(Défis de 2019- 4/7) Réforme constitutionnelle : L’inévitable mesure ?

Le gouvernement revient à la charge pour la tenue du referendum sur la révision constitutionnelle. Après une première tentative avortée en 2017, le peuple souverain sera appelé à s’exprimer sur la mesure en mars prochain. Devenue incontournable pour mettre en œuvre l’Accord pour la paix, la réforme constitutionnelle reste un défi pour les autorités, dans un contexte incertain.

« Personne ne peut remettre en cause la nécessité de la réforme dans notre société, ne serait-ce que pour la vivacité de l’ordre constitutionnel. Il y a aussi le fait que l’Accord prévoit des mesures règlementaires, législatives, voire constitutionnelles », affirme le constitutionnaliste Aboubacar Diawara. Dans le passé, des tentatives de révision ont été  menées sous Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré, sans le moindre aboutissement. Mais l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, issu du processus d’Alger, signé en 2015, exige une redéfinition de l’architecture institutionnelle et même constitutionnelle. En 2017, l’Assemblée nationale avait adopté un projet de révision de la Constitution du 25 février 1992, mais aussitôt la plateforme «  Anté A Bana – Touche pas à ma Constitution », regroupant des  associations de la société civile et des partis politiques de l’opposition, s’est opposée énergiquement à l’initiative. Face à la montée de la contestation, le Président de la République, IBK, a « en toute responsabilité » suspendu le  projet controversé.

Retour à la charge

Mais ce pas en arrière du gouvernement n’était pas synonyme d’abandon. Pressées par les Nations Unies dans la mise en œuvre de l’Accord, les autorités remontent au front. Le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a déjà  partagé depuis mi-novembre un projet de calendrier des échéances électorales, y compris le referendum, prévu cette fois-ci en mars. Un comité d’experts travaille déjà sur le sujet, selon le gouvernement, pour aboutir à un document que le Président de la République proposera à l’Assemblée nationale pour adoption. Pour l’heure, les acteurs incontournables patientent avant de se prononcer valablement sur ce qui sera proposé. « On peut difficilement se prononcer sur cette révision, parce qu’on ne sait pas ce qu’ils y mettent comme contenu », indique l’analyste politique Boubacar Bocoum, soulignant toutefois qu’elle est indispensable. Il va même plus loin et fait quelques remarques. « Est-ce qu’on a besoin d’aller  à un referendum juste pour une Constitution ? ». Non, répond-il, « la consultation populaire doit être faite à chaque fois que le sujet est crucial. C’était valable pour l’Accord de paix ou pour la décentralisation », précise l’analyste. Pour l’Honorable Mody N’Diaye, Président du groupe parlementaire Vigilance républicaine démocratique (VRD) à l’Assemblée nationale, il est prématuré de s’exprimer sur cette réforme, dont on ne connait pas encore les éléments. « Mais tout le monde sait qu’il y a certains aspects à prendre  en charge, comme la création d’une Cour de comptes, et pour rendre obligatoire la loi organique pour la loi des finances et les réformes institutionnelles », avance-t-il.

Quid du consensus ?

