Immigration irrégulière : Un mal qui ronge la jeunesse malienne

Confrontés à plusieurs problèmes socio-économiques, beaucoup de jeunes Maliens choisissent de migrer dans la clandestinité vers d’autres horizons, jugés plus prometteurs, avec des conséquences souvent dramatiques.

L’expulsion début mars de la Mauritanie de plus de 500 Maliens en situation irrégulière dans le pays a remis sous les projecteurs la lancinante question de la migration des jeunes Maliens hors du continent africain, à partir des pays voisins et de l’Afrique du Nord.

Dirigés vers Gogui, une localité de la région de Kayes située à la frontière entre le Mali et la Mauritanie, ces expulsés maliens, pour la plupart en transit en Mauritanie, qui n’ont pas pu renouveler ou obtenir des cartes de résidents, étaient en situation illégale, selon les autorités mauritaniennes. Ces dernières ont justifié ces expulsions en soulignant que la migration irrégulière posait des défis sécuritaires et favorisait divers trafics, y compris celui des êtres humains.

La localité de Gogui est l’un des points de suivi des flux migratoires (Flow Monitoring Points, FMP) au Mali, mis en œuvre par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) à travers la Matrice de suivi des déplacements (Displacement Tracking Matrix, DTM).

Selon le rapport trimestriel, de juillet à septembre 2024, du suivi des flux des populations, le dernier en date, le FMP de Gogui a enregistré une baisse de 8% concernant les flux entrants au Mali, traduisant une baisse des expulsés de 50%.

En revanche, par rapport au trimestre précédent, les FMP de Hèrèmakono, dans la région de Sikasso, et de Place Kidal, dans la région de Gao, ont respectivement connu une hausse de 23 et 16%, concernant principalement les flux sortants vers le Burkina Faso pour le FMP de Hèrèmakono et vers l’Algérie pour celui de Place Kidal.

Sur l’ensemble des FMP du Mali (Kayes, Sikasso, Tombouctou et Gao), environ 127 927 flux migratoires ont été observés du 1er juillet au 30 septembre 2024, soit une hausse de 14% de la moyenne journalière par rapport au trimestre d’avril à juin 2024.

À noter qu’entre janvier et mi-juin 2024, les autorités maliennes ont rapatrié 4 577 migrants maliens volontaires en détresse à l’étranger, principalement en provenance de l’Algérie, du Niger, de la Libye, de la Côte d’Ivoire et de la Mauritanie.

Un phénomène, plusieurs facteurs

Une enquête menée auprès des migrants enregistrés par l’OIM sur la même période a révélé que 73% des hommes et 82% des femmes interrogés étaient situés dans la tranche d’âge comprise entre 20 et 30 ans, la plus représentée. Ceux et celles ayant entre 31 et 40 ans représentent la deuxième tranche la plus élevée, tandis que seulement 4% des hommes enquêtés et 1% des femmes avaient entre 41 et 60 ans.

Plusieurs raisons expliquent la décision de partir « à l’aventure » chez ces jeunes. La principale, selon le rapport susmentionné, est la recherche d’emplois ou de moyens de subsistance. 53% des migrants partent en quête de meilleurs emplois et d’opportunités pour assurer leur survie et celle de leurs familles.

En plus de ce facteur principal, d’autres raisons telles que, entre autres, les travaux saisonniers, notamment l’orpaillage (15%), les mariages ou la réunification familiale (1%), les guerres ou conflits (1%) et les études ou formations (1%) ressortent du rapport.

La plupart des migrants ont un niveau d’étude primaire (27% chez les hommes et 7% chez les femmes) et du collège (19% chez les hommes et 8% chez les femmes). 14% des migrants et 4% des migrantes n’ont aucun niveau d’éducation, tandis que seulement 1% des hommes et moins de 1% des femmes ont un niveau d’études supérieures.

Conséquences dramatiques

Le 2 février 2025, 9 migrants, dont 8 présumés Maliens, sont morts au large des côtes mauritaniennes à la suite du naufrage de leur embarcation. Cette embarcation de fortune avait quitté Nouadhibou le 26 janvier et s’était perdue en mer, selon le Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur, qui a précisé que 28 autres Maliens figuraient parmi les rescapés de l’accident.

En décembre 2024, rien qu’au large des côtes mauritaniennes, de plus en plus prisées par les candidats au départ, au moins 6 migrants maliens ont perdu la vie dans un autre naufrage et 31 autres ont également péri dans les eaux territoriales marocaines. Un autre naufrage survenu en décembre 2024 a causé la mort de près de 70 migrants, dont au moins 25 jeunes Maliens identifiés.

