s’est déroulé sans heurts, un groupuscule s’est dirigé vers la propriété du chef du gouvernement. Ce qui a conduit à un affrontement entre le groupe et les forces de défense et de sécurité qui ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser le mouvement.

Communauté musulmane : Querelles de leadership ?

Depuis le refus de la majorité  des membres du Haut conseil islamique du Mali de suivre l’imam Mahmoud Dicko dans l’organisation d’un meeting de dénonciation du programme d’éducation sexuelle complète, fin décembre, le fossé s’élargit entre certains leaders religieux musulmans. Son dernier appel au stade du 26 mars, sans certains poids lourds, et ses prises de positions laissent apparaitre, au-delà du politiquement correct, un malaise. Querelles de leadership où stratégie politique avant la fin du mandat ?

Ils font l’actualité. Des véritables draineurs des foules. Leurs voix sont écoutées au-delà des mosquées. Depuis plus d’une dizaine d’année, les leaders religieux musulmans occupent, et ce de façon fulgurante, le devant de la scène nationale. « Aujourd’hui, tout bouge du côté de la dynamique religieuse. Il y a la rébellion djihadiste, la société civile musulmane, les conflits de leadership. Rien ne peut se faire désormais dans ce pays sans l’Islam et aucun pouvoir ne peut plus exister s’il ne tient pas compte des musulmans, parce qu’ils ont reçu la formation pour comprendre ce qu’ils représentent comme poids politique », soutient Dr Hamidou Magassa, enseignant chercheur, anthropologue et collaborateur de Mahmoud Dicko pendant dix ans.

Estimés à environ 95% de la population, les musulmans sont devenus au fil des années une force motrice qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre. La création par le gouvernement, en 2002, du Haut conseil islamique (HCI), s’inscrivait dans la volonté de canaliser la création des associations musulmanes et d’avoir un interlocuteur unique à qui parler. Mais les relations entre cette institution et le pouvoir sont à la fois complices et conflictuelles. Les dernières sorties de l’Imam Mahmoud Dicko, Président du Haut conseil islamique depuis 2008, dans lesquelles il dénonce les dérives religieuses et sociales signent la fin de l’idylle. Mais pas seulement. Alors que l’imam de la mosquée de Badalabougou et le très respecté Chérif Bouyé Haidara de Nioro font front commun contre le gouvernement, le Vice-président Chérif Ousmane Madani Haidara, soufi, et Chouala Bayaya Haidara, chiite, prennent leurs distances. Deux camps émergent, l’un opposé au pouvoir et l’autre qui ne l’attaque pas.

Le projet de la discorde

Bien que dans le passé la lutte ait été quelques fois âpre entre le gouvernement et le Haut conseil sur certains sujets, elle semble prendre aujourd’hui une autre tournure. L’imam Mahmoud Dicko, qui a alerté l’opinion sur l’existence d’un programme d’enseignement d’éducation sexuelle complète, ne désarme pas des mois après. Il parle publiquement des atteintes à la religion du projet, qui invite selon lui à « la débauche et à la dérive des mœurs». L’homme, d’obédience wahabite, mais qui se dit « adepte de l’islam tout court », est scandalisé. Il entreprend d’organiser un meeting au Palais de la culture le 23 décembre 2018 afin d’informer les fidèles de ses découvertes. Mais la majorité des membres du Haut conseil islamique, dont son Vice-président, Chérif Ousmane Madani Haidara, Président de l’association Ançar Dine international et du Groupement des leaders religieux musulmans, s’oppose à la tenue d’un tel rassemblement, d’autant qu’entre-temps le gouvernement a reculé. Si ces leaders ont des positions tranchées et évoluent dans des courants différents, l’acte de défiance à l’endroit de l’imam de Badalabougou va cristalliser les dissensions au sein de la communauté musulmane. « Je ne crois pas qu’il ait une crise de leadership  au sein du Haut conseil. Peut-être entre les leaders. Ils ne sont pas de la même tradition religieuse et il y a une scission à l’intérieur de la communauté musulmane quant à l’approche vis-à-vis des autorités », souligne Ballan Diakité, analyste politique au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Même s’ils laissent paraitre certaines convergences, des actes qui peuvent sembler anodins révèlent ces dernier temps un climat tendu.

Le meeting et  après ?

Le Président du Haut conseil islamique va organiser le 10 février, avec la bénédiction du Chérif de Nioro, un meeting grandiose au stade du 26 mars.

C’était officiellement pour prier pour la paix et la réconciliation au Mali, un pays qui traverse la plus dure période de son existence. Mais les thèmes du meeting vont changer. Les leaders religieux profitent de l’occasion pour fustiger la gouvernance actuelle et appellent à la démission du Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga. Pour eux, le mal, c’est ce « hérisson ». « Récemment, avant que Barkhane ne mène l’offensive contre Kouffa, les ministres de la Défense française et allemande se sont entretenues avec SBM. Et c’est là que l’ordre a été donné, alors que le contact était déjà établi avec Koufa par la Mission de bons offices. Si on détruit les instruments de dialogue que nous avons, nous risquons de devenir comme le Nigeria, où l’État est très puissant mais n’a pas réussi à régler le problème Boko Haram », prévient Dr Hamidou Magassa.

Les dissensions latentes au sein de la communauté musulmane ont fini par se manifester lors de ce rassemblement. « L’objet du meeting était de prêcher pour le Mali, mais nous avons vu un meeting politique. On comprend que Haidara ne voulait pas s’inscrire dans cette logique et s’est intelligemment effacé, en prétextant qu’il était hors du pays. Et tout cela montre que ça ne va pas. C’était juste un combat entre eux et les dirigeants, car s’ils étaient là-bas pour l’Islam ils n’allaient pas huer la délégation de Haidara », signale pour sa part l’analyste politique Boubacar Bocoum.  La création par Chérif Ousmane Madani Haidara du Groupement des leaders religieux musulmans, suite à la crise de 2012, n’avait pas enchanté le camp de Mahmoud Dicko. « Ils ont hué son représentant parce que Haidara n’est pas très loyal. Il a créé le Groupement des leaders religieux soufis alors qu’il est dans une faitière. Je sais que  Dicko a eu toujours l’intelligence de ne jamais être en conflit avec lui. Les gens savent qu’il est son adjoint, c’est pour cela qu’ils l’ont hué », explique Dr Hamidou Magassa.

Pour ce proche du Président d’Ançar Dine, ils ne regrettent pas leur démarche. « Le 26 mars n’est pas un lieu de prière. Le lieu de prière c’est la mosquée. Et Dieu aussi nous a donné raison », déclare Mohamed Maky Bah, Président de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMMA) et Secrétaire général du Groupement des leaders religieux musulmans. Il poursuit : « il n’y a pas de problèmes entre nous quand il s’agit de l’islam, mais quand certains leaders veulent se servir de la religion pour faire de la politique ». Pour le Professeur Issa N’Diaye, ce meeting montre « une fracture au sein du Haut conseil islamique, dans la mesure où d’autres clans religieux ne s’y sont pas associés, comme Haidara. Il y a donc deux tendances désormais, une qui soutient le pouvoir et une autre qui est contre », observe-t-il.