« Qu’il y ait consensus ou pas, ce n’est pas un problème, mais il faut que chacun apporte son idée en participant à l’élaboration du document de base. Le droit est là pour nous dire que nous avons le droit de dire Oui ou Non à la réforme », explique Boubacar Bocoum. Un point de vue proche de celui du  constitutionaliste Aboubacar Diawara. « Les conditions du  consensus doivent être créées au tout début des travaux. Il faut dès le départ que toutes les parties reconnaissent le bien-fondé de la chose, car le consensus n’est pas un résultat. C’est plus une façon de faire que le fait d’obtenir quelque chose », argumente-t-il. Cette méthode inclusive semble être adoptée par le gouvernement, qui doit convaincre le peuple  malien de la pertinence et des enjeux de la révision constitutionnelle. D’ores et déjà, l’Honorable Mody N’Diaye considère  que « la meilleure façon de réussir une réforme de ce genre est d’engager des pourparlers sur la question avec les partis politiques et d’aboutir à un consensus, parce que c’est un document éminemment politique », souligne-t-il. Dans tous les cas de figure, il y aura, selon le Président du groupe VRD, une démarche à mener pour aller à cette révision, « parce qu’une fois que le Président fait la proposition  du projet à l’Assemblée nationale, les députés débattent du texte et il faut une majorité qualifiée pour faire passer d’abord le projet et aller au referendum ». Mais, le plus souvent, les différentes interprétations et analyses approximatives de ces questions majeures désorientent les citoyens et influencent leur choix. Lors de la dernière tentative, il a surtout été mis en avant le fait que la révision portait atteinte à l’intégrité territoriale, quand bien même la Cour constitutionnelle avait tranché. « La peur de l’inconnu ». Aboubacar Diawara invite à se surpasser. « Pour certains, l’Accord a  pour objectif de morceler le Mali, mais il revient au peuple de faire recours à son génie et d’exploiter suffisamment sa raison, dans un esprit de collégialité, pour trouver une réponse adéquate, allant dans le sens de la survie de notre unité nationale et de sa consolidation ». 

La réforme constitutionnelle devrait en principe proposer également la création d’une deuxième chambre du Parlement, pouvant être appelée Sénat ou Conseil de la Nation, ou toute autre dénomination valorisant sa nature et son rôle. Pour cette seconde tentative, le gouvernement doit tirer des leçons des échecs précédents pour  faire passer haut la main le nouveau texte fondamental, que certains sacralisent comme  le Coran.

 

 

Cet article a été publié dans le journal du Mali l’Hebdo (N°196) du 10 janvier 2019.

Ibrahim Boubacar Keïta : président mal aimé ou mal compris ?

Depuis des semaines, l’opposition politique et populaire au projet de révision de la constitution, semble avoir considérablement érodé la cote de popularité du président. Au fur et à mesure que la rue gronde au son des partisans du Non, la figure présidentielle semble en prendre un coup, et quand la riposte s’organise, les éléments de langage : « désamour », « haine » « attaque » et les propos agressifs de certains ministres, loin de susciter l’accalmie, clivent et divisent le population malienne sommée de prendre parti pour le Oui ou pour le Non, pour ou contre le président. Cette communication politique non-maîtrisée, autour d’un sujet aussi sensible, à un an de l’élection présidentielle, risque d’abîmer encore plus l’image du président, qui peine à faire imprimer durablement son action politique dans l’opinion publique.

« Aujourd’hui, il est clair qu’IBK est très impopulaire, vous avez sûrement appris que dans un quartier où il passait, il a été hué ? », interroge ce membre de la Plateforme An té A bana Touche pas à ma constitution, en marge de la grande marche des partisans du Non, le 15 juillet dernier. « Chez nous, Maliens, un chef d’État qui se fait huer c’est le summum de l’impopularité », ajoute-t-il.

Parmi les slogans scandés par les manifestants, demandant le retrait pur et simple du projet de constitution, on pouvait aussi en entendre d’autres, adressés directement au chef de l’État : « IBK démission ! IBK dégage ! », preuve que ces manifestations en faveur du Non à la révision constitutionnelle, sont devenus petit à petit un réceptacle de toutes les frustrations, un pot-pourri des mécontentements qui se sont agglomérés avec la loi référendaire. « Une réforme constitutionnelle a toujours soulevé partout dans le monde des partisans et des détracteurs. On l’a vu à Dakar, en Côte d’Ivoire, partout dans le monde », souligne le ministre Baber Gano, secrétaire général du Rassemblement pour le Mali (RPM), parti au pouvoir, qui considère que cette réforme est nécessaire. « Ils ont inventé des arguments qui ne sont pas contenus dans la constitution. Il s’agit de rancoeur, de rancune et d’une haine envers le président. Mais IBK a su préserver son image, il a accepté toutes les critiques, souvent très extrémistes, voire injurieuses, il s’est comporté en vrai homme d’Etat. Quand tout ça se calmera, son travail de chef d’Etat continuera », assure le ministre des Transports.

