La révolution culturelle trumpienne

 Lorsque le bras droit du président américain Donald Trump, J.D. Vance, s’est exprimé sur la « menace intérieure » de l’Europe lors de la récente conférence de Munich sur la sécurité, son auditoire a éprouvé quelques difficultés à comprendre la nouvelle approche déconcertante des États-Unis en matière de politique étrangère. Le président chinois Xi Jinping se montre pour sa part relativement silencieux depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il soit moins contrarié par ce qu’implique ce deuxième mandat. Le dirigeant chinois n’est pas non plus rassuré par l’insolente réponse formulée par Trump à une question posée en octobre dernier sur ce qu’il ferait si Xi établissait un blocus autour de Taïwan : « Xi sait qu’il ne faut pas déconner avec moi ! ».

 

Le coordinateur de la majorité au Sénat, John Barrasso, l’a exprimé plus élégamment : « Le président Trump s’est clairement présenté aux élections pour être un perturbateur, et il continuera de l’être ». Barrasso n’a pas tort. Au cours des dix premiers jours de son second mandat, Trump a signé plus de 50 décrets, proposé une indemnité de départ à tous les employés fédéraux, tenté de geler des financements pourtant déjà alloués par le Congrès, menacé de nombreux pays de leur imposer des droits de douane, et déstabilisé ses alliés en multipliant les décisions unilatérales insultantes.

 

Il existe un précédent historique au blitzkrieg politique mené par Trump : Mao Zedong. Sur les plans géographique, idéologique et capillaire, Trump partage peu de choses avec Mao, l’initiateur de la violente Révolution culturelle chinoise. Il n’en demeure pas moins que tous deux peuvent être décrits comme des acteurs de l’insurrection.

 

Le penchant de Mao pour le désordre était profondément enraciné dans la relation troublée du dirigeant chinois avec son père, qu’il décrivait à l’écrivain Edgar Snow comme « un maître sévère », un « homme colérique », qui battait son fils si brutalement que celui-ci s’enfuyait souvent de la maison. Cette « guerre » a appris à Mao à se défendre : « Lorsque je défendais mes droits en me révoltant ouvertement, mon père cédait. En revanche, lorsque je restais docile et soumis, il ne faisait que jurer et me battre davantage ».

 

Cette expérience formatrice durant l’enfance a façonné la personnalité de Mao, et l’a attiré vers une politique de l’opposition à l’origine du chaos et du désordre qui ont marqué la Chine durant plusieurs décennies. Comme l’a écrit l’universitaire et diplomate américain Richard Solomon à l’époque de la Révolution culturelle, « Les efforts d’un seul individu pour briser les liens de la subordination personnelle ont trouvé un sens plus large dans la lutte d’une nation tout entière contre la subordination politique ». Or, il convient de rappeler que durant sa jeunesse, Donald Trump a lui aussi connu un père brutal, qui n’avait de cesse de répéter à ses fils qu’ils ne pourraient devenir des « rois » qu’à la condition d’être des « tueurs ».

 

Durant ses jeunes années, Mao devient un grand admirateur du Roi-Singe, Sun Wukong, du roman classique chinois La Pérégrination vers l’Ouest (西游记). Mao est tellement épris du Roi-Singe, qui a pour mantra « Créer un grand désordre sous les cieux » (大闹天宫), qu’il achèvera l’un de ses propres poèmes par « Nous saluons Sun Wukong, le faiseur de miracles ! ».

 

L’insurrection paysanne lancée par Mao contre le gouvernement nationaliste de Chang Kaï-chek dans les années 1920 constitue seulement la première étape de sa « révolution permanente » (不断革命). De nombreuses campagnes politiques et luttes de pouvoir ruineuses suivront la création par Mao de la République populaire de Chine en 1949. En 1957, la campagne anti-droitiste sera marquée par la persécution de plusieurs centaines de milliers d’intellectuels. De même, entre 1958 et 1962, le « Grand Bond en avant » (大跃进) visant à collectiviser l’agriculture fera plus de 30 millions de morts, en raison de la famine et des maladies associées à celle-ci.

 

Le plus grand bouleversement politique opéré par Mao réside néanmoins dans la Grande Révolution culturelle prolétarienne de 1966, amorcée en réponse à ce qu’il considère à l’époque comme une résistance bureaucratique de la part de ses collaborateurs face à son absolutisme. Mao fera installer la toute première affiche en caractères imposants (大字报), appelant la jeunesse chinoise à se soulever ainsi qu’à « bombarder le siège » (炮打司令部) du parti qu’il avait lui-même contribué à fonder. Dans le contexte de violence et de chaos qui en résultera, de nombreux dirigeants, parmi lesquels le président Liu Shaoqi et le secrétaire général du PCC, Deng Xiaoping, feront l’objet d’une purge, tandis que d’autres – dont le vice-Premier ministre Xi Zhongxun, le propre père de Xi – subiront des séances d’humiliation, seront envoyés dans les « Écoles du 7 mai » (五七干校) à des fins de « rééducation idéologique » (思想改造), ou seront emprisonnés, voire exécutés.

 

Convaincu de la justesse de sa croisade contre ce que les partisans de Trump appelleraient aujourd’hui « l’État profond », Mao publiera une tribune dans le Quotidien du peuple, appelant à « ne pas avoir peur des raz-de-marée, car c’est grâce à eux que la société humaine évolue ».

 

La foi inébranlable de Mao dans le pouvoir de la résistance le conduira à célébrer le conflit. « Sans destruction, il ne peut y avoir de construction » (不破不立), considère-t-il. « Un monde en grand désordre est une excellente nouvelle ! » (天下大乱形势大好), énonce un autre de ses slogans. Cette volonté de bouleverser la structure de classe en Chine, voire de la « renverser » (翻身), se révélera extrêmement destructrice. Mao justifiera néanmoins la violence et les troubles qui en résulteront comme des éléments essentiels pour « faire la révolution » (搞革命) et bâtir une « Chine nouvelle ».

 

On retrouve dans l’administration Trump ce désir insatiable de perturbation et de chaos. Alex Karp, PDG de la société Palantir, dont le cofondateur Peter Thiel est un proche de Trump, a récemment décrit la refonte du gouvernement américain décidée par le nouveau président comme une « révolution », qui consistera notamment à « couper des têtes ». Dans cette révolution, le bourreau en chef n’est autre que l’individu le plus riche de la planète, Elon Musk.

 

Malgré des différences évidentes, Elon Musk n’est pas sans rappeler Kuai Dafu, qui sera chargé par Mao lui-même de diriger le mouvement des gardes rouges de l’Université Tsinghua. Kuai ne sèmera pas seulement le chaos sur son campus, mais conduira également 5 000 gardes rouges sur la place Tiananmen, au cri de slogans hostiles à Liu et Deng, avant de tenter d’assiéger le bâtiment gouvernemental situé à proximité, le complexe de Zhongnanhai. Difficile de ne pas songer ici aux gardes rouges version Trump qui ont pris d’assaut le Capitole des États-Unis en 2021.

 

Xi ayant grandi pendant la Révolution culturelle de Mao, et ayant été lui-même envoyé à la campagne pour « endurer la souffrance » (吃苦) pendant sept ans durant sa jeunesse, il a sans aucun doute appris deux ou trois choses sur la manière de faire face au chaos. Il n’est toutefois pas impossible que Xi éprouve des difficultés à comprendre comment les États-Unis – pays admiré depuis longtemps par de nombreux Chinois, comme en témoigne l’expression « La lune est plus ronde en Amérique qu’en Chine » (美国的月亮比中国的月亮圆) – ont pu en arriver à porter au pouvoir leur propre artisan d’un chaos en provenance d’en haut.

 

Si Trump ne possède pas les mêmes talents d’écrivain et de théoricien que ceux de Mao, il est animé par le même instinct animal consistant à déstabiliser ses opposants ainsi qu’à asseoir son autorité en se montrant imprévisible, jusqu’au stade de la quasi-folie. Mao, qui aurait probablement salué le désastre actuellement en cours aux États-Unis, sourit sans doute du haut de son paradis marxiste-léniniste, car le vent d’est pourrait finalement l’emporter sur le vent d’ouest – un rêve si cher à son cœur.

 

Orville Schell, directeur du Centre des relations États-Unis-Chine de l’Asia Society, est coauteur (avec Larry Diamond) de l’ouvrage intitulé Chinese Influence and American Interests : Promoting Constructive Engagement.

 

Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

Crise dans l’Enseignement catholique : Une grève pour salaires impayés

Le Syndicat national des travailleurs de l’Enseignement privé catholique (Syntec) a décidé d’observer un arrêt de travail à compter de ce 20 février 2025. Motif : le non-paiement du salaire du mois de janvier. Cette situation pose avec acuité les difficultés de cet ordre d’enseignement, sous la menace de la fin de la subvention de l’État.

Le mot d’ordre d’arrêt de travail lancé ce 20 février est maintenu, explique M. David Togo, le Secrétaire général du Syntec. Même si l’employeur a fait des efforts, le syndicat réclame l’effectivité du paiement pour tous les enseignants concernés. C’est déjà la seconde fois qu’une telle situation se présente cette année. En janvier 2025, les enseignants avaient observé une grève pour le retard de paiement du salaire du mois de décembre 2024.

Cette situation, selon l’employeur, est due au non-versement de la subvention de l’État, dont dépend 80% de la masse salariale de cet ordre d’enseignement. Lorsque l’État malien a annoncé l’arrêt de cette subvention en 2024, l’Église catholique avait menacé de fermer les écoles sous sa responsabilité, compromettant le travail de près de 1 500 enseignants. Les autorités s’étaient alors engagées à assurer la subvention durant l’année scolaire 2024 – 2025. C’est cet engagement que l’État a du mal à tenir et les retards de salaires deviennent récurrents.

« Nous n’avons plus la possibilité de nous rendre sur nos lieux de travail. Ce n’est donc pas de gaité de cœur que nous observons cet arrêt de travail », explique le Secrétaire général du Syntec, Diocèse de Bamako.

Dans le Diocèse de Bamako, ce sont près de 1 500 enseignants, à part l’Université, qui ont posé la craie. Un arrêt de travail qui court jusqu’au paiement total des salaires. Les pourparlers se poursuivent et un début de solution a été trouvé avec le paiement de certains à partir du 21 février.

Sursis

La situation est inquiétante pour l’Église, qui doit désormais travailler sur une nouvelle base dont les enseignants ignorent les impacts éventuels. Elle avait envisagé purement et simplement un licenciement. À la place de l’espoir, qu’il dit ne plus avoir, c’est donc une inquiétude palpable et une sollicitation que le syndicat adresse à son employeur. Au lieu d’un licenciement, il souhaite que l’État revienne sur la convention, qui date de plusieurs décennies. Avant de se retirer, il lui demande  d’accorder un délai plus long pour permettre à l’Église de se préparer.

Fatoumata Maguiraga

Électricité : Trop de promesses, pas assez d’actes !

À l’approche du Ramadan, le ministre de l’Énergie promet une fourniture d’électricité de 19 heures sur 24. Une annonce qui aurait pu rassurer si les Maliens n’avaient pas déjà entendu de multiples promesses non tenues.

