Grève du SYNABEF : L’économie malienne frôle l’asphyxie

Le Syndicat national des banques et établissements financiers (SYNABEF) a suspendu son mot d’ordre de grève de 72 heures entamée le 17 avril 2025. Un sursis qui devrait permettre d’aplanir les derniers points d’achoppement et d’éviter une crise majeure.

L’affluence devant les banques ce 22 avril en disait long sur les attentes des usagers après la reprise des activités au sein des institutions de financement. Après deux jours de grève et plusieurs médiations, le SYNABEF a décidé de donner une nouvelle chance aux négociations. Saluant « l’attitude constructive » du syndicat, le Premier ministre Abdoulaye Maïga s’est engagé à ne ménager aucun effort pour résoudre les points de blocage qui subsistent dans les revendications lors d’une rencontre tenue le 18 avril. Prévue pour durer 72 heures, la grève menaçait d’être prolongée à partir du 22 avril pour 120 heures supplémentaires, avant d’être suspendue le 19 avril. Ce qui a permis d’éviter un blocage complet en cette fin de mois critique où les salaires sont particulièrement attendus.

Après plusieurs discussions, la grève a été levée temporairement. Sur les quinze points du préavis, douze ont fait l’objet d’un accord. Les trois restants concernent des dossiers judiciaires sensibles. Il s’agit notamment de la détention de deux travailleurs d’Ecobank, dans l’affaire dite des « fausses garanties » avec la société EDM-SA, du licenciement de 158 agents d’UBIPHARM, jugé abusif, et de celui d’un pompiste de Star Oil congédié à la suite de la plainte d’un client. Pour ces dossiers, les médiateurs ont sollicité un délai supplémentaire pour permettre un examen approfondi, invoquant le respect de l’indépendance de la justice. Ces cas, jugés prioritaires par le syndicat, constituent un symbole de la lutte contre les atteintes à la liberté syndicale, selon Mamadou Sékou Traoré, Secrétaire général du Comité syndical de la BNDA.

Le cas UBIPHARM concerne 158 travailleurs licenciés pour avoir réclamé leurs droits et sans emplois depuis 18 mois. Un dossier que le SYNABEF considère comme non négociable. Il est donc prêt à relancer le mouvement si rien n’évolue. Quant au pompiste licencié à Star Oil, le syndicat considère qu’il s’agit d’un licenciement abusif. Enfin, les deux agents d’Ecobank ont été arrêtés dans le cadre d’un contrat litigieux impliquant EDM-SA, un dossier sensible sur lequel le SYNABEF veut des clarifications immédiates.

Les interventions du Haut Conseil Islamique (HCI), du ministre du Travail et de l’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM) ont contribué à convaincre le syndicat de suspendre temporairement son mot d’ordre. Cette suspension ne signifie pas un abandon, mais une porte ouverte à un règlement pacifique.

Parmi les revendications acceptées figurent la signature de la Convention collective des distributeurs de produits pharmaceutiques et la réintégration des travailleurs de Pétro Bama et de Baraka Petrolium licenciés pour avoir observé un arrêt de travail. D’autres points concernent la régularisation des travailleurs intérimaires, la mise en place de commissions pour veiller à l’application des accords, ainsi que l’uniformisation de la gestion du fonds social. Le syndicat tient à rappeler que ces quinze points ne concernent ni augmentations salariales ni primes, mais uniquement des revendications de justice sociale et de respect des libertés syndicales.

Des impacts négatifs

Malgré la suspension de la grève, les impacts économiques ont été notables. Le SYNABEF se félicite du suivi massif du mot d’ordre, qui ne visait que des réparations, mais reconnaît les conséquences négatives sur l’économie nationale. À l’exception de deux établissements, toutes les banques ont respecté la grève. S’y sont ajoutés les institutions de microfinance, les assurances, une grande partie des stations-service ainsi que plusieurs commerces, entraînant un ralentissement brutal de l’activité économique.

Durant deux jours, l’économie malienne a fonctionné au ralenti. Ce blocage a perturbé les flux monétaires, retardé le paiement des salaires et compliqué les transactions commerciales. Les syndicalistes rappellent que la grève demeure le dernier recours lorsque les autres canaux de négociation échouent. Ils appellent les autorités à assumer leur rôle dans la gestion des conflits sociaux, soulignant que les revendications du SYNABEF ne dépassent pas les moyens de l’État. « Ce sont des cas d’abus que l’on doit juste corriger. On n’aurait pas dû en arriver là », insiste Mamadou Sékou Traoré.

