Primature : Choguel Kokalla Maiga sur un siège éjectable ?

La crise au sein du M5-RFP a pris de nouvelles proportions le 5 mars 2024,  avec la révocation de Choguel Kokalla Maiga de la tête du Comité stratégique par la tendance Imam Oumarou Diarra. Alors qu’il a été nommé Premier ministre en juin 2021 en tant que Président de ce Comité stratégique, le chef du gouvernement est-il désormais menacé à la Primature ?

Lors de sa conférence de presse du 2 mars 2024, le Comité stratégique du M5-RFP tendance Imam Oumarou Diarra avait donné un ultimatum de 72 heures à Choguel Kokalla Maiga pour « rassurer face aux graves accusations de manipulation qui pèsent sur lui et sur sa responsabilité éminente dans la situation actuelle ».

« À défaut, il sera purement, simplement et démocratiquement démis de ses fonctions de Président du Comité stratégique et ramené au niveau de militant à la base, sans qu’il soit besoin de suspensions ou d’exclusions, qui restent les armes des faibles », avait avertit l’Imam Oumarou Diarra, épaulé par d’autres figures du mouvementn à l’instar de Me Mountaga Tall et de Jeamille Bittar.

De la parole ils sont passés à l’acte le mardi 5 mars, après une réunion extraordinaire tard dans la nuit, à l’issue de laquelle ils ont annoncé avoir démis Choguel Maiga de ses fonctions de Président du Comité stratégique.

« Réunis en session extraordinaire ce mardi 5 mars 2024 pour examiner les suites réservées par Choguel Kokalla Maiga aux demandes l’invitant à se hisser à la hauteur de ses responsabilités, constatant l’expiration du délai qui lui a été imparti pour ramener la cohésion et la sérénité au sein du mouvement M5-RFP, regrettant au contraire les propos injurieux et diffamatoires de ses porte-voix attitrés, décident de révoquer purement, simplement et démocratiquement le mandat de Président du Comité stratégique initialement confié à Choguel Kokalla Maiga » ont-ils déclaré.

Secousses à la Primature ?

Si cette révocation de Choguel Maiga de la tête du Comité stratégique est un « non-évènement » pour le camp qu’il incarne, parce que « la plupart de ceux qui ont pris la décision ont été déjà suspendus du Comité stratégique », pourrait-elle toutefois avoir des conséquences sur le Premier ministre pour la suite de la Transition ?

Lors d’une intervention, le 1er mars dernier, le chef du gouvernement lui-même avait déclaré être la cible de certains militaires qui mettent tout en œuvre pour l’affaiblir. « Il y a des militaires qui veulent affaiblir le M5. Ils font des réunions toutes les nuits, appellent des membres du M5 et leur disent qu’ils ne savent pas si je veux devenir Président ou pas. Donc, pour m’affaiblir, il faut qu’ils disent qu’ils ne veulent plus de moi et quand je serai faible je vais me rendre », a-t-il révélé.

Pour certains observateurs, la crise au sein du M5 fragilise incontestablement le Premier ministre et cela pourrait lui coûter son départ de la Primature. « Sa base solide était le M5. Il menaçait et parlait au nom du M5. Si ce mouvement se trouve aujourd’hui en lambeaux, les militaires en face sauront que le Premier ministre n’a plus d’arrière-garde. Il est forcément plus affaibli et devient une proie facile », confie un analyste.

Mais, pour un autre analyste politique, Boubacar Bocoum, le « cinéma » de certains membres du comité stratégique du M5-RFP ne devrait pas remettre en cause le poste de Premier ministre de Choguel Kokalla Maiga. « Ce n’est pas le Comité stratégique du M5-RFP qui gère le pays, mais plutôt le Colonel Assimi Goïta et ses collègues. Tant que le Président voudra de Choguel Maiga en tant que chef du gouvernement, il va le garder », soutient-il.

Même son de cloche chez une source proche du M5-RFP, tendance Boubacar Karamoko Traoré, qui a requis l’anonymat. « Tant que les militaires reconnaitront le seul Comité stratégique qu’incarne Boubacar Traoré, le Premier ministre ne pourra pas être inquiété. La preuve, quand d’autres sont partis créer un autre mouvement, cela n’a eu aucun effet », glisse-t-elle.

M5-RFP : La guerre des clans bat son plein

Le M5-RFP est au bord de l’implosion. Déjà diminué par le  départ de certains de ses cadres, réunis depuis au sein du M5-RFP Malikura, le mouvement continue de traverser des remous internes. Depuis  quelques semaines, deux tendances opposées à l’intérieur du Comité stratégique se battent pour son contrôle.

Le malaise interne au M5-RFP depuis plusieurs semaines a fini par se révéler au grand jour le 22 février 2024, lors de la réunion ordinaire hebdomadaire marquée par des invitées inhabituelles : les forces de l’ordre.

Si cette présence de la police à une réunion ordinaire du Comité stratégique n’a pas été du goût de certains membres opposés à la gestion du Vice-président Boubacar Karamoko Traoré, qui l’ont donc boycottée, pour les partisans de ce dernier elle est était justifiée.

« C’est parce que le Vice-président a reçu des informations selon lesquelles les jeunes se préparaient à venir le faire sortir de force qu’il a demandé à la police de venir sécuriser la réunion », confie un membre du Comité stratégique proche de lui.

Deux « Présidents » à bord

Suite aux évènements du 22 février, le Comité stratégique présidé par Boubacar Karamoko Traoré a décidé dans la foulée de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » certains membres dudit Comité pour, entre autres, la « gravité des incidents et des agissements » qu’ils ont posés lors de la réunion, les « atteintes graves à la cohésion et la violation de l’esprit d’union sacrée autour des idéaux du peuple malien portés par le M5-RFP » et « leur mépris à l’endroit des forces de l’ordre ».

Parmi les membres du Comité stratégique suspendus figurent entre autres le Coordinateur du mouvement EMK, Tiémoko Maïga, le Président du Pôle politique du consensus (PPC) et Porte-parole du M5, Jeamille Bittar, Paul Ismaël Boro, membre du FSD ou encore Ibrahim Traoré dit Jack Bauer, membre de la Coordination des jeunes du M5.

Mais ces derniers et d’autres membres du Comité stratégique issus de diverses entités ont également annoncé le 23 février avoir mis « un terme, avec effet immédiat, à la mission de Boubacar K. Traoré comme Vice-président du Comité stratégique du M5-RFP » et désigné « à titre d’intérimaire l’Imam Oumarou Diarra, 3ème Vice-président, en qualité de Vice-président du Comité stratégique jusqu’à  nouvel ordre ».

Pour le camp Traoré, la destitution du Vice-président est sans effet. « Ils ont tenté de destituer Boubacar Karamoko Traoré mais ils ne le peuvent pas. Non seulement ils n’ont pas la majorité, mais ils ne peuvent pas destituer quelqu’un étant suspendus », argue une source interne du Comité stratégique.

Mais, dans une déclaration en date du 26 février 2024 signée du Président par intérim désigné, l’Imam Oumarou Diarra, cette tendance du M5 a qualifié de « puéril, enfantin et dérisoire » le communiqué de « l’ancien Vice-président » portant  suspension de certains membres du Comité stratégique.

Elle a également demandé au Premier ministre, Président du Comité stratégique, de « sortir sans délai de son mutisme pour rassurer face aux graves accusations de manipulation qui pèsent sur lui »

Quête d’intérêts ?

À en croire des membres du Comité stratégique que nous avons approchés, la situation actuelle au sein du M5-RFP résulte de la quête d’intérêts personnels de certains. « Certains responsables du M5 qui étaient nommés comme chargés de mission dans certains ministères ont perdu leurs fonctions ces derniers temps. C’est eux qui sont en train de nourrir la protestation », accuse un membre du Comité stratégique proche de Boubacar Karamoko Traoré.

« Si vous regardez bien les visages, ce sont des gens soit qui ont été limogés, soit qui voulaient des postes ou des marchés, en plus de quelques jeunes qui demandaient à avoir du boulot mais qui n’en ont pas eu », appuie pour sa part un autre proche du Premier ministre.

Des accusations que Jeamille Bittar réfute. Lors de la lecture de la déclaration destituant le Vice-président, le Porte-parole du M5 a affirmé que ni les questions de poste ni les calculs politiques ne motivaient leur démarche.

Toutes nos tentatives pour avoir les versions de cette tendance sur les causes de la situation actuelle au sein du M5-RFP ont été sans suite. Elle prévoit une conférence de presse ce jeudi 29 février, où « aucune question ne sera taboue », assure M. Bittar.

