Géopolitique : l’APA appelle à une réforme du système international depuis Lomé  

Réunis à Lomé le 2 juin 2025, les ministres de l’Alliance Politique Africaine ont appelé à un sursaut stratégique du continent. Dans une déclaration dense, ils demandent des réformes immédiates des institutions multilatérales, une autonomie accrue en matière de sécurité, et un partenariat renforcé avec les BRICS.

À l’abri des projecteurs internationaux mais dans une atmosphère studieuse, la capitale togolaise a accueilli la troisième conférence ministérielle de l’Alliance Politique Africaine (APA). L’événement s’est tenu sous le haut patronage du président Faure Essozimna Gnassingbé, président en exercice du Conseil de l’APA. Le thème retenu, « Place de l’Afrique dans un monde en mutation : enjeux d’un repositionnement stratégique et diplomatique », a donné le ton d’une déclaration ferme, fondée sur des faits et des objectifs politiques précis.
Les ministres présents ont dénoncé l’inaction de la communauté internationale face à la marginalisation persistante de l’Afrique dans les mécanismes de gouvernance mondiale. Ils ont exigé une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que des grandes institutions financières internationales, estimant que le continent ne peut plus rester spectateur des décisions qui engagent son avenir.
Sécurité collective, industries de défense, souveraineté technologique
Sur le plan sécuritaire, les participants ont défendu une vision d’autonomie stratégique, appelant à renforcer l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et à créer un mécanisme opérationnel de défense collective. La déclaration exhorte à intégrer les dimensions maritime et spatiale, avec une insistance particulière sur l’entrée en vigueur effective de la Charte de Lomé sur la sécurité maritime, adoptée en 2016 mais encore peu appliquée.
Les États membres sont également encouragés à développer une industrie continentale de l’armement, à partir de technologies locales, afin de limiter les dépendances critiques. Le texte recommande de mutualiser les moyens militaires, de financer nationalement les efforts de défense, et d’adopter une approche holistique incluant les enjeux énergétiques, sociaux, et informationnels. Une telle posture, insistent les signataires, est un prérequis à toute stabilité durable.
En toile de fond, les bouleversements géopolitiques en cours, notamment la montée en puissance des BRICS, sont vus comme une opportunité. L’APA appelle à construire un agenda commun avec ce groupe, désormais élargi, pour faire avancer les réformes du système international. Les pays africains membres des BRICS sont invités à y défendre activement les positions stratégiques du continent.
Mémoire historique, justice globale et diplomatie panafricaine
Le communiqué salue également l’adoption par l’Union africaine, lors de sa 38e session ordinaire tenue le 16 février 2025 à Addis-Abeba, d’une décision historique reconnaissant l’esclavage, la colonisation et la traite négrière comme crimes contre l’humanité et génocide à l’encontre des peuples africains. Cette initiative, portée par le Togo, est présentée comme un moment décisif dans la reconnaissance des injustices historiques subies par l’Afrique.
Dans la continuité, les ministres ont lancé un appel aux Nations unies pour qu’elles intensifient la lutte contre les discriminations systémiques subies par les personnes d’origine africaine dans plusieurs régions du monde.
Deux événements à venir ont été annoncés comme priorités diplomatiques : la 2e édition du Lomé Peace and Security Forum, en octobre 2025, et le 9e Congrès panafricain, prévu pour décembre à Lomé. Ces rendez-vous visent à consolider la dynamique de concertation continentale et à construire une parole panafricaine forte, structurée et audible sur la scène mondiale.
À travers cette déclaration, l’APA entend marquer un tournant. Non par des effets d’annonce, mais par la formulation de revendications concrètes, stratégiques et coordonnées, à même de repositionner durablement l’Afrique dans le nouvel équilibre mondial en gestation.

AES : Vers une union douanière

Le 15 mai 2025, les Directeurs généraux des Douanes des États de l’AES se sont retrouvés à Bamako autour de l’harmonisation des procédures douanières dans l’espace confédéral. Une étape importante destinée à faire le point sur les recommandations antérieures et à progresser vers un espace douanier unifié.

Les États de la Confédération de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) sont désormais engagés dans un processus d’unification de leurs procédures et de leurs textes douaniers. Si la construction de cette nouvelle architecture juridique comporte des défis, elle s’inscrit dans la continuité logique du processus enclenché par ces États depuis leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Pour les futures négociations avec la CEDEAO, l’AES souhaite adopter une position commune, exprimée de manière collective et coordonnée, affirmant ainsi son unité. Une telle orientation ne suscite pas de blocages particuliers à ce stade. « En théorie, le retrait des États de l’AES de la CEDEAO ne devrait pas empêcher les pays de la sous-région de négocier des accords de partenariat dans des domaines stratégiques tels que la sécurité transfrontalière, les tarifs extérieurs communs, ainsi que la libre circulation des personnes et des capitaux », expliquait le Dr Abdoul Sogodogo, dans une étude intitulée « AES, Défis et Perspectives », publiée en septembre 2024.

La coexistence de plusieurs organisations dans l’espace sous-régional n’est d’ailleurs pas une réalité nouvelle, poursuit-il. Celle de la CEDEAO et de l’UEMOA en est une illustration. L’avènement de la nouvelle entité, l’AES, pourrait même représenter une opportunité pour attribuer à chaque organisation un mandat spécifique : à l’UEMOA, les questions monétaires ; à la CEDEAO, le développement intégré et la démocratisation ; à l’AES, les questions de sécurité, pour combler les lacunes des initiatives précédentes.

Dès sa création, l’AES s’est positionnée non seulement comme un instrument sécuritaire face aux défis communs, mais aussi comme un levier diplomatique et économique au service des trois États qui la composent.

Un espace intégré en construction

Avant la rencontre des Directeurs généraux des Douanes de l’AES à Bamako, plusieurs réunions avaient jeté les bases d’une coopération douanière plus étroite entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

À Niamey, en juillet 2024, la rencontre des DG des Douanes de l’AES a permis de créer des groupes de travail sur le transit, le Code des douanes, les tarifs communs et les règles d’origine. L’interconnexion des systèmes douaniers est apparue comme une priorité pour répondre aux difficultés d’approvisionnement et sécuriser les recettes douanières.

Ce processus s’est poursuivi lors de la réunion de Lomé, en septembre 2024, avec une recommandation forte en faveur de l’interconnexion des systèmes douaniers, y compris avec le Togo.

En janvier 2025, à Ouagadougou, les autorités douanières des trois pays ont évalué l’état d’avancement de cette interconnexion, notamment avec l’administration douanière togolaise.

La réunion de Bamako visait donc à dresser un état des lieux de l’évolution des chantiers engagés et des projets de textes. Parmi les dossiers examinés figuraient : l’encadrement du métier de Commissionnaire en douanes, l’adoption d’un Code des douanes unifié, l’établissement de règles d’origine spécifiques à l’AES, le régime de transit communautaire et l’élaboration de tarifs extérieurs communs (TEC) et préférentiels.

À l’issue des travaux, les Directeurs généraux ont validé le chronogramme proposé pour la finalisation du Code confédéral des douanes et des TEC entre le 28 et le 31 juillet 2025. Ils ont également fait le point sur les recommandations de Lomé : 7 sur 16 ont été réalisées, 6 sont en cours, et 3 restent à mettre en œuvre.

L’un des objectifs de cette réunion était de formuler des propositions concrètes à transmettre aux autorités de l’AES en vue des prochaines discussions avec la CEDEAO.

Interdépendance et dialogue

Le 22 mai 2025, les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES ont rencontré à Bamako le Président de la Commission de la CEDEAO. Cette première session de consultations visait à organiser les négociations entre les deux entités, après la formalisation du retrait de l’AES.

Les discussions ont porté sur les aspects politiques, diplomatiques, institutionnels, juridiques et sécuritaires, mais aussi sur le développement économique et social. Les deux parties ont souligné leur volonté de préserver les acquis majeurs de l’intégration régionale, en particulier la libre circulation des personnes et des biens.

La situation sécuritaire, point de friction majeur entre les États du Sahel et la CEDEAO, a également été abordée. Face à la menace persistante du terrorisme, les deux blocs ont réaffirmé leur volonté de coopérer dans ce domaine, essentiel à la stabilité régionale. Un impératif partagé dans un espace où les économies sont étroitement liées.

En 2024, 22,6% des importations du Mali provenaient de la CEDEAO, contre 31,3% pour le Burkina Faso. En 2022, les exportations du Niger vers la France, le Mali et le Burkina Faso représentaient 35,3% de son PIB. Ses importations – évaluées à environ 4 milliards de dollars – provenaient principalement de la France, de la Chine et des États-Unis.

Cadre parallèle avec l’UEMOA

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger restent membres de l’UEMOA. Dans son rapport annuel 2024, l’Union mentionne des progrès en matière d’union douanière, notamment avec l’élaboration d’un avant-projet de règlement sur les procédures simplifiées de dédouanement.

La Commission a poursuivi ses efforts pour dématérialiser l’octroi d’agrément de l’origine et a reconnu l’origine communautaire de 111 produits. Elle a aussi renforcé le système d’alerte contre les entraves à la libre circulation et au droit d’établissement. Toutefois, elle admet que la mise en œuvre de ces dispositifs reste incomplète. Des campagnes de plaidoyer, de sensibilisation et de renforcement des capacités ont été menées dans les postes de contrôle pour améliorer la situation sur les corridors commerciaux.

Trois mois après la sortie formelle de la CEDEAO, les autorités de l’AES se sont réunies à Bamako le 28 mars 2025. Dans une logique d’autofinancement, elles ont adopté un prélèvement communautaire de 0,5% sur les importations provenant de pays tiers non membres de l’AES, à l’exception des États de l’UEMOA, de l’aide humanitaire et des biens diplomatiques. Ce prélèvement (PC-AES) concerne uniquement les pays n’ayant pas d’accord douanier avec l’AES. L’issue des négociations en cours avec la CEDEAO permettra de savoir si cette mesure s’y appliquera.

Vers une Banque confédérale

Le 16 janvier 2025, les États de l’AES ont entamé des discussions sur la création d’une Banque d’investissement. Le 23 mai 2025, les ministres des Finances de l’AES ont adopté les documents fondateurs de la Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID). Doté d’un capital initial de 500 milliards de francs CFA, cet instrument vise à financer des projets structurants dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de l’éducation et de l’industrialisation.

Estimée à 6,9% du PIB de la CEDEAO et à 28,4% de celui de l’UEMOA, la production économique de l’AES reste encore modeste, mais ses États membres souhaitent se doter d’un instrument vital pour soutenir leur développement.

Les défis sont immenses pour cette nouvelle institution, pensée pour réduire la dépendance des économies aux financements extérieurs. Elle devra répondre aux nombreuses attentes, notamment en matière de dynamisation des économies locales, de lutte contre le chômage des jeunes, de promotion de l’entrepreneuriat et de modernisation des infrastructures.

CEDEAO : 50e anniversaire sous le signe de la résilience  

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a célébré ce mercredi son cinquantième anniversaire à Lagos, au Nigeria. Fondée en 1975 par 15 États, l’organisation régionale traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus sensibles de son histoire, marquée par le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger — désormais regroupés au sein de la Confédération AES.