Les prises de positions se sont transportées jusque dans les mosquées. Vendredi dernier, pendant son Koutouba (discours) dans une mosquée de Dravela, un imam favorable au maintien de Soumeylou Boubeye Maiga et critique vis-à-vis de la démarche de l’imam Dicko a déclenché l’ire de certains fidèles. Quelques-uns ont même décidé d’abandonner cette mosquée.

La fin d’un mandat

Mahmoud Dicko, en place depuis 2008, sera au terme de son second mandat au HCI en avril prochain. Il ne peut plus se représenter. Mais, au-delà de sa foi, de sa défense de l’islam et du Mali qu’il réclame, l’imam serait-il à la recherche d’un point de chute ? « C’est un rempart vis-à-vis d’un certain nombre de dérives de ce gouvernement, qu’il semble bien connaitre. Même si ses sorties sont liées à des raisons politiques, il faut admettre qu’elles ont permis d’éclairer la lanterne de nombre de nos concitoyens », concède  Ballan Diakité. Son aura et la confiance qu’il capitalise ont fait de lui une personnalité de poids aujourd’hui. « Peut-être qu’il pourrait créer un parti politique. Personne ne peut l’empêcher d’avoir une vie politique. C’est une hypothèse. Il ne peut pas rester seulement au Haut conseil alors que l’opinion publique est derrière lui », s’interroge Dr Hamidou Magassa.

Issa N’Diaye : « La dérive du religieux vers le politique est un danger pour la République »

Dimanche dernier, le Président du Haut conseil islamique (HCI), l’imam Mahmoud Dicko, et le Chérif de Nioro mobilisaient des milliers de fidèles au stade du 26 mars pour une « journée de prières et de réconciliation ». Mais le meeting a été dominé par des sujets politiques. Le Professeur Issa N’Diaye, ancien ministre, président du forum civique, « espace de réflexion et d’action pour la démocratie », répond aux questions de Journal du Mali sur cet évènement.

Ce meeting était-il pour un acte politique ?

C’est devenu un acte politique, dans la mesure où il y eu a des prises de positions sur des questions politiques et non religieuses. Ce glissement est dangereux. Et c’était prévisible, dès lors que le religieux s’affranchit des limites de l’espace de culte et vient sur la scène publique, notamment dans un stade. Depuis un certain nombre d’années, les politiques se sont mis à courtiser les religieux et c’est ce qui les a amenés à sortir des mosquées et à envahir les places publiques. Le gouvernement lui-même a créé un ministère du Culte. Ce glissement permet aux religieux de jouer un rôle sur l’échiquier politique alors que n’est pas leur lieu. La dérive du religieux vers le politique constitue un danger pour la République. C’est assez grave comme perspective.

Quelles pourraient être les conséquences d’une fracture entre le gouvernement et les religieux ?

Il y a déjà une division du monde religieux, en tout cas du côté islamique, parce qu’il y a un clan pro pouvoir et un autre anti pouvoir. Ce qui peut conduire à des affrontements entre ces deux tendances. Il y a  aussi un risque de polarisation politique, dans la mesure où des leaders de partis d’opposition étaient présents à ce meeting. C’est une vieille habitude, mais une présence significative des partis politiques de l’opposition veut dire qu’il y a un enchainement logique : un des camps se positionne en faveur de l’opposition et l’autre du pouvoir.

La démission du Premier ministre qu’ils réclament est-elle envisageable ?

De leur point de vue oui, mais là ils ont franchi un pas qu’ils ne devaient pas. En franchissant cette limite ils deviennent partisans sur le plan politique. Ce qui n’est pas, par définition, leur rôle. C’est une faute et cela me surprend de la part de Dicko, qui m’a paru être un homme assez intelligent. L’immixtion dans le politique risque de lui faire perdre beaucoup des plumes. En poussant l’analyse, on peut se demander s’ils n’y a pas un projet politique et s’il n’y aura pas un imam candidat à la prochaine élection présidentielle.

Gao : La Plateforme veut appliquer l’Accord pour ramener la paix

Dans le cadre de trouver une solution idoine aux affrontements récurrents entre la CMA et la Plateforme, le gouvernement du Mali a désigné l’imam Mahmoud Dicko à la tête d’une mission de bons offices devant se rendre à Kidal. Malgré des protagonistes aux regards divergents, avec la présence de l’imam sur le terrain, les espoirs sont permis.

Le président du Haut Conseil Islamique du Mali, l’Imam Mahmoud Dicko s’est rendu le lundi 29 juillet dernier à Kidal avec une délégation, dans l’objectif d’apaiser les tensions entre la CMA et la Plateforme et obtenir un cessez-le-feu durable entre ces deux protagonistes, signataires de l’Accord pour la paix et de la réconciliation. Après avoir entendu les propositions des chefs de tribus et de fractions, le président s’est rendu mardi 1 août à Gao, pour rencontrer les leaders de la Plateforme, les chefs coutumiers, religieux des fractions et villages de Kidal résident à Gao.

La Plateforme des mouvements signataires du 14 Juin a formulé sept propositions qu’elle juge favorables pour le retour de la cohésion sociale, le vivre ensemble et la sortie de crise. Pour la Plateforme, la résolution de la crise passe par un retour immédiat de tous les combattants à leurs positions du 18 juin 2017 et l’arrêt des hostilités. La mise en place immédiate du Mécanisme Opérationnelle de Coordination (MOC) dans le format et les conditions prévues par l’Accord d’Alger ; l’opérationnalisation des patrouilles mixtes ; le cantonnement immédiat de tous les groupes armés de la région ; le désarmement et démobilisation des combattants non impliqués dans le MOC et dans les sites prévus à cet effet ; le retour et l’installation du gouverneur de Kidal avec toutes les directions régionales des services techniques et sociaux de base. En plus de ces différentes propositions soulignées par la Plateforme, est aussi prévu le redéploiement de l’Armée nationale, refondée et reconstituée ; la mise en place et l’exécution d’un programme de rencontre inter et intra communautaire pour régler tous les conflits et enfin, la Plateforme affirme sa volonté de prendre part à la gestion politique et administrative de la région de Kidal. Ces sont là entre autres, les conditions de sortie de crise qui ont été proposés à l’Iman Dicko.

Dans le procès verbal de la rencontre tenue à Gao le même jour, sous la présidence de l’honorable Ahmoudéne Ag Ikmass et du Maire de Kidal, la coordination régionale de la société civile de la 8eme région, affirme solennellement sa ferme volonté de vivre en paix à Kidal et l’intérêt qu’elle accorde à l’application immédiate de l’Accord d’Alger. De même, la coordination a affirmé de façon solennelle son appartenance à la région de Kidal, qui selon elle, est son « seul et unique terroir ».

Avec ces échanges , il est permis d’espérer qu’une paix durable et sincère pourra se construire entre la plateforme et la CMA en général et les deux communautés en particulier.