Popularité en berne Il en avait suscité pourtant de l’amour ce candidat à la présidentielle. L’homme qui pouvait sauver le Mali, porté aux plus hautes fonctions par 77 % des suffrages, un score inédit dans le pays, qui a surpris tout le monde, à commencer par ceux qui ne l’avaient pas vu venir, ses adversaires, tous issus de la même génération politique, amis d’hier, et qui se pensaient favoris. « Est-ce que vous voyez le mal que cela a pu leur faire quand celui qui n’était pas dans leurs calculs est venu les gouverner ? Ils ne veulent pas attendre qu’il finisse son mandat, il faut le torpiller pour montrer qu’il est incapable », lance Badara Aliou Sidibé, chef de cabinet au Conseil économique et social, confortablement assis dans un fauteuil de son bureau à Koulouba.

C’est à Koulouba justement, au palais présidentiel, une bulle où les bruits du pays remontent difficilement, que le nouveau président va connaître un bref état de grâce en 2013, stoppé net par l’acquisition de l’avion présidentiel et l’affaire des marchés de l’armée. A Koulouba, sans des canaux fiables capables de remonter les humeurs du pays, la réalité du terrain s’estompe. « Il faut aussi reconnaître que le président IBK, c’est quelqu’un d’inaccessible, il l’a toujours été. C’est un chef, tout le monde n’a pas accès à lui. Il y a des ministres qui ne voient IBK que lors du Conseil des ministres. Au RPM, au bureau politique national, certains ne l’ont pas vu depuis très longtemps », explique ce collaborateur de la présidence de la République, sous couvert d’anonymat.

Aujourd’hui, cette image de président déconnecté du pays, dont les actions ne satisferaient que 46 % des Maliens, selon le sondage Mali-Mètre de mars dernier, et qui s’obstine dans un choix que beaucoup disent ne pas comprendre, lui colle à la peau. A l’international, le président suscite de plus en plus de réserves quant à sa capacité d’être à la hauteur des enjeux. « IBK ne voit pas le peuple dans cette opposition au référendum, il voit des adversaires qui veulent se comparer à lui, qui veulent montrer qu’ils sont les chefs : Tiébilé Dramé, Madame Sy Kadiatou Sow, Modibo Sidibé, etc. Ce sont eux qu’il voit et pas le peuple malien, c’est pour cela qu’il est en déphasage », observe ce chroniqueur de la scène politique malienne.

Au RPM, les partisans du président se sont lancés avec zèle dans la bataille, reprenant en éléments de langage les paroles formulées par le président, au risque de desservir ce dernier. « C’est une communication élaborée et dirigée de manière maladroite. Quand vous entendez un membre du RPM dire que c’est « une haine » qui vise le président, ça créée un malaise. C’est une grosse erreur d’appréciation », commente ce spécialiste français en communication politique, qui considère que ce type de communication peut potentiellement amener à des situations de pure confrontation.

Objet communicant non-identifié Pointés du doigt, les communicants du président, qui ne maîtrisent pas vraiment ce domaine et n’ont pas réussi, depuis son accession au pouvoir, à élaborer une stratégie de communication politique efficace valorisant l’homme, ses idées et ses actions, abîmant par là-même son image. « La communication du président fait partie du problème. On sent un passage en force, on sent un mépris de tout ceux qui peuvent avoir une autre position. C’est nous le pouvoir, nous allons l’imposer. Ce sont des invectives, des menaces. Quand vous entendez le langage des dirigeants de ce pays sur les antennes nationales, c’est incroyable ! », s’exclame Soumana Kalapo, syndicaliste et membre de la Plateforme An té A bana. Pour ce chroniqueur politique, il y a aussi une certaine crainte à aborder le chef de l’État sur ses sujets. « Je ne connais pas un conseiller en communication qui ose taper à la porte du président. Je n’ai pas vu de gens autour de lui assez responsables pour aller lui dire « on est en train de foncer dans le mur, il faudrait vraiment faire une ouverture et voilà l’ouverture qu’on peut faire. Il faut une personnalité qui pourra lui parler, lui exposer sincèrement l’État de la situation ».