La cérémonie, tenue à l’Eko Hotel & Suites en présence de onze chefs d’État, a été présidée par Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria et président en exercice de la CEDEAO. Dans un discours volontariste, il a rappelé que l’intégration régionale restait « une nécessité vitale pour relever les défis sécuritaires, économiques et sociaux ». Avec un PIB cumulé estimé à 761 milliards de dollars et une population dépassant les 400 millions d’habitants, l’espace CEDEAO représente le plus vaste marché régional du continent après la SADC.
Pourtant, l’absence des trois États sahéliens a conféré à l’événement un ton nettement moins consensuel. Le départ formalisé en janvier 2024 par Bamako, Ouagadougou et Niamey a réduit le nombre d’États membres à douze, rompant l’unité politique que l’organisation s’était efforcée de préserver depuis les années 1990.
Le poids croissant de l’AES
Créée officiellement en septembre 2023, puis transformée en Confédération en juillet 2024, l’AES regroupe plus de 70 millions d’habitants sur une superficie équivalente à 2,4 millions de km². L’AES a revendiqué son droit à une intégration alternative, fondée sur « la souveraineté assumée, la coopération de sécurité horizontale et le développement endogène ». Les trois États membres justifient leur départ de la CEDEAO par une série de sanctions jugées injustes, un manque de concertation et un éloignement des priorités sahéliennes.
Depuis leur retrait, l’AES travaille à la mise en place de son propre tarif extérieur commun, d’un passeport confédéral et d’un mécanisme de défense mutuelle. Autant d’initiatives qui résonnent comme une rupture avec les normes communautaires portées par Abuja.
Des signes de dialogue à Bamako
Le 22 mai 2025, dans un geste d’apaisement, le président de la Commission de la CEDEAO, Dr Omar Alieu Touray, a entamé à Bamako une série de consultations discrètes avec les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES. Cette première réunion « historique », visait à définir un cadre de dialogue sur les conséquences juridiques et techniques du retrait de la CEDEAO.
Reçu le lendemain par le général Assimi Goïta, président de la Transition malienne et président en exercice de la Confédération, le chef de la Commission a exprimé son attachement à la stabilité régionale et à la préservation des acquis communs, notamment en matière de libre circulation, d’électricité et d’infrastructures transfrontalières.
Malgré ces signaux d’ouverture, le fossé reste profond. La CEDEAO continue de plaider pour la réintégration à terme des pays sahéliens dans son giron. Mais les capitales de l’AES, elles, semblent vouloir construire une architecture propre, fondée sur une lecture réaliste des alliances militaires et économiques.
Alors que l’organisation célèbre un demi-siècle d’existence, la question de son avenir reste ouverte. Peut-elle encore incarner l’unité ouest-africaine sans ses membres sahéliens historiques ? Ou doit-elle accepter une coexistence institutionnelle, marquée par des pôles d’influence différenciés ?
Une chose est sûre, l’anniversaire des 50 ans de la CEDEAO restera comme celui d’un tournant. Moins festif, plus géopolitique.

Mali–CEDEAO : Bamako relance le dialogue ouest-africain dans un esprit de responsabilité

Bamako a été le théâtre, le 22 mai 2025, d’une rencontre diplomatique d’une portée exceptionnelle. Les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina Faso, regroupés au sein de la Confédération des États du Sahel (AES), ont tenu des consultations directes avec le président de la Commission de la CEDEAO, le Dr Omar Alieu Touray.

Cette initiative intervient à un moment charnière, quelques mois après le retrait officiel des trois États de l’organisation sous-régionale. Elle marque une tentative sérieuse de renouer les fils du dialogue entre deux blocs que tout semblait opposer jusqu’ici.

Les entretiens ont permis l’adoption d’un relevé de conclusions servant de base au lancement de futures négociations. Dans une atmosphère jugée constructive par toutes les parties, les représentants ont convenu de préserver les droits fondamentaux acquis au fil de l’intégration régionale. La libre circulation des personnes et des biens reste garantie jusqu’à la mise en place de nouveaux accords. Loin des déclarations symboliques, ce cadre de discussions pose les fondations d’un mécanisme de coopération qui pourrait s’avérer décisif pour les millions de citoyens concernés.

Le climat sécuritaire a largement orienté les débats. La situation dans le Sahel est critique. Selon le rapport 2024 de l’Index mondial du terrorisme, le Burkina Faso est désormais classé premier pays le plus touché au monde, avec près de deux mille morts et 258 attaques enregistrées en une année. Le Niger connaît une dégradation brutale avec une hausse de 94 % du nombre de décès liés au terrorisme, atteignant 930 victimes. Le Mali occupe la troisième place mondiale du classement, consolidant le triste constat selon lequel les trois pays de l’AES cumulent à eux seuls plus de 4 700 morts liés au terrorisme en 2024. Ces chiffres sont glaçants. Ils confirment que le Sahel central concentre aujourd’hui plus de la moitié des victimes du terrorisme dans le monde. Dans ce contexte, la relance du dialogue initiée à Bamako dépasse le cadre diplomatique pour devenir une nécessité humanitaire et stratégique.

Au-delà de la sécurité, l’économie constitue un autre défi majeur. En 2024, le PIB réel du Mali est estimé à 18,3 milliards de dollars, avec une croissance de 4 % portée par les performances agricoles, malgré des ralentissements dans le secteur industriel. Le Niger a enregistré une croissance remarquable de 9,9 %, grâce à la reprise minière et à la hausse des investissements publics. Le Burkina Faso a, pour sa part, maintenu une croissance de 5,5 %, malgré la pression sécuritaire persistante. L’ensemble de l’espace AES, fort de plus de soixante-dix millions d’habitants, génère un PIB cumulé supérieur à 62 milliards de dollars. Pourtant, les besoins restent immenses et les déséquilibres flagrants. La vulnérabilité alimentaire, la dépendance énergétique et l’accès limité aux services sociaux de base aggravent les fractures.

Nouvelle ère

Les autorités présentes à Bamako ont reconnu l’urgence d’ouvrir une nouvelle ère de coopération, dans le respect des choix souverains et des intérêts des populations. L’idée d’une rupture brutale est désormais dépassée. Le ton, désormais, est à la réinvention. L’avenir dira si cette rencontre constitue une simple trêve diplomatique ou l’amorce d’une nouvelle architecture régionale plus souple, plus réaliste, et centrée sur les besoins concrets des citoyens.

La tenue des consultations du 22 mai 2025 introduit une nouvelle phase dans les relations entre les parties concernées. Dans un environnement régional traversé par des ruptures et des incertitudes, le choix d’un échange direct et structuré témoigne d’un repositionnement stratégique. À mesure que les tensions institutionnelles se recomposent, la mise en place d’un canal de discussion offre une base de travail susceptible de faire évoluer les équilibres. La suite dépendra de la capacité des acteurs à ancrer ce dialogue dans des mécanismes concrets, visibles et durables, au bénéfice des populations sahéliennes.

Liberté de la presse en Afrique de l’Ouest : Entre espoirs et reculs

Le dernier classement de Reporters Sans Frontières (RSF) révèle une situation contrastée en Afrique de l’Ouest. Si certains pays enregistrent des avancées notables, d’autres connaissent des reculs préoccupants.

Au Burkina Faso, la situation s’est nettement détériorée. Le pays, confronté à une explosion de la désinformation alimentée par la menace sécuritaire, a chuté de 19 places, passant de la 86ème position en 2024 à la 119ème dans le nouveau classement.

RSF impute cette dégringolade à la montée de l’insécurité et à l’instabilité politique, liée aux deux coups d’État, survenus en janvier et en septembre 2022, qui ont « considérablement dégradé les conditions d’accès à une information plurielle et l’exercice d’un journalisme libre ».

L’autre pays membre de la Confédération AES, le Niger, a également régressé en matière de liberté de la presse. Cependant, ce recul de 3 places (de la 80ème en 2024 à la 83ème en 2025) est le moins important au sein de l’AES.

Cette disparité dans l’AES se retrouve également dans la CEDEAO, l’autre organisation sous-régionale. La Côte d’Ivoire a perdu 11 places et est désormais classée 64ème, tandis que le Sénégal continue de progresser dans ses efforts pour garantir une liberté de presse accrue dans le pays.

Avec 20 places gagnées par rapport au classement 2024, le pays de la Téranga se positionne comme l’un des plus sûrs pour l’exercice du journalisme et le travail des médias en Afrique occidentale.

Cependant, c’est le Cap-Vert (30ème), 3ème en Afrique derrière l’Afrique du Sud et la Namibie, qui vient en tête du classement RSF pour la région ouest-africaine. « Le pays se distingue dans la région par un cadre de travail favorable pour les journalistes. La liberté de la presse est garantie par la Constitution », souligne le rapport.

Même si, de son côté, la Gambie n’a pas progressé et a conservé sa place de 58ème du classement précédent de 2024, le pays montre des signes positifs en matière de liberté de la presse depuis quelques années.

Des avancées telles que des réformes législatives, notamment l’adoption d’une loi d’accès à l’information et la dépénalisation de la diffamation, ont contribué à une baisse des attaques visant les journalistes et à une amélioration du climat médiatique.

Mohamed Kenouvi

Crise Mali – Algérie : Le Sahel à l’épreuve d’une nouvelle fracture

L’incident du 1er avril 2025 entre le Mali et l’Algérie, marqué par la destruction d’un drone malien par les forces algériennes, a plongé les deux pays dans une crise diplomatique majeure. L’appareil, immatriculé TZ-98D, s’est écrasé à Tinzawatène, dans la région de Kidal, à environ 10 kilomètres au sud de la frontière. Bamako affirme que le drone n’a jamais quitté son espace aérien. Alger soutient au contraire qu’il a violé son territoire sur près de deux kilomètres.

Pour Bamako, les données de vol et l’enregistrement des coordonnées confirment que l’appareil a été abattu alors qu’il survolait encore le territoire malien, en mission de reconnaissance face à une menace terroriste. Trois jours après les faits, l’Algérie n’avait pas produit les preuves techniques réclamées. Le gouvernement malien évoque un acte d’agression prémédité, soulignant que le drone aurait pu permettre de neutraliser des cibles à haut risque.

En réaction, le Mali a convoqué l’ambassadeur d’Algérie à Bamako, protesté officiellement et pris trois mesures fortes : le retrait immédiat du Comité d’État-major Opérationnel Conjoint (CEMOC), le dépôt d’une plainte devant les instances internationales et la fermeture de son espace aérien à tous les vols en provenance ou à destination de l’Algérie. Celle-ci avait pris une mesure équivalente un peu plus tôt dans la même journée.

La Confédération des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, a exprimé son soutien total au Mali. Dans son communiqué, le Collège des Chefs d’État a qualifié la destruction du drone d’attaque contre l’ensemble de l’espace confédéral. Il a rappelé ses ambassadeurs accrédités à Alger, dénonçant une tentative de déstabilisation. L’Algérie, en retour, a rappelé ses ambassadeurs à Bamako et Niamey, tout en différant la prise de fonction de son diplomate à Ouagadougou.

Ce nouvel épisode marque une rupture. Pourtant, en mars dernier,  la prise de fonction de Mohamed Dolo comme  nouvel  ambassadeur du Mali à Alger avait été perçue comme un signal d’apaisement après plusieurs mois de brouille. Cette tentative de normalisation semble aujourd’hui caduque.