L’histoire récente en témoigne. Un ancien ministre de l’Énergie s’était déplacé à EDM-SA, déclarant que les coupures étaient terminées, sans effet visible. Une autre ministre, en direct sur l’ORTM, assurait que la crise serait résolue avec la construction d’une centrale solaire en quatre mois. Résultat : les délestages continuent, plongeant le pays dans l’incertitude. Même le Premier ministre, le Général Abdoulaye Maïga, en intégrant la résolution de cette crise dans sa lettre de cadrage, n’a pas encore apporté la solution attendue. Pourtant, mars 2025 approche et les coupures persistent.

Pendant ce temps, les conséquences sont désastreuses. Des entreprises ferment leurs portes ou réduisent leurs activités, aggravant chômage et précarité. Même les hôpitaux sont touchés, compromettant la prise en charge des patients. Quant aux promesses d’un approvisionnement en carburants russe et nigérien, elles restent floues, sans impact concret sur le terrain.

Les Maliens, résilients par nécessité plus que par choix, méritent mieux. Il est temps que les autorités comprennent que l’action doit précéder la parole. Les coupures d’électricité ne sont pas qu’un inconfort. Elles freinent l’économie, mettent des vies en danger et minent la confiance. Plutôt que d’annoncer, il faut agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard.

Massiré Diop

Moussa Touré, Spécialiste en gouvernance locale

Quelles solutions pour stopper l’exploitation illégale du bois par les groupes armés ?

Pour lutter contre l’exploitation illégale du bois par les groupes armés, il est essentiel de mettre en place un cadre de dialogue inclusif entre les acteurs de la protection de l’environnement, les communautés locales et les branches politiques des groupes armés. Ce type de cadre permet d’instaurer un espace de sensibilisation, de dialogue et de plaidoyer en faveur de la lutte contre la déforestation et la préservation des ressources naturelles.

Comment accélérer l’adoption des alternatives au bois de chauffe en milieu rural ?

L’adoption des alternatives au bois de chauffe en milieu rural nécessite une approche mixte. Il est crucial de renforcer les campagnes de sensibilisation, tout en adoptant une législation favorable qui encourage l’utilisation d’énergies renouvelables. De plus, il est important de garantir un accès équitable à ces alternatives, en réduisant les coûts et en mettant en place des mécanismes de soutien aux ménages les plus vulnérables.

Quelles stratégies pour rendre le reboisement plus efficace et durable ?

Pour un reboisement durable et efficace, il est essentiel de promouvoir des approches endogènes de préservation de l’environnement, en intégrant les savoirs et pratiques locaux. Par ailleurs, il convient d’encourager et de soutenir les initiatives structurantes, comme la Grande Muraille Verte, qui visent à restaurer les écosystèmes dégradés et à renforcer la résilience des communautés face aux changements climatiques.

EDR : Quel poids sur l’échiquier politique national ?

Créé en mai 2023 suite à une crise profonde au sein de l’URD, le parti Espoir pour la Démocratie et la République (EDR) a tenu son premier Congrès ordinaire les 15 et 16 février 2025. Désormais doté d’un Bureau politique national et enrichi de récentes adhésions à Bamako et à l’intérieur du pays, que vaut ce nouveau parti sur la scène politique nationale ?

Il a fallu du temps, mais près de deux ans après sa création officielle EDR a tenu son tout premier congrès. Exit le Directoire provisoire dirigé par le Pr Salikou Sanogo. Place au tout nouveau Bureau politique national présidé par Me Demba Traoré. Ce congrès constitutif, qui propulse le parti dans l’arène politique nationale, a eu lieu en présence de plus de 1 500 délégués venus des 19 régions du Mali, du District de Bamako et de 39 pays.

Cette mobilisation est le fruit d’une dynamique d’implantation du parti sur toute l’étendue du territoire national enclenchée dès les premiers mois de sa création. À en croire le Président sortant, devenu Président d’honneur du parti, Pr Salikou Sanogo, EDR est déjà présent sur 80% du territoire national.

Adhésions

Bien avant la tenue du congrès, EDR a enregistré de nombreuses adhésions en son sein à travers le pays. Plusieurs cadres des sections et sous-sections de l’URD ont collectivement démissionné pour rejoindre les rangs du nouveau parti, notamment en Commune II du District de Bamako et dans plusieurs autres endroits à l’intérieur du pays.

Fin janvier dernier, le parti a présenté de nouveaux adhérents dans le cercle de Tenenkou et enregistré dans la foulée de nombreuses adhésions dans la ville de Ségou. Cette dynamique d’adhésion à EDR s’est même poursuivie pendant les deux jours du congrès, selon le tout nouveau Président du parti.

« D’hier matin à aujourd’hui (du 15 au 16 février 2025, NDLR), nous avons reçu de nouvelles adhésions », a indiqué Me Demba Traoré lors de son premier discours à la tête du parti, tout en assurant les nouveaux adhérents qu’ils prendront « toute leur place dans la vie du parti ».

Quel poids ?

Bien que nouvellement né, EDR n’a rien d’un parti politique débutant sur la scène nationale. Issu d’une scission au sein de l’URD, le parti est né avec les dents longues et peut se targuer d’avoir regroupé la plupart des fidèles compagnons de l’ancien Chef de file de l’opposition, Feu Soumaila Cissé. Pour autant, EDR pèse-t-il aujourd’hui sur l’échiquier politique national ?

« Il est trop tôt pour pouvoir mesurer le poids réel de EDR. Je pense que tout dépendra du projet de société du parti et de sa structuration. Si EDR s’inscrit dans une bonne organisation politique, cela peut lui permettre d’acquérir au fil du temps un certain poids sur le plan national », estime le Dr Jean-Marie François Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de Bamako.

Comme lui, l’analyste politique Dr Bréhima Mamadou Koné pense que pour peser sur l’échiquier politique EDR doit d’abord mener un travail de fond sur le terrain. « Il faut une institutionnalisation du parti au niveau local, régional et national. Le parti doit travailler à mettre en place ses démembrements, qui doivent être pleinement opérationnels et actifs à la base », soutient-il.

Mais un autre analyste et observateur de la scène politique attendra les prochaines consultations électorales, notamment les communales et les législatives, pour jauger le véritable poids d’EDR.

« Mais, en attendant ces futures échéances électorales, je pense qu’on peut déjà situer EDR au même niveau sur l’échiquier politique que l’URD, quand on sait que la plupart des proches de Feu Soumaila Cissé s’y retrouvent et que ce parti est, à mon avis, le plus à même de revendiquer l’héritage politique du fondateur de l’URD », glisse cet interlocuteur.

Mohamed Kenouvi

Abdouty Najim « Pour l’ABM, seul le Mali compte »

Abdouty Najim, Porte-parole de l’Alliance des Berabiches du Mali (ABM), expose les actions menées pour la paix et la réconciliation nationale. Il réaffirme l’engagement de son organisation pour un Mali un et indivisible. Propos recueillis par Massiré Diop.

Depuis votre déclaration du 6 janvier 2025, quelles initiatives concrètes avez-vous prises pour favoriser la paix et la réconciliation nationale ?

Après la mise en place de notre Bureau, nous avons initié des médiations communautaires pour résoudre les conflits locaux et renforcer le vivre-ensemble. Notre Plan d’action, qui sera bientôt présenté, repose largement sur la paix, la réconciliation et le retour des réfugiés et déplacés internes. Nous avons lancé des campagnes de sensibilisation impliquant des leaders communautaires, organisé des ateliers de dialogue entre réfugiés et communautés d’accueil et établi des partenariats avec le ministère de la Réconciliation et des ONG. Des événements culturels et sportifs permettent de renforcer la cohésion sociale, tandis que des formations en gestion des conflits outillent les leaders locaux. Nous avons aussi mis en place un accompagnement psychologique et engagé un plaidoyer actif auprès des autorités pour un retour sécurisé des réfugiés.

Comment réagissez-vous aux critiques selon lesquelles votre position servirait davantage le pouvoir en place que la cause de la réconciliation ?

L’ABM a des principes clairs : aucune action ne doit compromettre l’unité du Mali. Notre seule priorité est de défendre l’intégrité du pays et de préserver la cohésion nationale. Nous avons nos convictions et une vision précise : servir le Mali. Le soutien aux autorités de la Transition est une conséquence naturelle de notre engagement, car elles œuvrent pour la souveraineté nationale et la paix.

Avez-vous été sollicité par les autorités de la Transition ou d’autres acteurs du processus de paix ?

Nous sommes une organisation rassemblant les principales tribus Berabiches du Mali engagées pour un pays uni et républicain. Nous n’avons pas besoin d’être sollicités pour contribuer à la stabilisation du Mali. Nous entretenons d’excellentes relations avec les autorités, notamment le Général de corps d’armée Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation, dont nous saluons les efforts.

Certaines communautés du Nord restent méfiantes face aux promesses de paix. Comment comptez-vous les rassurer et les intégrer dans votre démarche ?

Les autorités ont démontré que le Mali appartenait à tous ses citoyens. Plusieurs compatriotes ont déjà répondu à l’appel de la Nation et ont été accueillis avec respect. Nous les encourageons à revenir pour bâtir ensemble un pays fort et prospère. L’unité est notre seule voie pour faire face aux défis et contrer les influences extérieures qui cherchent à nous diviser.

31ème FESMAMAS : Markala célèbre son patrimoine culturel

Le Festival des Masques et Marionnettes de Markala (FESMAMAS) revient du 15 au 21 avril 2025 avec une 31ème édition renouvelée, marquant une nouvelle ère pour cet événement majeur du patrimoine malien. Lors de la conférence de presse du 22 février 2025, le Maire de Markala a insisté sur l’importance de cette édition pour le rayonnement de la ville et sa candidature au Réseau international des villes créatives de l’UNESCO.

Créé en 1993 par feu le Professeur Abdoul Diop et le Club de Markala, le FESMAMAS est le premier festival indépendant du Mali. Il met à l’honneur le sógóbó, tradition ancestrale des masques et marionnettes inscrite à l’Inventaire national des biens culturels en 2012 et sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2014.

Rappelons qu’en septembre 2023, la Mairie et le Club de Markala avaient confié à BlonBa la mission de restructurer et de développer le festival pour dix ans renouvelables. Cette collaboration vise à moderniser le festival tout en conservant son authenticité, avec une ambition claire, à savoir inscrire Markala parmi les capitales culturelles africaines.

L’édition 2025 propose une programmation inédite et transdisciplinaire. Parmi les moments forts, trois créations originales se démarquent. « Maa, i tè sabali ! » est une performance immersive mêlant musique électronique, masques géants et danse, interrogeant la relation de l’homme à la nature. « Mali Sadio » revisite la célèbre légende malienne avec une mise en scène mêlant marionnettes, slam, danse et instruments traditionnels. Enfin, un spectacle d’ouverture inédit, mettant en scène 30 marionnettes – chevaux, donnera le ton du festival.

Le programme inclut aussi une exposition des marionnettes du célèbre Yaya Coulibaly, des courses de pirogues et d’ânes, ainsi qu’un bal masqué géant, désormais produit phare du festival. Un centre culturel baptisé « Professeur Diop » verra le jour dans l’ancienne usine Sabé, mise à disposition par la Mairie.