Kidal, Anéfis, Ménaka : enjeux d’une partie d’échec

Mercredi 26 juillet, des affrontements ont de nouveau éclaté entre la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme (coalition de mouvements pro-gouvernementaux), les deux frères ennemis, qui se sont soldés par une nouvelle défaite de la Plateforme. Deux jours après les combats, la CMA, à la surprise générale, a repris Ménaka et domine à présent le terrain avec les coudées franches pour négocier un cessez-le-feu qui pourra entériner ses positions actuelles, face à une Plateforme affaiblie par deux défaites consécutives, mais qui ne semble pas vouloir s’avouer vaincue.

À Bamako, tout est bloqué depuis le 19 juillet dernier, date à laquelle le cessez-le-feu devait être signé entre la CMA et la Plateforme. À la dernière minute, la Plateforme qui la veille avait validé le document, a refusé de le signer et ainsi d’acter la fin des hostilités, condition préalable à une seconde phase qui pourrait remettre sur la table l’installation du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) et le retour de l’administration malienne dans la région de Kidal. Depuis le 11 juillet dernier en effet, les conditions de cessez-le-feu exigées par les uns, refusées par les autres, à l’image des différents qui les opposent et qui se concrétisent violemment sur le terrain, mettent en échec de façon quasi-systématique les tentatives mises en place pour parvenir à un consensus. Loin de ces tractations politiques, dans la région de Kidal devenue une sorte d’échiquier régional, si pendant une semaine la quiétude du désert n’a pas été rompue par le feu des combats, un second round s’est discrètement mis en place, pour l’obtention de positions dominantes.  « Les gens qui rejettent le cessez-le-feu à Bamako, vous pouvez bien comprendre que sur le terrain ils ne vont pas être pacifiques. Donc, parallèlement au rejet du cessez-le-feu, la Plateforme a continué de faire des mouvements de troupes en direction de Takelote, Aghelhok, Anéfis, Tessalit et mercredi dernier, ils sont allés provoquer la CMA jusqu’à une trentaine de km de Kidal. C’est le geste qui a mis le feu aux poudres », relate cet employé humanitaire de la région.

C’est ainsi qu’aux alentours de 7 heures du matin, mercredi 26 juillet, de nouveaux combats violents ont éclaté entre la CMA et la Plateforme, comme l’explique cet habitant de Kidal joint au téléphone : « Les troupes de la Plateforme se trouvaient, depuis une semaine, à une quarantaine de kilomètres de Kidal. La CMA est partie les attaquer sur deux points chauds. Le GATIA (principale composante armée de la Plateforme) a eu le dessus jusqu’à environ 11 heures avant que des renforts de la CMA, menés par Rhissa Ag Bissada, viennent en appui d’Anéfis et parviennent à faire reculer la Plateforme vers Amassine ». La CMA a ensuite poursuivi les troupes de la Plateforme sur environ 100 km en direction de Ménaka. « De notre point de vue, c’était une défaite presque totale pour la Plateforme », déclare satisfait cet officier de la CMA. Dans l’après-midi de ce funeste mercredi, après la violence et la fureur des combats, c’est un bilan lourd en vies humaines et en dégâts matériels, qui résultait de ce nouvel affrontement. Selon un cadre militaire de la CMA, 5 morts et 5 blessés étaient à déplorer de leur côté, contre une vingtaine de morts pour la Plateforme, des dizaines de prisonniers et 22 véhicules saisis par la coordination. « Une dizaine de morts tout au plus et 9 prisonniers ! », rectifie ce sympathisant du Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIAqui tient à souligner que parmi les nombreux prisonniers annoncés par la CMA, beaucoup étaient des civils pro-GATIA pris dans la brousse, notamment dans la zone de Takalote.

Parmi les victimes des affrontements, deux chefs militaires appartenant aux deux camps, Rhissa Ag Bissada du Mouvement National de Libération de L’Azawad (MNLA) et Ahmed Ould Cheikh surnommé Intakardé (en référence aux amulettes de protection qu’il portait en combat, censées le rendre invincible). Ce combattant du MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad) pro-Mali, ancien officier de l’armée malienne, qui a été membre du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA) à sa création, passé ensuite à la Plateforme et devenu bras droit du général Gamou, combattait sans merci ses ennemis qui pouvaient aussi être des parents. « On a essayé de le dissuader plusieurs fois, mais rien n’y a fait. Pour des histoires d’intérêt lié au narcotrafic, il a dévié de la ligne du mouvement et il a rejoint les militaires qui continuent à servir ce même narcotrafic. Quand on parle d’une guerre fratricide, ce n’est pas un vain mot et cela montre la gravité de ce conflit », lâche amer, ce cadre de la CMA, parent de ce défunt grand combattant de la Plateforme.

La perte d’un parent ou d’un proche qui a eu le malheur de s’engager dans l’autre camp, n’est pas rare dans les affrontements qui opposent ces Touaregs issus de la même région, de la même ville ou de la même famille. « On avait beaucoup de gens dans l’armée régulière, ils disent qu’ils sont restés loyaux au gouvernement malien, qu’ils répondent au commandement du général Gamou », poursuit ce même cadre de la coordination. « Pour nous, ce sont des satellites pro-gouvernementaux, qui ne sont pas d’accord avec le concept de l’Azawad, ils nous le disent carrément,  »nous, on est malien à part entière et on veut rien entendre de l’Azawad ». La cassure est là. Sans vraiment dire que ce sont des patriotes, nous sommes persuadés qu’ils servent des intérêts occultes, le grand banditisme, le narcotrafic, en tout cas, c’est loin d’être du patriotisme sincère », confie-t-il.

Mais au-delà des nombreux morts tombés aux combats, la Plateforme a aussi perdu l’enjeu principal de ces guerres, à savoir les positions qu’elle occupait autour de la ville de Kidal et dans la région, permettant ainsi à la CMA de dominer le terrain.

Le grand échiquier « À différents niveaux, dans les différentes parties, il y a ceux qui veulent avoir des positions de force, mais qui se sentent en position de faiblesse à chaque fois qu’ils veulent négocier des choses, c’est valable pour la partie gouvernementale, c’est valable pour la Plateforme et c’est valable aussi pour le CMA. Donc, gagner des positions sur le terrain permet de négocier plus fortement autour de la table à Bamako », analyse cet officiel malien proche du dossier.

Cette guerre de positionnement que se livrent les deux frères ennemis suspend, pour le moment, tout accord de cessez-le-feu qui, une fois signé, entérinera les positions sur le terrain des belligérants qui devront rester inchangées. Les deux camps se livrent donc à des opérations de reconquête ou de maintien de position, dont la ville de Kidal reste l’enjeu principal et qui permettront à celui qui dominera le terrain d’imposer ses conditions pour la paix.