Les tensions entre les deux pays ne datent pas d’hier. L’accueil réservé à l’Imam Dicko en Algérie en 2022 puis les critiques maliennes sur le rôle d’Alger dans l’Accord de paix de 2015 avaient déjà fissuré la confiance. Le retrait officiel du Mali de cet Accord en janvier 2024 a marqué un tournant. Bamako accuse désormais Alger d’abriter et de soutenir indirectement certains groupes armés, notamment dans le nord du Mali.

Le retrait du CEMOC est aussi un symbole fort. Cette structure, basée à Tamanrasset et regroupant l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie, visait à renforcer la coordination militaire face aux menaces transfrontalières. Même si le CEMOC était peu actif ces dernières années, son abandon traduit une volonté de rupture stratégique. L’AES semble vouloir redéfinir ses partenariats en matière de sécurité.

Au-delà du CEMOC, d’autres cadres bilatéraux sont aujourd’hui en suspens. Des accords de coopération frontalière aux échanges de renseignements, l’ensemble des mécanismes de coordination pourrait être remis en cause. Or la frontière commune de plus de 1 400 kilomètres est l’une des plus sensibles de la bande sahélo-saharienne. Sans coopération active, la surveillance de cette zone complexe deviendra quasi impossible.

Le soutien unanime de l’AES à Bamako, avec seul le Niger comme membre du CEMOC, illustre un réalignement stratégique. Le Niger, bien que n’ayant pas formellement quitté le comité, se range du côté malien dans cette affaire, ce qui isole davantage Alger dans la région.

Cette crise dépasse donc le simple différend technique. Elle traduit l’échec d’une médiation historique et la montée d’un nouveau pôle sahélien structuré autour d’objectifs sécuritaires communs. Pour Alger, la perte d’influence dans la région est tangible. Pour le Mali, c’est l’affirmation d’une souveraineté sans concession.

À court terme, les perspectives de désescalade semblent faibles. À long terme, la question centrale reste la suivante : une coopération minimale est-elle encore possible entre deux pays liés par l’histoire, la géographie et des défis sécuritaires communs ? Car une rupture totale, dans un environnement régional aussi fragile, risque de créer un vide dont seuls les groupes armés tireront profit.

Massiré Diop

Sky Mali relie désormais Bamako à Niamey via Gao : une ambition régionale affirmée

Dans un contexte régional en pleine mutation, la compagnie aérienne Sky Mali franchit un nouveau cap en lançant officiellement sa liaison Bamako-Gao-Niamey. Le premier vol commercial est prévu pour le 8 avril 2025, avec une desserte bihebdomadaire les mardis et samedis. Cette décision stratégique intervient alors que les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) cherchent à renforcer leurs synergies économiques et à bâtir une souveraineté logistique sur fond d’isolement diplomatique croissant.

Le projet ne date pas d’hier. « Cette initiative n’est pas le fruit du hasard », a rappelé la Directrice Générale de Sky Mali, Aïcha Doucouré Haïdara, à l’ouverture d’un atelier organisé à Bamako à l’intention des agences de voyages partenaires. « Elle est née d’une analyse de terrain, de l’écoute des attentes des voyageurs et de notre volonté de relier les peuples, au-delà des frontières », a-t-elle insisté. La ligne, qui inclut une escale à Gao, entend désenclaver le nord du Mal.

Le choix de relier Bamako à Niamey en passant par Gao n’est pas anodin. Selon Sky Mali, il répond à trois objectifs : structurer un réseau aérien régional viable, offrir une alternative rapide aux trajets terrestres longs et dangereux, et renforcer la coopération économique dans l’espace AES. À terme, la compagnie envisage même de faire de Gao une plateforme de correspondance pour les régions du Liptako-Gourma, aujourd’hui peu ou pas desservies par voie aérienne.

En matière de services, Sky Mali met en avant une expérience de voyage repensée, avec une attention particulière portée à la ponctualité, au confort à bord et à l’accompagnement des partenaires commerciaux. Pour le mois d’avril, une grille tarifaire promotionnelle a été dévoilée, avec des commissions attractives destinées aux agences de voyages. Ces dernières bénéficieront également d’outils de réservation optimisés et d’un accompagnement personnalisé, selon les précisions données par l’équipe commerciale.

Ce lancement intervient dans un contexte où la connectivité aérienne entre États africains reste l’un des défis majeurs du secteur. D’après l’Union africaine, plus de 80 % des vols entre pays africains nécessitent encore une escale hors du continent. À ce titre, le Directeur Général de la compagnie ASKY, Esayas Woldemariam, a salué cette initiative : « Sky Mali montre la voie. Nos États doivent soutenir ce type d’ambition, car une Afrique plus connectée est une Afrique plus souveraine ». La compagnie togolaise, considérée comme un acteur-clé de la connectivité régionale ouest-africaine, a récemment renforcé sa propre coopération avec plusieurs compagnies nationales, dont Sky Mali, dans une logique de complémentarité plutôt que de concurrence.

En arrière-plan, le lancement de cette ligne s’inscrit aussi dans une politique de recentrage stratégique de Sky Mali sur l’AES. Après avoir suspendu ses liaisons vers Dakar en 2023 pour des raisons opérationnelles, la compagnie semble désormais miser sur l’intégration sous-régionale et sur le renforcement des flux internes. Gao, capitale culturelle du Sahel et nœud historique des routes transsahariennes, pourrait ainsi redevenir un point de passage incontournable, pour peu que la stabilité sécuritaire suive.

Avec cette nouvelle liaison, Sky Mali s’impose non seulement comme un transporteur national, mais comme un acteur stratégique de la recomposition du ciel ouest-africain. Une ambition en phase avec l’esprit du temps, entre résilience, souveraineté et intégration régionale.

Modibo Sidibé : « La démocratie ne se décrète pas, elle s’organise et se nourrit de participation »

Président du parti Les Fare Anka Wili et du Comité stratégique du M5-RFP Malikura, Modibo Sidibé aborde les enjeux de la Transition au Mali : gouvernance, sécurité, libertés, services sociaux, intégration régionale… Il appelle à un sursaut démocratique fondé sur l’inclusivité, la responsabilité et la transparence. Propos recueillis par Massiré Diop.

Pensez-vous que les conditions actuelles permettent l’organisation d’élections libres, transparentes et crédibles au Mali ?

Le mouvement de l’Appel du 31 mars, dont le M5-RFP Mali Kura est membre, s’est exprimé à ce sujet. Nous sommes dans une période transitoire qui, comme toute transition, doit impérativement aboutir à un retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections. Cela implique un dialogue ouvert et inclusif entre les autorités, les acteurs politiques, la société civile et les forces vives du pays pour convenir d’un calendrier électoral clair, assorti de garanties sur les conditions d’organisation.

Il ne suffit pas d’organiser des élections, encore faut-il qu’elles soient crédibles, transparentes et conformes à l’esprit de la nouvelle Constitution. Cela suppose aussi une volonté politique affirmée de mettre en place les dispositifs techniques, logistiques et institutionnels adaptés. La Transition n’a de sens que si elle permet une refondation du système, une réforme du cadre électoral et un retour durable à une gouvernance démocratique.

Le M5-RFP Malikura envisage-t-il de désigner un candidat unique pour la prochaine présidentielle ?

Depuis plusieurs mois, le M5-RFP Malikura a clairement exprimé son engagement dans une troisième phase de son combat : la conquête du pouvoir à travers les urnes, pour mettre en œuvre les valeurs et objectifs du Mali Kura. Nous travaillons à la construction d’un projet politique partagé, autour duquel nous pourrons rassembler nos forces et les élargir à tous ceux qui partagent nos valeurs et notre projet. L’idée d’un candidat unique est bien actée : il  portera en toute légitimité ce projet collectif. C’est dans ce cadre que les procédures internes seront définies afin de désigner un candidat qui incarne les principes de refondation, de souveraineté et de justice sociale que nous défendons.

Quelle est votre position sur la réforme de la Charte des partis visant à réorganiser le paysage politique ?

Il est indéniable que notre système politique souffre de nombreux dysfonctionnements : prolifération de partis sans projet réel, nomadisme politique, manque d’éthique. Mais une simple réforme technique ne suffira pas. Le véritable enjeu, c’est la refondation du politique autour de quatre axes : un renouveau de la démocratie, de la gouvernance, du politique lui-même et surtout du citoyen. La classe politique doit faire son introspection, scruter les pratiques politiques négatives, afin de redonner du sens à l’engagement politique et de recentrer l’action publique sur les valeurs de servir, d’être au service, d’intérêt général et de responsabilité. Ce n’est pas tant le nombre de partis qui pose problème, mais la qualité de leur engagement. La réforme doit donc être accompagnée d’un véritable dialogue politique, d’un Code d’éthique partagé et d’une politique d’appui aux partis politiques basée sur des critères d’information et d’éducation citoyenne, de représentativité et de transparence.

S’agissant du mode de « financement » des partis politiques, le M5-RFP MaliKura propose le décrochage des recettes fiscales annuelles (0,25%) dont la hausse constante provoque une croissance automatique de l’appui aux partis sans raison aucune et de convenir plutôt d’un montant révisable périodiquement, de moduler les critères en ajoutant à l’existence légale un élu au moins et davantage d’équité dans la répartition.

La Confédération AES peut-elle, selon vous, jouer un rôle moteur dans l’intégration régionale ?

La CEDEAO est une construction régionale importante, issue d’une vision historique d’intégration ouest-africaine que les peuples ont soutenue dès les années 1990. Le Mali y a longtemps joué un rôle actif. Cela dit, les décisions récentes, notamment en matière de sanctions, ont mis en lumière ses limites et suscité de profondes interrogations. La Confédération AES, en tant qu’espace de coopération sécuritaire et politique, peut représenter une dynamique complémentaire si elle est portée par une vision stratégique claire. Mais l’objectif ne doit pas être de fragmenter la région. Il faut travailler à une CEDEAO refondée, au service des peuples, intégrant les aspirations légitimes des États membres à plus de souveraineté et d’efficacité. L’intégration régionale ne doit pas être sacrifiée mais repensée, pour devenir plus juste, plus solidaire et plus respectueuse des réalités de chaque nation.

Quels avantages concrets le Mali peut-il espérer de l’AES sur les plans économique, sécuritaire et monétaire ?

L’AES peut constituer dans la CEDEAO un pôle de stabilité et de développement, une plate-forme pertinente pour renforcer la coopération en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme. Elle y trouvera la profondeur stratégique utile.

La CEDEAO a engrangé des acquis importants en matière d’intégration régionale et il ne faut ni l’oublier ni vouloir en déprécier la portée. C’est le cas de la liberté de circulation au sein de l’espace communautaire, du droit d’établissement, de certains projets d’infrastructures, de corridors économiques, d’interconnexions énergétiques, d’une monnaie commune en gestation, pour ne citer que cela.

L’AES, comme pôle de stabilité et de développement, peut être un levier pour nos pays, qui partagent des défis communs en matière notamment de sécurité, de développement économique et d’aménagement du territoire. Cette alliance ne doit pas être guidée par l’isolement, mais par une vision d’intégration régionale et continentale au service des citoyens.

Comment soulager les Maliens face à la pression fiscale croissante, notamment avec les taxes sur les télécommunications ?