Les répercussions potentielles à moyen terme ne sont pas à négliger. La croissance économique, prévue à 4,4% en 2025, pourrait être revue à la baisse si une grève prolongée venait à perturber durablement les secteurs-clés. Le secteur extractif, en particulier, est très vulnérable. Il représente environ 80% des exportations du pays et dépend fortement des services bancaires pour ses paiements et ses approvisionnements. Déjà fragilisés par des tensions entre l’État et certaines entreprises minières, les acteurs du secteur craignent une nouvelle crise. « Nos commandes ont considérablement diminué avec les tensions entre l’État et certaines sociétés minières. Nous ne voulons pas d’une nouvelle contrainte à nos activités », confie un responsable commercial d’une société fournissant des équipements miniers.

Une crise prolongée dans le secteur bancaire pourrait également provoquer une hausse des prix à la consommation, alors que le taux d’inflation était contenu à 4,9% à la fin 2024. L’interruption des chaînes d’approvisionnement, combinée à une demande stable, risque de créer une situation de pénurie. Celle-ci pourrait générer une pression inflationniste, en particulier sur les biens de première nécessité.

Du côté des finances publiques, les prévisions de la Loi de finances 2025 tablaient sur une augmentation des recettes fiscales de 1,4 point, pour atteindre 16,2% du PIB, contre 14,8% dans la Loi rectifiée de 2024. Les recettes budgétaires devaient s’élever à 2 648,9 milliards de francs CFA, contre 2 387,8 milliards en 2024. Ces objectifs risquent d’être mis à mal si les grèves se multiplient ou se prolongent. Pour rappel, lors du mouvement de l’UNTM de 2020, les pertes quotidiennes avaient été estimées entre 5 et 10 milliards de francs CFA par jour. Un précédent que l’État souhaite éviter à tout prix.

À long terme, la répétition de telles crises pourrait entraîner une récession. En plus des pertes directes, l’instabilité génère de l’incertitude, freine les investissements et pousse les ménages à la prudence, diminuant ainsi la consommation. L’offre de biens et services se contracte, tandis que la demande reste constante, voire augmente, créant un déséquilibre de marché susceptible d’aggraver l’inflation.

Promesses à tenir

Les syndicalistes restent déterminés à obtenir gain de cause. Ils affirment qu’ils ne se contenteront pas de promesses, mais exigeront des résultats concrets. « Nous sommes dans une phase d’attente vigilante », confie une source syndicale. Le SYNABEF insiste sur le respect du calendrier de mise en œuvre des accords, certains devant être appliqués sous quelques jours et d’autres dans un délai plus étendu.

La situation actuelle dévoile les insuffisances du dialogue social. Les grèves à répétition traduisent l’incapacité à instaurer un cadre efficace de concertation entre les acteurs sociaux. Il est urgent d’élaborer un mécanisme permanent de médiation capable de prévenir les crises plutôt que d’intervenir lorsqu’elles sont déjà déclarées.

Si la paix sociale est un levier essentiel pour la croissance et la stabilité économique, elle ne peut être garantie sans justice sociale. Le SYNABEF, en suspendant son mot d’ordre de grève, tend la main au gouvernement. Il revient désormais aux autorités de transformer cet acte d’apaisement en dynamique durable, à travers des engagements tenus, un dialogue sincère et une volonté ferme de réforme.

Justice/SYNABEF : Bras de fer enclenché

L’affaire défraye la chronique depuis deux semaines. Suite à une plainte d’EDM-SA après des constats d’irrégularités dans l’exécution des marchés relatifs à la construction d’une mini centrale hydroélectrique de 7,5 MW à Djenné et à la mise en place des réseaux de distribution pour l’électrification de 22 villages, 6 personnes, dont 2 employés d’Ecobank Mali, ont été placées sous mandat de dépôt le 7 mars 2025. Face à ces arrestations, le Syndicat national des Assurances, banques, établissements financiers et commerces du Mali (SYNABEF) proteste.

Le 7 mars dernier, après 8 jours de garde à vue à la Brigade spécialisée du Pôle national économique et financier de Bamako, 6 personnes, dont 2 expatriés indiens et 2 banquiers travaillant pour Ecobank Mali, ainsi que le Coordonnateur du Projet de développement des mini centrales hydroélectriques (PDM-HYDRO) et 1 agent d’une société spécialisée en génie civil ont été mises sous les verrous. Elles ont d’abord été placées à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, puis transférées 48 heures plus tard à la prison de Kénioroba, située à 70 km de la capitale.

