Transition : La fin officielle engendre-t-elle un vide juridique ?

Depuis le 26 mars 2024, date à laquelle a pris fin la transition conformément au décret  No 2022-003/PT-RM du 6 juin 2022 fixant sa durée à 24 mois, un débat  autour d’un éventuel vide juridique pour la suite s’est installé. Sur la question, les positions sont très tranchées.

« Le vide juridique est lié au fait que la charte est caduque et que les organes de la transition le sont également. Aujourd’hui la vérité est que nous avons des organes de fait de la transition, qui sont là pas la force des choses », clame Dr. Mahamadou Konaté, président en exercice du comité stratégique du M5-RFP Mali Kura.

Parmi les éléments  sur lesquels se base le juriste, l’article 22 de la loi No 022-001 du 25 février 2022 révisant la charte de la transition et le décret No 2022-003/ PT-RM du 6 juin 2022 fixant le délai de la transition à deux ans.

Positions contradictoires

En revanche, pour Mohamed Ousmane Ag Mohamedoune, président de la plateforme Forum des forces du changement (FFC), le décret fixant la fin de la transition est « inopérant » parce qu’il est le fruit d’une négociation politique avec la communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest ( CEDEAO). En outre pour lui, la charte révisée de la transition notamment en son article 22 permet clairement à la transition de s’étendre jusqu’à l’élection du président de la République organisée par les autorités de la transition. « Mieux, la loi fondamentale du 22 juillet 2023 dans son article 190  dispose que jusqu’à la mise en place de nouvelles institutions, les institutions établies continuent d’exercer leurs fonctions et attributions ».

Le président de la commission Lois du conseil national de transition ( CNT) abonde dans le même sens. Pour Souleymane Dé, depuis la promulgation de la nouvelle Constitution du 22 juillet 2023, la fin de la transition au Mali n’est plus liée à une date mais à un évènement : l’élection du Président de la République. Pour lui, le débat sur le décret fixant la durée de la transition n’a également pas lieu d’être. « La charte de la Transition  dans son article 22 fixait la durée de la transition à 18 mois. La Charte modifiée du 25 février 2022 supprime le délai de 18 mois et renvoie à l’élection du Président suivie de la prestation de serment de ce dernier. Et avec la nouvelle Constitution, l’article 190 ramène au fait électoral », explique-t-il.

Faux, rétorque le Dr. Mahamadou Konaté. « Dire que la transition prend fin avec l’organisation de l’élection présidentielle est une aberration. La transition politique par nature est définie dans un temps précis. L’élection présidentielle n’est pas un temps, c’est une activité. Et avoir un tel raisonnement  revient à dire que la transition est illimitée dans le temps. Car, l’organisation de l’élection présidentielle peut être reportée 10, 15 , 20 ans après, voire plus », argue le président du Comité stratégique du M5-RFP.

Pour l’universitaire et chercheur Soumaila Lah également, on ne peut pas justifier le vide juridique par la constitution du 22 juillet 2023. « Aujourd’hui on essaye de justifier ce vide juridique par l’article 190 de la nouvelle Constitution. Mais cette nouvelle constitution  n’est pas en vigueur. L ’article 189 stipule que c’est à partir de l’installation des nouvelles institutions que la Constitution va entrer en vigueur », soutient-il.

Par ailleurs dans leur requête aux fins de constatation de vide institutionnel au Mali pour vacance de la présidence de la transition militaire et déchéance de ses organes  et de mise en place d’une transition civile de mission introduite auprès de la Cour Constitutionnelle le 28 mars dernier,  la Référence syndicale des magistrats ( REFSYMA) et l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP) indiquent que les autorités actuelles de la transition  sont « juridiquement disqualifiées » à parler et pour agir au nom du peuple malien.

Primature : Choguel Kokalla Maiga sur un siège éjectable ?

La crise au sein du M5-RFP a pris de nouvelles proportions le 5 mars 2024,  avec la révocation de Choguel Kokalla Maiga de la tête du Comité stratégique par la tendance Imam Oumarou Diarra. Alors qu’il a été nommé Premier ministre en juin 2021 en tant que Président de ce Comité stratégique, le chef du gouvernement est-il désormais menacé à la Primature ?