Reste que cette communication « artisanale » se traduit dans l’opinion par une perte de crédibilité évidente, une image dégradée auprès des Maliens et un manque de visibilité de son action. « Il y a tellement de choses qui sont passées inaperçues que finalement on peut se dire qu’il n’y a rien. Les militaires le disent, ce qu’il a fait pour l’armée, en 50 ans d’indépendance, aucun président ne l’a fait. Moi je sais que le tableau n’est pas totalement noir, même si le bilan n’est pas reluisant. Il a fait des choses mais ce n’est pas forcément perceptible ici à Bamako. À l’intérieur du pays, le peuple croit encore à IBK », affirme ce militant du RPM.

Le sursaut ? A un an jour pour jour de la prochaine élection présidentielle, le temps semble court pour le président candidat à sa succession, qui devra mettre les bouchées doubles pour inverser la vapeur. « Tout ce qui se passe créée des sympathies pour nous et diminue, à mon avis son électorat. Le régime doit faire attention et se souvenir que les Maliens qu’il menace et maltraite aujourd’hui sont des électeurs », assène Soumana Kalapo. Mais certains veulent y croire. « C’est un patriote, c’est indéniable. Il est vraiment attaché aux intérêts du pays, mais toutes ces erreurs de communication comme de casting ont fait que ça ne s’est pas manifesté comme il le voulait. Il est largement insatisfait », poursuit ce même militant.

Sortir par le haut, dire que ce projet de révision a manqué de concertation, montrer qu’il est capable d’écoute, afin d’enclencher la dynamique pour la présidentielle de l’année prochaine, c’est ce que certains pensent au sein même de sa famille politique. « S’il a l’habileté de retourner au dialogue, de dire « je vous ai compris », comme disait De Gaulle, l’un de ses modèles, dans ce cas je crois qu’il y aura les moyens de redresser sa popularité », souligne ce cadre du parti majoritaire. « Il y a quand même un fond légitimiste dans ce pays, surtout dans le pays profond, s’appuyant sur des valeurs culturelles où, quand le chef reconnaît qu’il a eu tort et qu’il veut sincèrement réparer, il y a une possibilité. De plus, il n’y a pas dans l’opposition une personnalité qui émerge de manière évidente, qui peut opérer un renversement de l’opinion nationale en sa faveur. Donc IBK reste, malgré tout, un candidat évident et incontournable », conclut-il.

 

Révisions constitutionnelles, entre stabilisation personnelle et institutionnelle

À l’instar du Mali, un vent de modification des constitutions parcourt l’Afrique. S’il est normal de reformuler les lois car elles se doivent d’évoluer avec la société, la révision des textes constitutionnels s’apparente souvent à un instrument pour s’assurer l’accession au pouvoir, renforcer ou maintenir sa position de chef suprême.

C’est le cas en République démocratique du Congo où le président actuel, Joseph Kabila, ne peut briguer un troisième mandat et où la révision de la constitution fait débat. Au Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, confronté à l’article 57 qui l’empêchait de se représenter, a fait modifier la constitution en vigueur dans le pays depuis 2002. Cette nouvelle loi fondamentale a été promulguée en novembre 2015 et le président Sassou Nguesso réélu, pour un troisième mandat, le 20 mars 2016. En Mauritanie, le président Ould Abdel Aziz a annoncé le 3 mai dernier, un projet de révision constitutionnelle qui prévoit la suppression du Sénat et une possible modification du mandat présidentiel, qui lui permettrait de se représenter, une troisième fois, pour cinq ans.