En lien avec le label national « 2025, année de la culture au Mali » décrété par le Président de la Transition, le FESMAMAS ambitionne de renforcer le lien social, de créer une industrie culturelle durable et d’ancrer Markala comme pôle de créativité.

Pour ce faire, Alioune Ifra Ndiaye, Directeur de BlonBa, a souligné l’importance de ce tournant en déclarant « notre ambition est d’inscrire le FESMAMAS dans une modernité culturelle qui respecte les traditions tout en les projetant vers l’avenir ».

Les festivaliers ont rendez-vous du 15 au 21 avril 2025 pour une expérience culturelle inédite alliant tradition et innovation.

Massiré Diop

Trois ans de guerre en Ukraine : L’Afrique en première ligne

Le 24 février 2025 marque le troisième anniversaire du conflit russo-ukrainien, dont les répercussions se font lourdement sentir en Afrique. Parmi les conséquences notables, les importations d’engrais sur le continent ont diminué de 20%, exacerbant les défis agricoles et menaçant la sécurité alimentaire.

Avant le conflit, la Russie et l’Ukraine étaient des fournisseurs majeurs d’engrais et de céréales à l’Afrique. La guerre a perturbé ces chaînes d’approvisionnement, entraînant une hausse des prix et une pénurie d’engrais. Cette situation a conduit à une réduction de 20% des importations d’engrais en Afrique, affectant directement la productivité agricole. Les agriculteurs, confrontés à des coûts prohibitifs, ont réduit l’utilisation d’intrants, ce qui a entraîné une baisse des rendements et une aggravation de l’insécurité alimentaire. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 283 millions de personnes en Afrique souffraient déjà de la faim avant le conflit, un chiffre qui a augmenté en raison de la crise actuelle.

La Russie et l’Ukraine représentaient respectivement 32% et 12% des importations totales de blé en Afrique. La guerre a entraîné une diminution significative de ces approvisionnements, provoquant une flambée des prix des denrées alimentaires de base. Des pays comme l’Égypte, le Nigeria et le Soudan, fortement dépendants de ces importations, ont été particulièrement touchés. Cette situation a exacerbé les tensions sociales et économiques, menaçant la stabilité de plusieurs régions.

Le 24 février 2025, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution exigeant le retrait immédiat des forces russes d’Ukraine. Sur les 193 États membres, 93 ont voté en faveur, 18 contre et 65 se sont abstenus. Parmi les opposants, on compte de nombreux pays africains, dont ceux de l’AES, alors que d’autres ont choisi de s’abstenir. Ces positions reflètent les relations diplomatiques et économiques complexes que ces pays entretiennent avec la Russie et l’Ukraine, ainsi que leurs intérêts stratégiques propres.

Parallèlement, la Russie a intensifié ses efforts pour renforcer son influence en Afrique, profitant de la méfiance croissante de certains pays africains envers les puissances occidentales. Cette stratégie inclut des alliances avec des dirigeants militaires et le soutien à des opérations armées visant à contourner les sanctions internationales et à sécuriser des ressources économiques. Cette dynamique a conduit à une fragmentation des alliances traditionnelles et à une redéfinition des relations internationales sur le continent.

Le conflit russo-ukrainien a des répercussions profondes et multiples en Afrique, affectant la sécurité alimentaire, les relations diplomatiques et l’équilibre géopolitique du continent.

Massiré Diop

Pénurie de bois de chauffe : Une crise aux multiples facettes

Depuis un certain temps, le Mali est frappé de plein fouet par une pénurie de bois de chauffe qui s’aggrave, menaçant des millions de foyers et fragilisant l’équilibre écologique du pays. Plus de 90% des ménages maliens dépendent du bois ou du charbon pour cuisiner. À Bamako, la demande annuelle dépasse 1 million de tonnes d’équivalent en bois, soit une augmentation de 85% en dix ans. Cette crise atteint son paroxysme à l’approche du Ramadan, période pendant laquelle la consommation domestique explose, accentuant la pression sur une ressource déjà en déclin.

Chaque année, entre 100 000 et 600 000 hectares de forêts disparaissent sous l’effet de la coupe abusive et des feux de brousse, tandis que la déforestation globale atteint 400 000 hectares par an. Les incendies incontrôlés ravagent plus de 500 000 hectares de forêts chaque année, accélérant la désertification et réduisant les surfaces cultivables. Oumar Coulibaly, spécialiste des questions environnementales, avertit : « si rien n’est fait, le Mali risque de perdre la majorité de ses ressources forestières d’ici 2050 ».

L’implication des groupes armés dans le trafic de bois aggrave la situation. Le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, contrôle certaines filières d’exploitation forestière et perçoit des taxes sur la coupe et le transport du bois. Ce commerce clandestin générerait plusieurs milliards de francs CFA par an, alimentant l’instabilité et renforçant son influence dans la région. En plus de cette exploitation illégale, le trafic transfrontalier du bois de chauffe vers des pays voisins prive encore davantage le marché malien d’une ressource essentielle. Certains experts estiment que plus de 20% du bois coupé illégalement quitte le pays, échappant à toute régulation et privant l’État de revenus fiscaux considérables. En février 2022, 157 conteneurs de 27 tonnes de bois de vène en provenance de Bamako ont été interceptés au port de Lomé, au Togo, révélant l’ampleur du trafic de ce bois précieux. Entre 2019 et 2021, le trafic de bois au Mali a généré plus de 13,8 millions de dollars de recettes, alimentant le financement du terrorisme, le racket et la corruption. Depuis 2017, des groupes armés utilisent l’exploitation forestière illégale comme levier financier, en particulier dans les régions de Mopti, Ségou et Tombouctou.

La hausse des prix du bois et du charbon accentue la précarité énergétique des ménages. En 2005, le bois représentait 7,6% des dépenses des foyers les plus modestes, un chiffre qui a grimpé à près de 12% aujourd’hui. Sur les marchés urbains, un fagot de bois peut désormais coûter jusqu’à 2 500 francs CFA, soit une augmentation de 30% par rapport à l’année précédente. Le charbon de bois, quant à lui, a vu son prix exploser de 40% en cinq ans, créant une pression supplémentaire sur les finances des ménages vulnérables. Dans certaines régions rurales, où l’accès au gaz et à d’autres sources d’énergie est insignifiant, voire inexistant, les populations se rabattent sur des combustibles de fortune, accentuant les risques sanitaires liés à l’inhalation de fumées toxiques. Des études montrent que l’exposition prolongée à ces fumées est responsable de maladies respiratoires chroniques affectant particulièrement les femmes et les enfants, les premiers exposés à ces conditions domestiques précaires.

Des initiatives pour endiguer la crise

Par ailleurs, les initiatives gouvernementales et internationales peinent à endiguer la crise. La Campagne nationale de reboisement 2024, lancée en août dernier par le Premier ministre, vise à restaurer les écosystèmes dégradés, mais son impact reste limité face à l’ampleur du phénomène. Le Projet de restauration des terres dégradées, doté de 90 milliards de francs CFA, cherche à ralentir la déforestation, tandis que l’initiative « Un foyer, une famille », expérimentée à Koulikoro avec un budget de 3 millions de francs CFA, tente d’encourager l’usage de foyers améliorés. Le Système MRV (Mesure, Rapportage et Vérification), lancé en janvier 2025 à Bamako, a pour objectif de mieux encadrer l’exploitation forestière et d’accroître la transparence sur la gestion des ressources naturelles. De plus, le Plan National Sécheresse 2021 – 2025 insiste sur la nécessité de réduire la dépendance au bois de chauffe en promouvant des alternatives énergétiques et en renforçant la gestion durable des forêts. Malgré un budget annuel de 4 milliards de francs CFA alloué au Fonds national pour la lutte contre la désertification, les résultats sont limités, dans la mesure où seulement 300 000 arbres ont été plantés sur les 600 000 hectares perdus chaque année. La Stratégie Énergie Domestique (SED) peine également à atteindre ses objectifs, avec moins de 15% des foyers utilisant des foyers améliorés, bien que ces derniers permettent une réduction de la consommation de bois de 50%.

Des alternatives sous exploitées

Certes des alternatives existent, mais restent largement sous-exploitées. Le gaz butane, malgré une promotion active, n’est utilisé que par 24% des ménages urbains et moins de 5% des foyers en zone rurale, son coût prohibitif freinant son adoption. Une bouteille de 6 kg coûte aujourd’hui plus de 5 000 francs CFA, un prix inaccessible pour de nombreuses familles. Les fours solaires et les briquettes écologiques, qui pourraient réduire la pression sur les forêts, restent marginalement adoptés, seuls 2% des ménages y ayant accès en raison du manque d’infrastructures et de sensibilisation. Le charbon écologique et les bio-digesteurs offrent des solutions viables pour réduire la dépendance au bois traditionnel, mais leur développement est limité par le manque d’investissements et d’incitations financières adaptées. La dépendance au bois de chauffe s’explique aussi par des habitudes de cuisson bien ancrées et une méfiance envers certaines alternatives jugées peu efficaces ou difficiles à utiliser. L’un des enjeux majeurs est donc d’accompagner les populations dans cette transition énergétique en assurant un accès facilité aux technologies avec une sensibilisation adaptée aux réalités locales.

Les projections sont alarmantes. Si aucune action concrète n’est prise rapidement, les forêts maliennes pourraient être réduites de moitié d’ici 2040. Cela entraînerait un exode rural accru, une perte de biodiversité irréversible et une dépendance encore plus grande aux énergies fossiles importées. La désertification accélérée menace également les productions agricoles, aggravant l’insécurité alimentaire et forçant de nombreux agriculteurs à abandonner leurs terres. Les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles, déjà perceptibles dans certaines régions, pourraient s’intensifier à mesure que les forêts se raréfient. Une gestion plus efficace et transparente des ressources forestières est nécessaire, ce qui implique un renforcement des contrôles sur l’exploitation du bois et une application stricte des sanctions contre les exploitants illégaux.

Selon Oumar Coulibaly, « nous devons investir massivement dans le reboisement, accélérer la transition énergétique et imposer des contrôles plus stricts sur l’exploitation du bois. Sinon nous allons droit dans le mur ». Il plaide aussi pour un renforcement des sanctions contre les exploitants illégaux et pour une redistribution plus équitable des revenus issus de l’exploitation forestière. En parallèle, il appelle à une implication plus forte des populations locales dans la gestion des forêts, car, selon lui, « toute solution durable doit être portée par ceux qui vivent au quotidien avec ces ressources ».

L’urgence est donc réelle. Une refonte des politiques publiques est indispensable, avec une meilleure redistribution des fonds et une implication plus grande des communautés locales. Seule une action concertée associant tous les acteurs permettra d’enrayer cette crise avant qu’elle ne devienne totalement incontrôlable. Le temps presse et l’avenir des forêts maliennes est en jeu. D’où la nécessité de s’investir davantage pour ne pas compromettre durablement le futur des générations à venir.

Massiré Diop

Les déplacements climatiques sont aussi une crise sanitaire

 Chaque année, 21,5 millions de personnes sont déplacées de force en raison d’inondations, de sécheresses, d’incendies et de tempêtes. Ce chiffre devrait augmenter de façon spectaculaire au cours des prochaines décennies, puisque 1,2 milliard de personnes devraient être contraintes de quitter leur foyer d’ici à 2050. La crise climatique en cours n’est pas seulement une catastrophe humanitaire, mais aussi une urgence sanitaire mondiale.

