Coopération Mali – Russie : un nouveau tournant ?

Entre Bamako et Moscou, c’est « collé-serré » depuis le début de la Transition. Le rapprochement entre les deux capitales s’est renforcé avec la « rectification » de la Transition, en mai 2021. Une douzaine de mémorandums d’entente devant aboutir à la réalisation de nombreux projets viennent d’être signée entre les deux pays, à l’issue de la semaine russe de l’Énergie, qui s’est achevée le 16 octobre dernier à Moscou.

Au-delà du domaine militaire, dans lequel le Mali et la Russie ont suffisamment renforcé leurs liens ces deux dernières années, les deux pays s’accordent à diversifier leur coopération sur d’autres plans. La visite de la délégation malienne de haut niveau, conduite par le ministre de l’Économie et des finances Alousséni Sanou à Moscou du 11 au 16 octobre 2023, a posé les jalons de ce nouvel élan. Plusieurs conventions ont été signées dans des domaines tels que l’Énergie, les Mines, l’Agriculture ou encore les Transports, entre autres.

Selon le ministre de l’Économie et des finances, des accords juridiques ont été signés pour la réalisation de deux à quatre centrales nucléaires au Mali, chaque centrale ayant une capacité minimale de 55 mégawatts, l’installation d’une usine d’affinage d’or d’une capacité de 200 tonnes à Bamako, avec à la clé une formation gratuite du personnel malien en Russie, et un transfert permanent de compétences, l’exploitation de certains minerais, la création d’un cadastre minier plus détaillé, la fourniture de 350 000 tonnes d’intrants agricoles, toutes spécialités confondues, d’ici février 2024, ainsi que celle de 200 millions de litres de produits pétroliers à l’État du Mali.

Le gouvernement malien envisage, par ailleurs, en partenariat avec la Russie, la réalisation de deux lignes de tramway à Bamako, ainsi que la création d’une compagnie aérienne pour la desserte nationale et sous-régionale et l’accès du Mali à des satellites de communication. À en croire la ministre des Transports, cette compagnie aérienne devrait être opérationnelle dans un an.

« La relation économique entre le Mali et la Russie est au beau fixe aujourd’hui. Des projets structurants engageant l’État du Mali pour les cinquante années à venir sont signés. Il s’agit pour nous de veiller à la mise en œuvre de tous ces projets pour que le Mali puisse être rapidement un pays émergent », a indiqué Alousséni Sanou.

Nouvelle dimension

Pour le géopolitogue Abdoulaye Tamboura, l’annonce de la signature de ces différentes conventions entre le Mali et la Russie constitue un nouveau cap dans les relations entre les deux pays.

« Cette coopération a pris une nouvelle dimension. Auparavant, elle était axée sur les domaines militaire, minier et de l’éducation. C’est un renforcement des acquis entre le Mali et la Russie et c’est de bon augure pour les deux pays. Cela permet à la Russie de diversifier ses offres et au Mali de diversifier ses partenariats », souligne-t-il.

Toutefois, des observateurs s’interrogent sur la capacité de la Russie à matérialiser tous ces projets et promesses, dans un contexte de guerre avec l’Ukraine, qui mobilise beaucoup de moyens, et de sanctions occidentales sur le pays. En 2019, lors du premier sommet Russie – Afrique, le Président Vladimir Poutine avait promis de doubler les échanges avec le continent, les faisant passer de 20 milliards de dollars à 40 milliards. Cette promesse n’a pas été tenue, d’après l’Institut français des relations internationales (IFRI). La Russie part avec plusieurs trains de retard en Afrique. Selon des chiffres avancées par certaines chancelleries occidentales, le volume des échanges de l’Union européenne avec Afrique a atteint en 2022 163 milliards d’euros alors que pour la Russie, il était chiffré à 20 milliards d’euros. Ce choix assumé des autorités vers la Russie pourrait avoir comme conséquence que les Occidentaux se détournent définitivement du Mali.