Néanmoins, si ces révisions constitutionnelles, conjoncturelles, portent très souvent sur le mandat présidentiel, sur la restriction des libertés de l’opposition et les modes de scrutin, elles peuvent aussi être un moyen de limitation du pouvoir et d’amélioration du fonctionnement des institutions. Le Sénégal qui, via référendum, a voté massivement  »oui » à une réforme constitutionnelle structurelle, à adhéré aux 15 points de cette réforme, dont la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, le renforcement des droits des citoyens, de l’opposition et des pouvoirs législatifs et judiciaires. En Côte d’Ivoire, où les querelles politiques et les différentes crises on souvent trouvé leur origine dans des questions d’interprétation et de modification constitutionnelles, le président Alassane Ouattara a lancé une révision de la constitution qui sera soumise à référendum d’ici la fin d’année. Dans cette mise en chantier, il est prévu une suppression de la clause d’ivoirité, qui fut un obstacle momentané pour le président lors des élections de 2010, un assouplissement des règles et critères d’accès à la magistrature suprême, l’instauration d’un poste de vice-président qui assumerait les devoirs du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir, et l’abaissement de l’âge d’accès à la magistrature suprême de 40 à 35 ans.

Si les révisions constitutionnelles peuvent représenter un danger en Afrique pour la consolidation de la démocratie, des pays comme le Mali ou la Côte d’Ivoire, qui sont lancés dans ces réflexions générales, semblent en rupture, notamment par le recours au référendum, qui leur permet de se hisser à hauteur de la démocratie et des espérances des peuples.

Réforme constitutionnelle : vers la 4ème République ?

À la une des journaux et dans pratiquement toutes les conversations, la révision constitutionnelle. Annoncée lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre Modibo Kéïta, le 8 juin 2015, cette dernière amorce un tournant décisif avec la nomination du Comité d’experts en charge d’élaborer l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution. Cette troisième tentative de modification sera, aux dires des plus optimistes, une étape supplémentaire pour le renforcement de l’État de droit. Pour les sceptiques, voire les pessimistes, elle actera la partition du pays, en intégrant les recommandations issues de l’Accord pour la paix et la réconciliation conclu à Alger et signé à Bamako, il y a un an. Alors, nouvelle page pour la République ou trahison nationale ?

La première tentative date de 2001. Le président de la République d’alors, Alpha Oumar Konaré, retire in extremis le projet de loi portant révision de la Constitution du Mali qui aurait dû passer en référendum quelques jours plus tard. Il y a quinze ans, ceux qui étaient contre cette initiative, qualifiée de «  caprice d’un pouvoir en mal de subterfuges pour se maintenir », avaient accueilli ce retrait comme une victoire démocratique. Le successeur, Amadou Toumani Touré, se lancera, à quinze mois de la fin de son mandat en 2010, dans le même exercice et recevra la même volée de bois vert, soupçonné lui aussi de vouloir prolonger son règne, auquel le coup d’état de mars 2012 mettra d’ailleurs fin prématurément. Ainsi qu’à cette deuxième tentative de modification. « Jamais deux sans trois » dit un proverbe, et si l’on en croit une source proche du dossier « cette fois-ci sera la bonne ». « Parce que le pays en a besoin pour avancer et nous ne pouvons ni ne devons pas en faire l’économie », poursuit notre interlocuteur.