 

Les déplacements climatiques constituent une menace directe et indirecte pour la santé publique. En perturbant les services de soins, ils privent les communautés touchées de l’accès aux médecins, aux hôpitaux et aux pharmacies. Les migrations induites par le climat exacerbent également la pauvreté, la surpopulation et l’instabilité sociale. La production alimentaire est souvent gravement affectée, tandis que les conditions de vie insalubres favorisent la propagation des maladies infectieuses.

 

Alors que la crise climatique menace de faire dérailler les efforts mondiaux pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies, la santé et le bien-être de centaines de millions de personnes dans les pays en développement sont menacés. Les pays à revenu élevé ne sont pas épargnés : aux États-Unis, 3,2 millions d’adultes ont été déplacés ou évacués en raison de catastrophes naturelles au cours de la seule année 2022.

 

Les entreprises pharmaceutiques doivent jouer un rôle central dans le renforcement de la résilience de la santé mondiale. Leur participation est particulièrement importante dans les zones de conflit qui se trouvent en première ligne de la crise des déplacements climatiques, où les médicaments et les vaccins vitaux font souvent défaut.

 

L’industrie pharmaceutique a fait des progrès dans la réduction des émissions de dioxyde de carbone et l’adoption de pratiques plus durables, mais ses efforts sont loin d’atténuer les perturbations des chaînes d’approvisionnement liées au climat. Ces vulnérabilités ont été mises en évidence en 2017, lorsque l’ouragan Maria a dévasté le secteur de la fabrication de médicaments de Porto Rico, qui représentait alors près de 10 % de tous les médicaments consommés aux États-Unis.

 

Certaines entreprises pharmaceutiques, comme Novartis et Novo Nordisk, ont lancé des programmes ciblés pour aider les populations déplacées par des événements météorologiques extrêmes, tandis que d’autres ont fait des dons en espèces ou en fournitures en réponse à des catastrophes naturelles. La demande pour ces dons a augmenté avec l’accroissement des besoins climatiques et humanitaires. Hikma, un fabricant de médicaments génériques fondé en Jordanie, a déclaré  4 millions de dollars de dons en 2020, et  4,9 millions de dollars en 2023, principalement pour répondre aux besoins de la région environnante.

 

Aucune entreprise n’a élaboré de stratégie globale pour garantir aux communautés déplacées un accès durable aux produits de santé. Une approche plus globale est nécessaire. Face à la crise actuelle des déplacements climatiques, les entreprises pharmaceutiques devraient adopter une stratégie à quatre volets pour renforcer les systèmes de soins de santé. Tout d’abord, elles pourraient aider à fournir des médicaments aux communautés vulnérables dans les zones reculées en réorganisant leurs chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agisse de redondance dans les réseaux d’expédition ou de refonte des produits pour qu’ils soient plus stables dans les climats chauds, où la réfrigération n’est pas toujours possible. En outre, ils devraient inclure des systèmes robustes pour la distribution à grande échelle de médicaments génériques, qui sont souvent les outils les plus efficaces pour gérer les épidémies.

 

Deuxièmement, les entreprises pharmaceutiques doivent investir dans la recherche et le développement afin de créer des vaccins, des diagnostics et des traitements qui ciblent les maladies sensibles au climat. La hausse des températures mondiales accélère la propagation des maladies transmises par les moustiques, comme la dengue, le paludisme et le virus Zika, ainsi que des maladies transmises par l’eau, comme le choléra et la shigella, ce qui expose les populations déplacées à un risque encore plus grand.

 

Pourtant, malgré le besoin d’innovation, l’indice 2024 d’accès aux médicaments – qui évalue les efforts des entreprises pharmaceutiques pour améliorer l’accès aux médicaments essentiels dans les pays en développement – montre que le pipeline de R&D pour les pathogènes émergents et les maladies tropicales négligées est en train de se tarir. Ce problème est aggravé par le manque de recherche de nouveaux antibiotiques pour lutter contre la menace croissante de la résistance aux antimicrobiens, exacerbée par les conditions météorologiques extrêmes et le manque d’hygiène.

 

Troisièmement, les entreprises pharmaceutiques devraient établir des partenariats à long terme avec des organisations humanitaires axées sur les déplacements climatiques. Les collaborations public-privé se sont également avérées efficaces pour renforcer la résilience sanitaire. Depuis 2010, par exemple, les principaux fabricants de vaccins comme GSK et Pfizer ont fourni à Gavi, l’Alliance du vaccin, des milliards de doses de vaccins. Ils ont ainsi protégé les populations vulnérables dans certains des pays aux ressources les plus limitées du monde.

 

Enfin, les entreprises pharmaceutiques doivent redoubler d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’ensemble de leurs chaînes de valeur. Bien que l’impact des produits pharmaceutiques sur le climat fasse l’objet de moins d’attention que celui des industries manufacturières traditionnelles, le secteur émet plus de CO₂ par million de dollars de chiffre d’affaires que l’industrie automobile.

 

Le soutien actif et l’engagement des actionnaires, des employés et des autres parties prenantes sont essentiels. Les investisseurs, en particulier, doivent encourager les entreprises à aligner leurs pratiques commerciales sur les objectifs mondiaux en matière de santé et de climat. Il ne s’agit pas seulement d’un choix éthique, mais aussi d’un choix qui promet d’importants avantages financiers et de réputation à long terme.

 

Le déplacement climatique n’est pas une menace lointaine ou hypothétique ; il s’agit d’une urgence sanitaire qui s’aggrave rapidement. L’industrie pharmaceutique a la responsabilité morale d’agir. Pour le faire efficacement, les entreprises doivent prendre de l’avance et fournir des traitements vitaux à ceux qui sont en première ligne de la crise climatique.

 

Jayasree K. Iyer est directeur général de la Access to Medicine Foundation.

 

Project Syndicate, 2025.
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La Fed a peur de Trump

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche, et les technocrates courent se mettre à l’abri. Trump a clairement exprimé son désir de démanteler « l’État profond« , qu’il décrit comme un réseau obscur de bureaucrates qui « utilisent » le « pouvoir de l’État » pour « persécuter les opposants politiques » et contrecarrer leurs programmes.

 

Mais les fonctionnaires, administrateurs et décideurs professionnels que Trump s’apprête à cibler jouent un rôle essentiel au sein du gouvernement, notamment en conseillant les dirigeants, quelles que soient leurs tendances politiques, sur la manière dont ils peuvent atteindre leurs objectifs de manière légale et constitutionnelle. Ces fonctionnaires doivent rester à leur place.

 

La Réserve fédérale est peut-être l’acteur économique indépendant le plus important aux États-Unis, étant donné l’étendue de ses responsabilités monétaires et de supervision et l’importance mondiale du dollar américain. Malheureusement, au lieu de se préparer à défendre ses positions et ses prérogatives, elle a cédé par anticipation à Donald Trump : le 17 janvier, trois jours avant l’investiture de Trump, le conseil d’administration de la Fed s’est retiré du Réseau pour l’écologisation du système financier (Network for Greening the Financial System – NGFS).

 

Le NGFS réunit les banques centrales et les autorités de surveillance afin d’améliorer la gestion des risques environnementaux et climatiques dans le secteur financier. La participation au groupe revient à reconnaître l’importance de la compréhension des risques climatiques, ainsi qu’à admettre implicitement que ces risques relèvent du mandat des banques centrales, car ils menacent la stabilité économique et financière.

 

Il ne s’agit pas d’une position radicale. Toutes les grandes banques centrales sont représentées parmi les 143 membres du NGFS : la Banque d’Angleterre (BOE), la Banque de France, la Banque du Japon, la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque populaire de Chine (PBOC). Jusqu’au retrait de la Fed, le NGFS couvrait 100 % des banques systémiques mondiales et 80 % des groupes d’assurance actifs au niveau international. Mais la Fed a maintenant rompu avec ses pairs et s’est dirigée vers la sortie, arguant que le champ d’application du NGFS dépassait son mandat.

 

L’idée selon laquelle les banques centrales ne devraient pas tenir compte des risques climatiques croissants est tout simplement erronée. La stabilité économique et financière dépend de la stabilité des écosystèmes et du climat. Alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ont atteint des niveaux record et les températures mondiales sont en passe de dépasser largement 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’impact du changement climatique est déjà visible : tempêtes, inondations, sécheresses et incendies de forêt plus fréquents et plus intenses.

 

Bien que les estimations des coûts économiques et financiers précis varient, le tableau d’ensemble donne à réfléchir. L’Institute and Faculty of Actuaries prévoit que le changement climatique entraînera une contraction de 50 % du PIB mondial entre 2070 et 2090. Vous préférez une estimation plus basse ? Swiss Re prévoit des pertes de PIB de 18 % d’ici à 2050, si aucune mesure n’est prise.

 

Quelles que soient les prévisions retenues, il ne fait aucun doute que les coûts du changement climatique augmentent, mais pas à un rythme régulier. Au contraire, les coûts augmentent progressivement, puis brusquement, sous l’effet des catastrophes liées au climat. Coïncidence sombre mais révélatrice, le retrait de la Fed du NGFS intervient au moment où la Californie en fait l’expérience directe, alors que les incendies de forêt réduisent en cendres des milliers habitations, d’entreprises et d’écosystèmes.

 

Les risques microprudentiels sont évidents. Les structures incendiées étaient pour la plupart hypothéquées. Or, il est peu probable que l’assurance couvre l’intégralité du coût de la reconstruction, même pour ceux qui sont couverts, et de nombreux propriétaires étaient sous-assurés ou non assurés, précisément parce que l’augmentation des risques due aux catastrophes climatiques a fait grimper les primes et poussé certains assureurs à refuser d’offrir une couverture. Si les propriétés détruites ne sont pas reconstruites, les hypothèques correspondantes ne seront pas remboursées et les banques locales et nationales qui ont accordé les prêts subiront de lourdes pertes.

 

Ce constat ne peut être considéré comme du politiquement correct écolo. Au contraire, compte tenu de son potentiel de déstabilisation du système financier, il mérite clairement l’attention des banquiers centraux. C’est pourquoi la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne soumettent les entreprises qu’elles supervisent, les banques et les compagnies d’assurance, à des tests de résistance au risque climatique, et qu’elles imposent des normes en matière de divulgation d’informations sur le climat, de méthodologies, de processus et de gouvernance. La PBOC, pour sa part, intègre le changement climatique dans la réglementation et la surveillance financières, et elle élabore des règles de prêt écologiques.

 

La Fed, la banque centrale la plus importante au monde, a cependant d’autres projets. En se retirant du NGFS et en tournant le dos aux scénarios et analyses des risques climatiques, elle a signalé qu’elle avait l’intention de fermer les yeux et se boucher les oreilles face aux dangers de la crise climatique. Cela augmente la probabilité de futures défaillances systémiques, car les fonctionnaires de la Fed sont moins susceptibles de détecter les risques qui se matérialisent sous les yeux, que ce soit en Californie, en Louisiane, en Floride ou au Texas.