Avant la signature de l’Accord d’Alger en juin 2015, c’était la CMA qui occupait Anéfis, par la suite la Plateforme a repris cette ville à la coordination et le gouvernement a laissé faire. La CMA considère que ses positions sur le terrain doivent être conformes à celles qu’elle occupait au moment où l’accord de paix a été signé. Pour elle, Anéfis doilui revenir de droit. « La Plateforme doit certainement juger qu’ils sont défavorisés parce qu’ils prétendent avoir perdu Anéfis qui était une position de la CMA lors du cessez-le-feu de 2014. Nous ne pensons pas qu’ils sont défavorisés par rapport à ça dans la mesure où Anéfis est juste une position qui ne devait pas être entre dans leur main et qui nous revient », affirme ce cadre du HCUA, qui ajoute, sibyllin, « je me demande si la CMA va accepter un cessez-le-feu maintenant qu’elle est carrément en position dominante. La Plateforme qui s’est engagée dans cette opération aurait dû prendre cela en compte, avec une probabilité principale, celle de sortir encore plus affaiblie ».

Selon nos informations, depuis les combats du 26 juillet, les unités de la Plateforme auraient convergé vers Tabankort, d’autres unités se trouveraient non loin d’Anéfis, désertée par la CMA après les combats du 26 juillet. « Ils sont en train de se regrouper à Tabankort pour préparer une nouvelle offensive. Aujourd’hui, ils ont de nombreuses unités qui sont concentrées dans la zone », confirme cet officier du MNLA bien renseigné sur les mouvements du camp adverse dans la région. « Je pense que ce n’est pas un retrait, je pense qu’ils veulent se regrouper pour ensuite former un seul front pour attaquer Kidal. Reste à savoir si Barkhane et la Minusma laisseront faire », poursuit-il.

Main basse sur Ménaka, Toujours est-il que 48 heures après avoir défait la Plateforme dans la région de Kidal, vendredi 28 juillet, La CMA mettait en branle une force constituée de « 50 à 100 véhicules », selon certaines sources, qui est arrivée à Ménaka en fin de journée. Cette colonne de la CMA a pu pénétrer, sans un coup de feu, dans cette ville stratégique que la coordination avait perdu face à la Plateforme à l’été 2016. « Nos éléments qui sont entrés à Ménaka appartiennent à la tribu Ichinidharen, ils sont de la région de Ménaka, ils avaient été chassés il y a quelques mois par l’alliance GATIA-MSA (Mouvement pour le Salut de l’Azawad – ndlr), alors qu’ils étaient venus visiter leur campement vers Tin Fadimata. Tout s’est passé dans le calme, tout est rentré dans l’ordre », affirme ce gradé du MNLA joint au téléphone et qui a suivi, heure par heure, le retour de de ses troupes dans la ville.

Pourtant, l’arrivée « en force » des troupes de la CMA a suscité crainte et tension dans la ville, poussant le chef de cabinet du gouverneur de Ménaka à se réfugier avec son administration dans le camp de la Minusma et mettant en alerte les FAMA qui eux aussi se sont retranchés dans le camp de la mission onusienne. Le samedi matin, la confusion passée, des discussions entre la CMA, les FAMA, le MSA et la Minusma ont permis d’établir un partage équitable concernant la sécurisation et la gestion de la ville. La CMA occupe désormais le Nord de Ménaka, tandis que le MSA est chargé du sud et les FAMA sécurisent le centre où se trouve le gouvernorat. Cette nouvelle alliance de circonstance entre la CMA et le MSA pose néanmoins certaines questions quant aux relations futures du mouvement de Moussa Ag Acharatoumane avec le GATIA et sa cohabitation avec la CMA, même si sur place, on explique qu’« ils ont un objectif commun, une même volonté de sécuriser les populations et d’aider à la gestion de la ville », un leitmotiv que le MSA partageait, déjà, il y a encore quelques jours avec le GATIA.

Une partie loin d’être finie À Bamako, l’entrée de la CMA à Ménaka a été jugée par le ministère de la Défense comme un acte « contraire à l’Accord de paix ». Le Ministre de la défense, Tiena Coulibaly, a d’ailleurs rencontré, samedi 29 juillet en matinée, tous les partenaires, CMA , Plateforme, Minusma et Barkhane, pour tenter de « trouver une solution et ramener les belligérants dans l’Accord ».

Sur un autre front de négociation, à Kidal, la mission de bons offices menée par l’Imam Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique du Mali, et diligentée par le gouvernement pour négocier le retour de l’administration malienne, a rencontré jeudi 27 juillet, la société civile, les chefs de fractions et les notables de la région, pour recenser les conditions qui permettraient d’y parvenir. La nomination d’un gouverneur neutre, contrairement à l’actuel jugé trop proche du GATIA, la mise en place du MOC à Kidal avec seulement 200 éléments des FAMA et 200 éléments de la CMA, sans les éléments du GATIA dont la participation se voit conditionnée à un hypothétique apaisement de la situation dans le futur, la prise en compte des Accords d’Alger par l’amendement de la Constitution du Mali et enfin un retour aux dispositions du cessez-le-feu signé par les différentes parties le 20 juin 2015. Tels sont,  au sortir de ces concertations, les préalables à un retour de l’administration malienne et de la paix dans la région. « La médiation de Dicko qui favorise la CMA, c’est une nouvelle raison qui va pousser le GATIA à aller à la guerre. Ce document ce n’est pas la paix, on fait la paix avec tout le monde et pas comme ça. Pour moi, il a été influencé par Mohamed Ag Intalla et les vraies raisons de son déplacement à Kidal, ce n’est pas ce qui a été dit dans son document, c’est plus pour essayer d’avoir un lien avec Iyad et négocier », maugrée cet officier du MNLA, qui craint que la situation continue de s’envenimer. « D’une façon, oui, nous avons inversé le rapport de force sur le terrain, mais c’est encore trop tôt pour crier victoire. Le GATIA a subi beaucoup de pertes ces dernières semaines, à Ménaka, dans la région de Kidal et lors des deux derniers affrontements. Ils ont perdu beaucoup d’hommes, morts aux combats ou fait prisonniers, beaucoup de véhicules, c’est conséquent. Mais les  choses sont claires, pour eux et donc pour nous, et je suis sûr que la partie n’est pas finie », conclut notre interlocuteur.

Mahmoud Dicko : « Je fais cette mission pour mon pays, c’est tout »

Président du Haut Conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko a été récemment désigné par le gouvernement pour mener une mission de bons offices dans la région de Kidal, où l’administration et l’armée malienne ne sont pas encore revenues. Mission à la fois difficile et symbolique pour ce leader religieux, qui avait entrepris en 2012 de négocier avec les djihadistes, notamment Iyad Ag Ghaly, la libération de plusieurs soldats maliens. Journal du Mali vous propose une interview inédite de cet homme influent qui revient sur les attentes par rapport à cette mission et à la situation politique actuelle du pays.

Vous avez été désigné par le gouvernement pour être à la tête de la mission de bons offices à Kidal. Pourquoi vous ?