Nous avons exprimé notre désaccord dans un communiqué conjoint du M5-RFP Malikura et du parti YÉLÉMA, sur la taxe imposée aux usagers des télécommunications. Non seulement elle pèse lourdement sur les citoyens, déjà éprouvés, mais nous avons aussi dénoncé le fait que les fonds issus de cette taxe soient logés à la Présidence, sans mécanisme clair de transparence ni de redevabilité.

La mobilisation des ressources publiques est légitime, mais elle doit reposer sur une gouvernance éthique, équitable et responsable. C’est pourquoi nous appelons à un véritable choc de gouvernance, fondé sur l’utilité de la dépense publique, le respect du citoyen et la traçabilité des fonds collectés.

Si des sacrifices sont nécessaires, alors ils doivent être partagés et orientés vers des résultats tangibles pour la population, en matière notamment d’infrastructures économiques et d’accès aux services sociaux de base.

La crise entre le SYNABEF et EDM-SA illustre les tensions sociales dans les entreprises publiques. Quelles solutions proposez-vous pour renforcer le dialogue social ?

Le dialogue social doit être une constante, pas une option. Trop souvent, les conflits éclatent parce que les mécanismes de concertation ne sont pas respectés ou sont instrumentalisés. Il est urgent d’institutionnaliser un cadre de négociation permanent entre les syndicats, les directions d’entreprises publiques et l’État. Les partenaires sociaux doivent être considérés comme des acteurs à part entière du développement. Il faut restaurer la confiance à travers la transparence, l’écoute, la recherche de compromis durables, et, surtout, l’implication des travailleurs dans la gouvernance des entreprises. La paix sociale est un pilier de la performance économique et de la stabilité nationale.

Une Charte nationale pour la paix et la réconciliation est en cours d’élaboration. Est-il possible de bâtir une paix durable sans inclure toutes les parties prenantes ?

Une paix durable ne peut se construire sans un dialogue inclusif, franc et structuré. La méthode employée aujourd’hui pour la Charte nationale nous interpelle. Il ne suffit pas d’écrire un texte et de le proclamer au nom de la paix. Il faut construire une adhésion nationale autour des principes, des objectifs et des mécanismes de réconciliation. Le dialogue, même difficile, est la seule voie pour fonder une paix authentique. Le Mali que nous avons en commun a besoin d’une démarche qui respecte les sensibilités, implique toutes les composantes de la Nation, y compris celles qui sont critiques ou marginalisées, et s’ancre dans les principes républicains et démocratiques consacrés par notre Constitution. Nous l’avons toujours dit, il nous faut un Agenda consensuel de sortie de crise du Mali.

L’insécurité persiste malgré le renforcement des FAMAs. Quelle stratégie complémentaire proposez-vous pour restaurer la sécurité ?

Je salue d’abord les FAMAs et je rends hommage à leur bravoure, à leur engagement et aux sacrifices qu’ils consentent quotidiennement pour assurer la sécurité du territoire national et des populations maliennes, souvent au prix de leur propre vie.

La réponse à la crise ne peut pas être uniquement militaire. Il faut un véritable triptyque Sécurité, Développement et Gouvernance locale. Les populations doivent sentir la présence de l’État, non seulement à travers les forces armées, mais aussi par l’accès aux services publics, à la justice, à l’éducation et à la santé. Il faut associer les communautés aux stratégies locales de sécurité, renforcer la cohésion sociale et donner aux collectivités les moyens d’agir. Il est également essentiel de refonder notre système de défense pour l’adapter aux réalités, actuelles et futures. La sécurité durable repose sur la confiance entre l’État et les citoyens.

La lutte contre la corruption reste une priorité nationale. Qu’en pensez-vous ?

Il faut passer des discours aux actes. Faut-il rappeler ici les recommandations pertinentes des États généraux sur la Corruption et la délinquance financière? La lutte contre la corruption doit devenir une politique d’État, avec des institutions fortes, indépendantes et crédibles. Nous proposons de renforcer les organes de contrôle (BVG, OCLEI, Justice) en leur garantissant autonomie et protection, tout en instaurant un système de redevabilité citoyenne, à travers la publication systématique des rapports de gestion, de contrôle et de suivi des recommandations. Il faut aussi renforcer la formation éthique dans l’administration, instaurer des sanctions exemplaires et revoir les circuits de dépenses pour réduire les zones d’opacité. Enfin, nous militons pour l’adoption d’un Pacte de gouvernance éthique signé par tous les dirigeants publics, engageant leur responsabilité personnelle.

Face à l’immigration clandestine, notamment des jeunes, quelles réponses structurelles envisagez-vous ?

L’immigration clandestine est un drame révélateur de l’ampleur de la crise. Elle traduit l’absence de perspectives, la perte d’espoir. Quand les jeunes prennent la mer au péril de leur vie, c’est un cri. Ce que nous devons faire, c’est de recréer l’espérance ici. Cela passe par l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi, l’inclusion économique et sociale. Il faut aussi que l’État montre qu’il est là pour eux. Si un jeune se sent utile chez lui, il ne partira pas. Il faut faire du territoire national un espace d’opportunités, pas de survie.

Si vous deviez choisir une priorité pour le Mali, laquelle serait-ce ?

La priorité, c’est de rétablir la confiance. Cela commence par une gouvernance exemplaire, un État juste, éthique et efficace. Ensuite, il faut remettre l’éducation et la santé au cœur de la République. Investir dans les services de base, les infrastructures et réorganiser notre économie pour qu’elle crée de la valeur et de l’emploi. Il faut aussi réconcilier les Maliens entre eux et avec leurs institutions. Le pays a besoin de paix, de justice et d’un projet fédérateur. C’est cette vision que je défends, dans la fidélité aux idéaux du MaliKura.

Le retrait du Mali de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) suscite le débat. Quelle est votre lecture de cette décision ?

Il faut replacer cette décision dans son contexte historique. Le Mali a été à l’initiative de la tenue à Bamako du Symposium francophone sur le bilan des pratiques démocratiques, qui a adopté la Déclaration de Bamako de 2000, qui posait les fondements démocratiques que les États membres devaient respecter. Cette déclaration engageait l’OIF à défendre la démocratie, l’État de droit et les droits de l’Homme. Bamako a abrité en 2005 les travaux d’évaluation de cette Déclaration.

L’OIF ne se résume pas au partage d’une langue, c’est aussi un cadre de coopération en matière d’éducation, de culture et d’économie.

La refondation est au cœur du discours politique. Que signifie-t-elle concrètement pour vous ?

La refondation ne peut être un simple slogan. Elle doit se traduire par des transformations concrètes dans la manière de gouverner, d’éduquer, de rendre justice, de répartir les ressources. Refonder, c’est reconstruire le contrat social entre l’État et les citoyens. Cela implique des institutions légitimes, une démocratie vivante, une économie au service du peuple. C’est aussi refonder l’éthique publique et la responsabilité individuelle. Ce n’est ni un repli identitaire ni un rejet du monde, mais une exigence de dignité, d’efficacité et de souveraineté bien assumée.

De nombreuses voix s’élèvent contre les restrictions des libertés publiques. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Il ne faut jamais perdre de vue que la Charte de la Transition, la Constitution du 22 juillet 2023 et même la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ratifiée par notre pays, affirment toutes notre engagement pour les libertés fondamentales. C’est un socle que nul ne devrait piétiner.

Aujourd’hui, nous voyons une montée des atteintes aux libertés : détentions arbitraires, restrictions à la presse, interdictions de manifestations. Cela est contraire à l’esprit même de la Transition. On ne peut pas parler de refondation démocratique tout en restreignant les droits des citoyens. Les libertés publiques sont non négociables. Elles sont le miroir de la vitalité démocratique du pays. Il ne faut jamais perdre de vue le sens du 26 mars et ses acquis. Nous appelons à leur respect strict, sans condition et à la libération des détenus d’opinion, parce que le Mali démocratique ne devrait pas en avoir.

Santé et éducation restent inégalement accessibles, surtout en zones rurales. Comment y remédier ?

L’éducation et la santé sont les deux piliers du développement humain. Des efforts ont été faits, c’est vrai, mais les inégalités persistent, notamment dans les zones rurales. Le problème, ce n’est pas seulement l’existence d’écoles ou de centres de santé, mais leur qualité, leur accessibilité et leur adéquation aux réalités locales.

Dans le domaine de la santé, nous avons trois secteurs : le public, le privé et le communautaire. Il faut les renforcer tous, avec une attention particulière au niveau primaire, souvent le parent pauvre du système. Cela passe par des moyens, des équipements, mais aussi une gouvernance rigoureuse.

Pour l’éducation, il faut une vision claire. Les enfants doivent pouvoir aller à l’école partout, apprendre dans leur langue maternelle si besoin, accéder à des formations techniques, professionnelles et universitaires. Il faut également valoriser les filières courtes, développer des instituts technologiques et ne pas avoir uniquement une vision académique classique. L’éducation doit déboucher sur des compétences utiles à la société, à l’économie, au développement local. C’est une vision intégrée, inclusive et territorialisée que nous portons.

Avec les multiples reports des élections locales et l’installation de délégations spéciales, comment garantir une gouvernance locale représentative ?

Ce qui se passe aujourd’hui est extrêmement préoccupant. Le report des élections locales à répétition et l’installation systématique de délégations spéciales nous éloignent de l’esprit républicain et démocratique de la Décentralisation. On assiste à une mise sous tutelle des collectivités, à une confiscation de la parole des citoyens.

Or la gouvernance locale, c’est le socle de la participation citoyenne. C’est là que les décisions doivent être prises, au plus proche des besoins réels. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est un affaiblissement de l’ancrage local de la démocratie, une rupture du lien de confiance entre élus et populations.

Il faut rétablir l’élection comme mode normal de désignation des responsables locaux et cesser d’improviser des solutions administratives. Il faut aussi repenser les relations entre l’État et les collectivités : redonner les compétences, transférer réellement les ressources et professionnaliser la gestion locale. La démocratie ne se décrète pas, elle s’organise, elle se nourrit de participation, d’échanges, de transparence. Il en va de la stabilité de nos territoires et de la confiance dans nos institutions.

L’AES se dote d’un drapeau : un symbole fort pour l’unité et la souveraineté au Sahel

La Confédération des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, a franchi une étape importante dans son processus d’intégration régionale avec la présentation officielle de son drapeau. Cet événement a eu lieu à Bamako les 22 et 23 février 2025, lors d’une réunion ministérielle cruciale consacrée aux enjeux de défense, de sécurité, de diplomatie et de développement.

