Maigres récoltes et risques de famine

Malgré un démarrage précoce dans certains endroits du Mali, l’hivernage a pris fin de la même manière, sans que les quantités de pluie annoncées aient été atteintes. Ce déficit pluviométrique menace la production nationale et inquiète au plus haut point certains producteurs, qui n’hésitent pas à affirmer qu’ils redoutent une situation de famine. Avec des prix des céréales qui ne sont pas prêts de baisser face à une forte demande, les risques sont effectivement grands.

 « La pluviométrie est jugée insuffisante pour les besoins des cultures dans l’ensemble du pays, à cause de sa mauvaise répartition et de l’arrêt précoce des précipitations », relève le Système d’alerte précoce (SAP) dans sa note technique d’évaluation de la campagne agricole 2017 – 2018 au Mali.

Annoncée comme abondantes, les pluies de l’hivernage dernier n’ont pas comblé les attentes. Irrégulière et répartie de façon inégale, la pluviométrie n’a pas permis aux cultures d’atteindre leur maturation dans certaines régions du pays. Pourtant, c’est à une installation précoce des conditions idoines de démarrage de la saison agricole à laquelle on avait assisté dans les zones de production.

Mauvaise pluviométrie 

Même si des retards ont été notés en début de saison dans les régions de Sikasso,  Kayes, Koulikoro, Ségou et Mopti, la fin du mois de juillet avait redonné de l’espoir, avec l’installation de conditions favorables pour les différentes cultures. Les retards constatés et l’inégale répartition des pluies, combinés à d’autres facteurs, ont empêché les céréales de boucler leur cycle de maturation. C’est le constat dressé par Fews Net (Famine Early Warning Systems Network), le réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine, dans son bulletin du 30 octobre 2017. Il résume ainsi la situation pluviométrique de la campagne agricole 2017 – 2018.

Un déficit inédit et une « année particulière », selon Abdoulaye Daou délégué général des exploitants agricoles de la zone Office du Niger. « Je vis depuis vingt ans en zone Office du Niger et je n’ai jamais vécu une année comme celle-ci. Dès le barrage de Markala, on s’en rend compte », s’alarme-t-il. Les pluies s’étant arrêtées brutalement, les cours d’eau n’ont pas atteint leur niveau optimum de crue, et la décrue, habituellement observée en décembre ou janvier, est apparue dès le mois d’octobre et a atteint des niveaux record. Sur l’échelle d’observation du fleuve Niger à Maninkoura, le niveau de l’eau est d’un mètre et demi en dessous du chiffre moyen observé à habituellement à cette période. Un écart jamais enregistré durant les 50 dernières années, selon M. Daou, qui estime que cette année est trois fois plus critique que l’année dernière, déjà très difficile.

Faible ensemencement 

Inégalement touchées, les 7 zones de production de riz de l’Office du Niger ont connu un déficit dans la fourniture de l’eau. Dans la zone de Macina, à Ziraninkoro, 390 hectares n’ont pas reçu d’eau. Certains agriculteurs avaient labouré leurs parcelles, d’autres avaient implanté leurs pépinières. « Finalement, il a été convenu de recenser tous ceux qui n’ont pas eu d’eau pour faire des propositions de dégrèvement », regrette Abdoulaye Daou. Dans la zone Office riz de Ségou (ORS), à Ngara, Tamani et Farako, plus de 3 000 hectares n’ont pas été ensemencés.

Les producteurs de mil, auxquels il a manqué au moins « 3 grandes pluies », selon M. Daou, sont aussi touchés. Sans parler de remise en cause totale de la campagne en cours, les inquiétudes sont réelles et « les paysans craignent la faim ». Ils redoutent particulièrement la prochaine période de soudure. « Quand le riz atteindra 600 francs CFA le kilogramme et le mil 400 francs CFA, les paysans ne seront plus en mesure de nourrir leurs familles », conclut Abdoulaye Daou.

Production faible, forte demande 

D’autant plus que les cultures de contre-saison, censées combler les déficits de la campagne agricole, ne s’annoncent pas sous de bons auspices. « Les apports en eau d’irrigation sont tributaires des eaux de pluie, qui ont été très insuffisantes cette année », explique Dramane Bouaré, Directeur de la zone Office du Niger de Macina. Sur les 12 125 hectares prévus, 10 000 ont été cultivés et de  anombreuses parcelles ont manqué d’eau, selon ce responsable. Des problèmes auxquels il faut ajouter l’insécurité, qui a également joué un rôle négatif. « Puisque les motos n’étaient pas autorisées à circuler jusqu’au mois de juillet, les rotations pour l’eau n’ont pas été respectées. Ajoutez à cela le sous-équipement des paysans et vous comprendrez que tout ceci aura un impact négatif sur la saison », ajoute M. Bouaré. Sans compter qu’il y aura encore moins de surfaces cultivées en contre-saison que prévu, en raison des travaux d’aménagement programmés.