Je précise que la demande ne vient pas de moi. Maintenant, pourquoi moi ? Je ne saurais répondre à cette question. Il faudrait la poser au gouvernement. Au-delà de ça, je suis un citoyen, comme tout le monde, bien que je sois le Président du Haut Conseil islamique (HCI), institution qui sert d’interface entre le gouvernement et la communauté musulmane. Si on estime que je peux apporter mon aide à la recherche de la paix au Mali, cela ne peut être qu’un honneur pour moi. Je le fais donc avec plaisir, car c’est un devoir citoyen et religieux. Je tiens à préciser la chose suivante: cette mission, je ne l’ai pas acceptée pour sauver la tête de quelqu’un ou un régime. Je la fais pour mon pays, c’est tout. Je ferai donc tout ce qui est à mon pouvoir pour réussir.

Justement, en quoi consiste cette mission ?

Elle consiste à ramener sur la table des négociations les différents groupes armés en conflit dans la région de Kidal, afin d’obtenir, de façon définitive, un cessez-le-feu. Le but est de permettre à l’administration malienne de retourner à Kidal. Notre mission est aussi de faire en sorte que la population participe et adhère aux échanges pour faciliter la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, notamment à travers la mise en place du MOC et des autres mécanismes.

Comment parvenir à rassembler les gens alors qu’il existe des tensions entre les communautés dans cette région ?

Je n’ai pas encore été à Kidal, c’est vrai. Mais je suis actuellement, ici, à Bamako, avec les responsables des groupes armés. Nous sommes toujours en pourparlers. Il y a des moments où les échanges semblent aboutir. Souvent, aussi, on revient en arrière. C’est cela une négociation. Nous continuons donc notre tâche en restant optimistes.

Vous êtes sept pour cette mission, mais toutes les régions ne sont pas représentées, notamment Ménaka et Kidal. Pourquoi?

Toutes les régions sont concernées et peuvent être représentées au sein de la mission. Pour l’instant, nous sommes à Bamako afin de trouver un terrain d’entente avec les groupes concernés. Après, nous irons dans chaque localité de la région afin de sensibiliser et d’échanger avec les populations sur l’importance d’aller à la paix.

Des initiatives de ce genre ont déjà été entreprises à Kidal. Toutes ont jusqu’ici échoué. Pouvez-vous assurer au peuple que cette fois-ci peut être la bonne ?

Je ne peux rien assurer. Je dis tout simplement que je suis optimiste. On m’a confié une mission et je compte bien la remplir. Je ne peux pas dire que, parce qu’elle est compliquée, je n’arriverais pas. Sinon, à quoi cela servirait-il ? Je suis un croyant. Je me confie à Dieu et j’attendrai la fin de la mission pour tirer des conclusions, pas avant. Pour l’instant, nous n’avons pas rencontré d’opposition. C’est un bon signe.

Êtes-vous la solution de la dernière chance pour la région de Kidal ?

Je ne peux pas affirmer cela. Les choses ont fait qu’aujourd’hui c’est moi qui ai été choisi pour mener cette mission. Demain, ça peut être quelqu’un d’autre. Il y a plein de personnes dans ce pays qui peuvent jouer ce rôle. Le Mali ne se limite pas à Dicko. Je ne suis donc pas la dernière solution, mais je m’efforcerai d’apporter une solution définitive à cette situation.

Les frais de fonctionnement de la mission sont pris en charge par le budget national. Avez-vous donc une obligation de résultats ?

Qu’il y ait un budget ou pas, le plus important est que j’ai une responsabilité en tant que président du HCI et le devoir d’apporter des résultats. La confiance et l’estime placées en moi pour cette mission sont plus importantes que le budget auquel vous faites allusion. Si c’est cela que vous appelez avoir une obligation de résultats, oui je l’ai. Ceux qui aujourd’hui souffrent de cette crise sont nos frères, nos sœurs, nos enfants… Avec tout ça, vous pensez que je ne vais pas m’investir afin de trouver une solution ? Avant que le budget ne soit là, nous avons posé des actes pour la cohésion et la paix sociale. Nous continuerons à le faire.

Quel délai vous donnez-vous pour exécuter cette mission ?

Je ne me donne aucun délai. J’essaie de faire ce que je dois faire le plus vite possible. Dieu décidera du reste. Maintenant, l’Accord pour la paix et la réconciliation est là, ainsi que le mécanisme pour sa mise en œuvre. Notre rôle est un rôle de facilitation, c’est tout. Cela prendra le temps qu’il faut.

Vous aviez déjà émis le souhait de négocier avec Iyad Ag Ghaly. Cette option est-elle toujours d’actualité ?

La feuille de route qui m’a été donnée dans le cadre de cette mission ne mentionne ni Iyad Ag Ghaly ni Amadou Kouffa. Elle concerne plutôt des régions : Kidal, le Delta central et la Boucle du Niger. Nous n’avons jamais parlé d’Iyad Ag Ghaly, ni verbalement, ni dans la feuille de route.

En même temps, c’est quelqu’un d’incontournable si on veut aller à la paix. Est-ce que cela ne remet pas sur le tapis la négociation avec lui si on veut que les choses se passent sereinement ?

Je ne saurais répondre à cette question. Ce que je sais, c’est que j’ai une mission qui est bien définie et que je compte agir conformément à la feuille de route qui m’a été remise.

Vous avez souvent prôné le dialogue avec les djihadistes, pourquoi? Peut-on discuter avec des gens qui tuent régulièrement des Maliens ?

Si on ne négocie pas avec eux, qu’allons-nous faire, Si l’on avait les moyens qu’il faut pour éradiquer ce problème, on l’aurait fait depuis longtemps. Mais on ne peut pas rester sans rien faire. Ces djihadistes sont des Maliens comme nous-mêmes. Ce sont juste des brebis égarées. Il faut donc essayer de les faire revenir à la raison.

Avez-vous déjà été en contact avec Iyad Ag Ghaly de quelque manière que ce soit ?

Je vous ai dit avant votre arrivée qu’il y a des questions auxquelles je ne répondrai pas. Je suis dans une mission de bons offices. Pour plusieurs raisons, je suis obligé d’avoir un devoir de réserve sur certains sujets. Votre question m’oblige à en user.

Selon vous, les djihadistes sont-ils de véritables musulmans ?

Je n’ai aucun droit de dire que telle personne est un bon musulman ou pas. Je ne suis personne pour me permettre cela. Maintenant, je peux condamner certaines pratiques en tant que musulman.

Pour certains, les djihadistes sont soutenus par les pays occidentaux, notamment la France. Quel est votre avis ?

Je n’ai aucune preuve pour affirmer que c’est la France ou un autre pays occidental qui est à la base de cette crise. Si je le faisais, ce serait complètement insensé de ma part. Je peux ne pas être d’accord avec leurs façons de faire ou analyser les choses, mais ça s’arrête là.

Un mot sur la révision constitutionnelle. Vous semblez ne pas vous intéresser à ce sujet ?