Le dévoilement du drapeau de l’AES constitue un moment historique pour les trois pays engagés dans cette initiative souverainiste. Arborant un fond vert, il porte en son centre un logo symbolisant l’unité et la résilience des peuples sahéliens. La couleur verte, souvent associée à la prospérité et à l’espoir, reflète aussi la richesse naturelle et l’ambition des États membres de bâtir une économie forte et autonome.
Ce drapeau incarne l’engagement du Burkina Faso, du Mali et du Niger à renforcer leur coopération et à s’affranchir des contraintes géopolitiques extérieures. Il traduit leur volonté de consolider une intégration sous-régionale fondée sur des valeurs communes de solidarité et d’indépendance politique.
Au-delà de la présentation du drapeau, la réunion ministérielle de Bamako a été l’occasion pour les dirigeants des trois pays de faire le point sur les avancées de la Confédération et de coordonner leurs actions face aux défis sécuritaires et économiques.
L’un des sujets centraux des discussions a été la lutte contre le terrorisme, une menace persistante dans la région. Les représentants des ministères de la Défense et de la Sécurité ont salué les succès des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) des trois États, mettant en avant les résultats obtenus par la Force unifiée de l’AES, récemment mise en place pour assurer une meilleure coordination militaire.
Les ministres ont réaffirmé leur détermination à poursuivre cette coopération sécuritaire et à intensifier les efforts pour stabiliser la région. Ils ont rendu hommage aux soldats et aux populations victimes du conflit et ont insisté sur l’importance de renforcer les moyens militaires et logistiques pour faire face aux menaces.
L’AES veut parler d’une seule voix sur les dossiers internationaux. Les ministres ont insisté sur la nécessité de renforcer les consultations politiques et diplomatiques afin de mieux défendre les intérêts de la Confédération sur la scène africaine et mondiale.
Cette approche commune vise notamment à éviter l’isolement politique et à contrer les pressions extérieures. Elle s’inscrit dans une dynamique panafricaniste qui prône une souveraineté renforcée des États du Sahel et une coopération régionale indépendante des ingérences extérieures.
Développement économique : bâtir un avenir prospère
L’un des piliers fondamentaux de cette réunion a été la question du développement économique. Les discussions ont porté sur la mise en place de projets structurants destinés à accélérer la croissance des pays membres. Parmi les initiatives envisagées figurent la création d’une banque confédérale pour financer les grands projets d’infrastructure et d’investissement, ainsi que le lancement d’une compagnie aérienne régionale visant à améliorer la connectivité entre les trois États.
Les ministres ont également abordé les stratégies visant à renforcer les infrastructures, notamment dans les secteurs de l’énergie, des mines et des transports. L’objectif est de créer un environnement économique favorable au développement des entreprises locales et à l’essor de l’industrialisation dans la région.
AES et CEDEAO : vers une nouvelle ère de relations ?
Le retrait officiel du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), acté le 28 janvier 2024, a marqué une rupture dans les relations sous-régionales. Lors de cette réunion ministérielle, les représentants des trois pays ont examiné les prochaines étapes du dialogue avec la CEDEAO.
Ils ont réaffirmé leur attachement aux valeurs de fraternité et de coopération avec les autres États de l’Afrique de l’Ouest, malgré les divergences politiques. L’AES entend mener des négociations avec la CEDEAO dans un esprit constructif, tout en préservant les intérêts de ses populations et en garantissant leur souveraineté politique et économique.
La réunion ministérielle de Bamako a permis de poser des bases solides pour l’avenir de l’AES. Elle a démontré la détermination des trois États membres à renforcer leur intégration et à consolider leur indépendance sur les plans politique, militaire et économique.
Le drapeau de la Confédération devient ainsi le symbole d’une nouvelle ère pour le Sahel, une ère marquée par la résilience, l’unité et l’ambition de bâtir une alliance régionale forte et prospère.

Passeport AES : Une reconnaissance en question

Depuis la mise en circulation, le 29 janvier 2025, du nouveau passeport biométrique de l’Alliance des États du Sahel (AES), de nombreux citoyens maliens font face à des obstacles administratifs, notamment lors de demandes de visas pour l’espace Schengen. Ces difficultés soulèvent des questions quant à la reconnaissance et à l’authentification de ce nouveau document de voyage.

Plusieurs détenteurs du passeport AES ont rapporté des refus systématiques de la part de certaines missions diplomatiques, en particulier au consulat de France à Bamako. Ces refus entravent leurs projets de voyage, qu’ils soient d’ordre professionnel, académique ou personnel. Un cas emblématique est celui d’un voyageur ayant perdu son ancien passeport CEDEAO avec un visa en cours de validité. Après avoir obtenu en urgence un passeport AES, sa demande de visa a été rejetée, le privant ainsi de son déplacement prévu.
Réaction des autorités maliennes
Face à ces allégations, le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile du Mali a publié un communiqué le 16 février 2025, affirmant n’avoir reçu aucune saisine officielle concernant des difficultés liées à l’utilisation du passeport AES. Le ministère assure que toutes les procédures administratives ont été respectées, notamment la notification officielle à l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) et la transmission de spécimens physiques aux missions diplomatiques et consulaires accréditées au Mali dès le 22 janvier 2025. Néanmoins, le ministère reconnaît poursuivre des interactions avec certains partenaires pour résoudre des questions spécifiques liées à leurs procédures internes.
Une contradiction apparente
Le communiqué ministériel souligne que toutes les dispositions ont été prises pour la reconnaissance du passeport AES. Cependant, la mention de « poursuite d’interactions avec certains partenaires sur des questions spécifiques » suggère que des démarches sont encore en cours pour une acceptation complète du document. Cette dualité dans la communication officielle pourrait expliquer les retards ou les refus rencontrés par les citoyens maliens lors de leurs démarches consulaires.
Des précédents similaires
Ce n’est pas la première fois que l’introduction d’un nouveau passeport entraîne des complications. En 2012, la mise en circulation d’un passeport malien portant la mention CEDEAO avait conduit à des rejets de demandes de visas par les partenaires Schengen, faute d’information préalable. Ce n’est qu’après la transmission des spécimens aux autorités concernées que la situation s’était normalisée.
Dans l’attente d’une résolution complète de ces obstacles administratifs, le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile invite les détenteurs du passeport AES à signaler toute difficulté rencontrée lors de leurs démarches. Une communication transparente et une collaboration étroite entre les autorités maliennes et les missions diplomatiques étrangères sont essentielles pour garantir la libre circulation des citoyens et éviter que des questions administratives ne se transforment en obstacles majeurs à la mobilité internationale.

Gilles Yabi : « La CEDEAO doit saisir cette crise comme une opportunité de réforme »

Gilles Yabi, chercheur et fondateur de WATHI, analyse les défis actuels en Afrique de l’Ouest. Dans cet entretien exclusif, il évoque l’avenir de la CEDEAO après le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la lutte contre le terrorisme sans les forces occidentales, l’impact des régimes militaires sur la sécurité, la crise sahélienne et l’immigration clandestine, ainsi que l’influence croissante de nouveaux partenaires comme la Russie, la Chine et la Turquie. Propos recueillis par Massiré Diop

Quel avenir pour la CEDEAO après le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger ?

La CEDEAO reste économiquement puissante grâce à des pays comme le Nigeria, qui représente plus de 60% du PIB régional, mais son affaiblissement politique est indéniable. Ce départ compromet l’intégration régionale et accentue les tensions. Toutefois, cette crise peut être une opportunité pour réformer l’organisation et renforcer son efficacité.

Comment les États sahéliens peuvent-ils faire face à la menace terroriste sans les forces occidentales ?

L’instabilité politique causée par les coups d’État fragilise la lutte contre le terrorisme. Bien que les militaires au pouvoir promettent une meilleure réponse sécuritaire, l’absence de coordination avec des experts civils limite leur efficacité. Une stratégie intégrée, impliquant civils et militaires, est essentielle pour stabiliser durablement la région.

Les changements de régimes successifs au Sahel ont-ils renforcé ou affaibli la lutte contre le terrorisme ?

Les coups d’État perturbent la continuité des politiques sécuritaires. Si un gouvernement militaire peut théoriquement être plus efficace qu’un régime civil défaillant, la marginalisation des experts et l’absence d’une vision globale affaiblissent la réponse sécuritaire. Une gouvernance inclusive reste indispensable.

Quels sont les effets de la crise sahélienne sur l’immigration clandestine vers l’Europe ?

L’insécurité pousse les populations à se déplacer, mais majoritairement à l’intérieur de leur pays ou vers des États voisins. L’immigration vers l’Europe est surtout liée aux difficultés économiques et aux réseaux de migrants établis. Réduire ce phénomène nécessite une approche globale, au-delà des seuls enjeux sécuritaires.

Comment la montée en puissance de nouveaux partenaires redéfinit-elle l’équilibre géopolitique au Sahel ?

La Russie, la Chine et la Turquie ne sont pas de nouveaux acteurs en Afrique, mais leur influence croissante reconfigure les rapports de force. Leur présence offre des alternatives aux pays sahéliens, mais accroît aussi les rivalités géopolitiques. Sans vision stratégique propre, ces nations risquent de rester dépendantes d’intérêts étrangers plutôt que de renforcer leur souveraineté et leur développement.

AES/CEDEAO : Un tournant dans les relations régionales

Ce mercredi 29 janvier 2025 marque le premier anniversaire de l’annonce par les pays de l’AES de leur sortie de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette date acte également le retrait officiel du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l’organisation ouest-africaine. Cette décision, résultant d’une série de tensions politiques et sécuritaires, modifie profondément le paysage régional.

La décision des trois pays de quitter la CEDEAO est le point culminant de plusieurs mois de détérioration des relations avec l’organisation. En 2022 et 2023, la prise de pouvoir par des coups d’État a exacerbé les divergences avec l’institution régionale. La CEDEAO, traditionnellement soucieuse de défendre la stabilité démocratique, a adopté des mesures de rétorsion, allant jusqu’à imposer des sanctions économiques et diplomatiques à l’encontre des trois pays.
Le retrait de ces États est donc perçu comme une réponse directe à la pression exercée par la CEDEAO, mais aussi comme une tentative d’affirmer leur autonomie face à une organisation qu’ils estiment ne pas répondre adéquatement aux défis internes qu’ils rencontrent, notamment en matière de sécurité et de gestion politique.
Bien que ces trois pays aient cessé d’être membres de la CEDEAO, l’organisation a opté pour une approche mesurée, prévoyant une période de transition de six mois, allant du 29 janvier au 29 juillet 2025. Durant cette période, certaines dispositions restent en place pour éviter des perturbations majeures dans les échanges régionaux.
Parmi ces mesures, on trouve la reconnaissance des documents d’identité, y compris les passeports et cartes d’identité portant le logo de la CEDEAO, pour les citoyens des pays concernés. Les échanges commerciaux entre ces pays et les autres membres de la communauté continuent sous les termes du Schéma de libéralisation des échanges (SLEC). De même, les citoyens des trois pays conservent leur droit de circuler sans visa, une mesure qui permet de maintenir un minimum de fluidité dans les relations humaines et économiques au sein de la région.
Cependant, ces mesures ne sont que temporaires. Il est clair que la CEDEAO cherche à éviter une rupture totale. L’organisation a en effet souligné sa volonté de poursuivre le dialogue avec les trois pays et d’envisager des modalités de coopération futures, bien que cela dépende de l’évolution de la situation politique et sécuritaire.
Le retrait de la CEDEAO représente un défi majeur pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger, tant sur le plan économique que social. Les sanctions économiques imposées par la CEDEAO avaient déjà perturbé les échanges commerciaux et les investissements dans ces pays. Reste à savoir si la fin de la participation à l’organisation n’entraînera pas une aggravation de ces difficultés.
La suspension des programmes d’aide régionaux et des projets d’infrastructure initiés par la CEDEAO pourrait avoir des répercussions significatives, notamment dans la lutte contre l’insécurité et le terrorisme. En 2023, l’économie du Burkina Faso a enregistré une croissance modeste de 3,2 %, après une performance particulièrement faible de 1,8 % en 2022, selon la Banque Mondiale. Toutefois, cette reprise reste fragile en raison des perturbations causées par l’insécurité, qui ont entraîné environ 8 500 décès liés aux conflits en 2023. De plus, la pauvreté reste élevée, touchant 43,2 % de la population en 2021/22. La situation humanitaire reste également critique, avec plus de 2 millions de personnes déplacées et environ 2,3 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire grave. En revanche, pour le Mali, les données de la Banque Mondiale montrent que l’extrême pauvreté a atteint 19,1 % en 2022, exacerbée par l’envolée des prix et la faible croissance économique. Bien que la libre circulation des personnes et des biens puisse aider à atténuer certains impacts économiques, elle ne compensera pas entièrement les effets de la suspension des programmes d’infrastructure avec des menaces sur l’accès aux marchés et le développement local.
En tout état de cause, ce retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger constitue aussi une épreuve pour la CEDEAO, une organisation qui prône l’intégration régionale et la coopération sur de nombreux fronts, y compris la sécurité, les échanges commerciaux et la gouvernance. Cette situation révèle en même temps les limites de l’influence de la CEDEAO lorsqu’elle est confrontée à des changements politiques internes significatifs dans ses États membres.
L’une des grandes interrogations réside dans la capacité de la CEDEAO à maintenir son rôle de médiateur en Afrique de l’Ouest. Le blocage actuel illustre les fractures qui existent au sein de l’organisation, entre ceux qui défendent une ligne plus autoritaire et ceux qui préconisent une approche plus conciliatrice. Si l’intégration économique demeure une priorité pour la CEDEAO, la gestion des tensions internes pourrait sérieusement compromettre la cohésion de l’ensemble.
Le retrait des trois pays de la CEDEAO pourrait marquer le début d’une nouvelle dynamique régionale. Bien que les discussions soient encore en cours, il apparaît que les pays concernés chercheront de nouvelles alliances pour compenser les impacts liés à leur retrait de la CEDEAO. Les relations avec des puissances extérieures, comme la Chine ou la Russie, pourraient se renforcer, notamment dans le domaine économique et militaire.
De son côté, la CEDEAO devra repenser sa stratégie vis-à-vis de l’AES, tout en tentant de rétablir un dialogue avec les trois pays, sans renoncer à ses principes de gouvernance démocratique. Le mois de juillet 2025 sera décisif pour déterminer si un rapprochement est possible ou si la séparation sera définitive.