 

Les dirigeants de la Fed insistent constamment sur l’importance de la « dépendance à l’égard des données« . Pourtant, la banque centrale a décidé d’ignorer une énorme masse de données, en rapide croissance, qui  montre que les risques climatiques sont des risques économiques. Et cela, afin d’apaiser un président qui ne sait peut-être même pas que le NGFS existe. Le conseil d’administration de la Fed aurait pu maintenir son adhésion au NGFS et attendre son heure. Il n’y avait aucune raison de sauter avant d’être poussé.

 

Mais la Fed a peur. Le fait de se retirer du NGFS suggère que son processus décisionnel sera, au moins en partie, le reflet de pressions politiques et non d’une analyse indépendante fondée sur des données. Cela n’augure rien de bon pour les quatre prochaines années – et au-delà.

 

Stuart P.M. Mackintosh est directeur exécutif du Groupe des Trente.

 

Project Syndicate, 2025.
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Retombées du Mining Indaba 2025 : Vers une souveraineté minière africaine plus affirmée

L’Afrique cherche à renforcer son contrôle sur ses ressources minières. C’est ce qui ressort de la 31ème édition du Mining Indaba 2025, tenue récemment en Afrique du Sud. Au cours de ce grand rendez-vous du secteur minier africain, plusieurs gouvernements ont exprimé leur volonté de renforcer leur souveraineté minière face aux multinationales. Des débats ont mis en avant la nécessité d’une régulation plus stricte pour lutter contre l’évasion fiscale et d’encourager la transformation locale des minerais afin d’augmenter la valeur ajoutée pour le continent.

Plusieurs pays africains ajustent leurs cadres réglementaires afin d’augmenter la participation de l’État dans l’exploitation minière et de garantir une redistribution plus équitable des revenus. Une analyse récente estime que près de 70% des recettes minières du continent continuent d’échapper aux pays producteurs en raison d’exonérations fiscales excessives et de pratiques de sous-évaluation.

Le Mali est en première ligne de cette dynamique. Face à un manque à gagner fiscal estimé à 230 millions de dollars en 2024, le gouvernement a adopté des mesures strictes à l’encontre de plusieurs sociétés minières. Le litige avec Barrick Gold, marqué par la rétention de trois tonnes d’or destinées à l’exportation et des accusations de violations contractuelles, illustre cette volonté d’assurer le respect des engagements fiscaux. En décembre 2024, des mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre des responsables de Barrick pour blanchiment d’argent, tandis que plusieurs cadres ont été arrêtés en novembre.

Contrebande et évasion fiscale : un manque à gagner colossal

Un rapport de Swissaid publié en 2024 a révélé que près de 435 tonnes d’or, d’une valeur estimée à 31 milliards de dollars, ont quitté illégalement le continent en 2022. En 2023, le Mali, le Soudan et la RDC auraient vu plus de 50 tonnes d’or exportées illicitement vers des marchés comme les Émirats arabes unis et la Suisse. Pour y répondre, certains pays africains envisagent un renforcement des capacités de surveillance et de contrôle, ainsi qu’une régulation accrue du commerce de l’or artisanal. Des propositions ont été formulées pour harmoniser les politiques minières et douanières à l’échelle régionale.

Par ailleurs, les experts du secteur insistent sur l’importance de la transformation locale des minerais. Actuellement, plus de 80% des exportations minières africaines se font à l’état brut, limitant ainsi les retombées économiques et la création d’emplois. Le développement d’infrastructures de raffinage et de transformation est essentiel pour réduire la dépendance aux marchés étrangers et assurer des bénéfices plus conséquents aux économies locales.

Ces stratégies visent à permettre aux pays africains de garantir que l’exploitation minière serve avant tout leurs intérêts économiques et sociaux.

Massiré Diop

Télécommunications : Les taxes de trop ?

Le gouvernement de transition a adopté par ordonnance, lors du Conseil des ministres du 5 février 2025, un projet de texte instituant de nouvelles taxes sur les services téléphoniques. Selon les autorités, les recettes issues de ces nouvelles taxes sont destinées à financer des initiatives publiques visant à améliorer les conditions de vie des populations. Cependant, elles sont décriées par une partie des Maliens.

Le projet de texte adopté porte sur la création, l’organisation et les modalités de gestion du Fonds de soutien aux projets d’infrastructures de base et de développement social. Ce fonds sera alimenté exclusivement par un prélèvement spécifique sur la consommation des services commerciaux de communications téléphoniques et les opérations de retrait dans le cadre des transferts d’argent via le mobile money.

Désormais, un taux de 10% sera prélevé sur les recharges téléphoniques et un autre de 1% sur les retraits d’argent via le mobile money. En clair, pour chaque recharge de 1 000 francs CFA, seulement 900 francs seront désormais crédités sur le compte de l’utilisateur, 100 francs étant prélevés par l’État. Quant aux transactions via mobile money, le retrait de 10 000 francs coûtera désormais 200 francs au lieu de 100 francs, avec 100 francs prélevés par l’État.

Des taxes qui divisent

Ces taxes, qui touchent directement les consommateurs, ont suscité de nombreuses réactions au sein de la population. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le Président du Forum des organisations de la société civile, Alou Badra Sacko, appelle le gouvernement à revoir sa décision, estimant qu’elle est injustifiée pour des Maliens déjà confrontés à de nombreuses difficultés.

« Ce n’est pas normal qu’on impose de nouvelles taxes au peuple alors que le budget de la Présidence ne cesse d’augmenter. De 12 milliards en 2022, ce budget a atteint 17,7 milliards en 2025 », fustige-t-il, remettant également en question la gestion des revenus issus de l’exploitation des mines, notamment du lithium, censés renflouer les caisses de l’État.

Un avis similaire est partagé par l’analyste politique Ousmane Bamba, qui estime que c’est une mauvaise décision de toucher aux recharges téléphoniques et au mobile banking, qui est « l’argent des pauvres ». « Cette mesure affecte directement le panier de la ménagère. Il aurait d’abord fallu qu’au plus haut sommet on donne l’exemple. Il y a des poches qu’on aurait pu serrer avant de s’attaquer au panier de la ménagère », dénonce le modérateur du « Forum du Kénédougou ».

Pour sa part, Sory Ibrahima Traoré, Président du Front pour l’Émergence et le renouveau du Mali (FER – Mali), affirme adhérer « pleinement » aux nouvelles taxes envisagées, « qui visent à compenser le vide créé par la crise profonde avec nos partenaires ». « À mon avis, le gouvernement a déjà perdu trop de temps avant de mettre en place les conditions nécessaires pour augmenter la contribution de chaque Malienne et chaque Malien », avance-t-il, soutenant qu’il est impératif que ces mesures soient accompagnées d’une réduction drastique du train de vie de l’État.

Cheick Oumar Diallo, Président du Mouvement Nouvel Horizon – Faso Jo Sira, partage le même avis. Pour lui, l’imposition de ces nouvelles taxes est une décision difficile, mais un choix courageux qui pourrait réduire le déficit public. « Cette mesure fiscale ne devrait pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais comme une contribution au développement national », affirme-t-il.

Faire face à la crise énergétique

Face aux différentes réactions suscitées par l’adoption du projet de texte instituant de nouvelles taxes sur les services téléphoniques, le Premier ministre et le ministre de l’Économie et des Finances ont tenu un point de presse, le 10 février 2025, à la Primature pour fournir des explications.

Selon eux, avant de prendre la décision d’instituer ces nouvelles taxes, le gouvernement a consulté la société civile et au moins sept associations de consommateurs, qui ont donné leur aval. Ces nouvelles taxes sur les recharges téléphoniques et les transactions via mobile money devraient générer environ 140 milliards de francs CFA par an pour l’État, qui les investira dans le secteur énergétique, confronté à une crise sans précédent depuis deux ans.

« Le but du Fonds de soutien aux projets d’infrastructures de base et de développement social est de faire en sorte que des projets urgents puissent être traités avec célérité. Nous savons qu’aujourd’hui, si l’on doit parler d’urgence, c’est surtout la crise énergétique. Avec ces taxes, nous pouvons trouver une solution sans augmenter le prix du courant pour les Maliens », a souligné le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga.

En outre, l’État a également besoin de recettes supplémentaires pour gérer ses différentes dépenses, a expliqué le ministre de l’Économie et des Finances, Alousseini Sanou. « En 2020, le total de la masse salariale au Mali était de 690 milliards de francs CFA. Aujourd’hui, nous sommes à 1 100 milliards de masse salariale, compte tenu des recrutements dans le cadre de la lutte contre l’insécurité et des augmentations de salaires pour apaiser le climat social », a-t-il confié.

Vers une hausse des tarifs de communication ?

En plus des nouvelles taxes qui touchent directement les consommateurs, le Conseil des ministres a également adopté un projet d’ordonnance modifiant le Code général des Impôts et portant à 7% le taux de la Taxe sur l’Accès au Réseau des Télécommunications ouvert au public (TARTOP), payée par les opérateurs de téléphonie mobile.

Selon le gouvernement, l’essor prodigieux du secteur des télécommunications au cours des 20 dernières années, grâce à l’utilisation généralisée des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, devrait entraîner une hausse substantielle des contributions fiscales des opérateurs de téléphonie mobile.

« Nous avons estimé qu’en augmentant le taux de TARTOP de 2% nous n’allons nullement impacter l’équilibre financier de ces entreprises, qui ont eu suffisamment de temps pour s’ajuster », justifie le ministre de l’Économie et des Finances.

À l’en croire, avant de prendre cette décision, le gouvernement a échangé avec les opérateurs de téléphonie mobile, qui ont compris le bien-fondé de la mesure gouvernementale et n’y ont pas trouvé d’inconvénients.

Cependant, cette augmentation de la TARTOP n’aura-t-elle pas des répercussions sur le coût des services des opérateurs de téléphonie mobile ? Nos tentatives auprès des deux principaux opérateurs du pays pour répondre à cette interrogation n’ont pas abouti. D’ailleurs, ils n’ont pas réagi officiellement depuis l’annonce des mesures du gouvernement.

Selon l’avis d’un spécialiste en télécommunication ayant requis l’anonymat, cette augmentation de la TARTOP aura, d’une manière ou d’une autre, une incidence sur les tarifs de communication. « Les 2% de plus que ces opérateurs de téléphonie mobile vont payer à l’État, ils vont le récupérer auprès des consommateurs. Officiellement, il n’y aura pas d’augmentation des tarifs, mais la durée des crédits de communication ou des données mobiles, par exemple, pourrait être impactée », glisse notre interlocuteur.

200 milliards de recettes annuelles

Le gouvernement a également adopté un projet d’ordonnance portant institution de la Contribution spéciale de solidarité (CSS) et d’une taxe spéciale sur la consommation de certains biens et services. Selon les explications du ministre de l’Économie et des Finances, cette taxe est inspirée de la CGS (Contribution générale de solidarité) mise en place pour la première fois en 2018 et constituée de 0,5% du chiffre d’affaires de toutes les entreprises installées au Mali. Quant à la taxe spéciale sur la consommation de certains biens et services, elle concerne uniquement les boissons alcoolisées, qu’elles soient produites localement ou importées.

L’ensemble des recettes annuelles attendues à partir de ces différentes taxes (sans la CSS payée par les entreprises) est estimé à environ 214 milliards de francs CFA, selon le Premier ministre : 140 milliards pour les taxes sur les recharges téléphoniques et les transferts via mobile money, 62 milliards pour la taxe sur les boissons alcoolisées et 12 milliards pour la hausse de la TARTOP.