Dans un tel débat, que voulez-vous que je dise ? En tant que citoyen, j’attends le moment où on sera appelé à aller aux urnes. Là, je voterai en fonction de ma conviction. Nous sommes dans un pays démocratique. L’opposition est là et joue son rôle d’opposant, la majorité continue d’appliquer ce qu’elle pense être bon pour le pays. Maintenant, entre les deux, moi je n’ai pas à me prononcer. Je ne m’intéresse pas à ce débat. Il faut qu’on fasse attention, sinon on risque de nous entraîner dans un faux débat. Tant qu’on ne touche pas à nos valeurs sociétales et à notre religion, je n’ai pas à prendre position.

Que pensez-vous de la création d’un Sénat ?

Je n’en pense rien. Je vous l’ai dit, je ne rentrerai pas dans ce débat. Il faut poser ces questions aux hommes politiques.

Vous avez au moins une position claire. Êtes-vous pour ou contre le texte de la révision constitutionnelle ?

Je le dirai lorsque je serai appelé à aller voter, comme tout le monde.

Le Chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Kéïta, aurait promis des postes de sénateurs à plusieurs leaders religieux. En faites-vous partie ?

En tout cas pas, à moi. Il ne m’a jamais parlé de Sénat ni fait une proposition de ce genre. Jamais au grand jamais!

Accepteriez-vous un tel poste si on vous le proposait ?

On verra au moment opportun.

Un religieux peut-il ou devrait-il prendre la tête de ce pays un jour ?

On est dans une république démocratique. Le peuple malien a décidé que le Mali soit un pays laïc. J’ai le devoir d’accepter cela. Si cela doit changer demain, ce n’est pas à moi Dicko de le dire.

Souhaitez-vous être Président de la République du Mali ?

(Il rit) C’est quand même extraordinaire. Rarement je m’asseois avec des hommes de média sans qu’on ne me pose cette question. Moi-même je me demande souvent ce que j’ai posé comme acte pour qu’on pense que je peux avoir des ambitions de ce genre. Moi, je suis président du HCI, c’est tout. Je n’ai jamais demandé à être maire ou député. Je n’ai jamais eu d’ambition pour aucun poste électif en dehors du HCI. Alors qu’on arrête enfin. Je n’ai aucune ambition politique.

Le Président IBK peut-il encore compter sur le soutien des religieux comme ce fut le cas en 2013 ?

On n’est pas encore en 2018. Il faut donc attendre. Et puis ce n’est pas à moi de décider de cela.

Dans certaines régions, les écoles fondamentales ont fermé leurs portes tandis que le nombre d’écoles coraniques a explosé. Ne pensez-vous pas la réouverture de ces écoles marque aussi le retour de l’administration malienne et que la solution de cette crise se trouve aussi dans l’instruction des enfants ?

L’explosion du nombre des écoles coraniques ne date pas d’aujourd’hui. Tous les grands hommes dont on chante les louanges aujourd’hui sont passés par là. L’école coranique est liée à notre histoire culturelle et religieuse. C’est donc une valeur, une identité culturelle pour nous. Maintenant, les écoles coraniques ont été victimes d’un désintérêt de la part de nos autorités, qui ne les ont ni accompagnées ni améliorées. Nous sommes en train d’en payer les conséquences aujourd’hui. C’est pourquoi beaucoup de nos jeunes qui sont allés dans ces écoles se sont égarés dans leur volonté de s’affirmer. Concernant l’école fondamentale, il est important que les classes ouvrent à nouveau leurs portes dans les localités où elles ont été fermées pendant la crise. Car nous avons besoin de ces écoles pour instruire nos enfants et construire l’avenir. Aucune religion ne demande de détruire un temple du savoir, quel qu’il soit.

Quelle lecture globale faites-vous de la situation actuelle du Mali, tant au niveau sécuritaire, que politique, social et économique ?

Nous sommes en train d’essayer de régler les conséquences de faits passés en oubliant leurs causes. La crise que nous vivons aujourd’hui est la conséquence de faits passés. Au Mali, notre problème, c’est que les gens ne veulent jamais reconnaitre leurs erreurs ou faire leur mea-culpa. Il faut qu’on regarde, dans notre parcours démocratique, ce qui a été fait ou pas afin d’en tirer toutes les leçons. Dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité, de la religion et d’autres, nous pouvons trouver des réponses à nos problèmes actuels. Il faut juste regarder en arrière pour s’en rendre compte.

Un mot sur l’état de la démocratie au Mali…

Le Mali a connu beaucoup de ruptures. L’indépendance a été pour nous une rupture, parce qu’on nous a imposé le socialisme, qui était différent de nos réalités sociales, culturelles, linguistiques, religieuses et politiques. Nous n’avons pas eu le temps de véritablement implanter ce régime qu’un coup d’Etat est survenu. Ici aussi c’était une rupture, parce que c’étaient des militaires novices qui ne connaissaient pas grand chose à la politique. Des années après, au moment où eux aussi commençaient à avoir des expériences dans le domaine, nous sommes entrés de façon désordonnée dans un système démocratique. Je veux dire que nous ne sommes pas entrés dans la démocratie de façon graduelle, comme cela est recommandé. Et cela continue aujourd’hui. Le problème du Mali est entre les élites et la classe politique. La démocratie ne peut donc qu’en payer le prix.

 

Bons offices à Kidal : Délicate mission pour Mahmoud Dicko

Annoncée par le premier ministre Abdoulaye Idrissa MAÏGA, la mission des Bons Offices chargée de faciliter le retour de l’administration dans le septentrion malien a pris son bâton de pèlerin.

Conduite par le président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCI), Mahmoud DICKO qui a pris ses derniers conseils auprès du premier ministre ce 03 juillet 2017 avant d’entamer sa délicate et exaltante mission. Convaincre les groupes armés qui occupent le terrain à renoncer à la violence et permettre le retour de l’Etat. Le Coordinateur de cette mission, Mahmoud DICKO qui en mesure les enjeux reste convaincu de sa nécessité. Car il faut « faire en sorte que les frères se retrouvent ». « Nous allons à Kidal et dans le Delta Central du Niger pour voir dans quelle mesure les services sociaux de base peuvent être installés », ajoute Mahmoud DICKO confiant et rassuré « que le Mali va se retrouver dans le Mali ».

Même si cette mission voulue par l’Etat et composée par plusieurs autres personnalités de la société, n’est pas la première de Mahmoud DICKO, elle intervient dans un contexte différent. On se souvient qu’il avait pris l’initiative d’une médiation avec Iyad Ag GHALY (Chef de la coalition djihadiste Nosrat al-Islam wal Mouslimine) au plus fort de la crise. Le chef islamiste avait accepté de remettre au HCI plusieurs militaires maliens faits prisonniers pendant la crise en 2012.

Les enjeux de la présente mission sont de donner un coup de pouce au processus de mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation signé entre le gouvernement du Mali et les groupes armés il y a maintenant 02 ans. L’espoir c’est de pouvoir rendre effective l’installation des autorités de transition pour le retour de l’administration. L’installation de celles de Kidal étant prévu pour ce 20 juillet.