Lors de sa conférence de presse du 2 mars 2024, le Comité stratégique du M5-RFP tendance Imam Oumarou Diarra avait donné un ultimatum de 72 heures à Choguel Kokalla Maiga pour « rassurer face aux graves accusations de manipulation qui pèsent sur lui et sur sa responsabilité éminente dans la situation actuelle ».

« À défaut, il sera purement, simplement et démocratiquement démis de ses fonctions de Président du Comité stratégique et ramené au niveau de militant à la base, sans qu’il soit besoin de suspensions ou d’exclusions, qui restent les armes des faibles », avait avertit l’Imam Oumarou Diarra, épaulé par d’autres figures du mouvementn à l’instar de Me Mountaga Tall et de Jeamille Bittar.

De la parole ils sont passés à l’acte le mardi 5 mars, après une réunion extraordinaire tard dans la nuit, à l’issue de laquelle ils ont annoncé avoir démis Choguel Maiga de ses fonctions de Président du Comité stratégique.

« Réunis en session extraordinaire ce mardi 5 mars 2024 pour examiner les suites réservées par Choguel Kokalla Maiga aux demandes l’invitant à se hisser à la hauteur de ses responsabilités, constatant l’expiration du délai qui lui a été imparti pour ramener la cohésion et la sérénité au sein du mouvement M5-RFP, regrettant au contraire les propos injurieux et diffamatoires de ses porte-voix attitrés, décident de révoquer purement, simplement et démocratiquement le mandat de Président du Comité stratégique initialement confié à Choguel Kokalla Maiga » ont-ils déclaré.

Secousses à la Primature ?

Si cette révocation de Choguel Maiga de la tête du Comité stratégique est un « non-évènement » pour le camp qu’il incarne, parce que « la plupart de ceux qui ont pris la décision ont été déjà suspendus du Comité stratégique », pourrait-elle toutefois avoir des conséquences sur le Premier ministre pour la suite de la Transition ?

Lors d’une intervention, le 1er mars dernier, le chef du gouvernement lui-même avait déclaré être la cible de certains militaires qui mettent tout en œuvre pour l’affaiblir. « Il y a des militaires qui veulent affaiblir le M5. Ils font des réunions toutes les nuits, appellent des membres du M5 et leur disent qu’ils ne savent pas si je veux devenir Président ou pas. Donc, pour m’affaiblir, il faut qu’ils disent qu’ils ne veulent plus de moi et quand je serai faible je vais me rendre », a-t-il révélé.

Pour certains observateurs, la crise au sein du M5 fragilise incontestablement le Premier ministre et cela pourrait lui coûter son départ de la Primature. « Sa base solide était le M5. Il menaçait et parlait au nom du M5. Si ce mouvement se trouve aujourd’hui en lambeaux, les militaires en face sauront que le Premier ministre n’a plus d’arrière-garde. Il est forcément plus affaibli et devient une proie facile », confie un analyste.

Mais, pour un autre analyste politique, Boubacar Bocoum, le « cinéma » de certains membres du comité stratégique du M5-RFP ne devrait pas remettre en cause le poste de Premier ministre de Choguel Kokalla Maiga. « Ce n’est pas le Comité stratégique du M5-RFP qui gère le pays, mais plutôt le Colonel Assimi Goïta et ses collègues. Tant que le Président voudra de Choguel Maiga en tant que chef du gouvernement, il va le garder », soutient-il.

Même son de cloche chez une source proche du M5-RFP, tendance Boubacar Karamoko Traoré, qui a requis l’anonymat. « Tant que les militaires reconnaitront le seul Comité stratégique qu’incarne Boubacar Traoré, le Premier ministre ne pourra pas être inquiété. La preuve, quand d’autres sont partis créer un autre mouvement, cela n’a eu aucun effet », glisse-t-elle.

Mali- Politique : quelle opposition face à la transition ?

Alors même que la nouvelle Constitution qu’elles veulent faire adopter est contestée par une frange de la classe politique et de la société civile, les autorités de la Transition du Mali, surtout depuis la prise totale du pouvoir par le Colonel Assimi Goïta, ne semblent faire face à aucune opposition majeure. Ni politique, ni sociale et encore moins parlementaire.