Mohamed Kenouvi

L’Afrique a elle aussi besoin de sécurité minérale

 Du 3 au 6 février, dirigeants politiques et acteurs industriels se réuniront dans la ville du Cap à l’occasion de la conférence annuelle Mining Indaba relative à l’investissement dans l’exploitation minière en Afrique. Au sommet des priorités de cet événement figureront les réserves africaines de minerais critiques, et la manière dont le continent peut tirer parti du rôle que jouent ces matières premières dans l’économie mondiale.

 

Depuis de nombreuses années, l’Afrique est l’un des principaux fournisseurs de matières premières au monde, ce qui en fait un élément central de la diplomatie des ressources naturelles ainsi que de la compétition géopolitique. En 2024, l’Union européenne a adopté la loi sur les matières premières critiques, qui vise à garantir un meilleur accès de l’Europe aux ressources du continent africain, en échange d’un rôle plus important de celui-ci dans le traitement local des matières premières, et d’une trajectoire de développement alignée sur un certain nombre de feuilles de route politiques telles que la Vision minière pour l’Afrique.

 

Une question sera néanmoins sur toutes les lèvres dans les couloirs de l’International Convention Centre du Cap : Pour qui ces ressources sont-elles essentielles ? Dans le contexte des matières et des minéraux, le terme « critique » est souvent associé à la transition énergétique. En réalité, un minéral est considéré comme critique pour deux principales raisons, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la promotion des énergies renouvelables : il revêt une importance économique dans la mesure où ce minéral est difficilement remplaçable, et des risques de perturbation existent quant à son approvisionnement.

 

Ces deux critères dépendent du point de vue de chacun : Quels sont les États pour lesquels ces minéraux présentent une importance économique, et quels sont ceux dont les chaînes d’approvisionnement sont exposées à des risques ? L’UE dispose d’ores et déjà de solides chaînes d’approvisionnement concernant la plupart des minéraux, et c’est pourquoi elle adopte une approche très sélective en la matière. Outre les minéraux essentiels à la transition énergétique tels que le lithium et le cobalt, sa liste de matières premières critiques inclut le béryllium (utilisé dans les systèmes de guidage des missiles), le tantale (utilisé dans les condensateurs et l’électronique), et même certaines matières premières en contradiction directe avec la transition énergétique, telles que le charbon métallurgique.

 

Supposons toutefois que nous posions la question différemment : Quels sont les besoins de l’Afrique sur le plan de sa sécurité minérale ? Du point des pays du Sud et des populations les plus pauvres de la planète, une liste des matières premières essentielles serait tout à fait différente. Elle inclurait des minéraux essentiels à la sécurité humaine – ciment pour les logements et les infrastructures, engrais pour l’agriculture, sel pour la nutrition et la conservation des aliments, chlore pour la purification de l’eau et fluorine pour sa fluoration.

 

Observée sous cet angle, la sécurité minérale est moins une question de sécurité nationale et d’augmentation des bénéfices d’extraction qu’une question d’accès, d’abordabilité et de satisfaction des besoins de tous. De la même manière que la sécurité alimentaire correspond à une nutrition universelle, la sécurité minérale doit répondre à des besoins universels – logement, mobilité, communication, énergie et subsistance.

 

La création de chaînes de valeur locales adaptées aux besoins de l’Afrique sera vitale pour la sécurité minérale du continent. À titre d’exemple, l’Afrique produit 30 millions de tonnes d’engrais minéraux par an, mais elle en exporte la majeure partie, ce qui couvre seulement 3 à 4 % de la consommation mondiale – une conséquence du niveau élevé des coûts ainsi que de la complexité des chaînes d’approvisionnement. Les roches concassées constituent une source alternative prometteuse d’éléments nutritifs pour les cultures, et présentent l’avantage supplémentaire de piéger le dioxyde de carbone. Au Brésil, le mouvement Rochagem a été le premier à utiliser des roches locales, ce qui a permis de réduire les coûts de 80 %, tout en produisant des rendements égaux ou supérieurs à ceux obtenus avec des engrais conventionnels.

 

De même, l’Afrique consomme seulement 5 % de la production mondiale de ciment alors qu’elle abrite 18 % de la population mondiale. Le coût élevé du ciment clinker importé entrave son développement économique, fragilise ses infrastructures de logement et de transport, ralentit ses efforts de rétablissement à l’issue de catastrophes naturelles, et limite la capacité des pays africains à protéger leur littoral contre les effets du changement climatique. Plusieurs alternatives telles que le ciment d’argile calciné au calcaire (LC3) peuvent être produites localement à partir d’abondantes ressources d’argile, pour des coûts jusqu’à 25 % inférieurs et une empreinte carbone inférieure de 40 %.

 

Un accès abordable aux produits à base de minéraux intégrés au niveau mondial, tels que les panneaux solaires et les batteries, demeure particulièrement difficile à atteindre. À titre d’illustration, alors que la République démocratique du Congo produit 72 % du cobalt mondial, un élément clé des batteries lithium-ion, l’Afrique devrait représenter seulement 0,1 % du marché mondial d’ici 2030.

 

Ce problème ne se limite pas à l’Afrique. Entre 2002 et 2022, des pays d’Amérique latine comme le Chili, l’Argentine et la Bolivie ont exporté 1 980 kilotonnes de lithium, dont seulement 13 kilotonnes (moins de 1 %) ont regagné la région sous forme de produits finis.

 

Plusieurs approches innovantes, telles que les systèmes de « matériaux en tant que service », qui encouragent la location plutôt que la vente de matières premières, pourraient contribuer à combler ces écarts en permettant aux pays producteurs de minerais de percevoir des redevances à chaque étape du traitement et de la production. En s’inspirant de cette approche, les dirigeants politiques pourraient également exiger des fabricants de produits finis qu’ils les revendent à des prix abordables.

 

Pour que de tels programmes puissent être mis en œuvre, le soutien des économies développées, notamment européennes, sera indispensable. Coopération et assistance techniques seront particulièrement importantes pour promouvoir une sécurité minérale centrée sur l’être humain, dans la mesure où le secteur des minéraux a perçu un peu moins de 600 millions $ sur les 239 milliards $ consacrés à l’aide publique au développement à travers le monde en 2021.

 

Pour garantir un accès durable aux matières premières essentielles, l’UE ne doit pas se contenter d’offrir aux pays africains un rôle plus important dans le traitement de minerais qui seront en fin de compte exportés. Elle doit davantage contribuer à la création d’un modèle de sécurité minérale plus équitable, qui place l’accent sur l’accessibilité financière et l’autosuffisance, permettant ainsi à l’Afrique de répondre à ses propres besoins en matière de développement.

 

Daniel M. Franks est professeur à l’Université du Queensland, et directeur du Global Centre for Mineral Security au sein du Sustainable Minerals Institute. Rüya Perincek, chercheuse en politiques publiques à la Willy Brandt School of Public Policy de l’Université d’Erfurt, est membre principale adjointe au Global Centre for Mineral Security.

 

Project Syndicate, 2025.
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Championnat national de basket-ball : Coup d’envoi de la nouvelle saison

Après le double sacre du Stade Malien de Bamako en Supercoupe du Mali, tant chez les Hommes que chez les Dames, le 24 janvier 2025, le championnat national de basketball pour la saison 2024 – 2025 a démarré le 30 janvier. Au total, huit rencontres ont été disputées lors de cette journée inaugurale.

Les deux affiches phares de cette première journée, opposant le Stade Malien à l’AS Real, ont tourné à l’avantage des Stadistes sur les deux tableaux. Chez les Messieurs, les Blancs de Bamako se sont largement imposés (78 – 38). Les protégés du technicien Boubacar Kanouté ont plié le match dès la première mi-temps, avec une avance de 19 points (38 – 19) avant de prendre également le dessus lors du troisième quart-temps, portés par Gaoussou Fofana, auteur de 11 points et meilleur marqueur de la rencontre.

Les Dames de l’AS Real de Bamako n’ont pas réussi à prendre la revanche pour leurs homologues masculins. Elles se sont également inclinées devant les Dames du Stade Malien, même si elles ont fait légèrement mieux que les hommes en termes d’écart au score (82 – 67).

Autres résultats

Dans les autres rencontres, dans le tableau masculin l’AS Police s’est imposée devant le promu Faso Kanu (65 – 53). Pour leur grande première dans l’élite, les joueurs de Faso Kanu se sont logiquement inclinés face à des Policiers plus expérimentés.

En revanche, la tâche n’a pas été facile pour le CRB de Tombouctou face à la deuxième équipe promue cette saison chez les Messieurs. Le Centre Mamoutou Kane de Kalanbacoro a longtemps tenu tête aux Tombouctiens avant de s’incliner sur le fil (62 – 61).

L’autre affiche de cette première journée, entre deux habitués du championnat, l’USFAS et l’Attar Club de Kidal, a tourné à l’avantage des Militaires, qui ont largement dominé les Kidalois (71 – 53).

Chez les Dames, l’AS Police a pris le dessus sur l’AS Commune V (74 – 55). Les Policières ont été nettement supérieures aux joueuses de la Commune V, en manque de rythme. Kalaban Sport Club est également venu à bout du CRB de Tombouctou (57 – 39), alors que le Djoliba AC a perdu sur tapis vert, car les Rouges de Bamako, en se présentant sur le parquet du Palais des Sports, n’étaient pas en possession de leurs licences.

Mohamed Kenouvi

Élections : Où en est la mise à jour du fichier électoral ?

Débutée le 1er octobre 2024, la révision annuelle des listes électorales, qui devait s’achever le 31 décembre dernier, a été prorogée jusqu’au 28 février 2025. À trois semaines de la clôture du processus, comment se présente le fichier électoral ?

Les chiffres actualisés des opérations ne seront disponibles qu’à la fin des opérations de révision, selon nos informations auprès du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Mais, selon le point d’étape en date du 30 novembre 2024 que nous avons consulté auprès du ministère, le fichier électoral comportait à cette date 8 472 439 électeurs inscrits, 4 398 633 hommes et 4 073 806 femmes. Au total, 7 899 155 électeurs ont été inscrits à l’intérieur du pays et 573 284 ont été recensés à l’extérieur, dans les missions diplomatiques et consulaires.

58 906 validations (34 373 hommes et 24 533 femmes) ont été enregistrées sur l’ensemble du territoire national, dont 25 407 à Bamako, 7 435 à Koulikoro, 5 441 à Ménaka, 3 577 à Ségou, 3 506 à Sikasso et 2 311 à Kayes, entre autres.

Quant aux transferts d’électeurs, 56 283 ont été enregistrés à l’échelle nationale (32 051 hommes et 24 232 femmes). La région de Gao a enregistré le plus grand nombre de cas, avec 10 098 électeurs transférés. Elle est suivie de la région de Ménaka (9 420), du District de Bamako (5 846) et de la région de Koulikoro (4 062).