Jeamille Bittar : « Le M5 est un mouvement, pas une formation politique »

Le M5-RFP a célébré ses 3 ans d’existence le 5 juin 2023. Bilan, parcours, poids actuel du mouvement, entre autres, son Porte-parole Jeamille Bittar, répond aux questions du Journal du Mali.

Quel bilan faites-vous de ces 3 ans ?

Le bilan est mitigé, je veux dire qu’il y a du positif comme du négatif. Aujourd’hui, c’est vrai,  la gouvernance n’est pas au top, pas comme nous l’avions souhaité. Mais à ce niveau il faut quand même noter des avancées significatives, notamment pour les réformes politiques et institutionnelles. Notre accession à la Primature a permis l’organisation des ANR. Il y a également le projet de Constitution actuel qui faisait partie de nos 10 points. Aujourd’hui, on peut aussi dire que le premier point qu’on avait évoqué à l’époque, la sécurité, est pris en compte. Tout le monde reconnaît que le Mali est maintenant nanti dans le renforcement sécuritaire. Par rapport à nos forces armées et de sécurité, il y a eu une montée considérable. Mais le fait que certaines organisations se soient muées en adversaires ne nous a pas facilité la tâche. La marmite a souffert entre-temps. L’économie a pris un coup sérieux.

Le changement pour lequel vous vous battiez est-il aujourd’hui une réalité sous la Transition ?

Le changement est un processus continuel. Je disais tantôt qu’il y a eu des améliorations. La lutte contre la corruption s’est intensifiée. Au niveau de la gestion des finances publiques,  il y a eu une nette amélioration par rapport aux dépenses de l’État. Aujourd’hui, l’armée est équipée et les recrutements que nous avons faits prouvent à suffisance qu’il y a de nettes améliorations. Il y a surtout eu un regain de confiance, tant sur le plan national qu’international. Aujourd’hui, le Mali n’est plus à la solde de qui que ce soit.

Le M5 s’est divisé chemin faisant. Cela n’impacte-t-il pas votre poids ?

C’est regrettable. Moi je pars du principe que « quand on commence ensemble, on doit terminer le boulot ensemble ». Vous avez vu que le Président du Comité stratégique, non moins Premier ministre du Mali, a encore lancé un appel à nos camarades qui ont quitté le navire. Ceci étant, la nature ayant horreur du vide, il y a certains qui sont partis, il y a certains qui sont venus. C’est un mouvement, ce n’est pas une formation politique en soi. Mais ils est évident que cela n’a entaché en rien la ferveur et l’engagement de tous ceux qui se battent aujourd’hui pour le Mali.

Bréhima Sidibé : « nous sommes la Transition »

URD, RPM… Au Mali, ils sont légion les partis politiques à souffrir d’instabilité interne après le décès de leurs leaders. Comment l’expliquer ? Entretien avec Bréhima Sidibé, analyste politique et Secrétaire général du parti FARE An Ka Wili.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il faut l’analyser dans son contexte. Est-ce que nous sommes dans une société qui a des convictions fortes, une conscience de soi-même, c’est à dire qui est prête à se battre pour sa pensée, ses opinions et croyances, entre autres ? Quand on est issu d’une telle société volatile, d’une telle société en perpétuel mouvement, il faut s’attendre à ce phénomène. Les partis politiques ne sont qu’une partie de la société. Ce  phénomène est si visible dans les partis politiques, dans la classe politique, parce qu’aujourd’hui tout est fait pour attirer l’attention de l’opinion sur la classe politique. Sinon, ce qui est fait au sein des partis politiques se fait aussi dans nos familles et dans toutes les sphères de notre société. Ce n’est pas l’apanage des politiques.

Comment travaillez-vous dans votre parti pour éviter cela ?

Nous sommes un Secrétariat exécutif de 99 membres, des hommes et des femmes de conviction. Nous espérons que l’idée qui nous a amenés à créer les FARE, à nous constituer en parti politique, résistera quel que soit celui où celle qui sera là. Quand on est convaincu d’un idéal, quand on a des ambitions pour son pays, quels que soient les hommes ou les femmes qui sont là, l’idéal peut résister, aller de l’avant et se réaliser.

Quelle est la posture de votre parti vis à vis de la Transition aujourd’hui ?

Étant donné que les militaires qui ont pris le pouvoir en août 2020 ont dit qu’ils étaient venus parachever l’œuvre du M5-RFP, nous considérons que c’est nous la Transition, et non un soutien de la Transition. En fait, il y a ceux qui la soutiennent et les autres. La Transition, c’est nous. C’est nous qui l’avons souhaitée depuis IBK, puisque nous sommes l’un des acteurs majeurs du M5-RFP, qui a sollicité son départ.

Qui du M5 aujourd’hui M5 ?

Il a connu des difficultés mais cela n’empêche que l’idéal perdure. Au-delà des hommes, nous avons voulu qu’il soit un esprit. Et cet esprit existe toujours.

Le mouvement s’est quand même scindé en deux ? 

Non, il n’y a qu’un seul M5. C’est au niveau du Comité stratégique qu’il y a eu des problèmes, avec la création du Comité stratégique M5 Mali Kura. Sinon, au niveau des militants, tout le monde se réclame du même M5.

M5 – RFP : naissance d’une nouvelle tendance pour la défense des « idéaux » du mouvement

Des démissionnaires du M5-RFP, ont annoncé au cours d’une conférence de presse ce mercredi 3 août, la création d’une nouvelle tendance du Mouvement dénommée ‘’M5RFP- Mali Kura’. La nouvelle tendance dit ne pas reconnaitre le comité du M5-RFP dirigé par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga.  

Après la saignée, c’est désormais la crise ouverte. Après avoir décrié à l’interne la gestion du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga également président du comité stratégique du M5-MFP, plusieurs caciques ont décidé de quitter le mouvement et de lancer officiellement depuis ce 3 août un autre mouvement qui veut trancher avec les méthodes existantes. Selon eux, la rectification de la transition n’est restée qu’un slogan et le M5-RFP n’est plus que l’ombre de lui-même. Pour les leaders de cette nouvelle tendance du M5-RFF, le Premier ministre a réussi à en faire  une simple caisse de résonnance de son Gouvernement. « Nous ne reconnaissons plus le comité stratégique dirigé par Choguel Kokalla Maiga » a assuré Me Mohamed Aly Bathily. A noter que les leaders de ce regroupement sont les figures dissidentes du M5-RFP que sont entre autres : Konimba Sidibé du MODEC, Sy Kadiatou SOW et Modibo Sidibé de Anko Mali dron et Me Mohamed Aly Bathily de FASODE.

Transition : Le coup de Jarnac

Décidément, Kati ne finira jamais de faire peur à Bamako. Le 25 mai, le Vice-président a démis de ses fonctions le Président de la transition et le Premier ministre. Décision motivée, selon Assimi Goïta, par le non respect de la Charte de transition, le manque d’inclusivité dans la formation du nouveau gouvernement et la tension sociale. Cette situation plonge le Mali dans une nouvelle crise aux conséquences incertaines.
 