Le référendum à venir a mis en exergue plusieurs réalités. Une première étant une « remise sur pied » d’une vieille garde politique qui conteste le projet de nouvelle Constitution. Rassemblée au sein d’un mouvement lancé le 11 juin dernier et qui comprend également des associations hétéroclites (voir Page 3), elle dénonce le référendum. Même si ce mouvement entend mener des actions, rien n’est encore acté, et la contestation dans la rue dans le style Antè A Bana en 2017 ne semble pas être une option. Une deuxième réalité est que le processus lié à la Constitution a suffi à fractionner le Cadre des partis pour un retour à l’ordre constitutionnel, l’un des rares rassemblement qui était présenté comme menant une « Opposition » à la Transition, même s’il a toujours lui-même réfuté ce mot. Déjà fragilisé par l’ADEMA, qui s’est rangée du côté de la transition depuis le changement au niveau de son directoire et les positions à contre-courant de Moussa Mara, il vit sonner son hallali lorsqu’en février les noms d’Amadou Koïta et d’Amadou Haya sont apparus sur la liste des membres de la Commission de finalisation. Koïta et plusieurs autres membres du Cadre ont par la suite appelés à voter Oui. Bien que le M5 Malikura soit opposé à la Constitution et aux « actions » des autorités la Transition, il s’approprie tout de même le terme. « Étant donné que les militaires qui ont pris le pouvoir en août 2020 disent qu’ils sont venus parachever l’œuvre du M5-RFP, nous considérons que c’est donc nous la Transition. C’est nous qui l’avons souhaitée en sollicitant le départ d’IBK », explique Bréhima Sidibé, Secrétaire Général du parti FARE An Ka Wuli et membre de la coalition politique. Selon unanalyste qui a requis l’anonymat, les affaires judiciaires visant des politiques et les ayant poussés à l’exil, le décès en détention de Soumeylou Boubeye Maiga ou encore la grande popularité du Colonel Assimi Goïta contraignent les politiques à la prudence. Sur ce dernier point, il assure que ceux-ci ont leur part de responsabilité. « Des politiques n’ont jamais cessé de critiquer les autorités. Mais les critiques se sont concentrés sur le Premier ministre Choguel Maïga, en ignorant soigneusement les militaires au pouvoir, qui sont pourtant  qui dirigent ».

Pour le Pr Abdoul Sogodogo, Vice-Doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako (FSAP), lorsqu’un pays traverse une crise politique comme celle que connaît le Mali, l’opposition politique peut jouer un rôle important dans la résolution de la crise ou, au contraire, l’aggraver en alimentant la polarisation et la violence.

« L’opposition politique peut jouer un rôle essentiel dans la restauration de la démocratie et de l’État de droit. En s’opposant aux auteurs du coup d’État et en exigeant un retour à l’ordre constitutionnel, à l’instar du Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR) en 2012. L’opposition peut également aider à garantir que les droits civils et politiques des citoyens soient protégés et défendus ».

Outre les politiques, le pouvoir législatif, le Conseil national de transition (CNT), ne fait non plus pas office de contre-pouvoir à l’Exécutif. Des observateurs regrettent que ses membres n’interpellent pas les autorités de la Transition sur des questions importantes, notamment liées à l’électricité ou la sécurité. Certains conseillers nationaux, comme Adama Ben Diarra ou encore le Dr Amadou Albert Maïga, affichent même clairement leur soutien aux autorités. Finalement, le plus grand bras de fer que mènent les autorités de la transition est contre les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix. Les coups de chaud se sont multipliés ces dernières semaines et la médiation internationale semble prêcher dans le désert.  Certains de ces groupes, qui ne se reconnaissent pas dans le projet de nouvelle Constitution, menacent même la tenue du référendum dans les zones sous leur contrôle.

Dr. Laya Amadou Guindo : « Nous ne sommes pas dans un acharnement contre le Premier ministre »

Le Cadre d’échanges des partis et regroupements politiques pour une transition réussie est de nouveau monté au créneau en fin de semaine dernière pour se prononcer sur la situation sociopolitique du pays. Dr. Laya Amadou Guindo, Président de l’ADRP, membre du Cadre, apporte des précisions.