La révision annuelle des listes électorales en cours a aussi jusqu’à présent enregistré 37 833 radiations d’électeurs du fichier électoral, 22 511 hommes et 15 322 femmes. La région de Ségou totalise le plus grand nombre de radiations avec 5 244 cas, suivie de Kayes où 3 642 cas de radiations ont été enregistrés, de Koulikoro (3 413), de Bougouni (3 101) et de Sikasso (3 050).

Faible engouement

Malgré la prorogation de la période de révision annuelle des listes électorales, les opérations suscitent peu d’engouement, selon nos constats, dans certaines mairies du District de Bamako. Pour y remédier, le ministère a pris certaines dispositions. « Nous sommes en train de mener différentes campagnes de sensibilisation à travers différents créneaux, que ce soit sur la chaîne nationale, les web TV, les radios de proximité, avec des messages dans toutes les langues nationales », assure Badara Aliou Keita, Sous-Directeur des Affaires politiques et du partenariat à la Direction générale de l’Administration du territoire.

Mohamed Kenouvi

Ségou’Art – Festival sur le Niger 2025 : Une 21ème édition sous le signe de la diversité culturelle

Du 4 au 9 février 2025, la « Cité des Balanzan » accueille la 21ème édition de Ségou’Art – Festival sur le Niger, un événement culturel majeur au Mali et en Afrique de l’Ouest. Sur le thème « Diversité culturelle, paix et unité », le festival vise à promouvoir la richesse artistique et la cohésion sociale à travers une programmation variée.

Créé en 2005, le Festival sur le Niger est une plateforme d’expression artistique couvrant musique, arts visuels, théâtre, danse, artisanat et conférences. Il attire chaque année des milliers de visiteurs locaux et internationaux, contribuant ainsi au rayonnement culturel de Ségou.

La musique reste l’un des points forts du festival. Cette année, des artistes renommés comme Tiken Jah Fakoly (Côte d’Ivoire), Sékouba Bambino (Guinée) et Alif Naaba (Burkina Faso) sont attendus pour animer des concerts géants, célébrant la diversité musicale africaine.

Le Salon d’art contemporain mettra en avant les jeunes talents maliens avec l’exposition « Bi Mali », qui offrira une perspective moderne sur la scène des arts plastiques du pays.

Introduite en 2024, la « Nuit du Pagne Tissé » revient pour célébrer les tissus locaux et le bogolan, symboles du textile malien. L’événement comprendra défilés de mode, expositions-ventes, ateliers et masterclasses, valorisant le savoir-faire des artisans. La « Ségou Hip Hop Night » offrira une scène aux artistes urbains du Mali et de la sous-région, confirmant l’essor du rap et du hip-hop africains. Autre moment fort, la « Caravane Culturelle pour la Diversité » visant à dévoiler la richesse culturelle du Mali et des pays partenaires à travers des rencontres communautaires, soirées de diversité culturelle, ateliers environnementaux et discussions sous la tente touarègue. Le concours « Talents de la Cité » rassemblera près de 300 jeunes artistes (De 18 à 35 ans) dans les domaines de la musique et des arts visuels, offrant une opportunité de visibilité aux créateurs émergents.

En parallèle, la Foire de Ségou (du 3 au 10 février) réunira 400 artisans et créateurs locaux et internationaux, offrant une vitrine à l’artisanat et aux produits agricoles. Cet événement attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs et favorise ainsi la promotion de l’économie locale.

Avec une programmation diversifiée et un fort accent sur la diversité culturelle, la paix et l’unité, les initiateurs promettent que la 21ème édition de Ségou’Art – Festival sur le Niger sera un moment de célébration et de partage qui renforcera les liens entre les cultures africaines et des autres continents.

MD

La crise de l’IA occidentale est une réalité

La sortie du grand modèle de langage chinois DeepSeek-R1, qui impressionne par ses capacités et son faible coût de développement, a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers, et conduit plusieurs observateurs à parler de « moment Spoutnik » dans le domaine de l’intelligence artificielle. Or, nous ne devrions pas être surpris par l’émergence d’un innovant modèle chinois capable de rivaliser avec ses équivalents américains. Il constitue tout simplement le résultat prévisible d’un échec politique américain et occidental majeur, dont l’industrie de l’IA porte elle-même une grande part de responsabilité.

 

Les capacités croissantes de la Chine en matière d’IA étaient bien connues de la communauté des chercheurs du domaine, comme du public adepte de cette technologie. Les entreprises et les chercheurs chinois spécialisés dans l’IA se sont en effet montrés remarquablement ouverts concernant leurs progrès, en publiant des articles, en permettant un libre accès à leurs logiciels, ainsi qu’en s’entretenant avec des chercheurs et journalistes américains. En juillet dernier, un article du New York Times titrait déjà : « La Chine comble le fossé qui la sépare des États-Unis en matière d’IA ».

 

Le fait que la Chine soit quasiment parvenue à égaler les États-Unis dans ce domaine s’explique par deux facteurs. Premièrement, Pékin applique une politique nationale agressive et cohérente en direction de l’autosuffisance et de la supériorité technique dans l’écosystème entier des technologies numériques, qu’il s’agisse des équipements de production de semiconducteurs ou des processeurs, matériels et modèles d’IA – aux fins d’applications tant commerciales que militaires. Deuxièmement, les politiques publiques et le comportement des industriels aux États-Unis (et dans l’UE) se caractérisent par un affligeant mélange d’autosatisfaction, d’incompétence et de cupidité.

 

Chacun doit comprendre une bonne fois pour toutes que le dirigeant chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine ne sont pas des amis de l’Occident, et que l’IA engendrera des transformations économiques et militaires aux conséquences incalculables. Compte tenu des enjeux, la préservation d’un leadership des économies démocratiques développées en matière d’IA justifie, pour ne pas dire impose, une immense mobilisation stratégique des secteurs public et privé, d’une ampleur comparable à celle du projet Manhattan, de l’OTAN, des divers efforts d’indépendance énergétique, ou encore des politiques sur les armes nucléaires. Or, l’Occident suit aujourd’hui précisément la direction opposée.

 

Aux États-Unis, la recherche publique et universitaire en matière d’IA accuse un retard par rapport à la Chine et au secteur privé. En raison de financements insuffisants, ni les agences gouvernementales ni les universités ne peuvent rivaliser avec les salaires et les installations informatiques que proposent des entreprises telles que Google, Meta, OpenAI ou leurs concurrentes chinoises. Par ailleurs, la politique américaine d’immigration à l’égard des étudiants diplômés et des chercheurs est à la fois contre-productive et insensée, puisqu’elle contraint de grands talents à quitter le pays une fois leurs études achevées.

 

Intervient également la politique américaine de réglementation de l’accès de la Chine aux technologies d’IA. Les contrôles à l’exportation sont apparus trop tardivement, et se révèlent inadaptés, insuffisamment pourvus en effectifs, et peu rigoureux dans leur exécution. L’accès de la Chine aux technologies d’IA américaines au travers d’accords de services et de licence demeure quasiment non réglementé, alors même que les technologies qui les sous-tendent, telles que les processeurs Nvidia, sont elles-mêmes soumises à des contrôles à l’exportation. Les États-Unis ont annoncé la mise en place de règles plus strictes en matière d’octroi de licences une semaine seulement avant que l’ancien président Joe Biden ne quitte ses fonctions.

 

Enfin, en matière d’IA, la politique américaine néglige la nécessité d’une R&D qui soit solidement soutenue, utilisée et, le cas échéant, réglementée au niveau du secteur privé, de l’État et de l’armée. Les États-Unis ne disposent toujours pas d’agence relative à l’IA ou aux technologies de l’information qui équivaille au département de l’Énergie, aux Instituts nationaux de santé, à la NASA, ou aux laboratoires nationaux qui conduisent (et contrôlent étroitement) la R&D américaine en matière d’armes nucléaires.

 

Cette situation résulte en partie de bureaucraties étatiques sclérosées à la fois dans l’Union européenne et aux États-Unis. Le secteur technologique de l’UE est en effet surréglementé, tandis que les départements américains de la Défense et du Commerce, entre autres agences, ont besoin d’être réformés.

 

Sur ce point, les critiques formulées par le secteur technologique à l’égard des gouvernements sont justifiées. Pour autant, l’industrie elle-même n’est pas irréprochable : avec le temps, les efforts de lobbying et les rotations fréquentes dans la nomination des cadres ont affaibli les capacités d’institutions publiques d’importance cruciale. Bon nombre des difficultés liées aux politiques américaines résultent de la résistance ou de la négligence du secteur technologique lui-même, qui à plusieurs égards majeurs est devenu son propre ennemi, ainsi que l’ennemi de la sécurité de l’Occident à long terme.

 

À titre d’illustration, l’entreprise néerlandaise ASML (qui fabrique des machines de lithographie de pointe utilisées dans la production de puces électroniques) et le fournisseur américain d’équipements pour semiconducteurs Applied Materials ont tous deux fait pression pour affaiblir les contrôles à l’exportation sur les équipements de production de semiconducteurs, ce qui a facilité les efforts fournis par la Chine pour supplanter TSMC, Nvidia et Intel. Pour ne pas ne retrouver dépassée, Nvidia a conçu des puces spéciales pour le marché chinois, aux performances tout juste inférieures au seuil fixé pour les restrictions à l’exportation ; ces puces ont ensuite été utilisées pour entraîner le modèle DeepSeek-R1. Au niveau des modèles d’IA, Meta et la société de capital-risque Andreessen Horowitz ont exercé un lobbying acharné pour empêcher toute restriction sur les produits en open source.

 

À tout le moins publiquement, la ligne de conduite de l’industrie a été la suivante : « Le gouvernement n’y comprend absolument rien, mais tout ira bien si vous nous laissez faire ». Seulement voilà, tout ne va pas bien. La Chine a quasiment rattrapé son retard sur les États-Unis, et devance d’ores et déjà l’Europe. Par ailleurs, le gouvernement américain n’est pas un cas désespéré, et il doit être mis à contribution. Historiquement, les travaux fédéraux et universitaires en matière de R&D n’ont rien à envier à ceux du secteur privé.

 

C’est bel et bien l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée (l’actuelle DARPA) qui est à l’origine d’Internet, de même que le World Wide Web est né des travaux de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Marc Andreessen, le cofondateur de Netscape, a créé le tout premier navigateur Web dans un centre d’informatique haute performance financé par le gouvernement fédéral, au sein d’une université publique. Pendant ce temps, le secteur privé nous dévoilait des services en ligne tels que CompuServe, Prodigy et AOL (America Online) – autant de jardins clos centralisés, fermés et mutuellement incompatibles, qui ont fort heureusement disparu lorsqu’Internet a été ouvert à une utilisation commerciale.

 

Les défis soulevés par la montée en puissance de la Chine en matière de R&D liée à l’IA nécessitent une sérieuse et puissante réponse. Là où les capacités de l’État font défaut, nous devons les renforcer, pas les détruire. Nous devons verser des salaires compétitifs aux fonctionnaires et aux universitaires, moderniser les infrastructures et les procédures technologiques aux États-Unis (et dans l’UE), créer de solides capacités publiques de R&D (notamment pour les applications militaires), renforcer la recherche universitaire, et mettre en œuvre des politiques rationnelles en matière d’immigration, de financement de la R&D liée à l’IA, de tests de sécurité, ainsi que de contrôle à l’exportation.