Inculpées de « faux », « usage de faux », « blanchiment de capitaux » et « complicité », ces 6 personnes constituent une partie des 9 initialement entendues par la justice. Elles sont soupçonnées d’être impliquées dans une fraude financière de grande envergure ayant conduit au décaissement de plus de 5 milliards de francs CFA, à l’aide de fausses garanties bancaires, au profit de 2 sociétés indiennes attributaires des contrats de construction de la mini centrale hydroélectrique de Djenné et des réseaux de distribution pour l’électrification des 22 villages avoisinants.

Malgré le paiement de cette avance, les travaux liés aux marchés attribués à deux sociétés indiennes – MECAMIDI HPP / PRIL pour la conception, la fourniture, le montage et l’installation de la mini centrale hydroélectrique de Djenné, pour un montant de 13 078 604 984 francs CFA, et le Groupement AEEPL – NEPL – SUNCITY pour la construction des réseaux de distribution afin d’électrifier les 22 villages avoisinants, pour un contrat de 2 738 190 744 francs CFA – n’ont guère progressé, dépassant largement les délais prévus.

Le SYNABEF soutient « ses » banquiers

Pour le SYNABEF, le placement sous mandat de dépôt des 2 travailleurs d’Ecobank Mali, dont le Chef des opérations, est injustifié. Le syndicat dénonce une détention abusive, affirmant que les agents d’Ecobank mis en cause n’ont enfreint aucune règle du fonctionnement du système bancaire. « Nos camarades ont agi conformément aux procédures bancaires et à la réglementation. Donc, en aucun cas, leur responsabilité ne peut être engagée », clame Hamadoun Bah, Secrétaire général du SYNABEF.

« Le délit qui leur est reproché est d’avoir rédigé et signé des courriers d’accompagnement des messages reçus pour le compte d’EDM-SA et d’avoir osé authentifier les messages SWIFT reçus. Il convient de noter qu’Ecobank n’a aucune connaissance du marché : les garanties ne sont pas domiciliées chez elle, encore moins les fonds », poursuit-il.

Le SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), créé en 1973, est un réseau de messagerie sécurisé utilisé par les banques et les institutions financières du monde entier pour envoyer et recevoir des instructions de paiement internationales de manière rapide et fiable.

Pour protester contre l’arrestation de ses camarades, la Section des Banques du SYNABEF a d’abord suspendu les transferts de garanties concernant EDM-SA et toutes les autres structures publiques et parapubliques du pays, avant de tenir des sit-in devant toutes les banques du Mali du 10 au 12 mars dernier.

Les syndicalistes, qui exigent la libération de leurs camarades, ont annoncé le 16 mars un préavis de grève de 120 heures, reconductible à 120 heures, allant du 7 au 18 avril 2025 et englobant 14 autres points de revendication.

Vers un bras de fer ?

La détermination du SYNABEF à obtenir gain de cause dans sa lutte pour la libération des deux agents d’Ecobank Mali incriminés est grande. « Si ces problèmes ne sont pas réglés, nous préférons abandonner le syndicalisme. Nous sommes là pour défendre certains principes », assure Hamadoun Bah.

Qu’adviendra-t-il si après la grève annoncée les détenus ne sont pas libérés ? Jusqu’où est prêt à aller le SYNABEF pour se faire entendre ? Autant de questions qui, pour l’heure, restent sans réponse.

En juin 2024, le SYNABEF a réussi à faire libérer son Secrétaire général, qui avait été arrêté dans le cadre d’un conflit syndical interne. Ce qui avait ressemblé à un bras de fer entre les banquiers et les magistrats avait alors tourné à l’avantage des premiers. Pour obtenir la libération d’Hamadoun Bah, même l’UNTM (Union nationale des travailleurs du Mali) s’était impliquée, activant des leviers au plus haut sommet de l’État.

Ce précédent assurera-t-il une nouvelle « victoire » du SYNABEF face aux juges du Pôle national économique et financier de Bamako ? « Les deux situations ne sont pas les mêmes. En 2024, Hamadoun Bah avait été arrêté suite à une plainte d’un autre syndicaliste, sur fond de rivalité interne. Sa libération avait été facilitée par le souci des autorités de préserver le climat social. Mais aujourd’hui, dans l’affaire des fausses garanties, la situation est bien plus grave », analyse un observateur qui a requis l’anonymat.