En dépit de cela, le 26 juillet dernier, le Colonel Assimi Goïta a pris part au 2ème sommet Russie – Afrique à Saint Petersbourg. Invité personnellement par Vladimir Poutine, avec lequel il communique régulièrement par téléphone, le Président de la Transition accomplissait son premier séjour en dehors du Mali depuis sa prise de pouvoir en mai 2021. « Cela dénote de toute l’importance que le Président de la Transition accorde à la coopération entre la Russie et le Mali et de ses relations privilégiées avec le dirigeant russe », glisse un analyste.

Coopération : l’Allemagne quitte la MINUSMA mais maintiendra son aide au Mali

Avec quelque 1400 soldats, l’Allemagne est la plus importante contributrice de l’Union européenne au sein de la MINUSMA. Mais depuis l’arrivée des russes au Mali, Berlin considère que les conditions ne sont plus réunies pour continuer à participer à la MINUSMA. En visite à Bamako jeudi et hier vendredi, son ministre de la défense affirme pourtant que l’Allemagne ne veut pas claquer la porte. « Le Président de la transition a dit que non seulement il appréciait énormément l’engagement de l’Allemagne ici, mais aussi la manière dont cet engagement a eu lieu dans le pays, c’est-à-dire sur un pied d’égalité et entre partenaires. Ceci nous confirme dans notre travail, dans notre coopération et nous allons continuer cette coopération avec le pays » a assuré le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius. Tablé sur neuf à douze mois pour le retrait de ses soldats de la MINUSMA, le Ministre précise qu’avec le Mali, les ponts ne sont pas entièrement rompus dans le domaine militaire, mais aussi à l’aide au développement. « Vous savez que nous retirerons nos forces armées de la MINUSMA l’année prochaine. Nous avons parlé des raisons pour ce retrait, mais de toute façon, une coopération, nous voulons la continuer sous une autre forme. Nous pensons à la formation militaire et nous aurons toujours des conseillers militaires sur place, et nous voulons continuer notre échange » a t-il ajouté.

Emanuela Del Re : « l’Union européenne veut rester un partenaire important pour le Mali »

La Représentante  spéciale de l’Union Européenne au Sahel était en visite au Mali du 12 au 15 mars 2023. À la fin de son séjour, durant lequel elle a rencontré plusieurs acteurs (Gouvernement, politiques, groupes armés signataires de l’Accord pour la paix, médiation internationale…), elle s’est confiée  à Journal du Mali dans cet entretien exclusif.

Vous venez de terminer votre visite au Mali. Quel en était l’objectif ?

Ce n’est pas ma première visite au Mali. J’ai été ici plusieurs fois avant et j’ai rencontré plusieurs fois, pas seulement les autorités, mais aussi la société civile, les représentants des partis politiques et des mouvements du Nord. Cette fois, c’est particulièrement important parce que, comme vous le savez, l’Union Européenne, qui reste toujours à côté de la population malienne, veut reconfirmer son intention de rester un partenaire important pour le Mali. Je suis heureuse de dire que cela a été reconfirmé aussi par le ministre, que j’ai rencontré, ainsi que notre collaboration essentielle, surtout sur les questions pas seulement nationales mais aussi régionales.

Vous vous êtes imprégnée de la situation au Mali avec les différents acteurs sur le terrain. Quelles sont vos impressions finales sur cette situation globale?

Je peux dire que je connais déjà très bien la situation au Mali. Et je peux dire qu’à chaque fois j’ai l’opportunité, et c’est pour cela d’ailleurs que j’aime beaucoup être ici, directement dans le pays, d’apprendre un peu mieux ce qui se passe, parce que la situation ne change pas. Sur le plan sécurité, bien sûr, la situation est très grave, on le sait. On sait que les terroristes s’organisent au Nord et qu’il y a d’énormes problèmes de criminalité. C’est vraiment une situation qui a un très grave impact sur la population. C’est pour cela que l’Union Européenne est à côté de la population avec des projets qui peuvent garantir pas seulement la survie mais aussi le développement. Nous avons  à peu près 900 millions d’euros de projets pour le pays .Cela veut dire que nous sommes vraiment présents et notre activité a un impact énorme sur la situation économique, sociale, sécuritaire et surtout humanitaire. Je dois dire que nous sommes conscients de tous les problèmes et que nous comprenons très bien ce que traverse la population. Nous avons la volonté de rester partenaires du Mali. Je suis fière de dire que notre action a un résultat important.