Les récoltes n’étant pas encore terminées, on ne dispose pas encore des estimations affinées. Mais les responsables du secteur s’attelent déjà à la sensibilisation des producteurs, qui sont invités à privilégier des cultures de contre-saison moins demandeuses d’eau que le riz, les produits de maraîchage.

Pour faire face à cette « année vraiment exceptionnelle », qui inquiète ce responsable en poste à l’Office depuis 17 ans, les autorités envisagent de faire une enquête pour évaluer les besoins réels. Selon Dramane Bouaré, plusieurs mesures indispensables doivent être prises pour faire face à la situation. « Il faut encourager l’élevage, songer aux dettes de campagne, réhabiliter le réseau et entretenir correctement les canaux d’irrigation et de drainage », conclut-il.

Insécurité alimentaire aigüe ? 

Situées en « zone d’insécurité alimentaire minimale », certaines parties du Mali pourraient évoluer de façon négative sans « le maintien de l’action humanitaire en cours ou programmée », selon les perspectives à moyen terme (juin – septembre 2017) sur la sécurité alimentaire du réseau Fews Net. L’ONG note que « l’insécurité alimentaire minimale (phase 1 de l’IPC) se maintiendra jusqu’en mai 2018 pour la majorité des ménages pauvres du pays. Toutefois, l’épuisement précoce des stocks et la hausse des prix des céréales mettront les ménages pauvres des zones des lacs de Goundam, par endroits dans le Sahel occidental et dans le Gourma à Gao et à Tombouctou en insécurité alimentaire de stress (phase 2 de l’IPC), d’avril à mai 2018 ».

« L’hivernage a été négatif, on n’a rien eu », se lamente Doukouma Coulibaly, Maire de la commune de Lanbidou, dans le cercle de Diéma, dans la région de Kayes. L’élu ajoute qu’aucun des produits habituellement cultivés ici n’a prospéré. Ni l’arachide, ni le mil, encore moins le maïs, n’ont réussi. Les premières pluies sont arrivées très tardivement et se sont arrêtées 15 jours plus tard durant environ un mois et 10 jours. Ensuite elles ont repris, mais se sont arrêtées avant que les cultures n’arrivent à maturité. Dans certains champs, aucune graine d’arachide n’a été récoltée. Les producteurs pourront juste utiliser les « fanes d’arachide pour nourrir le bétail », précise le Maire, désemparé.

Cette situation inquiète tous les chefs de famille, selon le Maire, qui a déjà sollicité l’appui des autorités à travers le Sous-préfet du cercle. Une inquiétude qui se justifie d’autant plus que les cultures de contre-saison sont peu pratiquées dans la zone, en raison de l’inexistence de points d’eau.

Cédé actuellement à 17 500 francs CFA, le sac de 100 kilogrammes de mil n’a jamais coûté aussi cher, de l’aveu de Aly Diallo, habitant du village de Singoni , l’un des quatre que compte la commune de Lanbidou. « En période de récolte, j’ai toujours acheté le sac de mil à moins de 15 000 francs ». Des prix très élevés, et dont la tendance n’est pas à la baisse. Ce sera l’une des équations à résoudre en cette année particulière, où les prévisions de récoltes « sont globalement moyennes, mais mauvaises à très mauvaises par endroits, notamment dans les cercles de Nioro, Kayes, Yélimané, Diéma, Banamba, Kolokani, Kati, Nara, Kadiolo, Niono, Bandiagara, Djenné, Douentza, Goundam et Ansongo », selon le SAP.