« À mon avis, la justice ira jusqu’au bout, quel que soit le temps qu’il faudra. Si les juges estiment que les deux banquiers incriminés doivent rester écroués pour les besoins de l’avancement de la procédure, la grève du SYNABEF n’y pourra rien », ajoute-t-il.

Il ressort d’ailleurs de nos échanges avec une source interne du bureau du SYNABEF que le syndicat, même après le dépôt de son préavis de grève, s’active toujours pour éviter d’en arriver à la cessation du travail. Selon notre interlocuteur, Hamadoun Bah fait tout pour éviter la grève annoncée et des négociations non officielles sont en cours à différents niveaux pour aboutir à une solution satisfaisante avant les dates prévues pour la grève.

Une affaire complexe

Financé par la Banque africaine de développement (BAD), le projet de construction de la mini centrale de Djenné et de ses réseaux de distribution pour l’électrification de 22 villages avoisinants a débuté en 2020 et a suivi toutes les étapes normales de passation des marchés.

Mais, en octobre 2024, des révélations de fraudes financières initiées par les deux groupements attributaires des contrats, MECAMIDI HPP / PRIL et Groupement AEEPL – NEPL – SUNCITY ont conduit EDM-SA à porter l’affaire en justice. Dans sa lettre de retrait de ses fonctions du projet, l’experte en suivi-évaluation, Mme  Ramatoulaye Kanakomo, a accusé les deux sociétés indiennes d’avoir produit de « fausses garanties d’avance de démarrage et de bonne exécution », toutes émises par une fausse banque du nom d’Acumen Bank LTD Londres.

Selon nos investigations, l’attribution de ce marché au groupement MECAMIDI HPP / PRIL avait fait l’objet de contestation. Le 17 février 2021, le groupement d’entreprises GCA / GUGLER / CONSTRONIC, également soumissionnaire de l’appel d’offres, avait saisi l’autorité contractante d’un recours gracieux pour ne pas avoir été attributaire de ce marché, alors que les résultats de l’évaluation avaient retenu que son offre avait été acceptée.

Un recours, resté sans suite, qui a conduit le groupement à saisir le Comité de règlement des différends (CRD) de l’Autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public. Le CRD avait déclaré le recours irrecevable pour « prématurité » et s’était abstenu de se prononcer sur le fond, ordonnant la poursuite de la procédure de passation du marché mis en cause.

Mohamed Kenouvi

Crise bancaire : Les banques suspendent les garanties aux entités publiques et parapubliques

Le secteur bancaire malien est en pleine turbulence après l’arrestation de plusieurs employés d’Ecobank Mali, accusés de malversations liées aux garanties bancaires. En réaction, le Syndicat National des Banques, Assurances, Établissements Financiers et Commerces (SYNABEF), appuyé par l’Association Professionnelle des Banques et Établissements Financiers (APBEF), a décidé de suspendre immédiatement le transfert des garanties bancaires aux entités publiques et parapubliques, notamment Énergie du Mali (EDM-SA).

Cette décision, officialisée dans un communiqué daté du 8 mars 2025, risque d’avoir des répercussions majeures sur l’économie nationale et l’approvisionnement en électricité, EDM-SA étant le principal fournisseur énergétique du pays.
La crise a éclaté suite à la mise sous mandat de dépôt de plusieurs employés d’Ecobank Mali, accusés de malversations liées à la transmission de garanties bancaires via le système SWIFT. Selon le communiqué du SYNABEF, ces garanties auraient été émises « en toute conformité avec la réglementation bancaire et les procédures d’Ecobank », une affirmation soutenue par la Direction générale de la banque, le Groupe Ecobank et l’APBEF.
Le syndicat considère ces arrestations comme une atteinte aux droits des travailleurs du secteur bancaire et une ingérence injustifiée dans des opérations qu’il estime légitimes. Cette position a conduit à une mobilisation massive du personnel bancaire.
Actions décidées par le SYNABEF
Face à cette situation, le SYNABEF a décidé de durcir le ton en annonçant plusieurs mesures immédiates :
Organisation d’un sit-in national dans toutes les banques du pays, y compris agences et sièges, du 10 au 12 mars 2025, de 08h00 à 10h00 chaque jour.
Suspension immédiate de tout transfert des garanties aux entités publiques et parapubliques, notamment EDM-SA, jusqu’à nouvel ordre.
La suspension des garanties bancaires pourrait avoir un impact significatif sur le fonctionnement des entités publiques. EDM-SA, qui dépend largement des garanties bancaires pour financer ses opérations (notamment l’achat de carburant pour ses centrales thermiques), pourrait rencontrer de sérieuses difficultés dans l’approvisionnement en électricité.
Ce blocage pourrait également affecter d’autres secteurs essentiels, comme les infrastructures, la santé et l’éducation, qui nécessitent des financements garantis par le système bancaire.
Cette crise révèle des tensions croissantes entre le secteur bancaire et les autorités judiciaires maliennes. L’intervention directe de la justice dans des transactions bancaires jugées conformes par les professionnels du secteur soulève des préoccupations quant à la stabilité du climat des affaires au Mali.
Des observateurs économiques appellent à une résolution rapide de la crise afin d’éviter une déstabilisation du secteur financier, qui pourrait avoir des répercussions plus larges sur l’économie nationale.
Le gouvernement et les institutions concernées devront rapidement clarifier la situation pour rétablir la confiance entre les banques, les autorités judiciaires et les acteurs économiques, tout en assurant le bon fonctionnement des services publics essentiels.