 « Deux êtres nous manquent et tout est dépeuplé ». Voilà ce que pourrait être le soupir des membres de l’ex CNSP (Comité national pour le salut du peuple), à la place d’Alphonse de Lamartine. Les militaires, visiblement mécontents de la mise à l’écart de deux des leurs dans le second gouvernement du Premier ministre Moctar Ouane, n’ont pas tardé à agir. Un gouvernement dont la vie a été écourtée, moins de 24 heures, par le Vice-président de la transition, Assimi Goïta. Parce que les postes de ministres de la Défense et de la Sécurité, initialement occupés par deux ténors de la junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, ont été assignés à deux généraux sans consultation préalable de Goïta. Et le Vice-président, qui est « un légaliste », ne peut tolérer cette « indignité » et ce manque d’inclusivité, qui « viole l’esprit de la Charte de la transition », a-t-il affirmé dans un communiqué. Venu au pouvoir par la voie des armes le 18 août dernier, il « s’est vu dans l’obligation d’agir pour préserver la Charte de transition et défendre la République », en plaçant « hors de leurs prérogatives le Président et son Premier ministre, ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Coup d’État?
« Coup de force », « coup de pression », « coup d’État », « malentendu », les qualificatifs sur la situation malienne vont bon train et diffèrent selon les acteurs. Pour le Président français Emmanuel Macron, c’est « un coup d’État dans un coup d’État ». La CEDEAO, par contre, adopte un ton moins énergique, parlant de « malentendu lors de la mise en place du gouvernement ».
À Kati depuis le 24 mai, le Président de la transition Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane ont démissionné le 26 mai. Très probablement sous la contrainte, comme ce fut le cas en août 2020 avec le Président Ibrahim Boubacar Keita et le PM Boubou Cissé. Pour l’analyste politique Ballan Diakité, il n’y a pas d’équivoque.
« Ce qui s’est passé est un coup d’État dans un coup d’État. ». Comment en sommes-nous arrivés là ?
«  Dans sa déclaration, le Conseiller spécial du Vice-président Assimi Goïta a fait état du non-respect de la Charte de la transition par le Président Bah N’Daw et son Premier ministre, ce qui serait la raison de leur départ forcé. Mais il faut dire qu’on est dans le non-respect du cadre légal depuis le 18 août. C’est la Constitution qui n’a pas été respectée par les membres du CNSP. Et, aujourd’hui, on se plaint que le Premier ministre et son Président n’aient pas respecté le cadre légal », poursuit Ballan Diakité.
Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux, abonde dans le même sens. « En agissant ainsi, Assimi Goïta, qui se proclame au pouvoir, respecte-il la Charte de la transition ?  Cette dernière est claire, en aucun cas le Vice-président ne peut remplacer le Président de la transition. Nous ne sommes pas dans un processus légalitaire. On a la junte, qui a des armes et qui fait la loi». Pour Boubacar Salif Traoré, ce qui s’est passé est motivé par l’instinct de survie des ténors de la junte, qui semble menacé. « En les ayant sortis du gouvernement sans leur donner une garantie de protection, en termes de responsabilité ou autre, ils se sont sentis quelque part exposés. Et c’est aussi par instinct de survie qu’il y a eu le processus qui est en cours actuellement ».
Quelles conséquences?
 Il ne reste que neuf mois à la transition pour conduire les grandes réformes politiques et institutionnelles, ainsi que les élections générales, en vue de la normalisation de la situation politique. Et le coup porté par Assimi Goïta et les siens au processus augure de lendemains incertains pour le Mali. Prolongation du délai de la période transitoire, rapports de force avec la communauté internationale, sanctions, crise politico-sociale, la situation est très confuse. La communauté internationale brandit le chiffon rouge des sanctions, qu’elles soient ciblées ou générales. Et, à ce titre, généralement elles sont connues. Des gels de passeports diplomatiques ou des avoirs des ténors de la junte pourraient intervenir. Le Mali pourrait aussi être suspendu des institutions internationales ou sous-régionales et ne plus bénéficier de l’aide internationale au développement, comme cela avait été le cas en août 2020. Le 26 mai, les USA ont déjà suspendu leur aide à l’armée malienne et brandi la menace de sanctions ciblées contre les protagonistes. Après avoir rencontré le Vice-président de la Transition, l’émissaire de la CEDEAO doit rendre compte à Félix Tshisekedi, président de l’Union africaine, et à Nana Akufo-Addo, président de la CEDEAO. Une réunion des dirigeants de la CEDEAO est prévue dans la foulée pour statuer sur le cas du Mali. Cependant, plusieurs facteurs pourraient édulcorer la rigueur de ces sanctions.
« Aujourd’hui, la communauté internationale est beaucoup plus regardante sur plusieurs aspects. On ne peut pas condamner le Mali uniquement pour ce que ses militaires font. On regarde aussi la situation assez critique de la population malienne, qui vit une crise sécuritaire et une situation économique très difficile depuis 2012 », explique Ballan Diakité. Boubacar Salif Traoré est du même avis.
« La communauté internationale n’a pas une très grande marge de manœuvre. Depuis quelques années, elle joue sa crédibilité au Mali. Elle s’est déployée en masse dans le pays et les résultats ne sont pas là. Le pays est en position très fragile. Et la communauté internationale, en voulant adopter une position assez rigide, risque de provoquer un effondrement du peu qui reste, combiné à la situation tchadienne. Le Sahel risque un embrasement généralisé, qui peut avoir des conséquences dramatiques non seulement sur les pays européens mais aussi au-delà, avec des crises migratoires. Donc la communauté internationale a intérêt à trouver des équilibres, à favoriser le dialogue et à trouver un compromis pour permettre à la transition de continuer ».
Les 18 mois de la transition pourrait être prolongés au regard du contexte sociopolitique actuel. Selon le chronogramme électoral initial, le premier tour de l’élection présidentielle, couplée aux législatives, est prévu pour se tenir le 27 février 2022. Dans sa déclaration à la Nation lue par son Conseiller spécial, le commandant Baba Cissé, Assimi Goïta affirme que les élections vont se tenir « courant 2022 ».
Des assurances répétées à l’émissaire de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, lors de leur rencontre le 25 mai. Toutefois, des questions demeurent, avec cette instabilité constante. « Ce qui prime à mon avis n’est pas le délai des élections, mais plutôt d’un retour à la normale. La promesse de tenir les élections aux dates indiquées s’éloigne de plus en plus. Parce que la situation qui intervient nous fait revenir à la case départ. Et, comme leur attitude l’a montré, les militaires putschistes n’ont pas intérêt à aller aux élections le plus rapidement possible », explique Dr. Boubacar Haïdara.
« Personnellement, je ne crois pas du tout que des élections puissent se tenir aux dates communiquées, sauf si on nous emmène à faire des élections bâclées. Et une élection bâclée, cela va encore nous emmener dans une situation de crise, comme nous l’avons vécu au temps d’IBK avec les élections législatives », pense pour sa part Ballan Diakité. Selon Boubacar Salif Traoré, « tout va dépendre du temps qui sera pris pour la normalisation de la situation. Si c’est une crise qui perdure, il y a un fort risque à ce que ça soit repoussé.  Et, à mon avis, le second scénario risque de l’emporter sur le premier.»

 

Quel scénario?
 Des tractations sont en cours depuis la nuit du 24 mai. Et, selon plusieurs sources concordantes, le scénario qui se dessine pourrait être celui d’une primature donnée au M5-RFP. Bon ou mauvais choix ? Les militaires ont la main basse sur l’État. Et Bah N’Daw, en voulant s’affranchir de la tutelle d’Assimi Goïta, a tout simplement été écarté, comme Amadou Aya Sanogo l’avait fait en 2012 avec le Premier ministre de la transition Cheick Modibo Diarra. Le M5 est divisé sur la question. Certaines entités qui le composent ont condamné les évènements en cours, mais le Comité stratégique a attendu dans la soirée du mercredi 26 mai pour s’exprimer. Il dit rester attaché à ses 17 mesures contenues dans les 10 points de son mémorandum et maintient son appel à manifestation le 4 juin. «La seule attitude du M5 devrait être tout simplement de condamner ce qui vient de se passer et de n’engager aucune discussion avec le CNSP (officiellement dissout le 25 janvier) en l’état actuel de la situation. Le CNSP a besoin de soutiens et il va les chercher auprès du M5, qui semble n’avoir rien retenu des leçons du passé. Et, même en acceptant la Primature, le M5 est-il sûr de pouvoir mettre en application ses dix recommandations, face à des militaires qui ont la mainmise sur le pouvoir ? », s’interroge le Dr. Boubacar Haïdara. Le chercheur Mohamed Ag Ismaël est du même avis. « Les putschistes tentent de rectifier leur erreur en s’approchant du M5-RFP, des partis politiques et de la société civile, pour légitimer leurs actions et préparer les élections générales. Mais cela dépendra de l’offre proposée ».
Ballan Diakité est optimiste. « La politique est le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, le M5 est la seule force politique capable de tenir tête à ces militaires-là, compte tenu de sa constance dans sa dynamique de contestation. Si les autorités militaires veulent quand même travailler avec lui, elles ne doivent pas ignorer l’ensemble de leurs recommandations, notamment la dissolution du Conseil national de transition (CNT) ».
Boubacar Salif Traoré pense que  le bicéphalisme à la tête du pays ne marchera pas. Nommer un Premier ministre civil pour ensuite diriger dans l’ombre provoquera toujours des situations de crise. « Si le Vice-président se sent en mesure d’assumer la responsabilité de la tête de la transition, en concertation avec les acteurs impliqués, je pense que, pour la stabilité du pays, c’est une hypothèse à ne pas écarter. Je suis convaincu que le bicéphalisme à la tête de l’État ne marchera pas». De toutes les façons, depuis le 18 août et la chute d’IBK, la réalité du pouvoir est entre les mains de Goïta.