Vous proposez la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Pour vous, le gouvernement actuel a-t-il montré ses limites ?

Cette demande n’est pas nouvelle. La Charte révisée du 25 février 2022 prévoit l’élargissement du gouvernement et du CNT. Au-delà, le gouvernement actuel n’a pas pu empêcher l’embargo sur le Mali. Il n’a pas pu rassembler les Maliens autour d’un idéal commun, encore moins empêcher la hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité. Sur le plan sécuritaire, la situation laisse à désirer. À notre entendement, un gouvernement est là pour régler des problèmes, répondre aux aspirations du peuple. S’il n’arrive pas à faire cela, nous pensons qu’il a montré ces limites et qu’il faut en changer.

Vous demandez également la nomination d’un Premier ministre neutre. D’aucuns pensent que vous êtes dans un acharnement contre le Chef du gouvernement actuel…

Nous ne sommes pas du tout  dans un acharnement contre le Premier ministre actuel. En 2012-2013, il y a eu Premier ministre neutre et non partisan, Diango Cissoko. À équidistance, les hommes politiques avaient participé à la compétition et le meilleur avait gagné. Aujourd’hui, ayant un Premier ministre partisan, qui de surcroît fait des déclarations tendancieuses, nous sommes en droit de nous poser des questions et de douter de son impartialité.

L’éventuel prochain Premier ministre doit-il provenir du Cadre ?

Je dois préciser que le Cadre n’est pas formé que de partis politiques. Il y a aussi des regroupements de la société civile. Cette personne peut venir de tous les bords mais ne doit pas être un homme politique qui a des ambitions politiques. Nous pensons que nous, hommes politiques, devons nous battre, convaincre les populations, afin de prendre le pouvoir par les urnes.

Le Cadre se transformera-t-il en plateforme électorale lors des prochaines échéances ?

Notre objectif, c’est comment mobiliser et nous mettre ensemble pour une transition la plus courte possible. Une transition qui fonctionne avec toutes les forces significatives de la République afin qu’à son issue il n’y ait plus d’autres tensions dans le pays. Une fois cette mission accomplie, nous sommes tous des acteurs politiques, l’avenir nous dira sur quel pied danser.

Peut-on s’attendre à un rapprochement entre le Cadre et le M5-RFP Malikura, qui tend aujourd’hui la main à toutes les forces vives du pays ?

Nous restons ouverts et nous prenons la main tendue de toutes les bonnes volontés, tant que l’objectif commun est le Mali, la cohésion, l’impartialité et le respect du nouveau délai de la transition.

M5 – RFP : naissance d’une nouvelle tendance pour la défense des « idéaux » du mouvement

Des démissionnaires du M5-RFP, ont annoncé au cours d’une conférence de presse ce mercredi 3 août, la création d’une nouvelle tendance du Mouvement dénommée ‘’M5RFP- Mali Kura’. La nouvelle tendance dit ne pas reconnaitre le comité du M5-RFP dirigé par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga.  

Après la saignée, c’est désormais la crise ouverte. Après avoir décrié à l’interne la gestion du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga également président du comité stratégique du M5-MFP, plusieurs caciques ont décidé de quitter le mouvement et de lancer officiellement depuis ce 3 août un autre mouvement qui veut trancher avec les méthodes existantes. Selon eux, la rectification de la transition n’est restée qu’un slogan et le M5-RFP n’est plus que l’ombre de lui-même. Pour les leaders de cette nouvelle tendance du M5-RFF, le Premier ministre a réussi à en faire  une simple caisse de résonnance de son Gouvernement. « Nous ne reconnaissons plus le comité stratégique dirigé par Choguel Kokalla Maiga » a assuré Me Mohamed Aly Bathily. A noter que les leaders de ce regroupement sont les figures dissidentes du M5-RFP que sont entre autres : Konimba Sidibé du MODEC, Sy Kadiatou SOW et Modibo Sidibé de Anko Mali dron et Me Mohamed Aly Bathily de FASODE.