Présidentielle 2018 : la donne religieuse

À moins d’une année de l’élection présidentielle, la campagne semble être déjà officieusement ouverte. Et avec elle, la course aux soutiens. Tout particulièrement ceux des leaders religieux…

« Les musulmans du Mali sont avec toi », a annoncé le guide spirituel d’Ançar Dine International, Chérif Ousmane Madani Haïdara, à l’adresse du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, lors du lancement des travaux de bitumage de la route Barouéli – Tamani, le mercredi 24 mai. En apportant le goudron jusqu’à la ville natale du leader soufi, le chef de l’État tient là une des promesses qu’il lui aurait faite lors de la campagne de 2013. Cette phrase sonne comme une assurance pour le locataire du palais de Koulouba qui entend briguer un nouveau mandat à la tête du pays, comme l’a laissé entendre sa déclaration sur la chaîne Al Jazeera en marge du sommet arabo-islamique à Ryad le 21 mai, et semble vouloir s’allier les même efficaces soutiens d’il y a 4 ans. En effet, ceux de Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique, du chérif de Nioro et la bienveillance de l’incontournable Haïdara ont largement contribué à la victoire d’IBK en 2013, avec plus de 77% des voix à l’issue du deuxième tour face à Soumaïla Cissé.

Recette miracle ? Le chef d’État a compris qu’il lui était nécessaire de reconquérir ses soutiens d’antan. D’autant qu’en 2015, Haïdara avait menacé de porter un imam au pouvoir reprochant au gouvernement son indifférence à l’égard des fêtes religieuses. L’année suivante, le président IBK, accompagné de plusieurs ministres, célébrait le Maouloud avec Haïdara au stade du 26 mars. Un retournement perçu comme un aveu et attestant de l’influence du guide religieux dans le pays, et donc potentiellement dans les urnes. Quant au chérif de Nioro et à Mahmoud Dicko qui reprochent à IBK sa gestion du pouvoir, leur soutien est de plus en plus tiède. Des accusations qui ne découragent pourtant pas le président de la République, disposé à améliorer leurs relations. Le président du Haut conseil islamique et Chérif Madani Ousmane Haïdara était d’ailleurs de la délégation qui a accompagné Ibrahim Boubacar Keïta lors de son voyage en Arabie Saoudite fin avril dernier.

Mais le candidat à sa propre succession en 2018 n’est pas le seul à avoir mesuré tout l’impact du soutien des leaders religieux sur les résultats électoraux. L’ancien Premier ministre Moussa Mara a, depuis son départ du gouvernement en 2015, multiplié les visites et arpenté les mosquées dans la capitale mais aussi à l’intérieur du pays. Un travail de fond qui paye puisqu’il aurait déjà conquis les membres de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMMA).

 

 

Iyad Ag Ghaly – Mahmoud Dicko : « Un arrêt des attaques, oui, mais concernant les forces armées du Mali ».

On apprenait dimanche que Iyad Ag Ghaly, l’éminence grise du groupe djihadiste Ansar Dine, qui sévit dans le nord du Mali, avait signé un accord de cessez-le-feu sur tout le territoire avec Mahmoud Dicko, président du Haut-Conseil islamique (HCI) du Mali. Pourtant ce même dimanche en début de soirée, le camp de la Minusma à Kidal était la cible de plusieurs tirs de roquettes, mode opératoire caractéristique d’Ansar Dine, pour qui les forces étrangères sont l’ennemi à abattre. Selon nos informations, cette attaque ne trahirait pas l’accord de cessez-le-feu signé avec le président du HCI.

Ce sont plusieurs tirs de mortier qui ont visé le camp de la Minusma à Kidal, dimanche soir dernier, n’occasionnant aucune victimes mais causant des dégâts matériels dont l’ampleur réel reste encore difficile à établir. « ll y eu plusieurs déflagrations et un grande fumée noire qui sortait du camp. Les hélicos de la Minusma qui transportent les troupes, les officiels ou les gens des mouvements armés, entre Gao et Kidal, ont été touchés par les éclats d’obus, deux notamment, mais les dégâts ne seraient pas importants », explique ce résident du quartier Aliou à Kidal joint au téléphone.

Bien que cette attaque n’est pas été revendiquée, la plupart des attaques visant le camp de la Minusma le sont par Ansar Dine, dirigé par l’ex-chef rebelle Iyad ag-Ghaly, qui voue aux ‘‘mécréants’’ (les forces étrangères) une guerre sans merci.

Le camp de la Minusma a été frappé au moment ou le président du Haut Conseil islamique (HCI), Mahmoud Dicko, confirmait aux médias qu’il avait, après des mois de négociation, signé une lettre avec Iyad Ag Ghaly, dans laquelle ce dernier s’engage à accepter un cessez-le-feu « sur toute l’étendue du territoire». Cette nouvelle à surpris à Kidal où la plupart des gens s’attendaient à une intensification des attaques djihadiste après la mort de Cheikh Ag Aoussa. Le document dont «l’authenticité ne fait pas de doute », selon le porte-parole du HCI, a été annoncé comme un tournant dans la crise du Nord-Mali par certains médias, mais l’attaque du camp de la Minusma vient remettre cela en question.

Selon une source bien informée de la région, Iyad Ag Ghaly n’aurait en rien rompu cet accord de cessez-le-feu. « Le document écrit en arabe, a été mal traduit ou interprété, ce sont les forces maliennes qui sont épargnées et ne seront pas visées par Ansar Dine sur tout le territoire et non les forces étrangères comme la Minusma ou Barkhane, donc un arrêt des attaques, oui, mais concernant les forces armées du Mali. Elles ne sont quasiment pas présentent dans le Nord d’ailleurs, à part à Tessalit ou elles restent cantonnées . L’attaque d’hier soir était aussi là pour mettre l’accent sur ça. », révèle cette source.

Malgré la pression que Barkhane exerce sur les groupes djihadistes notamment à Abeibara , depuis l’installation dans la zone d’une base française provisoire, Ansar Dine ne semble pas avoir relâché son emprise sur le Nord. L’attaque du camp de la Minusma aurait été possible, d’après certains, par le relâchement notable du blocus exercé par la GATIA qui encerclait Kidal où la CMA restait cantonée.

Selon nos informations des cadres du mouvement et Iyad Ag Ghaly lui-même aurait éte aperçu plus au nord, dans la zone de Tinzawatène. une ville située à la frontière algérienne, stratégique pour le chef djihadiste car il peut ainsi franchir la frontière algérienne sans être inquiété. Dans cette zone, les populations rapportent croiser de nombreux combattants armés et à moto.

L’emprise du mouvement Ansar Dine s’étendrait même jusqu’à Ménaka et serait renforcée par une collaboration d’opportunité avec le MUJAO, soupçonné d’être derrière les attaques du camp de réfugiés de Tazalit et de la prison de haute-sécurité de Koukoutalé au Niger.

Religion : Laicité en danger ?

La sortie controversée du procureur général Daniel Tessougué, le 30 novembre dernier, suggérant de « raser les longues barbes » et de « réduire l’impact du religieux dans la gestion des affaires publiques », répondait aux propos tout aussi controversés de l’imam Mahmoud Dicko, qui assimilait l’attentat du Radisson à  une « punition divine ». Ces deux déclarations ont choqué et ont aussi ravivé le débat sur l’influence grandissante de l’islam dans la société.