Si l’on interroge ce qu’il est convenu d’appeler le Malien lambda, on se rend très vite compte que cette question de révision de la Constitution souffre avant tout d’un problème de compréhension. Pour les juristes, la révision constitutionnelle est un mécanisme envisagé par toute constitution d’un État en vue de l’adapter aux aspirations sociales et politiques. Elle peut intervenir pour corriger certaines dispositions désuètes et lacunaires dans la Constitution. « C’est exactement le cas au Mali », explique le constitutionnaliste Mamadou Samaké, dit Voltaire. Ainsi, la présente démarche, comme les précédentes, « est en quelque sorte un check-up pour voir quelles sont les dispositions à revoir, celles à supprimer et celles  à intégrer ». « Notre Constitution a presque 25 ans, elle date de février 1992. Il s’agit, bien au-delà des recommandations de l’Accord de paix, de réadapter la Loi Fondamentale à l’environnement et aux réalités actuelles du Mali avec par exemple la prise en compte de questions « comme la discrimination positive, pourquoi faire une place aux jeunes, une place aux femmes et aux légitimités traditionnelles. Est-ce qu’il ne faut pas inscrire dans la Constitution, la reconnaissance des droits des minorités comme c’est le cas au Québec, pour pouvoir prendre en charge la problématique du Nord ? », poursuit-il.

Coller à Alger ? La révision de la Constitution est en effet recommandée dans l’accord dit d’Alger, qui demande une prise en compte d’un certain nombre de points tels que la création de nouvelles régions, actée depuis plusieurs mois déjà au Mali. Mais « ce n’est pas que l’accord qui sous-tend cette initiative », soutient-on du côté du gouvernement. Les grands axes de cette réforme viennent des propositions de textes précédentes auxquelles seront « ajoutées de nouvelles dispositions ». En 2010, le ministre de la Réforme de l’État, Daba Diawara, expliquait qu’il s’agissait, entres autres, « d’un réaménagement de l’exécutif, du renforcement du parlement et du pouvoir judiciaire, de la création d’un Sénat en lieu et place du Haut conseil des collectivités. De nouvelles perspectives sont ouvertes en ce qui concerne les élections et l’assouplissement de la procédure de révision constitutionnelle. À cela s’ajouteront des grands axes comme « l’équité pour les minorités et les couches les plus vulnérables de la population, mais aussi une meilleure définition des institutions de laRépublique et de leur mode de fonctionnement, individuellement mais aussi entre elles. La question du mandat du président, de son statut pénal, de la limite d’âge pour l’accession à la fonction de chef de l’État, de la création d’une chambre bicamérale, Assemblée nationale plus Sénat (qui regroupera des représentants du terroir, nommés ou élus, et qui traiteront des sujets concernant directement la vie des populations et des collectivités), etc. », explique une source proche du dossier. Quid de la question des autorités intérimaires ? « Elle est déjà tranchée, puisque validée par la modification du Code des collectivités territoriales. Il est juste question de mettre en conformité les deux textes », nous explique-t-on. En outre, le nouveau texte devrait introduire une nouvelle procédure de révision de la Constitution, l’ancienne étant jugée « rigide » par les constitutionnalistes.

Le comité d’experts mis en place par décret le 27 avril dernier et présidé par Maître Mamadou Ismaïla Konaté, avocat aux barreaux de Bamako et Paris, devrait déjà commencer son travail la semaine prochaine. Sur la base des termes de référence que leur a remis le gouvernement, les dix membres du comité, tous experts dans leur domaine avec une grande majorité de juristes, vont s’atteler à la rédaction de leur feuille de route, définir leur méthodologie, avant de partir à la rencontre des Maliens. Le processus sera participatif avec des rencontres avec « tous ceux qui voudront apporter leur contribution, avec pistes de réflexion voire des propositions d’amendements ». Le comité d’experts aura six mois pour mener à bien sa mission et devra consulter la classe politique, qui a décrié l’absence totale de ses représentants au niveau de cette instance qu’elle estime chargée de gérer des questions politiques, mais aussi la société civile. « Ce n’est qu’après cela que le gouvernement décidera d’adopter ou non le projet de révision qui ira ensuite devant l’Assemblée nationale où il est requis le vote des deux tiers des députés, soit 98 sur les 147. Puis enfin, la phase de référendum sera mise en branle », explique le Professeur Samaké. La consultation est prévue avant la fin de l’année et devrait sensiblement modifier le fonctionnement la 3ème République. Au point de basculer vers la 4ème République ? La question reste posée.