FIGIC-AES : La première édition prévue du 25 au 28 février 2025 à Ouagadougou

La première édition du Festival international de la gastronomie et de l’identité culturelle des pays de l’AES (FIGIC-AES) se tiendra du 25 au 28 février 2025 à Ouagadougou au Burkina Faso. Pour annoncer les couleurs de l’évènement, le comité d’organisation du Festival a tenu une conférence de presse le 24 janvier dernier  à Bamako.

Avec pour objectif global de promouvoir la richesse culinaire et culturelle des pays de l’AES afin de stimuler le développement économique et renforcer la cohésion sociale et améliorer l’attractivité touristique de la région, le FIGIC-AES vise également à mettre en valeur les traditions culinaires des pays de l’AES pour leur reconnaissance internationale,  sensibiliser les professionnels de la restauration aux pratiques durables et écoresponsables et positionner la cuisine de l’ AES comme un atout majeur  de l’offre touristique régionale.

Le Festival veut par ailleurs  renforcer les compétences des acteurs locaux du secteur de la gastronomie, promouvoir la « parenté à plaisanterie » en tant que pratique culturelle pour la paix et la cohésion sociale et stimuler l’excellence et la créativité culinaire à travers une compétition dédiée.

Placée sous le thème : « Gastronomie et traditions : vecteurs de cohésion et de développement durable dans l’espace AES », cette première édition du FIGIC-AES prévoit des compétitions  culinaires, des ateliers de formation ainsi que des rencontres culturelles et artistiques.

« Le FIGIC-AES 2025 est bien plus qu’un simple rendez-vous gastronomique  et culturel . Il constitue un véritable carrefour d’échanges et de rencontres, un creuset où se tissent les liens de fraternité et de coopération à travers notre héritage culinaire et culturel commun », a indiqué Olivia Bayala, Coordinatrice du comité d’organisation du Festival qui avait à ses côtés, Mme Oumou Traoré, initiatrice du Festival international de la cuisine africaine de Bamako (FICAB) et Mme Iro Sadia Maiga, promotrice du Festival des grillades de Niamey.

Après les échanges avec la presse, le Comité d’organisation a convié les hommes de média à la dégustation de différents mets des 3 pays de l’AES, un avant-goût des plats qui seront au rendez-vous  lors du festival à Ouagadougou.

Le FIGIC-AES est né de la fusion des expertises et expériences de plusieurs évènements emblématiques tels que le Festival international de la gastronomie de Ouagadougou (FIGO), célébrant l’art culinaire burkinabé, le Festival international de la cuisine africaine de Bamako (FICAB) mettant en avant les traditions culinaires maliennes et le Festival des grillades de Niamey, soulignant la richesse des saveurs nigériennes.

Mohamed Kenouvi

Lutte contre le terrorisme :   L’AES dévoile sa stratégie et interpelle la communauté internationale

Lors de la réunion publique de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée à la lutte contre le terrorisme en Afrique, tenue le 24 janvier 2025, l’Ambassadeur et Représentant permanent du Mali auprès des Nations Unies, M. Issa Konfourou, a présenté la vision stratégique de la Confédération des États du Sahel (AES). Cette entité regroupe le Burkina Faso, le Niger et le Mali, trois pays en première ligne face aux violences terroristes dans la région sahélienne.

Prenant la parole au nom de l’AES, M. Konfourou a souligné que la lutte contre le terrorisme, au-delà d’une priorité régionale, constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. « Le terrorisme ne se limite pas à déstabiliser nos nations. Il met en péril des vies innocentes et compromet l’avenir de nos sociétés. Nous devons unir nos efforts dans un esprit de solidarité et de responsabilité partagée », a-t-il affirmé, appelant à une réponse coordonnée et ambitieuse.
L’Ambassadeur a détaillé une stratégie globale reposant sur plusieurs axes prioritaires. Il a insisté sur l’importance d’un soutien accru aux initiatives africaines, dans le respect de la souveraineté et des priorités des États sahéliens. Il a également plaidé pour une coopération renforcée en matière de renseignement et une lutte efficace contre le financement du terrorisme, soulignant le rôle des réseaux criminels transnationaux dans le trafic d’armes et de drogues. M. Konfourou a mis en avant une approche intégrée alliant développement économique et sécurité, en insistant sur la prévention, la déradicalisation et la réinsertion des populations vulnérables. Enfin, il a rappelé l’urgence de fournir des équipements modernes, des formations adaptées et une assistance logistique aux forces sahéliennes, qui se battent courageusement malgré des moyens limités.
En mettant en lumière ces axes, M. Konfourou a évoqué les succès récents de l’AES, notamment la neutralisation de chefs terroristes, la destruction de bases ennemies, la reconquête de territoires, le retour des populations et la réouverture des écoles. Ces avancées confirment la pertinence d’une approche coordonnée et souveraine, mais elles demeurent insuffisamment reconnues dans les rapports des Nations Unies, a-t-il regretté.
M. Konfourou a également dénoncé l’ingérence de certains États étrangers dans la crise sahélienne. Il a accusé la France et l’Ukraine de soutenir ou de faciliter indirectement les groupes terroristes opérant dans la région, ce qui compromet les efforts légitimes de stabilisation. Il a appelé à une condamnation ferme de ces pratiques par les Nations Unies, insistant sur l’importance du respect de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États sahéliens.
Malgré ces défis, les violences continuent de provoquer des déplacements massifs de populations. Le Mali comptait, en septembre 2024, plus de 378 000 déplacés internes, tandis que le Burkina Faso enregistre plus de 2,1 millions de personnes déplacées. Le Niger, quant à lui, fait face à 352 000 déplacés, majoritairement dans les zones frontalières. Ces chiffres traduisent une crise humanitaire croissante, en dépit des efforts des États sahéliens.
Parallèlement à la stratégie exposée par l’AES, les trois pays membres ont récemment annoncé la mise en place d’une force conjointe de 5 000 soldats. Cette initiative vise à coordonner les efforts militaires et à sécuriser les zones les plus touchées par les violences terroristes. Dotée de moyens modernes, cette force incarne la volonté des dirigeants sahéliens de prendre en main leur propre sécurité.
M. Konfourou a lancé un appel pressant à la communauté internationale. « Nous remercions nos partenaires pour leur soutien, mais nous avons besoin d’un engagement robuste et cohérent. Cette lutte est un défi commun et nécessite une réponse collective. L’AES continuera d’œuvrer pour une paix durable, dans le respect de la souveraineté de ses membres », a-t-il déclaré, tout en s’inclinant devant la mémoire des victimes du terrorisme.
Ce discours marque l’affirmation de la Confédération des États du Sahel comme acteur central dans la lutte contre le terrorisme en Afrique, tout en réaffirmant son exigence de justice et de reconnaissance sur la scène internationale.

Lancement des passeports de l’AES : opportunités et défis pour la Confédération des États du Sahel  

Dans un communiqué rendu public, ce jeudi 23 janvier 2025, le Président de la Confédération des États du Sahel (AES), le Général d’Armée Assimi Goïta, a annoncé la mise en circulation des passeports de l’AES à compter du 29 janvier 2025. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la feuille de route de l’AES visant à renforcer l’intégration régionale et à faciliter la libre circulation des citoyens des États membres.

L’Alliance des États du Sahel, créée le 16 septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, a évolué en une confédération lors de son premier sommet en juillet 2024. Cette transformation vise à renforcer la coopération entre les pays membres pour faire face aux défis communs, notamment la menace des groupes djihadistes et les crises socio-économiques.
La mise en circulation du passeport de l’AES représente une avancée significative pour l’intégration régionale. Ce document vise à harmoniser les titres de voyage au sein de l’espace confédéral et à faciliter la mobilité des citoyens des pays membres à travers le monde. Cette initiative symbolise également la volonté des États membres de renforcer leur souveraineté et de consolider leur coopération après leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Toutefois, plusieurs défis se posent dans la mise en œuvre des passeports de l’AES. D’abord, leur reconnaissance internationale sera essentielle pour garantir la liberté de mouvement des citoyens, nécessitant des négociations diplomatiques pour éviter des restrictions de voyage. Ensuite, la coordination logistique représente un autre défi majeur, impliquant la mise en place d’un système biométrique sécurisé et la distribution efficace des passeports à l’ensemble des citoyens concernés. Enfin, les implications économiques de cette transition, notamment sur la libre circulation des biens et des personnes avec les pays voisins après le retrait de la CEDEAO, devront être évaluées et des mesures adaptées prises pour limiter les impacts négatifs sur les échanges commerciaux.
La réussite de cette initiative dépendra de la capacité des États membres de l’AES à surmonter ces défis. Une approche concertée et une collaboration étroite avec les partenaires internationaux seront essentielles pour assurer le succès de ce projet ambitieux. Le lancement des passeports de l’AES pourrait également servir de catalyseur pour d’autres projets d’intégration régionale, tels que la création d’une banque d’investissement commune et le développement d’infrastructures partagées comme annoncé lors de la rencontre des ministres en charge du développement des trois pays, tenue à Bamako du 14 au 17 janvier 2025.
La mise en circulation des passeports de l’AES à partir du 29 janvier 2025 marque une étape importante dans le processus d’intégration des États du Sahel. Bien que des défis subsistent, cette initiative témoigne de la détermination des pays membres à renforcer leur coopération et à promouvoir la libre circulation de leurs citoyens.