Le déficit, une autre menace sur le Mali

Le Mali manque d’argent. Selon le Groupe de suivi budgétaire (GSB), qui a pour mission de contribuer à  la bonne gouvernance budgétaire publique, la suspension de l’aide des bailleurs ajoutée à  la contraction de l’activité économique a engendré logiquement une baisse des ressources internes du pays. Selon la loi des finances, les ressources de l’Etat ont diminué de 28%, soit 312, 4 milliards de FCFA. Le secteur des services publics et celui du développement sont ceux qui pâtissent le plus de cette situation, au point d’imposer une révision budgétaire à  l’Etat. Les secteurs de l’eau (94%), de la dette (92%), des transports (84%) et l’agriculture (70%) ont été les plus affectés par cette révision. s’y ajoutent la santé, l’éducation, l’eau et la sécurité alimentaire… Pour Oumar Dembélé, du Groupe Plaidoyer et Lobbying, «Â un seul exercice ne pourra pas permettre au Mali de combler son déficit budgétaire ». «Â Sans élections, pas d’argent » Président du Conseil national de la société civile (CNSC), Allaye Touré pense que la réduction des dépenses publiques passe nécessairement par la réduction du train de vie de l’Etat. Le GSB recommande à  ce titre l’annulation des missions et déplacements non urgents, la fixation d’un quota de réduction de carburant pour chaque ministère ou institution, ainsi qu’une forte diminution de la consommation en eau, électricité et téléphone. Condition d’un retour massif des bailleurs et des partenaires techniques et financiers, l’organisation d’élections est intimement liée aux revenus du Mali. Adepte de la théorie américaine selon laquelle les élections devront précéder la libération du Nord, Allaye Touré considère que «Â le Mali peut organiser les élections avec les petits moyens dont il dispose, et se démarquer ainsi de l’attentisme qui entoure le retour des bailleurs ». Prudent, le GSB préfère proposer que le gouvernement élabore le budget 2013 en ne comptant que sur les ressources internes. Sa proposition de faire contribuer la population à  l’effort de résolution de la crise à  travers une contribution en nature ou en espèces à  en revanche peu de chances d’aboutir, les Maliens devant faire face à  un renchérissement de plusieurs produits de première nécessité tels que le gaz.

L’UEMOA projette un déficit de 4,9 millions de tonnes de riz paddy en 2020

« Le déficit en riz paddy est estimé à  4,9 millions de tonnes dans l’espace de l’UEMOA à  l’horizon 2020″, a indiqué à  des journalistes spécialisés en économie, le commissaire chargé du Département du développement rural et de l’environnement, Ismaà¯l Kpandja Binguitcha-Faré. Il soulignait l’enjeu et les résultats attendus du Programme régional de mise en œuvre de l’Office du Niger au Mali, o๠le gouvernement du président Amadou Toumani Touré ‘’veut impulser le développement de la zone pour améliorer la sécurité alimentaire ». ‘’Aujourd’hui, a noté le commissaire Binguitcha-Faré, près de 100.000 hectares sont irrigués ». ‘’Dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique agricole de l’Union (PAU, élaborée en décembre 2001), la Commission de l’UEMOA a décidé d’investir dans la zone de l’Office du Niger », a-t-il signalé. En 2007, l’Etat du Mali a attribué deux parcelles eux parcelles de terres de plusieurs milliers d’hectares à  l’UEMOA, sous forme de bail emphytéotique, tandis que la Commission a passé, en 2002 déjà , un accord de coopération avec la FAO pour élaborer le programme de l’Union à  l’Office du Niger. Outre le riz local dont ‘’le prix de revient est identique à  celui du riz importé », le commissaire de l’UEMOA a souligné des avantages comparatifs (qui) sont importants pour d’autres spéculations, notamment, dans le domaine horticole, pour l’embouche bovine et pour la pisciculture ». Le secteur agricole est pris pour le moteur de la croissance de l’Union. ‘’l’activité économique de l’Union a enregistré un taux de croissance honorable de 4,3% », indique le rapport annuel 2010 de l’UEMOA qui cite, entre autre facteurs, la bonne tenue de la production vivrière, la vigueur de l’industrie minière et du regain de dynamisme du secteur des Bâtiments et travaux publics. Selon le rapport, des efforts sont fournis sous l’impulsion de la Commission de l’UEMOA ‘’pour soutenir la production agricole, développer les infrastructures, encourager le secteur industriel et améliorer les conditions de vie des populations ». Depuis 17 ans avec le Traité de fondateur du 10 janvier 1994, l’UEMOA regroupe sept pays francophones, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo et un Etat lusophone, la Guinée-Bissau (mai 1997). l’Union compte 93,6 millions de ressortissants et est créditée d’un Produit intérieur brut (PIB) de 32.637,2 milliards de francs CFA. l’ensemble de la population de l’Union est projetée à  93,6 millions d’habitants, en majorité jeune. Elle est répartie sur une superficie de 3.509.600 Km2.