 

 

Boubacar Diallo

 Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°320 du 27 mai au 02 juin 2021 

Mali-Dissolution du CNT : Leurre ou lueur ?

Le M5-RFP juge illégal et illégitime le Conseil national de transition (CNT) et a introduit une procédure auprès de la Cour suprême pour réclamer sa dissolution. La Cour donnera-t-elle suite à cette requête ?

« Le M5-RFP dit non au maintien d’un Conseil National de Transition (CNT) illégal, illégitime et budgétivore. La procédure de dissolution introduite auprès de la Cour suprême ne peut qu’aboutir, au regard de la solidité de nos arguments et du souhait des Maliens de ne plus avoir à faire à des juges aux ordres », déclarait, confiant, le Comité stratégique du M5 le 21 février au Palais de la Culture.

Selon Mohamed Touré, enseignant-chercheur à la Faculté de droit public, cette demande est motivée par deux décrets : celui portant modalité de nomination des membres du CNT et celui portant clé de répartition. « Les requérants disent que les autorités gouvernementales n’ont pas respecté leurs contenus. Dans le décret portant modalité de désignation des membres du CNT, il était demandé aux organes d’envoyer les noms de leurs membres dans un délai de 48 heures, au double du quota. Pour le M5, si on avait respecté ce délai, il y aurait beaucoup de candidatures rejetées faute de casier judiciaire. Et il est en rupture avec le principe d’égalité. C’est une violation des principes constitutionnels et de la Charte de la transition ».

Pour le décret portant clé de répartition, M. Touré estime qu’il y a un déphasage avec celui désignant les membres du CNT. « Des membres qui ne viennent d’aucun organe en font partie ».

Que fera la Cour ?

La Cour suprême doit se prononcer sur la légalité et la légitimité du CNT. Ira-t-elle jusqu’à les contester ? « Je ne doute pas de l’indépendance de la Cour suprême. Cependant, au fond, je ne crois pas qu’elle se prononcera. Elle ne le fait généralement pas sur des actes derrière lesquels il y a une considération politique. Les juridictions administratives suprêmes pensent qu’ils relèvent de la théorie des actes de gouvernement, qui bénéficient de l’immunité juridictionnelle, comme ceux pris pour des matières en relation avec le pouvoir législatif », pense Mohamed Touré.

Si une telle éventualité intervenait, le M5-RFP pourrait se rabattre sur les juridictions sous-régionales, en changeant d’argumentaire. Quant à la dissolution du CNT, seul le président peut la prononcer, « après consultation du Premier ministre et du Président de l’Assemblée Nationale ». Elle entraînerait l’organisation d’élections « vingt et un jours au moins et quarante jours au plus ». Délai difficile à respecter.

Boubacar Diallo

 

 

 

Mali-NOUHOUM SARR : « La transition passera, le Mali restera »

Qualifié de nouveau défenseur du gouvernement, le président du Front africain pour le développement (FAD) revient sur l’actualité politique et les perspectives

Après votre débat, samedi 20 février, sur une chaine nationale, plusieurs personnes vous accusent « d’avoir oublié le peuple » et d’être le « nouvel avocat du régime en place ». Qu’avez-vous à répondre ?

J’ai décidé de dédier ma carrière politique à la défense des intérêts immédiats et futurs de notre peuple. Tous les jours je cherche à faire en sorte que le peuple malien soit au cœur des préoccupations des autorités, en atteste mon intervention devant le Premier ministre relatif à la réhabilitation de nos hôpitaux. La vérité c’est que notre pays a été déstructuré pendant plusieurs décennies, ce n’est pas en quelques mois qu’il se relèvera. Dans ce pays on sait qui est qui. Il est de notoriété publique que mes prises de position n’obéissent qu’a un double critère : mes convictions et les intérêts de notre peuple

Lors de son meeting du dimanche dernier, le M5-RFP a déclaré poser « le premier jalon de l’entreprise de rectification de la transition ». Y a-t-il une crainte que le M5 sape les efforts du Gouvernement de transition ?

Je n’aime pas parler du M5 version reconstituée car il y a au moins 3 personnalités que je respecte. On rectifie une trajectoire qu’on connaît. Le cap de la trajectoire de la transition a été fixé à l’occasion de la présentation du Plan d’Action du Gouvernement et nous attendons de juger le gouvernement aux actes. Nous lui accordons le bénéfice du doute. Quand on réduit la politique à des questions de personnes ça devient dangereux. Ceux qui réclament la refondation sont ceux qui sont les auteurs de la faillite morale de notre pays. Ils font partie intégrante du problème, donc sont très loin des solutions. Le moment est venu de rassembler les énergies positives autour de notre pays au-delà des clivages et des clichés, la transition passera, le Mali restera.

En novembre dernier, vous avez rencontré Hama Amadou à Niamey. Quel en était le but ?

J’étais en visite privée à Niamey au Niger et j’ai jugé utile de rencontrer le Président Hama Amadou qui est incontestablement une des plus grandes figures politiques de l’Afrique contemporaine. Échanger avec lui est toujours bénéfique, il maîtrise bien les questions sécuritaires dans le Sahel.

Bientôt ce seront les futures échéances électorales. Quelles sont les perspectives du FAD ?

Notre engagement pour le Mali va au-delà des contingences électoralistes, c’est un engagement de tous les jours pour remettre notre pays au travail et ramener la paix et la concorde nationale. Notre parti prendra part aux élections à venir et nous jouerons pleinement notre partition.

Boubacar Diallo

Mali: Le M5-RFP dit « non » à la gouvernance de la transition

Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) a tenu un meeting d’information, dimanche 21 février, au palais de la culture de Bamako. Il a déclaré désapprouver la conduite de la transition. C’était en présence d’hommes politiques, des associations de la société civile et de plusieurs centaines de personnes.

« Quand on n’est pas d’accord, on dit : NON !», a prévenu le M5-RFP dans sa déclaration liminaire. Le mouvement contestataire du régime d’IBK  désapprouve la conduite de la transition et s’insurge contre  « la perpétuation » des mêmes  « pratiques combattues ». Il reproche à la junte d’usurper la victoire  du peuple et se rendre « responsables de l’aggravation et de l’extension de l’insécurité par leurs comportements ».

Le M5-RFP a également pointé du doigt la corruption qu’il estime prendre de l’ascenseur. Il exige la relecture de l’Accord d’Alger ainsi que la dissolution du Conseil national de transition (CNT) qu’il juge illégale. « La procédure de destitution introduite auprès de la cour suprême  ne peut qu’aboutir au regard de la solidité de nos arguments et du souhait des Maliens de ne plus avoir à faire à des juges aux ordres comme dans un passé récent », espère-t-il.

Le Mouvement contestataire dit enfin « non aux manœuvres encours pour faire des élections à venir une cession du pouvoir à un homme choisi par la junte pour perpétuer son pouvoir et s’assurer  d’une immunité ».