Transport aérien : Les Journées de l’Aviation de la Confédération des États du Sahel s’ouvrent à Bamako  

Bamako accueille depuis ce jeudi 16 janvier 2025 la deuxième édition des Journées de l’Aviation de la Confédération des États du Sahel (AES). La cérémonie d’ouverture a été présidée par Madame le Ministre des Transports et des Infrastructures du Mali, en compagnie de ses homologues des Transports du Niger et du Burkina Faso. Cette rencontre, qui prendra fin demain vendredi 17 janvier, réunit experts et décideurs pour discuter des défis et opportunités du transport aérien dans l’espace confédéral.

Placée sous le thème « Le développement du transport aérien : un facteur de consolidation de la Confédération des États du Sahel », cette édition fait suite à celle organisée à Bobo-Dioulasso en 2024. Les participants s’attellent à dresser un bilan de la mise en œuvre des recommandations formulées lors de cette première édition, tout en explorant des pistes pour le développement de l’aviation civile dans la région.
Parmi les sujets phares figure le processus de création d’une compagnie aérienne commune à l’AES, un projet ambitieux qui vise à renforcer la connectivité entre les pays membres et à stimuler les échanges économiques et humains. Selon des sources officielles, les discussions promettent d’être constructives, avec une forte volonté politique exprimée par les États membres.
Une délégation togolaise participe également à cet événement, témoignant de l’intérêt croissant des pays voisins pour les initiatives de l’AES dans le secteur aérien. Les conclusions de ces Journées seront connues demain et devraient inclure des recommandations concrètes pour améliorer les performances des services aériens au sein de la Confédération.
Un rappel de la création de Mali Airlines
Dans ce contexte de dynamisme pour le transport aérien, il est important de rappeler que le gouvernement malien a récemment approuvé la création de Mali Airlines, une nouvelle compagnie aérienne nationale. Ce projet, dont la mise en œuvre nécessitera un investissement estimé à 60 milliards de FCFA, vise à doter le Mali d’une aviation commerciale moderne et compétitive.
Mali Airlines s’inscrit dans la volonté des autorités maliennes de renforcer les infrastructures aériennes et d’améliorer les connexions nationales et régionales. Ce projet pourrait également s’insérer dans les initiatives confédérales en cours, notamment celles discutées lors des Journées de l’Aviation de l’AES.

Le Général Assimi Goïta invité à l’investiture du nouveau Président ghanéen : Un signe de rapprochement entre la CEDEAO et l’AES ?

Le 2 janvier 2025, le Président de la transition, le Général Assimi Goïta, a reçu une délégation ghanéenne conduite par Alfred Mahama, émissaire du Président élu du Ghana, John Dramani Mahama. Cette visite avait pour objectif principal de remettre en main propre une invitation officielle à l’investiture de M. Mahama, prévue le 7 janvier 2025 à Accra.

Cette démarche intervient dans un contexte diplomatique particulièrement sensible. En effet, le Mali, aux côtés du Burkina Faso et du Niger, a annoncé en janvier 2024 son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour former l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette décision, motivée par des divergences politiques et sécuritaires, devait prendre effet fin janvier 2025.
La rencontre entre l’émissaire ghanéen et le Président Goïta a également été l’occasion d’aborder des questions de coopération stratégique. Alfred Mahama a exprimé la volonté du Ghana de renforcer et d’approfondir les relations bilatérales avec le Mali, tout en envisageant une extension de cette coopération à l’ensemble des pays membres de l’AES. Il a souligné l’engagement du Ghana à se joindre aux efforts de l’AES pour trouver des solutions appropriées aux défis sécuritaires dans la région.
Cette initiative du Président élu John Dramani Mahama pourrait être interprétée comme un geste d’ouverture visant à apaiser les tensions entre la CEDEAO et l’AES. En invitant personnellement le Président Goïta à son investiture et en exprimant son désir de collaborer étroitement avec les pays de l’AES, M. Mahama semble indiquer une volonté de dialogue et de rapprochement.
Il est également notable que cette invitation survient à quelques semaines de l’échéance fixée pour le retrait définitif des pays de l’AES de la CEDEAO. La démarche du Ghana pourrait ainsi être perçue comme une tentative de médiation, visant à retarder ou à reconsidérer ce départ, dans l’intérêt de la stabilité et de la sécurité régionales.
Toutefois, les positions des pays de l’AES restent fermes. Ils ont récemment rejeté une proposition de la CEDEAO visant à prolonger de six mois le délai de leur retrait, qualifiant cette initiative d’unilatérale et contraire à leur souveraineté.
L’invitation du Président Goïta à l’investiture de John Dramani Mahama représente un développement diplomatique significatif. Elle pourrait marquer le début d’un rapprochement entre la CEDEAO et l’AES, ou du moins ouvrir la voie à un dialogue constructif entre les deux entités. Les prochaines semaines seront déterminantes pour observer si cette initiative aboutira à une détente des relations et à une coopération renforcée au sein de la région ouest-africaine.

Tensions diplomatiques : Le Mali et l’Algérie au bord de la rupture ?

Une nouvelle fois, le Mali et l’Algérie traversent une crise diplomatique sans précédent, amplifiée par des accusations de soutien au terrorisme portées par Bamako à l’encontre d’Alger.

Dans un communiqué diffusé ce mercredi 1er janvier 2025, le ministère malien des Affaires étrangères a dénoncé les déclarations du ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, les qualifiant d’ »ingérence flagrante ». Cette réaction intervient après une année marquée par des tensions croissantes, notamment la convocation mutuelle des ambassadeurs en décembre 2023, suivie de leur rappel par leurs gouvernements respectifs.

Les récents propos d’Ahmed Attaf, selon lesquels « le conflit au Mali nécessite une solution politique et non militaire », ont été perçus comme une critique directe de la stratégie malienne. Bamako accuse Alger de favoriser les groupes armés terroristes en leur offrant un soutien logistique et en cherchant à s’ingérer dans les affaires internes du Mali.

Dans un précédent communiqué, en janvier 2024, le Mali avait déjà pointé du doigt la « proximité et la complicité » de l’Algérie avec les groupes armés. Cette accusation revient aujourd’hui avec plus d’intensité, alors que les autorités maliennes soulignent leur détermination à lutter contre le terrorisme dans un cadre souverain et en coopération avec la Confédération AES.

Une présidence algérienne au Conseil de sécurité de l’ONU

Dans ce contexte tendu, l’Algérie a succédé aujourd’hui, 2 janvier 2025, aux États-Unis à la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU. Alger a déclaré vouloir faire de l’Afrique et du monde arabe ses priorités, notamment dans les domaines de la paix et de la sécurité. Ce positionnement pourrait peser sur la crise actuelle, l’Algérie cherchant à jouer un rôle de médiateur influent dans la région.

Une divergence de visions stratégiques

Cette crise diplomatique reflète des désaccords profonds sur la gestion de la sécurité dans la région sahélienne. Alors que l’Algérie plaide pour des solutions politiques, le Mali, appuyé par la Confédération AES, privilégie une stratégie militaire coordonnée pour restaurer la stabilité.

Bamako accuse Alger d’être un « pompier-pyromane » qui, tout en prônant le dialogue, soutiendrait en sous-main les groupes armés. Les autorités maliennes affirment n’avoir « aucune leçon à recevoir » en matière de lutte contre le terrorisme et appellent l’Algérie à résoudre ses propres crises internes, notamment la question de la Kabylie.

Un risque de rupture totale

À mesure que les accusations s’intensifient, une rupture complète des relations diplomatiques entre les deux pays semble de plus en plus envisageable. Cette crise pourrait également affecter les efforts régionaux contre le terrorisme, alors que le Sahel reste une zone de grande instabilité.

Le Mali, toutefois, réaffirme son ouverture au dialogue à condition que l’Algérie respecte pleinement sa souveraineté. Bamako insiste sur la poursuite de son combat contre le terrorisme en partenariat avec ses alliés régionaux et internationaux.

Alors que l’Algérie prend la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU, ses priorités en Afrique et au sein du monde arabe pourraient influer sur les dynamiques régionales. Pour le Mali, cette période marque un tournant dans ses relations diplomatiques, entre tensions avec Alger et rapprochement avec ses partenaires de la Confédération AES.

La gestion de cette crise pourrait redéfinir les équilibres stratégiques dans la région sahélienne, alors que les deux nations s’affirment dans des visions de sécurité divergentes.

 

 

Lutte antiterroriste : l’armée annonce la neutralisation du N°2 de la Katiba Serma

Les Forces Armées Maliennes (FAMa) ont intensifié leurs opérations antiterroristes ces derniers jours, selon plusieurs communiqués de l’État-Major Général des Armées publiés récemment.

Le 26 décembre, une opération ciblée réalisée avec l’appui de l’AES (Confédération des États du Sahel) aurait permis d’éliminer un haut responsable de la Katiba Serma, identifié comme son numéro 2. Cette intervention, menée dans les environs de Serma, aurait été effectuée sur la base d’un renseignement précis et sans causer de dommages collatéraux, selon les autorités militaires.
La Katiba Serma est un groupe jihadiste opérant principalement dans la région de Douentza depuis 2012. Son nom provient de la forêt de Serma, située au sud de Boni, qui sert de refuge à cette cellule affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Ce groupe a émergé dans un contexte de conflits sociaux au sein de communautés locales.
L’organisation interne de la Katiba Serma demeure opaque, avec peu d’informations disponibles sur son leadership et ses capacités opérationnelles. Les membres de ce groupe sont principalement originaires des localités de Boni et Mondoro, et leurs actions se concentrent sur des assassinats ciblés, des enlèvements et des menaces locales. Cependant, certains combattants associés à la Katiba Serma ont participé à des attaques de grande envergure, notamment à Ouagadougou en mars 2018 et à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire .
La forêt de Serma, située au sud de Boni dans le cercle de Douentza, est une zone boisée qui a servi de base logistique et d’entraînement pour des groupes armés terroristes. Des opérations militaires antérieures, notamment en 2017 et 2019, ont visé cette zone pour démanteler des camps jihadistes et saisir des armes et munitions.
Par ailleurs, entre le 22 et le 25 décembre, des missions de reconnaissance offensive ont été menées dans différentes zones, notamment dans la région de Tombouctou, entre Goundam et Niafunké. Ces opérations auraient permis la neutralisation de trois individus qualifiés de présumés terroristes et la saisie de matériel comprenant des munitions et des stocks de carburant.
Dans la région de Ménaka, une opération réalisée le 24 décembre a conduit à l’interpellation d’un suspect, tandis que le 25 décembre, une base présumée terroriste a été découverte dans la forêt de Miniani. Les forces maliennes y auraient récupéré divers équipements militaires, dont des roquettes et des munitions.
Ces récentes actions des FAMa s’inscrivent dans une stratégie plus large de lutte contre les groupes armés terroristes opérant dans plusieurs régions du Mali. Les autorités militaires réitèrent leur engagement à assurer la sécurité des populations civiles et à maintenir une vigilance accrue face aux menaces persistantes.
Les opérations se poursuivent, avec une collaboration renforcée entre les forces nationales et les partenaires, afin de restaurer la paix et la stabilité dans les zones affectées par l’insécurité, a assuré l’État-Major.