Plus tôt, en juillet 2022, 22 migrants maliens, dont 3 enfants, ont perdu la vie au large des côtes libyennes. Selon le ministère des Maliens établis à l’extérieur et de l’Intégration africaine, ces disparus faisaient partie d’un groupe de 83 migrants qui étaient en détresse au large de ces côtes depuis le 22 juin 2022.

Les drames migratoires impliquant des Maliens se sont multipliés ces dernières années, même si le nombre exact de personnes ayant perdu la vie reste difficile à déterminer, en raison du manque de données exhaustives et de la nature clandestine de ces migrations. Toutefois, à en croire des estimations globales, depuis 2014, environ 67 000 personnes, toutes nationalités confondues, ont perdu la vie ou ont disparu dans leur quête de départ.

Selon un rapport de ReliefWeb, un service d’information humanitaire fourni par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), en 2024, environ 16 500 Maliens ont migré de manière irrégulière vers l’Europe, faisant du Mali le principal pays d’origine des migrants pour l’année écoulée.

D’après Frontex, en 2024, 41 425 migrants ont atteint les Îles Canaries (Espagne), dont une grande part provenait du Mali, du Sénégal et du Maroc. Cette route de l’Atlantique Ouest est devenue l’une des plus meurtrières.

Si les estimations du nombre total de décès enregistrés sur les routes migratoires en Afrique de l’Ouest et du Centre en 2024 ne sont pas encore disponibles, l’OIM a enregistré 811 décès de migrants dans ces régions en 2023, soit une augmentation de 565% par rapport à l’année précédente. À l’échelle mondiale, 2024 a été l’année la plus meurtrière sur les routes migratoires, avec au moins 8 938 décès recensés, selon l’OIM.

Outre les décès, les migrations irrégulières entraînent de lourdes conséquences, souvent même chez les migrants rescapés des accidents sur ces routes migratoires, très dangereuses. En plus des traumatismes liés aux violences vécues, ces jeunes subissent également des stress post-traumatiques pouvant aboutir à la dépression et à la perte d’estime de soi. Leurs familles aussi sont impactées.

« Cela fait des mois que je suis sans nouvelles d’un neveu parti en Mauritanie. Personne ne sait ce qu’il devient et c’est très angoissant pour nous. Le plus dur, c’est de ne pas savoir s’il vit ou s’il est mort. C’est une très grande détresse pour sa femme et ses enfants », témoigne un interlocuteur.

Mobilisation tous azimuts

Pour faire face au phénomène de migration irrégulière, plusieurs acteurs se mobilisent de plus en plus à l’échelle nationale et internationale. Le gouvernement malien a intensifié ses efforts pour décourager les jeunes de prendre les routes de la migration clandestine. En novembre 2024, une campagne de sensibilisation intitulée « Préserve ta vie et refuse l’incertain » a été lancée pour informer la population sur les dangers de la migration irrégulière et promouvoir des voies légales de migration.

Cette campagne, qui a duré un mois, a été déployée dans tout le pays à travers des conférences, débats médiatiques, projections de films, activités culturelles et sportives, ainsi que des affiches de sensibilisation.

L’initiative, cumulée à l’augmentation, financée par l’Union européenne, de la surveillance des côtes ouest-africaines, principaux points de départ des migrants, a contribué à une baisse significative des départs de migrants par des voies irrégulières.

Selon les statistiques mensuelles sur la migration irrégulière de février 2025 publiées le 13 mars 2025 par Frontex, l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, les détections de franchissements irréguliers des frontières de l’Union européenne ont diminué de 25% au cours des deux premiers mois de 2025, avec environ 25 000 cas enregistrés.

Bien que la route de l’Atlantique Ouest, qui concerne principalement les migrants originaires du Mali, du Sénégal et de la Guinée, ait représenté une part significative des arrivées, elle a connu une diminution de 40% par rapport à l’année précédente, avec 7 200 arrivées enregistrées en janvier et février 2025.

De leur côté, outre les efforts de prévention du phénomène, les autorités maliennes ont annoncé le 22 janvier 2025 avoir rapatrié en 2024 environ 12 300 migrants maliens en situation de détresse à l’étranger, dans le cadre d’opérations de rapatriement et d’assistance. Par ailleurs, selon des informations publiées en décembre 2024, 929 Maliens figuraient également parmi les sans-papiers en attente d’expulsion des États-Unis.

Mohamed Kenouvi

Kayes : un collectif décide de bloquer les axes routiers

La dégradation des routes à Kayes est toujours une préoccupation pour les habitants de la région et ce problème persiste depuis plusieurs années. Le regroupement des organisations de la société civile de la région de Kayes, le mouvement « Je suis les routes de Kayes », a décidé de bloquer toutes les routes pendant 24 heures à partir du 20 mars 2023.