Mali – Manifestations de juillet 2020 : la MINUSMA publie son rapport

La MINUSMA a publié lundi 28 décembre le rapport de l’enquête sur les violations et atteintes aux droits de l’homme commises dans le cadre des manifestations du 10 au 13 juillet 2020 au Mali. La mission onusienne a déployé, du 20 juillet au 17 août 2020, une mission spéciale d’établissement des faits, composée de 30 chargés de droits de l’homme, un chargé de la protection de l’enfance et de deux experts scientifiques de la Police des Nations Unies , dans le but d’enquêter sur les allégations de violations et atteintes aux droits de l’homme durant les évènements qui se sont produits à Bamako et dans certaines régions du Mali du 10 au 13 juillet 2020. Dans le cadre de cette enquête spéciale, l’équipe a eu des entretiens avec les principaux protagonistes (victimes, témoins directs et indirects, leaders du M5-RFP, corps médical…ainsi que les autorités). L’équipe a aussi examiné et analysé plus de 50 supports vidéo ainsi qu’au moins 220 clichés photographiques de la Police technique et scientifique. Ont été également examinés plus de 350 publications sur les réseaux sociaux et autres médias, notamment les déclarations, discours et commentaires, surtout ceux susceptibles d’inciter à la haine et à la violence. Par ailleurs, l’équipe de l’enquête a visité les principaux sites et endroits où se sont déroulés les incidents notamment, l’Assemblée nationale, l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM), la mosquée de l’Imam Dicko à Badalabougou, la résidence de la Présidente de la Cour constitutionnelle à Badalabougou, le siège de la CMAS, siège du RPM, le Tribunal de la Commune V de Bamako ainsi que les stations-service pillées dans différents quartiers de Bamako. Au terme de cette mission d’enquête, la MINUSMA est en mesure d’établir que, les 10, 11, 12 et 13 juillet à Bamako, quatorze manifestants, tous de sexe masculin, dont deux enfants ont été tués lors des interventions des forces de maintien de l’ordre notamment la Gendarmerie nationale, la Police nationale, la Garde nationale et la Force Spéciale Anti-Terroriste (FORSAT) qui dans certains cas ont fait un usage excessif de la force. Au moins 40 manifestants ont été blessés lors de l’intervention des forces de l’ordre et 118 agents des forces de défense et de sécurité parmi lesquels 81 fonctionnaires de police, ont été blessés du fait d’actes de violence imputables aux manifestants. Au moins 200 personnes (dont six femmes et sept enfants) ont été arrêtées et détenues arbitrairement à Bamako, respectivement à la Brigade de recherche de la gendarmerie de Bamako (au Camp 1) ainsi que dans les commissariats de police des 3e, 7e et 10e arrondissement de Bamako dans le cadre de ces événements. Toutes ces personnes ont par la suite été libérées, le 13 juillet 2020, sur instruction des parquets d’attache. Enfin, entre le 10 et le 13 juillet, des manifestants ont vandalisé, pillé et incendié différents sites ainsi que des biens publics et privés et ont érigé des barricades sur certains axes routiers de la ville. Au regard de la loi malienne, ces actes constituent des violations du Code pénal national et sont punissables par les juridictions compétentes. Toutes les preuves et autres documentions collectées au cours de l’enquête de la MINUSMA seront mises à la disposition des autorités judiciaires à leur requête et conformément au protocole établi.

M5-RFP : Chronique d’une mort annoncée

Depuis longtemps, des prémices ont présagé de la bourrasque qui secoue le mouvement contestateur du régime d’IBK. Aujourd’hui, les fissures commencent à avoir raison du M-5. 

« Le M5 est mort de sa belle mort. Il appartient au peuple malien et non aux anciens porte-paroles d’IBK. Je connais les politiciens, ils sont toujours dans les intrigues, mais avec moi ça ne marche pas. Et je sais que le peuple ne veut pas de ces politiciens-là aujourd’hui. Ils doivent vraiment aller à la retraite politique et nous allons nous battre pour qu’ils y aillent », avait lâché Issa Kaou Djim, Coordinateur général de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko, le 10 septembre, en marge des concertations nationales sur la transition. Si cette déclaration a surpris membres et sympathisants du M5, elle n’a guère étonné bon nombre d’observateurs, qui ne prêtaient pas longue vie à ce mouvement hétéroclite de religieux, politiques et faîtières de la société civile.

Désaccords

Tout d’abord, la demande de démission de l’ex Président posait problème. L’Imam Mahmoud Dicko, « autorité morale du mouvement », n’était pas pour cette option, alors que le M5 insistait dessus. Après moult échanges, un mémorandum prônait de maintenir IBK et de le dépouiller de plusieurs de ses attributions au profit d’un Premier ministre de pleins pouvoirs issu du M5. Tous les membres du Comité stratégique n’étaient pas d’accord. Cheick Oumar Cissoko, Coordinateur de Espoir Mali Kura n’a pas signé le document, car son regroupement était contre le maintien d’IBK.

En juillet dernier, c’est au centre des polémiques que se retrouve Clément Dembélé, l’un des charismatiques membres du mouvement, en raison de ses luttes anticorruption et de son arrestation sous le régime déchu. Au lendemain de la manifestation du 10 juillet, il déclare avoir été arrêté au même titre que plusieurs autres leaders du M5. Mais Issa Kaou Djim dément cette information en déclarant qu’ils ont seulement été trois à avoir été arrêtés. Clément Dembélé s’en offusque et réplique : « ces propos sont indignes. Comme si à part le camp I (où étaient détenus Issa Kaou Djim et deux autres personnes), on ne peut pas être arrêté ». Et pour ne rien arranger, le même, dans une récente sortie médiatique, insinue que des anciens ministres d’IBK membres du M5 sont corrompus. Cela survient après un présumé appel à Mamadou Sinsy Coulibaly qui avait fait polémique début juillet. On y entend une voix, présentée comme celle de Clément Dembélé, rendre compte d’une réunion du Comité stratégique du M5 et prendre position pour le poste de Premier ministre de pleins pouvoirs.

Le M5 a tenu un point de presse le 15 septembre pour réaffirmer son unité « plus que jamais ». Mais plusieurs de ses leaders en étaient absents.

M5-RFP : l’implosion

Le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) n’est plus aussi uni que le laissent paraître certains membres de son Comité stratégique. La divergence fondamentale de vues sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la transition et du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) agite ce mouvement hétéroclite, dont les composantes se positionnent aujourd’hui selon leurs intérêts propre, l’objectif commun de la démission de l’ex-président IBK étant atteint. Alors qu’une partie du Comité stratégique se démarque de la Charte de la transition, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Dicko, entité importante du mouvement, s’inscrit dans une dynamique d’accompagnement du CNSP et certaines autres composantes du M5 adhèrent à cette vision.

« Ceux qui étaient opposés au changement, ce sont eux qui se sont ligués contre ceux qui se sont battus pour le changement. Nous n’accepterons pas cela. Nous continuerons de mener notre combat sereinement, de façon démocratique, jusqu’à ce qu’on nous entende. Ceci n’est pas acceptable. J’espère que les organisateurs de ces concertations nationales vont se ressaisir, qu’ils vont remettre ce document en débat et que nous pourrons en débattre sereinement », s’est offusquée Mme Sy Kadiatou Sow, très remontée à la fin de la Concertation nationale sur la transition, le 12 septembre 2020 au CICB.

Cette position été officialisée dans la foulée par un communiqué du Comité stratégique du M5-RFP, qui affirme : « le document final lu lors de la cérémonie de clôture n’était pas conforme aux délibérations issues des travaux des différents groupes » sur certains points, notamment le choix majoritaire d’une transition dirigée par une personnalité civile  et celui d’un Premier ministre civil également.

Le M5-RFP a également condamné « la non prise en compte unilatérale de très nombreux points du document qui n’avaient fait l’objet ni de rejet ni même de réserves dans aucun groupe » et s’est par conséquent démarqué du document final, qui ne  « reflète pas les points de vue et les décisions du peuple malien ».

« La volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir au profit du CNSP ne saurait justifier les méthodes employées, qui affaiblissent le processus de transition », s’est indigné le M5.

La CMAS satisfaite

Entièrement opposé à l’attitude du Comité stratégique du M5, Issa Kaou Djim, Coordinateur général de la CMAS et membre de ce comité, affirme être satisfait du document. « Le M5-CMAS se reconnait dans ce qui a été adopté. C’est une satisfaction et un soulagement », a-t-il clairement signifié au sortir des travaux.

Selon lui, aujourd’hui, les forces ont des intérêts qui ne sont pas convergents, pour des raisons évidentes. « Les partis politiques ont la prétention d’arriver aux affaires, les syndicats veulent faire aboutir les revendications de leurs adhérents et les religieux doivent jouer leur partition. Mais le peuple malien s’est battu pour une raison simple, que les choses changent, et aujourd’hui je pense que le CNSP doit fédérer tout le monde pour faire aboutir cette revendication ».

La veille, déjà, il avait annoncé la « mort » du M5-RFP, n’acceptant pas que les politiques du mouvement se mettent dans des calculs politiciens que la CMAS ne saurait tolérer. Des propos sur la « belle mort » du M5-RFP qu’il nous a réitérés, prenant à témoin une déclaration de l’URD en date du 14 septembre indiquant « prendre acte des conclusions issues des concertations nationales sur la transition ».

« Si l’URD, qui est la colonne vertébrale du FSD (Front pour la sauvegarde de la démocratie), dit prendre acte des décisions issues des concertations nationales, c’est  que le parti les valide. Si vous enlevez l’URD du FSD il ne reste plus grand-chose. Le MPR et le CNID n’ont pas eu d’importants suffrages lors de la présidentielle. Ce n’est pas ça, le peuple », tacle celui qui était surnommé le N°10 du M5.

« Personne ne peut contester qu’aujourd’hui la majorité des Maliens est d’accord avec la Charte de la transition », clame-t-il, avant d’ajouter « on ne peut pas rester dans une posture de contestation, rien que pour contester, alors qu’il y a des urgences ». À l’en croire, la CMAS se démarque de cette position d’une partie du M5-RFP.