Pluies provoquées : deux nouveaux avions pour booster l’opération

Le monde paysan peut se frotter les mains face à  l’anxiété résultant du déficit pluviométrique! Serait-on tenté de dire. Car en effet, depuis ce matin, le service de la météo vient d’être doté de deux nouveaux avions équipés dans le cadre du programme de « pluies provoquées ». Les appareils doivent pallier aux poches de sécheresse pendant la campagne agricole. Aussi « ils contribueront à  la recharge des nappes phréatiques et à  l’augmentation des réserves d’eau dans les barrages et autres bassins de retenues d’eau pour l’irrigation, l’élevage et la production d’électricité… L’opération Sandji,une initiative du gouvernement Il faut rappeler que C’’est depuis 2005 que le gouvernement du Mali a adopté le programme de pluies provoquées au Mali sur une période de cinq ans avec pour (entre autres) objectifs, la réduction de l’impact des déficits pluviométriques sur les productions agricoles et hydro-électrique. Le programme a démarré en 2006 avec un seul avion en location dans la zone comprenant les cercles du Macina, de Nioro, San, Bla, de Tominian, Ségou, Banamba et Djénné. Mais depuis 2007, l’opération couvre l’ensemble du pays, avec la location de deux avions en 2008. Au regard des résultats satisfaisants obtenus de 2006 à  2008 et pour renforcer les capacités d’interventions aériennes du programme et éviter les retards de démarrage en début de saison des pluies, le gouvernement de la République a lancé un appel d’offres international ouvert le 14 juillet 2008 pour la fourniture de nouveaux avions. Deux Beechcraft King Air pour renforcer la flotte aérienne C’’est ainsi que le marché a été attribué, en mai 2009, au Groupement composé de Weather Modification Incorpored (WMI) et de Malian Aero Company (MAC) pour un montant de 7 473 259 827 F CFA (toutes taxes comprises sur quatre exercices budgétaires et un délai d’exécution de 120 jours). Les deux appareils de marque Beechcraft, type King Air 200, sont dotés d’équipements d’ensemencement et de recherche.  » Ce sont des avions à  capacité forte d’ensememcement, a indiqué, Ibrahim Diawara, PDG de la Malian Aero Company. Selon le mécanicien, M. David F, ils sont équipés de turbopropulseurs pressurisés à  deux moteurs, avec un puissant moteur. « Ils peuvent voler à  une altitude maximale de 6H15mn. Leur rayon d’action est de 2 500 km avec une vitesse de croisière de 460 km par heure. L’opération s’étend sur trois (3) campagnes agricoles ; à  savoir, les campagnes 2009-2010, 2010-2011 et 2011-212. Selon le porte parole du groupement des prestataires, la disponibilité de ces deux avions permettra d’effectuer à  partir de deux bases (Mopti et Bamako), des opérations d’ensemencement simultanées dans différentes zones du pays, mais aussi de démarrer les opérations au début de chaque saison. « Elle devrait contribuer non seulement à  une augmentation significative mais aussi à  une bonne répartition spatiale de la pluviométrie pendant les périodes d’opérations dans le pays ». Il faut ajouter que les prestataires se sont engagés à  travers le programme, à  initier les nationaux sur la base d’un programme de formation adapté et transmis par d’éminents experts américains. Cela permettra aux cadres maliens de s’approprier cette technologie.

Déficit pluviométrique : les paysans affûtent leurs armes

Le déficit pluviométrique annoncé par les services météorologiques pour cette année, commence par inquiéter plus d’un cultivateur. En raison des anomalies de température relatives à  la surface de la mer (notamment dans la zone du Golfe de Guinée, et la plaine tropicale),la pluviométrie cette année connaitra une baisse sensible. Or, il n’est un secret pour personne, que l’agriculture malienne demeure fortement tributaire de la qualité pluviométrique. De ce fait, le déficit pluviométrique ne va t-il pas jouer sur la campagne agricole 2009-2010 ? Selon le directeur national (adjoint) de la météorologie, M. Djibrila Aya Boncana Maiga, cela pourrait avoir une incidence négative si des dispositions ne sont pas prises. Et d’ajouter qu’il existe des mesures pour s’adapter à  une pareille situation, comme la culture de certaines variétés de semence ou l’opération  » Pluies Provoquées ». Pour M. Bina, cultivateur à  Ouelessebougou (sur la route de Sikasso) il existe des cultures qui s’adaptent plus ou moins à  la sécheresse. C’’est le cas du mais, du sorgho et du petit mil. « Ces variétés résistent mieux à  la secheresse que le riz et le fonio». Selon l’agronome Tiena Dakouo, il y a par ailleurs, des systèmes agricoles qui permettent d’autres dispositifs agricoles en année de faible pluviométrie. A l’instar de l’ensemble des paysans, ceux de ce village, réputé être par excellence, un village à  vocation agricole, affirment avoir reçu des conseils pratiques des services météorologiques. Autrement dit, ils savent la période à  laquelle ils doivent semer, mais ils gardent une appréhension des dates optimales en fonction de la tendance de l’hivernage, cela quant à  la variété qu’il faut semer, et à  quel moment et dans quelle zone… Les mesures gouvernementales A ce niveau, le Gouvernement est entrain de prendre des dispositions pouvant réduire l’ampleur de la situation pluviométrique. La mécanisation de l’agriculture, la dotation des paysans en engrais, les opérations de « pluies provoquées », sont autant de mesures à  prendre en compte. Reste à  savoir si elles se révéleront vraiment efficaces. En attendant, les semailles ont commencé !