Grève des Banquiers : la fin du bras de fer ?

Le Syndicat national des Banques, Assurances, Établissements Financiers et commerces du Mali (SYNABEF) a mis fin à son mouvement de grève le 10 juin 2024. Déclenché le 5 juin 2024 suite à l’arrestation et à la mise sous mandat de dépôt de son Secrétaire général, Hamadoun Bah, suite à une plainte pour faux et usage de faux. Cet énième mouvement, entamé à quelques jours de la fête de Tabaski, met à mal les droits des usagers. Au-delà, il traduit un malaise croissant entre les autorités et le syndicat et une forme de pression qui menace la paix et la justice sociale.

Pour protester contre l’arrestation le 5 juin 2024 du Secrétaire général du SYNABEF, Hamadou Bah, le syndicat a déclenché un arrêt de travail de 72 heures, décidé le 6 juin. Un mouvement largement suivi qui a été prolongé jusqu’au 10 juin. Exigeant la libération de son leader, le syndicat n’a mis fin à la grève qu’après la libération de ce dernier, qu’il considère plutôt comme victime de son action syndicale.

Mais la grève de 5 jours a eu des conséquences importantes sur les nombreuses opérations en cette veille de fête. « On est en pleine campagne de Prêt Tabaski.  C’est vrai qu’il y avait un service minimum, et cela pas dans toutes les banques, et qu’il ne concerne souvent que le ravitaillement des GAB ou l’ouverture d’un ou deux guichets », constate un cadre de banque. Cet arrêt a donc sérieusement ralenti les opérations, surtout en ce qui concerne les demandes, qui en principe ne prennent que 48 heures. Une situation qui fera que certains ne toucheront leurs Prêts Tabaski qu’après la fête.

Pour ceux qui devaient effectuer des opérations de retrait, il fallait être très patient le 11 juin. Des centaines de personnes ont d’assaut très tôt les différentes agences des banques. Arrivé aux environs de 8 heures, un client d’une des grandes banques de la place patiente. « Il y a 299 personnes avant moi », dit-il avec le sourire. À voir le nombre de personnes en attente, les agents risquent de travailler bien au-delà des heures de service, qui n’ont pas changé, confie un agent de sécurité.

Conséquences fâcheuses

Dans un communiqué publié le 9 juin 2024, les associations de consommateurs s’étaient indignées de la situation et avaient condamné ce mouvement, qui portait atteinte aux droits des consommateurs. L’Association des Consommateurs du Mali (ASCOMA), l’Association pour l’Assistance et la Défense des Consommateurs du Mali (ADAC – Mali) et le Regroupement des Consommateurs du Mali (REDECOMA) avaient regretté la fermeture de certaines banques et établissements financiers et de  certaines stations « dans un mépris total des usagers de ces secteurs économiques ». Dénonçant cette façon d’agir de ces structures, qui « violent les droits élémentaires des consommateurs, dont celui à l’information et celui à la satisfaction des besoins élémentaires », les associations s’étaient engagées à agir avec les moyens légaux pour remettre les consommateurs dans leurs droits.