 

La seule difficulté politique réellement épineuse réside dans la question de l’ouverture, notamment l’octroi de licences en open source. Nous ne pouvons pas laisser le monde entier accéder à des modèles optimisés pour les attaques de drones tueurs, mais nous ne pouvons pas non plus estampiller « top secret » tous les modèles. Il nous faut établir un juste milieu pragmatique, potentiellement en nous appuyant sur les laboratoires nationaux de recherche en matière de défense, et en appliquant des contrôles à l’exportation soigneusement élaborés pour les cas intermédiaires. Par-dessus tout, l’industrie de l’IA doit comprendre que si nous ne travaillons pas ensemble, nous échouerons chacun de notre côté.

 

Charles Ferguson, investisseur technologique et analyste politique, est le réalisateur du documentaire oscarisé Inside Job.

 

Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

Le moment Spoutnik de l’IA ?

Après le lancement du modèle d’intelligence artificielle DeepSeek-R1 le 20 janvier dernier, qui a provoqué un effondrement du cours de l’action du fabricant de puces Nvidia ainsi qu’une forte baisse de la valorisation de plusieurs autres entreprises technologiques, certains ont déclaré qu’il s’agissait d’un « moment Spoutnik » dans la course sino-américaine à la suprématie en matière d’IA. Pour une industrie américaine de l’IA qui avait sans doute besoin d’être bousculée, cet épisode soulève toutefois plusieurs questions difficiles.

Les investissements de l’industrie technologique américaine dans l’IA ont été massifs, Goldman Sachs s’attendant à ce que « les géants technologiques, les grandes sociétés et les services publics investissent environ 1 000 milliards $ au cours des années à venir pour soutenir l’IA ». Or, depuis un certain temps déjà, de nombreux observateurs et moi-même nous interrogeons sur l’orientation des investissements dans l’IA et du développement de celle-ci aux États-Unis.

 

Toutes les entreprises leaders en la matière appliquant pour l’essentiel le même plan d’action (bien que Meta se distingue dans une certaine mesure par son modèle partiellement en open source), l’industrie semble avoir placé tous ses œufs dans le même panier. Toutes les entreprises technologiques américaines, sans exception, se montrent obsédées par l’optimisation de l’échelle. Invoquant des « lois de mise à l’échelle » qui restent encore à prouver, elles partent du principe que l’introduction d’une quantité croissante de données et de puissance de calcul dans leurs modèles constitue la clé qui leur permettra de débloquer des capacités toujours plus impressionnantes. Certains vont jusqu’à affirmer que « l’échelle est tout ce dont vous avez besoin ».

 

Avant le 20 janvier, les entreprises américaines n’étaient pas disposées à envisager d’autres solutions que les modèles fondamentaux préformés sur des ensembles massifs de données pour prédire le mot suivant dans une séquence. Compte tenu de leurs priorités, elles se concentraient presque exclusivement sur les modèles de diffusion et les chatbots destinés à effectuer des tâches humaines (ou similaires). Bien que l’approche de DeepSeek soit globalement la même, elle semble s’appuyer davantage sur l’apprentissage par renforcement, les méthodes basées sur un ensemble d’experts (en utilisant de nombreux modèles plus petits et plus efficaces), la distillation et le raisonnement par chaîne de pensée. C’est cette stratégie qui lui aurait semble-t-il permis de créer un modèle compétitif à un niveau de coûts beaucoup moins élevé.

 

Bien que nous ne soyons pas certains que DeepSeek nous ait tout dit, cet épisode vient mettre en lumière une « pensée de groupe » au sein de l’industrie américaine de l’IA. L’aveuglement du secteur américain face à des approches alternatives moins coûteuses et plus prometteuses, combiné à un battage médiatique, constitue précisément ce que Simon Johnson et moi-même avions prédit dans Power and Progress, que nous avons écrit juste avant le début de l’ère de l’IA générative. La question consiste désormais à savoir si cette industrie américaine présente d’autres angles morts, plus dangereux encore. Les principales entreprises technologiques américaines sont-elles par exemple en train de manquer l’occasion d’orienter leurs modèles dans une direction davantage axée sur l’être humain ? Seul l’avenir nous le dira, mais je pense que la réponse est oui.

 

Se pose ensuite la question de savoir si la Chine accomplirait actuellement un bond en avant par rapport aux États-Unis. Dans l’affirmative, cela signifie-t-il que les structures autoritaires verticales descendantes (que James A. Robinson et moi-même avons qualifiées d’« institutions extractives ») pourraient égaler voire surpasser les fonctionnements ascendants dans la stimulation de l’innovation ?

 

J’ai tendance à penser que le contrôle du haut vers le bas entrave l’innovation, comme l’affirmons Robinson et moi-même dans Why Nations Fail. Si le succès de DeepSeek semble remettre en cause cette affirmation, il est loin de prouver que l’innovation dans le cadre d’institutions extractives peut être aussi puissante ou durable que dans le cadre d’institutions inclusives. DeepSeek s’appuie en effet sur plusieurs années d’avancées aux États-Unis (et dans une certaine mesure en Europe). Toutes ses méthodes de base ont été mises au point aux États-Unis. Les modèles basés sur un ensemble d’experts et l’apprentissage par renforcement ont été développés au sein d’instituts de recherche universitaires il y a plusieurs dizaines d’années, et ce sont les géants technologiques américains qui ont créé les modèles Transformers, le raisonnement par chaîne de pensée et la distillation.

 

L’accomplissement de DeepSeek réside du côté de l’ingénierie : la capacité à combiner les mêmes méthodes de manière plus efficace que les sociétés américaines. Reste à savoir si les entreprises et instituts de recherche chinois parviendront à franchir l’étape suivante en proposant des techniques, produits et approches qui changeront réellement la donne.

 

DeepSeek semble par ailleurs se distinguer de la plupart des autres entreprises chinoises spécialisées dans l’IA, qui produisent généralement des technologies pour l’État ou au moyen de fonds publics. Sachant que l’entreprise (issue d’un fonds spéculatif) a dans un premier temps opéré sous les radars, sa créativité et son dynamisme se poursuivront-ils maintenant que DeepSeek est sous les feux de la rampe ? Quoi qu’il arrive, la réussite d’une seule entreprise ne saurait être considérée comme la preuve irréfutable de la capacité de la Chine à surpasser des sociétés plus ouvertes en matière d’innovation.

 

Une autre question intervient, de nature géopolitique. La saga DeepSeek signifie-t-elle que les contrôles américains à l’exportation et autres mesures visant à freiner la recherche chinoise en matière d’IA ont échoué ? La réponse à cette question n’est pas claire non plus. Bien que DeepSeek ait entraîné ses derniers modèles (V3 et R1) sur des puces plus anciennes et moins puissantes, l’entreprise pourrait encore avoir besoin de puces plus puissantes pour réaliser de nouvelles avancées et passer à l’échelle supérieure.

 

Quoi qu’il en soit, il apparaît désormais clairement que l’approche américaine à somme nulle était inapplicable et malavisée. Une telle stratégie n’a de sens que si vous considérez vous diriger vers l’intelligence artificielle générale (des modèles capables d’égaler les êtres humains dans n’importe quelle tâche cognitive), et que celui qui atteindra le premier cette intelligence artificielle générale jouira d’un immense avantage géopolitique. En nous accrochant à ces hypothèses – dont aucune n’est nécessairement justifiée – nous avons empêché une collaboration fructueuse avec la Chine dans de nombreux domaines. À titre d’exemple, si un pays produit des modèles qui améliorent la productivité humaine ou nous permettent de mieux gérer l’énergie, cette innovation sera bénéfique pour les deux pays, surtout si elle est largement utilisée.

 

À l’instar de ses équivalents américains, DeepSeek aspire à développer l’IAG, et la création d’un modèle dont la formation est nettement moins coûteuse pourrait changer la donne. Pour autant, l’accomplissement d’une réduction des coûts de développement par des méthodes connues ne nous conduira pas miraculeusement à l’IAG au cours des prochaines années. La question reste ouverte de savoir si l’IAG est atteignable à court terme (celle de savoir si elle est souhaitable étant encore plus discutable).

 

Même si nous ne connaissons pas encore tous les détails concernant la manière dont DeepSeek a développé ses modèles, et même si nous ignorons ce que sa réussite apparente signifie pour l’avenir de l’industrie de l’IA, une chose est sûre : le nouveau venu chinois a brisé l’obsession du secteur technologique pour la mise à l’échelle, et a sans doute ébranlé son excès de confiance.

 

Daron Acemoglu, lauréat du prix Nobel d’économie en 2024 et professeur d’économie au MIT, est coauteur (avec Simon Johnson) de l’ouvrage intitulé Power and Progress : Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity (PublicAffairs, 2023).

 

Project Syndicate, 2025.
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Retards de paiement : Les prestataires miniers alertent

Asphyxiés par des délais de paiement excessifs, les prestataires miniers locaux peinent à honorer leurs charges. L’Association des Commerçants et Prestataires Miniers du Mali (ACPM) appelle les autorités à réguler ces pratiques pour éviter un effondrement du secteur.

Alors que les fournisseurs étrangers sont payés en avance, les entreprises locales attendent parfois plusieurs mois, voire plus d’un an, avant de recevoir leur dû. Une inégalité flagrante que dénonce Aliou Traoré, président de l’ACPM. « Nous sommes payés après des mois d’attente, alors que les fournisseurs étrangers perçoivent leur argent immédiatement. C’est une forme d’appauvrissement organisé ».

Ce retard met en péril l’ensemble de la chaîne économique locale. Outre les pénalités fiscales et les intérêts bancaires qui s’accumulent, les entreprises sont dans l’incapacité de payer leurs employés à temps. « Beaucoup d’entreprises locales doivent des mois de salaire à leurs travailleurs, faute de trésorerie. Pourtant, elles ont de l’argent, mais il est bloqué entre les mains des mines et des fournisseurs étrangers », déplore Traoré.

Coup fatal pour le contenu local

Ces retards de paiement remettent en cause la politique du contenu local, censée favoriser les entreprises nationales dans l’industrie minière. « Aujourd’hui, une société locale ne peut plus honorer une commande minière sans mettre en péril son équilibre financier. Si rien ne change, nous allons assister à la disparition des prestataires nationaux », alerte l’ACPM.

En effet, entre la commande, la fabrication, l’acheminement et l’intégration dans les stocks des mines, il faut déjà compter 12 à 16 semaines avant même le début du délai de paiement contractuel. Une attente insoutenable qui empêche les entreprises locales d’être compétitives et menace directement l’économie nationale.

Face à l’urgence, l’ACPM appelle les autorités à prendre des mesures concrètes pour mettre fin aux délais de paiement abusifs imposés aux prestataires locaux. Elle recommande la mise en place d’un audit des pratiques de paiement dans le secteur minier, l’adoption d’un décret ou d’un arrêté ministériel fixant un délai maximal de 30 jours pour les paiements, ainsi que l’instauration de pénalités financières aux sociétés minières qui ne respecteraient pas ces obligations.

« Aux États-Unis, les entreprises qui ne paient pas dans les délais sont sanctionnées. Pourquoi pas chez nous ? » questionne Traoré. Sans intervention rapide, les entreprises locales continueront à souffrir, fragilisant l’économie et le secteur minier.

MD