L’UE dénonce la présence du groupe Wagner depuis près de deux ans au Mali, alors que le gouvernement la conteste. Est-ce que cela impacte sa coopération avec pays sur le plan sécuritaire et, dans d’autres domaines, où s’étend cette coopération ?

Nous avons dit à plusieurs reprises que pour nous, le choix d’appeler Wagner n’était pas un choix acceptable. En même temps, nous avons la volonté de rester à côté des populations maliennes. Cela veut dire que, pour nous, c’est important de continuer notre action, de surtout accompagner le Mali dans un processus d’appropriation. Notre rêve est de voir les FAMa, que nous avons aidées pendant beaucoup d’années, car nous avons entrainé plus de 18 000 soldats des FAMa à travers l’EUTM, combattre les terroristes et obtenir des résultats forts sur le plan sécuritaire.

L’EUTM va-t-elle poursuivre sa mission dans le pays ?

Pour le moment, comme vous le savez, cette mission a été réduite et il y aura d’autres changements. Pour toute autre décision concernant cette mission sur le territoire malien, nous attendons la fin de la Transition et les élections pour voir ce qui se passera avec le gouvernement élu, avec l’opportunité de discuter et de réviser notre présence ici et de voir s’il est possible de continuer certaines activités ou non.

Le référendum prévu pour le 19 mars a été reporté le 10 mars dernier. Avez-vous des craintes quant à un retour à l’ordre constitutionnel comme prévu en février 2024?

Nous espérons que le chronogramme va être respecté. Nous avons aussi  la volonté d’y contribuer, avec un appui financier au processus électoral, pour garantir que les institutions nécessaires soient mises en place et qu’il y a la possibilité de faire des élections libres dans une atmosphère constructive. Bien sûr, les décisions de report sont toujours un petit problème. S’il y a encore une prolongation de l’attente de la part des populations, c’est toujours quelque chose qui peut créer d’autres problèmes. Les autorités maintiennent leur attachement à rester dans le délai imparti, mais nous ne savons pas encore si cela sera vraiment traduit en réalité. Mais, pour nous, c’est important de montrer qu’il y a une volonté de retourner à l’ordre constitutionnel.

La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation bloque depuis quelques mois. Vous venez de rencontrer les différents acteurs (groupes armés signataires et partie gouvernementale). Comment la médiation internationale compte-t-elle relancer le processus ?

Le 13 mars, pour vous dire que les choses avancent, nous avons eu une réunion de la médiation internationale au siège de la MINUSMA, à laquelle ont participé tous les acteurs, l’Union européenne, la CEDEAO, l’Union Africaine, l’Algérie, etc.  Cette réunion était très importante parce que nous avons eu l’opportunité de nous exprimer librement. J’ai parlé de la nécessité d’avoir plus de femmes dans le processus et de celle de faire marcher les commissions. Il y a la volonté de voir le processus avancer. Il y a eu la proposition de faire une autre réunion ministérielle. J’ai discuté avec les représentants des groupes armés signataires et ils m’ont dit qu’ils ont la volonté d’avancer. La volonté est là et la médiation internationale a l’intention de faire ce qu’elle doit faire : faciliter le processus, parce que nous ne pouvons pas imposer.

Doit-on s’attendre à la tenue prochaine d’une réunion du CSA ?

Nous avons évoqué cela. Je pense qu’ils vont décider de cela bientôt et j’espère qu’il y aura une grande participation. Comme je le dis, les propositions sont là, ainsi que l’énergie et la volonté. Les différents acteurs doivent trouver des compromis et des formules pour avancer dans le processus. Je crois que tous les ingrédients sont réunis et nous, en tant que médiation internationale, nous espérons pouvoir faciliter les choses.