Ensemble mais « opposés »

La plateforme Espoir Mali Koura (EMK), membre fondateur du M5-RFP, n’a pas encore, selon son porte-parole Pr. Clément Dembélé, consulté sa base en Assemblée générale, comme c’est sa règle, pour dégager une  position officielle sur la Charte. Mais elle a  démenti une information d’une chaine de radio étrangère imputant à son Coordinateur,  Cheick Oumar Sissoko, un soutien au document adopté.

Toutefois, ce dernier n’a pas été aperçu aux côtés de ses collègues du Comité stratégiques du M5 lors du point de presse du 15 septembre, au siège de la CMAS. Point de presse dont se sont également absentés Issa Kaou Djim, Mohamed Ali Bathily, Oumar Mariko ou encore Clément Dembélé.

Ce dernier, se prononçant personnellement, sans engager la plateforme EMK, partage la vision de la CMAS portée par Issa Kaou Djim. « La CMAS ne veut pas entrer dans un jeu de manipulation par les politiques. Je pense qu’il faut respecter cette vision de dialogue et de paix et non les calculs politiciens consistant à utiliser le M5 comme ascenseur pour atteindre des objectifs personnels par tous les moyens », indique t-il.

« Le M5 n’est pas la propriété politique de certains. Il représente le peuple malien et nous ne laisserons personne en faire une récupération personnelle pour des calculs opportunistes. Que ceux qui pensent que le M5 est un moyen d’accéder au pouvoir, attendent les élections  pour y parvenir, c’est aussi simple que cela », prévient –il.

À en croire Clément Dembélé, Issa Kaou Djim est toujours dans l’esprit philosophique de base du M5, qui consistait à faire partir IBK et à travailler dans un cadre organisé pour faire des propositions de solutions pour une sortie de crise honorable au Mali.

« Jamais il n’a été question de dire qu’après IBK nous devions occuper les postes et que nous devions continuer à remplir les rues pour contester à chaque fois et menacer de bloquer la bonne marche des choses », rappelle Pr. Dembélé.

Mais le Comité stratégique du M5-RFP, en prenant ces positions « courageuses et patriotiques, qu’il assume », n’entendait ni rompre ni entrer en conflit avec le CNSP, qui, encore une fois, a « parachevé la lutte qu’il a engagée pour obtenir la démission de M. Ibrahim Boubacar Keita et de son régime ».

Jeu d’intérêts

Pour l’analyste politique Khalid Dembélé, les divergences de position qui secouent le M5-RFP sont le fruit de son hétérogénéité, symbole de plusieurs tendances internes. Selon lui, les partis politiques qui le composent savent qu’ils ne peuvent pas conquérir le pouvoir ensemble et le fait de se démarquer par des déclarations çà et là s’inscrit dans le jeu politique normal.

« Chacun essaye, selon l’intérêt de son parti, de se tracer un chemin propre, pour avoir une assise en vue des futures échéances électorales », pense M. Dembélé, qui est par ailleurs très sceptique sur la disparition du M5. « Cela m’étonnerait beaucoup que le M5-RFP disparaisse. Cela peut arriver dans une année, peut-être, mais aujourd’hui ils ont tous intérêt à le garder, ne serait-ce que pour maintenir un peu de pression sur le CNSP », soutient-il.

D’ailleurs, pour Mme Sy Kadiatou Sow, très convaincue du fait, même secoué par des divergences internes, le mouvement survivra assurément. « C’est au moment où tout le monde pense que le M5-RFP est au bord de l’implosion qu’il surprend le plus, en montrant qu’il est plus uni que jamais ».

Youba Ba : « Nous aurions pu éviter cette crise »

Après les évènements tragiques des 10 et 11 juillet, l’ADP-MALIBA a décidé de quitter la majorité présidentielle. Quatrième formation politique au sortir des législatives contestées, c’est un soutien de poids qui se retire. Son Président, Youba Ba, nous en explique les raisons.

Quitter la majorité signifie-t-il que l’ADP-MALIBA s’aligne dans l’opposition ?

Non. L’ADP-MALIBA a dit dans son discours qu’elle resterait une sentinelle de la démocratie. Elle veillera donc à la construction nationale avec tous les fils et toutes les filles du pays.

Y a-t-il une possibilité que l’ADP-MALIBA rejoigne le M5-RFP ?

Nous sommes des démocrates convaincus et des républicains. Nous voulons que tout arrive par la voie démocratique.

L’ADP-MALIBA a-t-elle été approchée pour entrer dans le gouvernement d’union nationale ?

Bien sûr. Avant la crise, nous avons été approchés par le Premier ministre. Aujourd’hui il y a une nouvelle donne. L’initiative lui appartient et après, à nous de l’apprécier.

En dépit des derniers développements, vous n’êtes donc pas fermés à cette éventualité ?

Nous sommes là pour le Mali et pour les Maliens. Nous étions dans une opposition constructive. Nous sommes un parti avec des députés et un groupe parlementaire.

Vous aviez soutenu IBK en 2013, avant de virer dans l’opposition, puis de rejoindre par la suite la majorité. Quelle est la logique ?

Nous avons fait une analyse approfondie pour arriver à une conclusion. Nous sommes venus participer à la mise en œuvre des 4 résolutions et des 118 recommandations du Dialogue national inclusif, au cours duquel nous avons brillé grâce à nos délégués, qui ont fait un travail remarquable. Nous avons participé et nous voulons toujours participer à l’opérationnalisation de ces résolutions et recommandations. Si les autorités avaient pris des mesures dès janvier, cette crise allait nous être épargnée. Car toute personne qui parcourt les recommandations saura qu’elles ont été rédigées pour le bien des Maliens et des Maliennes. Mais cela a pris du retard. Sur 79 activités qui devaient être exécutées de janvier à maintenant, il n’y a eu que les législatives et l’armée reconstituée à Kidal qui sont devenues réalité. Le résultat n’est pas top. Et l’armée reconstituée, ce n’est qu’en partie.

Est-ce que l’ADP-MALIBA va jouer le conciliateur entre le M5-RFP et les autorités ? Qu’allez-vous proposer pour une sortie de crise ?

L’ADP-MALIBA sera là pour le Mali et les Maliens. Si le M5 nous demande de faire le lien avec les autorités, pourquoi pas? Et si les autorités font la même demande, il n’y aura pas de souci. Nous sommes là et nous pouvons valablement jouer ce rôle.

Propos recueillis par Boubacar Sidiki Haidara

Crise socio-politique : Pour le M5-RFP, IBK n’est plus apte à diriger le Mali

Le mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) reste plus que jamais déterminé à aller au bout de sa lutte. Après les affrontements entre manifestants et forces de sécurité ces derniers jours qui ont découlé de l’appel à la désobéissance civile du 10 juillet, occasionnant des pertes en vie humaines, le mouvement durcit à nouveau le ton et appelle le peuple malien à la détermination totale jusqu’à la démission du Président IBK.

La sortie face à la presse des leaders du M5-RFP ce mardi 14 juillet était attendue pour dévoiler la suite de la lutte et l’attitude que va adopter le mouvement contestataire, après la tournure dramatique des événements du week-end. 

Le moins que l’on puisse dire est que le M5 ne désarme pas. Ni les arrestations puis les libérations dans la foulée de certains membres du comité stratégique, ni la répression des manifestants avec usage d’armes létales n’ont eu raison de la détermination du mouvement d’aller au bout.

« Les interpellations des dirigeants du M5-RFP et de nombreux militants anonymes n’ont en rien altéré notre détermination. Au contraire, cela nous conforte dans nos  convictions »,  clame vigoureusement Me Mountaga Tall. 

« Nous avons acquis la conviction aujourd’hui qu’IBK n’a ni les capacités physiques ni intellectuelles pour diriger le Mali », martèle-t-il ensuite, acclamé par les militants.

C’est fort de cela et surtout avec « la ligne rouge qu’IBK a franchi en ordonnant de tirer à balles réelles sur les manifestants » que le M5-RFP est revenu plus que jamais, et  de façon intransigeante sur sa principale revendication de départ : la démission du Président IBK et de son régime.

En rencontrant à deux reprises les 13 et 14 juillet 2020 une délégation de la communauté internationale composée d’émissaires de la Minusma, de la Cedeao, de  l’Union Africaine et de l’Union Européenne, les leaders du M5-RFP n’ont pas cédé d’un iota sur leur revendication, à en croire Me Mountaga Tall.