« Je suis les routes de Kayes » et ses alliés se mobiliseront pour bloquer tous les axes routiers du lundi à 00h00mn au mardi 00h00mn, sur toute l’étendue de la région de Kayes, si leurs différentes préoccupations ne sont pas prises en compte concernant les axes indexés à savoir Kayes – Sandaré – Diéma, Kayes – Yélimané, Sadiola – Kénieba, Kayes – Bafoulabé, Kayes – Diboli, Keniéba – Kita – Kati et Baboroto – Oualia – Toukoto – Kita.

Créé en octobre 2021, le mouvement a pour vocation d’attirer l’attention des autorités administratives et politiques sur le plan régional et national sur l’état de dégradation avancée de certaines routes de la région. Depuis 2019, la région de Kayes est  confrontée à d’énormes problèmes liés aux routes et causant d’énormes dégâts matériels et des pertes en vies humaines, surtout pendant l’hivernage.

Le mouvement avait déjà, par ailleurs, prévu dès 2022 de mener des manifestations dans tous les cercles de la région de Kayes, après plusieurs démarches administratives qui n’ont toujours pas abouti à des résultats satisfaisants, si toutefois ses doléances n’étaient pas suivies d’effets.

Kayes : des « esclavagistes » condamnés à la peine de mort

Un grand pas a été franchi dans la lutte contre l’esclavage dans la région de Kayes. Au cours de la session spéciale de la cour d’Assises de la région au titre de l’année judiciaire 2023, ouverte depuis le 27 février et toujours en cours,au moins sept « esclavagistes » ont été condamnés à mort et à cinq ans de prison  pour les meurtres de Youssouf Cissoko, Mountaga Diarrisso, Gossi Cissoko et Djané Cissoko, quatre militants anti-esclavagistes, qui ont été battus à mort dans le village de Djandjamé le 1er septembre 2020.

Il s’agit de Djibril Badiaga, Moussa Sissoko dit Papi, Ousmane Diarrisso dit Tamba, Hameye Diarrisso, Mohamed Diawara, Mohamed Diaby dit Hameye, tous condamnés à mort et Lamba Cissé qui a écopé de cinq ans.

Si les associations de lutte contre l’esclavage par ascendance se félicitent des verdicts, les charges retenues contre les condamnés (associations de malfaiteurs, assassinats, complicité d’assassinat, coups et blessures volontaires) ne leur convient pas pour autant.

« Nous espérons toujours que le gouvernement va adopter une loi spécifique pour criminaliser l’esclavage par ascendance qui fait des ravages dans nos localités. Elle n’est pas spécifiée actuellement dans les lois existantes », regrette Mikhailou Diallo, le président régional Kayes de la fédération malienne des associations de lutte contre l’exclusion, la discrimination, l’esclavage par ascendance et les inégalités sociales (FMALEDEI).

Selon les organisations, les crimes liés à l’esclavage sont considérés comme des problèmes de terre, des conflits entre clans, des coups et blessures… par la justice.

« Il ne pourrait en être autrement en absence de loi criminalisant la pratique de l’esclavage par ascendance au Mali », atteste Me Lury Nkouessom, chef de file de la composante accès à la justice du projet Mali Justice Project (MJP).

Cependant d’autres mesures sont en vigueur au Mali pour lutter contre la traite des personnes. En février 2011, le gouvernement a créé le Comité national de coordination de la lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées (CNLTP). Cela a été suivi par l’adoption de la loi n°2012-023 du 12 juillet 2012, relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées (elle prévoit des sanctions pénales pour les individus coupables de traite des personnes pouvant aller de 5 ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité selon les circonstances), et le lancement d’un Plan d’action national (2018-2022) en février 2019. Le Plan d’action national 2018-2022, qui fait actuellement l’objet d’une révision par les parties prenantes, prévoit, entre autres, de promouvoir la coordination et la coopération des acteurs dans la lutte contre la traite des personnes. Le Ministre de la justice Mamadou Kassogué a, en outre, appelé, en décembre 2021, les procureurs généraux « à prendre des dispositions pour que des poursuites soient engagées pour tous les cas de violences physiques et d’atteintes aux biens exercées contre ces personnes en considération de leur statut ».

Au Mali, l’esclavage a été abolit par l’administration coloniale depuis décembre 1905. Las, il persiste toujours dans le pays notamment dans la région de Kayes où plusieurs cas ont été recensés récemment. Rien qu’en juillet dernier, le cadavre brulé et mutilé de Djogou Sidibé, 71 ans, a été retrouvé près de son champ, non loin de son village, Lany Mody, dans le cercle de Kayes. La raison de l’assassinat, à en croire, plusieurs organisations de lutte contre l’esclavage est liée au refus de la vieille femme de se soumettre au statut d’esclave.