Au Mali, république laïque, où 92 % de la population est musulmane, l’islam a pris depuis quelques années une place dominante. Dans cet environnement particulier, les relations entre État et religion sont souvent entremêlées, et la laïcité malienne n’est plus un repère fixe. « Les leaders religieux maliens, sur la laïcité, font tout de suite un comparatif avec la laïcité française, et ont donc une réaction plutôt négative », explique le Professeur Massa Coulibaly, directeur exécutif du Groupe de recherche en économie appliquée et théorique (GREAT), qui a mené en 2014, une large série d’enquêtes sur les relations entre le religieux et le politique au Mali. « La loi sur la liberté d’association promulguée après l’indépendance, l’activité de missionnaires wahabites, et autres, l’implication de certains pays étrangers dans le financement de construction de mosquées, dans la formation des jeunes ou l’entraide, ont permis d’attirer plus de gens et d’accroître l’importance de la religion », précise le professeur Coulibaly. Aujourd’hui, près de deux Maliens sur trois (65%), pensent que la religion est plus importante qu’elle ne l’était il y a 10 ans. Pourtant, les Maliens n’ont pas une pratique orthodoxe de la religion. Des études ont montré que la majorité ne connaît pas les 5 piliers de l’slam et ne lit pas le Coran. « Mais au cours des 10 dernières années, ils ont commencé à  s’identifier à des groupes musulmans spécifiques, qui les intégraient plus facilement, qui les prenaient plus en charge, ou encore qui leur semblaient mieux organisés », poursuit le professeur Coulibaly.

Dans le but de fédérer et représenter les différentes tendances de cette société civile musulmane, le Haut conseil islamique (HCI) a été créé en 2002. À cette période, le pays comptait 150 associations islamiques, qui commencèrent à  exercer une influence substantielle sur la société. Deux leaders très écoutés sont devenus les porte-voix des musulmans : Mahmoud Dicko, président du HCI, d’obédience wahabite, et Chérif Ousmane Madani Haïdara, vice-président, qui représente l’islam malikite, largement majoritaire au Mali.

Une réponse à  l’échec des politiques À l’origine de leur influence grandissante, le discrédit des politiques. La pauvreté, le sentiment d’injustice face à  la corruption, ou encore la perte de certaines valeurs dans la société malienne, choses que n’a pu changer la classe politique, ont semble-t-il jeté les populations dans les bras des religieux, qui eux, « interviennent dans tous les échelons de la vie quotidienne et répondent de façon concrète aux attentes de la population ». Résultat, selon une étude du GREAT, 63 % des Maliens ont une opinion favorable des leaders religieux, contre 22 % pour les leaders politiques, fortement décriés. l’exemple de l’adoption par l’Assemblée nationale, le 3 août 2009, d’un nouveau code de la famille jugé progressiste est frappant. Opposé à  ce texte, le HCI, mobilisa une foule de 50 000 fidèles dans un stade de la capitale, une démonstration de force accompagnée de fatwas dans certaines mosquées et sur certaines radios, qui fit reculer le président Amadou Toumani Touré (ATT). Cet épisode semble avoir consacré l’avènement du pouvoir des leaders religieux. Conscients de cette force, ils ont poussé leur avantage jusqu’à  obtenir, pendant la transition de 2012, la création d’un ministère des Affaires religieuses et du Culte, une première au Mali. Le portefeuille échoira au Dr Yacouba Traoré, membre du HCI. l’étape suivante dans la montée de l’influence religieuse a été l’élection présidentielle de 2013. Le mouvement « Sabati », une plate-forme politique créée par le HCI pour, selon ses initiateurs, « influencer certaines décisions » dans la gouvernance du pays, a auditionné plusieurs candidats avant de choisir Ibrahim Boubacar Keita (IBK), « le mieux disposé à  défendre la cause de l’islam ». Une décision qui a divisé et aiguisé des tensions au sein de l’organisation musulmane. « On a eu beaucoup de problèmes, lors de la dernière campagne présidentielle. Certains au sein du HCI voulaient obtenir des postes de pouvoir. Ça n’allait pas dans notre sens, ce n’était pas notre volonté. Nous avons défendu le fait que le HCI ne devait pas utiliser les fidèles pour faire élire un politicien. Il faut rester au-dessus de la mêlée », explique Adam Traoré, imam de la mosquée Cheikh Hamad dans la commune VI de Bamako. Pour ce dernier, cette immixtion de la religion dans la sphère politique pourrait être évitée, en créant par exemple des bureaux d’écoute au sein de l’administration. En attendant, certains leaders religieux disposent de moyens colossaux pour renforcer leur influence, et même de médias, de nombreuses radios, et depuis peu des télévisions créées en toute illégalité, notamment Cherifla TV, et Sunna TV.

Vers une radicalisation ? Plus préoccupant, l’étude du GREAT montre que 3 Maliens sur 5 (58%) pensent que l’islam devrait être établi comme religion d’État, et 54% des personnes interrogées seraient favorables à  l’application de la charia. Pour le Pr Coulibaly, il faut nuancer ce dernier résultat, car « cette application de la charia ne concerne pas le code pénal, mais plutôt les questions de mariage, de succession, de droit des femmes », comme l’a montré le vote d’un Code de la famille plus conservateur en 2011. Plus récemment, les députés ont approuvé, après plus d’un an de reports, une loi instaurant des quotas pour la représentation des femmes dans les instances dirigeantes. Mais ils ne l’ont pas assumé publiquement, à  travers un vote à  bulletin secret, chose rare à  l’Assemblée nationale malienne. Cela fait penser à  bon nombre d’observateurs étrangers que la société malienne est en voie de radicalisation, au moment où des groupes terroristes, qui se revendiquent de l’islam, font planer la menace de l’enrôlement d’une jeunesse sans repères. La multiplication des mosquées, dont certaines permettent des prêches radicaux, renforce cette inquiétude. Des pays voisins, tels que le Sénégal, ont entrepris de fermer les mosquées radicales, alors que d’autres ont interdit des sectes musulmanes, comme la Dawa.

Pour une laïcité plus ouverte Au Mali, malgré le maintien d’un ministère chargé des Affaires religieuses et du Culte, dont la tâche est de réguler les affaires religieuses, on ne voit toujours rien venir. « La séparation entre la religion et l’État est un défi majeur, car le religieux a déjà  pris trop de place, il a pris trop d’ascendant », explique le professeur Moussa Coulibaly. « En l’état actuel de nos connaissances de l’opinion publique, je pense que les inquiétudes concernant un « État islamique » au Mali ne sont pas fondées. Mais nous pensons qu’il faut mener une réflexion des relations État-religions et du concept de laïcité dans son héritage colonial. Une laïcité, dans l’avenir, peut-être plus ouverte, qui garantirait un État sans base religieuse, mais aussi la liberté et l’expression de la religion », conclut Coulibaly.