« Nous leur avons rappelé que c’est suite à leur demande que nous avions abandonné la démission d’IBK mais par la suite ce dernier a ordonné de tirer sur les manifestants civils. Nous ne pouvons l’accepter. C’est pourquoi nous les avons remercié pour leur implication mais leur avons clairement signifié que nous sommes revenus à notre demande initiale qui est la démission pure et simple d’IBK », explique-t-il.

Plainte pour assassinats et poursuite de la désobéissance civile

Au moins plus d’une dizaine de personnes ont trouvé la mort depuis la montée de la tension vendredi 10 juillet. D’importants dégâts matériels ont été enregistrés et certains édifices publics et privés ont été saccagés. 

Le M5-RFP prend le régime pour responsable et annonce avoir mis en place une équipe de juristes pour déposer plainte pour assassinats, en saisissant également la cour internationale de justice pour les crimes commis.

Pour Maitre Mountaga Tall, les consignes du mouvement ont toujours été claires. «  Nous sommes non violents. Il y a des milices privées qui opèrent », accuse-t-il, avec pour preuve l’interpellation le 12 juillet de deux éléments infiltrés, lourdement armées, chez l’imam Dicko, après le cas du vieil homme pris en flagrant délit à la place de l’indépendance.

Mohamed Salia Touré, président de la jeunesse M5-RFP appelle à la poursuite de la désobéissance civile, notamment l’observation stricte des 10 commandements établis, parce que, pour eux, depuis le vendredi 10 juillet, « Ibrahim Boubacar Keita n’est plus considéré comme Président de la République du Mali ».

« Nous demandons aux militants de barricader tous les ronds-points du district de Bamako, toutes les entrées et sorties des capitales régionales jusqu’à la démission effective d’IBK ».

Selon un communiqué de la Présidence de la République, une délégation de la Cedeao, avec à sa tête l’ancien président du Nigéria Goodluck Jonathan est attendue ce mercredi 15 juillet à Bamako, dans le cadre de la « facilitation du dialogue entre les partis à la crise politique en cours ». 

Mais encore faudrait-il convaincre le M5-RFP de céder sur son exigence de démission du Président IBK. Issa Kaou N’djim le martèle formellement : « Vive le peuple, à bas IBK ! »

Germain Kenouvi

 

Bamako : La « désobéissance civile » vire au drame

La série noire qui endeuille la capitale du Mali prend racine le 5 juin 2020, avec le premier grand rassemblement du Mouvement du 5 juin ou M5. Le troisième rassemblement du genre, qui a vu l’entrée en vigueur de la « désobéissance civile », s’est soldé par des morts à Bamako. Le bilan des dernières journées est encore loin d’être fait en intégralité. L’on retient tout de même que les « manifestants » ont saccagé l’Assemblée nationale, brûlé des véhicules et des bâtiments, utilisé des meubles pour faire des barrages sur les routes et dispersé des documents administratifs dans les rues environnantes. Et cette liste est loin d’être exhaustive.

L’autre fait qui a marqué cette première journée de « désobéissance civile » impulsée par le Mouvement du 5 juin et ses alliés est l’envahissement par des manifestants des locaux de l’ORTM. Ils étaient nombreux à prendre d’assaut la chaîne publique. Conséquences : interruption pendant près de deux heures des programmes le 10 juillet 2020. Tard le soir, dans une édition spéciale à la télévision nationale, l’on découvrait les dégâts et les voitures incendiées dans les locaux de la radiotélévision nationale. Une violence qui s’est soldée elle aussi par des blessés et a obligé les agents en service ce jour-là à ne reprendre le chemin de la maison que tard dans la nuit ou le lendemain pour certains, à cause de l’insécurité qui régnait en maître dans la ville. Face à cette situation, les faîtières de la presse ont exprimé leur solidarité avec l’ORTM.  

 

Il ne faut pas perdre de vue que lors du dernier rassemblement du M5, l’appel à la « désobéissance civile » devait être maintenu jusqu’à « la démission du Président Ibrahim Boubacar Keita » de ses fonctions, selon le mot d’ordre lancé.

Le lendemain de la manifestation, au préalable prônée sans violence, la coalition M5-RFP a annoncé l’arrestation de plusieurs de ses chefs de file et une intervention des forces de l’ordre dans son quartier général. « Alors que nos militants étaient en réunion, ils sont venus et ont attaqué et saccagé notre quartier général », a déclaré à un média, le porte-parole de la coalition, Nouhoum Togo, qui avait annoncé plus tôt dans la journée du samedi 11 juillet l’arrestation, survenue la veille, de l’opposant Issa Kaou N’djim. Selon le M5-RFP, Choguel Kokala Maiga et Mountaga Tall, deux figures du mouvement, ont aussi été arrêtés samedi, ainsi que d’autres opposants. Maître Mountaga Tall a été libéré dans la nuit de samedi à dimanche.

Du samedi 11 au lundi 13 juillet, les manifestations n’ont pas cessé dans la capitale, interrompues par moment à cause des précipitations qui s’abattaient sur Bamako. Mais le M5-RFP ne s’est pas essoufflé pour autant. Avec un bilan en dégâts matériels, en vies humaines et en blessés, qui s’alourdit chaque jour. 

Autres conséquences de ces sorties parsemées d’actes de violences et de répression « à balles réelles » par endroits : des institutions au ralenti, des banques fermées, des infrastructures détruites, des arrestations, des contrôles accrus et les activités des populations bouleversées. Sur les réseaux sociaux, les informations et les fake news circulent, malgré le débit exécrable des connexions internet.  

Dans une dépêche citée par l’Agence France Presse (AFP), « la communauté internationale exhorte le pouvoir malien à libérer les leaders de la contestation pour tenter de mettre fin aux troubles qui ont conduit à l’instauration d’un climat semi-insurrectionnel à Bamako au cours du week-end. »

Face à cette situation, dans une adresse à la Nation, le 11 juillet 2020, le Président de la République a indiqué que la justice allait jouer son rôle les jours à venir. Il a aussi annoncé l’abrogation du décret de nomination des membres « restants » de la Cour constitutionnelle du Mali. Face aux débordements observés après le début de la « désobéissance civile », vendredi dernier, le mentor du M5-RFP, l’Imam Dicko, a lancé un appel au calme.

Idelette BISSUU

 

Crise politique : La désobéissance civile dégénère

A l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), vendredi 10 juillet à la Place de l’Indépendance, des milliers de manifestants sont entrés en désobéissance civile face au refus du président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta et de son régime de  démissionner. Ils ont vandalisé plusieurs services publics et occupé  les ponts et principaux axes routiers de Bamako.

« Le peuple a parlé à IBK, mais il fait la sourde oreille. On a trop parlé, maintenant place à l’action. On va chasser IBK et Boubou Cissé et non casser le pays. Commencez par occuper la Primature, l’ORTM et l’Assemblée Nationale », a ordonné aux manifestants, d’un ton martial, Issa Kaou N’djim, Coordinateur général de la CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko).

L’Assemblée nationale saccagée

C’est de là que tout est parti. Les manifestants se sont dirigés vers les services publics indiqués par Issa Kaou N’djim. Selon les responsables du M5-RFP, la désobéissance civile devait s’exercer sans violence, en occupant pacifiquement les services publics de l’Etat, hormis ceux de la santé, et les principaux axes routiers. Ils n’avaient pas le droit de pénétrer dans les bureaux desdits services. Cependant rapidement la situation dégénère. Très excités, les manifestants ont vandalisé des portes d’entrée de l’ORTM et saccagé les locaux de l’Assemblée Nationale. Les accès aux ponts Fahd et des martyrs ont été bloqués ainsi que ceux de la primature et plusieurs ronds-points de la capitale. Les manifestants se sont également attaqués au domicile de Manassa Danioko, présidente de la Cour Constitutionnelle, très contestée pour son présumé rôle de tripatouillage électoral au profit du pouvoir lors des législatives passées. Les forces de l’ordre ont dispersé les contestataires à coup de gaz lacrymogènes. Au soir du 10 juillet, le bilan provisoire est d’un mort et de plusieurs blessés selon des sources sanitaires.  Le M5 dit dans l’attente de faire le point « tenir pour responsable le pouvoir IBK de toutes les violences ». Le mouvement a également annoncé l’arrestation de trois de ses membres.

Le mémorandum désormais « caduc »

Le M 5- RFP a adopté une résolution dans laquelle il déclare que le mémorandum de sortie de crise du 30 juin dernier est désormais « caduc ». Dans ce document, il demandait entre autres la dissolution de l’assemblée nationale, le renouvellement des membres de la cour constitutionnelle ou la mise en place d’un gouvernement de transition dont le premier ministre, doté du plein pouvoir, serait de son choix.  Le président IBK, dans son adresse à la nation du 9 juillet, n’a donné de suites aux revendications du mémorandum. Et le mouvement contestataire demande désormais « la démission pure et simple d’IBK, de son régime et l’ouverture d’une transition sans lui ».