Pour Abdrahamane Tamboura, économiste, l’une des conséquences de cette grève pourrait être l’effritement de la confiance des usagers dans les services bancaires. En ces périodes d’incertitude, ceux-ci pourraient avoir le réflexe de préférer garder des liquidités sur eux plutôt que dans les banques. Pour l’État et les entreprises, cela pourrait aussi entraîner des retards de paiement et provoquer des tensions en cette période de forts besoins. Pour les acteurs économiques, ces retards influencent l’activité de façon générale. Pour l’État, qui compte plusieurs fournisseurs en attente, la poursuite du mouvement aurait signifié un risque supplémentaire de tensions, d’où son intervention « contre son gré », puisqu’il s’agit d’une affaire judiciaire. Les banques sont aujourd’hui dans une position de force par rapport à l’État car au niveau de la sous-région, pour ses levées de fonds, ce sont principalement les établissements bancaires qui répondent à ses sollicitations. Compte tenu de cette situation et de la défaillance de l’État dans la gestion de certains aspects, l’autorité est sous la menace de la « tentation » à la grève. Et, avec cette première « victoire », les banques n’hésiteront plus à répéter leur mouvement pour demander la satisfaction de leurs revendications. Un recours qui n’est d’ailleurs pas exclu par les responsables du SYNABEF, qui estiment que la trêve sociale n’est pas synonyme de renoncement au droit de grève.

Apaisement

Reçu par les plus hautes autorités dès les premières heures de la grève, le Secrétaire général de la principale centrale syndicale, par ailleurs Président du Conseil Économique, Social, Culturel et Environnemental, s’est réjoui du dénouement de la crise. « Nous sommes responsables à l’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM). Nous avons toujours agi avec la manière pour atteindre les résultats », s’est exprimé Yacouba Katilé à l’issue de la remise en liberté le 10 juin du Secrétaire général du SYNABEF, également Secrétaire général adjoint de l’UNTM. Une joie et un soulagement sans triomphalisme cependant, avait tenu à préciser le Secrétaire général de l’UNTM. « Son retour est un moment de satisfaction et prouve la force de notre engagement commun ». « Vous avez démontré que l’UNTM est une force unie et résiliente. Elle est capable de surmonter les épreuves avec dignité et fermeté. Il est crucial d’aborder cette victoire avec une attitude d’apaisement et de conciliation », avait encore insisté M.Katilé, qui a en outre salué  le respect par les autorités de leurs engagements. Pour le Secrétaire général du SYNABEF, il s’agit d’un « sentiment de fierté d’appartenir à un syndicat responsable ». Et de « prouver au monde que nous pouvons être solidaires dans l’unité et dans l’action ». Même si pour les syndicalistes ce compromis est une contribution à la préservation de la paix sociale, il s’agit pour certains observateurs d’une « victoire » et d’une « pression » au détriment de l’indépendance de la justice. En effet, la plainte pour faux et usage de faux, bien qu’ayant été retirée par la partie civile, est une action publique qui suit normalement son cours. Une affaire encore en instruction sur laquelle ne se prononce pas Maître Ladji Traoré, l’avocat de la partie civile.

Rebondissement à craindre ?

Fallait-il aller déclencher un mouvement de grève pour une affaire de faux et usage de faux impliquant deux particuliers, même syndicalistes ? Si les choses continuent de cette façon, il est à craindre une immixtion de l’État dans une affaire privée, au risque d’influencer la décision judiciaire, s’inquiète M. Tamboura. D’ailleurs, les deux syndicats de magistrats, à savoir le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) et le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM), s’étaient exprimés le 7 juin 2024 dans un communiqué. Déclarant suivre « avec une particulière attention l’évolution du traitement par le Pôle national économique et financier de la procédure pénale mettant en cause un individu pour des faits de faux et d’usage de faux », ils ont invité leurs collègues magistrats à « rester sereins », tout en leur donnant l’assurance que « force restera à la loi et que l’égalité de tous devant la justice pénale sera également respectée ».

En situation de force, les banques n’ont pas hésité à créer une paralysie sans tenir compte des besoins des usagers, déplore M. Tamboura. Un choix peu appréciable de « mettre l’État en état de faiblesse ». Or, il s’agit plutôt d’une période à mettre à profit pour redonner à l’État son autorité et empêcher que des individus ne lui en imposent. Outre le syndicat des banques, d’autres pourraient s’impliquer, remettant du coup en cause l’esprit du Pacte de stabilité signé entre l’État et les partenaires sociaux en août 2023. Une situation à ne pas encourager. Il faut plutôt faire la part des choses et instaurer une véritable communication entre l’État et ces partenaires sociaux afin de gérer les éventuels conflits et surtout pour éviter à l’avenir que la justice soit à la merci de n’importe quelle pression.