Les contestations se sont également déroulées à l’intérieur du pays à Sikasso, Ségou ainsi qu’à Kayes.

M5 – Rassemblement du 10 juillet: Adama Ben Diarra répond aux 3 questions de la rédaction

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. C’est dans ce cadre que Adama Ben Diarra, membre du Comité stratégique du M5 – RFP, répond aux 3 questions de la rédaction. 

 

Quel est le mot d’ordre pour le rassemblement du 10 juillet 2020 ?

Le mot d’ordre demeure la démission du Président de la République et de son régime. Quand le Président nous a invités le 5 juillet, nous avions pensé que c’était pour discuter du contenu du mémorandum. Mais, comme il a l’a carrément ignoré et nous a appelés à approfondir les discussions avec la majorité présidentielle, cela a radicalisé davantage les positions et nous sommes revenus à notre revendication initiale : celle de sa démission, comme son régime, pure et simple.

Pensez-vous avoir l’adhésion du peuple pour votre appel à la désobéissance civile ?

Le 10 juillet, pour nous, marquera le début des hostilités. L’action de désobéissance civile va commencer et nous estimons que le peuple se reconnait dans la lutte que nous menons parce qu’il souffre. Le pays est dans l’abîme. Nous sommes entièrement convaincus que les Maliens vont suivre cet appel.

Jusqu’où êtes-vous prêts à aller ?

Nous avons dénommé la sortie du vendredi l’assaut final. Cela va se traduire par l’occupation de tous les bâtiments publics, y compris la première institution de la République, qui se trouve à Koulouba. Pour nous, il s’agit clairement de mettre fin au régime d’Ibrahim Boubacar Keita et nous continuerons jusqu’à l’atteinte de cet objectif, pour le Mali et pour le bonheur des Maliens.

Pr. Clément Dembélé : « IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple »

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Après avoir changé de stratégie en élaborant un mémorandum, le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. Professeur Clément Dembélé, l’un des porte-parole du M5 répond aux questions du Journal du Mali.

                                                

Après l’échec de la rencontre avec le Président de la République, quel sera le mot d’ordre de la manifestation que vous organisez ce vendredi 10 juillet 2020 ?

Nous revenons à la case de départ qui est la démission d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais il faut d’abord rappeler la sagesse de l’imam Mahmoud Dicko que nous avons entendu. Nous avons écouté cette sagesse avec beaucoup d’attention. Nous avons accepté, sur sa demande et son conseil, de renoncer momentanément à la démission d’IBK et de poser d’autres revendications tout,  en respectant les médiations des grandes personnalités qui sont tous intervenus pour dire qu’ils comprennent notre revendication qui est légitime mais nous ont convié à enlever juste la démission du président IBK et de trouver une autre formule. Celle que nous avons trouvé c’est cela que nous avons proposé à l’imam sur sa demande et que nous lui avons remis pour qu’il le dépose auprès d’IBK. Ce n’est pas trop demander quand on sait qu’au préalable nous exigions la démission d’IBK et de l’ensemble de son régime. Maintenant qu’IBK n’a pas accédé à ces demandes, nous n’avons pas le choix. IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple que de sortir ce vendredi pour la désobéissance civile, dire non à l’atteinte de la forme de la République parce que cette forme c’est la stabilité, la sécurité, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance. Nous savons très bien que ces éléments ne sont pas réunis aujourd’hui et cela nous oblige à sortir le peuple malien pour demander simplement la démission d’IBK parce qu’il n’est pas celui qui écoute le peuple malien, qui entend la voix du peuple malien. C’est ce qui explique la sortie de ce vendredi 10 juillet. Nous allons demander à IBK de rendre aux Maliens ce qui leur appartient, c’est-à-dire le pouvoir du peuple malien.

Vous appellez désormais le peuple à la désobéissance civile. Croyez-vous en une adhésion massive à cet appel sur la durée ?

La désobéissance civile sera suivie parce qu’elle sera graduelle. Elle évoluera au fur et à mesure. Nous commençons le vendredi et la chose la plus importante pour nous c’est de mener cette désobéissance civile dans un cadre pacifique, légal et républicain. Nous ne voulons pas une désobéissance civile qui s’inscrit dans la violence. La violence est contraire à l’éthique du peuple malien. Le Mali n’a pas aujourd’hui besoin de violence. Mais cette désobéissance civile, nous allons laisser le peuple l’exprimer et la mener dans la paix et dans la sérénité mais montrer au pouvoir que désormais IBK n’a plus la main sur ce peuple et sur le Mali. La désobéissance civile sera suivie parce que le peuple malien est trop fatigué. Il est trop abandonné par ce pouvoir. Ce peuple a besoin de dignité,  d’honneur et de se retrouver. Il va donc exprimer sa solidarité, son enthousiasme, sa vigueur et sa détermination à se débarrasser d’un régime de corrompus, qui n’a  cessé de mentir et de piétiner la dignité du peuple malien. Elle sera suivie parce que la survie même du peuple malien en dépend. Aujourd’hui pour redresser le Mali, il faut le faire avec la vérité et la franchise qui ne sont pas du tout dans le camp de ce régime.

Jusqu’où ira le mouvement ?

Le mouvement est prêt à aller jusqu’au bout. Nous nous inscrivons dans la logique du peuple malien. C’est le mouvement du peuple qui aspire aujourd’hui à une bonne gouvernance, à la redevabilité et à la transparence. Vous savez, en 1991 la promesse sur la démocratie était basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. Cela n’a pas été le cas. Le peuple a été dupé, trébuché dans la boue de la déchéance, de la honte, de l’indignité et de l’indignation pendant 30 ans. Aujourd’hui ce peuple se lève comme un seul homme. Il se dresse contre tous les maux de ce pays que constituent la corruption, l’injustice, l’insécurité, la magouille, la gabegie et autres. Le peuple malien va se débarrasser de ces maux pour que l’an zéro du Mali démarre avec une nouvelle génération. Certes, certains d’entre nous ont travaillé avec le régime mais quand ils ont compris que ce régime n’avait pas la solution du Mali, ils sont partis pour revenir dans la case de la vérité et de l’honneur. Cela est à saluer. Ils ne sont pas venus pour reprendre le pouvoir et moi je suis sûr et persuadé qu’ils ne sont pas venus pour prendre la place des jeunes. Ils vont les accompagner, les protéger, leur permettre d’avoir leurs places et de diriger ce pays. C’est cet ensemble qui se lève aujourd’hui pour mettre fin au régime et permettre aux Maliens d’avancer ensemble.

L’imam Mahmoud Dicko soutient-il le retour à l’exigence de la démission d’IBK quand on sait qu’il a essentiellement œuvré pour que vous l’abandonniez ?

L’imam Mahmoud Dicko est l’autorité morale. Nous l’avons choisi pour nous accompagner, pour recadrer les choses en cas de dérapage. L’Imam Dicko est très inquiet aujourd’hui. Il est inquiet pour le M5, il est inquiet pour le Mali. Il reste toujours celui qui prône la paix et la stabilité. Il nous a toujours dit de revendiquer nos droits mais de façon pacifique, démocratique et légitime. Il y a  seulement quelques jours nous l’avons rencontré et il nous a exprimé cette inquiétude, de faire tout pour ne pas répondre aux provocations, de rester Républicains, pour sauvegarder la laïcité, rester dans le principe légal et de ne pas tomber dans la violence. Aujourd’hui plus que jamais Mahmoud Dicko est solidaire au M5-RFP, à la paix et la stabilité du Mali. Il n’a jamais appelé à la violence. Cette autorité morale nous permet de gagner du terrain, de nous faire comprendre par les Maliens, et d’avoir une grande dimension. Pour cela, je tiens personnellement à le remercier, ainsi qu’au nom du M5 et du peuple malien, pour sa souplesse, sa disponibilité, la profondeur de sa sagesse. Nous restons avec Mahmoud Dicko jusqu’au bout, et ce bout c’est de donner cette  libération au peuple malien dont il a vraiment droit. Nous disons qu’entre Mahmoud Dicko et le M5, c’est une famille qui va durer toute la vie parce qu’il n’a fait que prôner ce que nous voulons, c’est à dire un Mali libre, uni, intègre et souverain.