Renommage des espaces publics : L’absence remarquée de femmes et d’anciens dirigeants 

Le mercredi 25 décembre, les autorités ont procédé à la rebaptisation de plusieurs lieux publics emblématiques à travers le pays. Ce processus s’inscrit dans une démarche globale visant à tourner la page de l’héritage colonial tout en promouvant des figures et valeurs nationales. Parmi les espaces concernés figurent des rues, des avenues, des boulevards, des places publiques et des institutions académiques.

Dans la capitale Bamako, plusieurs lieux emblématiques ont été renommés dans le cadre d’un effort de valorisation de l’histoire nationale et de décolonisation symbolique. La Rue Faidherbe est désormais connue sous le nom de Rue Mamadou Lamine Dramé, en hommage à un résistant de renom contre la colonisation. De même, l’Avenue Ruault a été rebaptisée Avenue Capitaine Sékou Traoré, honorant un héros national de la défense de la souveraineté.

Par ailleurs, la Rue Archinard porte désormais le nom de Rue El Hadj Cheick Oumar Tall, une figure clé de la résistance anticoloniale et de la spiritualité islamique. La Rue Borgnis-Desbordes, autrefois associée à une figure coloniale, est devenue la Rue Samory Touré, en l’honneur de l’empereur ouest-africain qui a mené une lutte acharnée contre la colonisation.

Dans le cadre des grandes artères, le Boulevard Soundjata Keïta, en référence au fondateur de l’Empire du Mali, remplace la Route régionale n°9, reliant le Rond-point de Koulouba à l’entrée du Camp Soundjata Keïta à Kati. Le Boulevard Damaguilé Diawara, nommé d’après un acteur historique majeur, relie Samé au rond-point du Camp Soundjata à Kati via la Route nationale n°3.

Enfin, les places publiques ne sont pas en reste. La Place du Sommet Afrique-France a été rebaptisée Place de la Confédération des États du Sahel, marquant une nouvelle ère de coopération régionale et de souveraineté renforcée. L’Avenue CEDEAO a été renommée Avenue de l’Alliance des États du Sahel (AES), en référence à l’organisation régionale créée en 2023.

Ce changement vise à marquer une symbolique avec des institutions internationales perçues comme héritières d’une influence étrangère.

Cependant, une critique majeure s’élève : aucun des nouveaux noms ne met à l’honneur les femmes, bien qu’elles aient joué un rôle déterminant dans l’histoire du Mali. Des figures féminines telles qu’Aoua Kéita, première femme députée du Mali et militante anticolonialiste, Sira Diop, pionnière de l’éducation féminine, Inna Sissoko Cissé, première femme membre du gouvernement ou encore Mariam Travélé, Enseignante, militante pour l’indépendance et première Première Dame du Mali, épouse du président Modibo Keïta, etc. n’ont pas été intégrées au projet. Cette omission suscite des interrogations sur l’inclusivité et la reconnaissance du rôle des femmes dans la construction nationale.

Autre aspect controversé, aucun des anciens présidents élus comme Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020), n’a été honoré. Leur exclusion des nouvelles dénominations étonne, étant donné leur contribution respective à l’histoire contemporaine du Mali. Alpha Oumar Konaré, premier président démocratiquement élu, est reconnu pour ses efforts de réforme institutionnelle et culturelle. Ibrahim Boubacar Keïta, malgré les critiques, reste associé à des avancées économiques et diplomatiques durant son mandat.

Un débat national en cours

Le processus de débaptisation a relancé le débat sur l’équilibre à trouver entre mémoire historique, souveraineté nationale et inclusivité. Si la démarche est saluée par certains comme une étape importante de décolonisation, d’autres critiquent une approche jugée incomplète. Des voix s’élèvent pour réclamer une seconde phase intégrant des femmes et des figures politiques contemporaines, afin de refléter la diversité et la richesse de l’histoire malienne.

Ce projet de renommage pourrait s’étendre à d’autres villes du pays, comme Tombouctou, Gao ou Kidal, où des figures locales attendent également une reconnaissance nationale. Cependant, pour éviter les critiques persistantes, les autorités devront faire preuve d’une plus grande inclusivité, notamment en intégrant des figures féminines et contemporaines dans leur démarche.

 

Sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO : l’ONU alerte sur un risque pour la démocratie en Afrique de l’Ouest

Depuis l’annonce, le 28 janvier 2024, du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les développements se sont accélérés, suscitant de vives préoccupations quant à l’avenir de la démocratie et de la stabilité dans la région.

Le 13 décembre 2024, les autorités militaires des trois pays ont réaffirmé le caractère « irréversible » de leur décision de quitter la CEDEAO, malgré les tentatives de médiation de l’organisation régionale.
En réponse, lors du sommet du 15 décembre 2024 à Abuja, la CEDEAO a pris acte de cette décision et a établi une période de transition du 29 janvier au 29 juillet 2025 pour formaliser le départ des trois États.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) et plusieurs acteurs internationaux ont exprimé leur préoccupation face à cette situation, craignant une déstabilisation de la région et une remise en cause des efforts prodémocratiques. Des craintes subsistent quant au fait que le retrait de ces pays puisse affaiblir les mécanismes régionaux de promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, qui sont essentiels pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest.
Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO pose un défi majeur aux initiatives prodémocratiques de l’organisation. La CEDEAO, qui a joué un rôle clé dans la promotion de la démocratie et la prévention des coups d’État dans la région, voit son influence potentiellement diminuée. Les programmes visant à renforcer la gouvernance démocratique, les droits de l’homme et l’État de droit pourraient être entravés par l’absence de ces États membres.
Perspectives d’avenir
Face à cette situation, l’ONU et d’autres partenaires internationaux appellent au dialogue entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) afin de trouver des solutions consensuelles. L’objectif est de préserver les acquis démocratiques dans la région et d’assurer une coopération efficace contre les défis communs, notamment le terrorisme et l’insécurité.
C’est ainsi que des appels ont été lancés aux acteurs régionaux et internationaux pour qu’ils travaillent ensemble au renforcement des mécanismes de gouvernance démocratique et évitent une érosion des progrès réalisés au cours des dernières décennies en Afrique de l’Ouest. Le maintien de la stabilité et de la démocratie dans la région dépendra de la capacité des parties prenantes à surmonter ces défis par le dialogue et la coopération.

AES vs CEDEAO : Refus du délai, alerte maximale et rappel des tensions au Sommet d’Abuja

Ce dimanche 22 décembre 2024, le Collège des Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel (AES) a diffusé un communiqué ferme et sans concession, lu au journal de 20 heures sur la télévision nationale malienne. Cette déclaration, portée par le Général Assimi Goïta, président de l’AES, rejette catégoriquement la proposition de la CEDEAO de prolonger de six mois le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

Selon l’AES, cette décision est perçue comme une « tentative de déstabilisation orchestrée par des puissances néocoloniales, notamment la France, appuyées par certains États membres de la CEDEAO ». En réponse, l’AES a décrété une mise en alerte maximale de ses forces de défense et de sécurité et a appelé à la vigilance accrue des populations.

Le sommet extraordinaire de la CEDEAO, tenu le 15 décembre 2024 à Abuja, avait marqué une étape clé dans la gestion des relations tendues avec les trois pays membres de l’AES. Lors de cette rencontre, les chefs d’État de la CEDEAO ont décidé d’acter le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, prévu initialement pour le 29 janvier 2024, tout en proposant une période de six mois supplémentaires, jusqu’en juillet 2024, pour définir les modalités pratiques de ce départ. Cette décision visait à explorer une éventuelle réintégration de ces États tout en permettant à la CEDEAO de mieux préparer la transition, notamment à travers la délocalisation de ses bureaux et la réorganisation institutionnelle. Toutefois, cette proposition a été rejetée catégoriquement par l’AES.
Dans son communiqué, l’AES a réaffirmé le caractère irréversible et immédiat du retrait de ses membres de la CEDEAO, qualifiant la prolongation de six mois de « tentative dilatoire ». Selon les dirigeants de l’AES, cette décision aurait pour but de permettre aux puissances étrangères, notamment la France, de renforcer des stratégies de déstabilisation dans la région. L’AES accuse également certains dirigeants de la CEDEAO d’être manipulés par des agendas étrangers, sapant ainsi les efforts de souveraineté et d’intégration régionale que la Confédération des États du Sahel entend incarner.
En réponse à cette situation, l’AES a pris des décisions sécuritaires d’envergure. Les forces armées des trois pays membres ont été placées en état d’alerte maximale pour contrer toute menace, qu’elle soit interne ou externe. L’AES a également annoncé la mise en place d’un théâtre unique d’opérations militaires couvrant l’ensemble de l’espace confédéral, ce qui permet une coordination renforcée face aux défis sécuritaires communs, tout en maintenant les opérations militaires nationales. Par ailleurs, un appel a été lancé aux populations pour redoubler de vigilance et collaborer étroitement avec les forces de sécurité. Elles sont invitées à signaler tout comportement suspect et à rejeter catégoriquement toute tentative d’enrôlement dans des groupes terroristes.
Le communiqué de l’AES accuse ouvertement la France de dissimuler ses ambitions néocoloniales derrière la fermeture apparente de certaines bases militaires. Selon l’AES, ces bases seraient remplacées par des dispositifs plus discrets mais tout aussi opérationnels. L’AES dénonce également un soutien logistique et financier apporté à des groupes armés dans des zones frontalières sensibles, notamment entre le Niger et le Nigeria, le Niger et le Bénin, ainsi que le Burkina Faso et le Bénin. Ces activités viseraient à alimenter une instabilité régionale, compromettant ainsi les efforts sécuritaires de l’AES.
Incident diplomatique entre le Niger et le Nigeria
La situation s’est également tendue sur le plan diplomatique, notamment entre le Niger et le Nigeria. Récemment, le ministre des Affaires étrangères du Niger a convoqué la chargée d’affaires de l’ambassade du Nigeria à Niamey pour protester contre l’installation présumée de bases militaires étrangères à la frontière entre les deux pays. L’AES soupçonne que ces installations pourraient servir de plateforme pour des actions visant à déstabiliser la région et compromettre la souveraineté du Niger.
Les tensions entre l’AES et la CEDEAO démontrent des divergences profondes sur les questions de souveraineté et de gouvernance régionale. Alors que la CEDEAO cherche à préserver son intégrité et son influence dans la région, l’AES entend s’affirmer comme une entité souveraine et indépendante, rejetant toute ingérence étrangère. Toutefois, cette crise risque d’avoir des répercussions majeures sur la stabilité régionale, notamment dans la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires.
À l’approche de l’échéance de janvier 2025, les tensions entre l’AES et la CEDEAO semblent s’aggraver, laissant peu de place à un compromis. L’AES, forte de sa dynamique souverainiste, devra relever des défis sécuritaires et diplomatiques de taille, tandis que la CEDEAO devra ajuster ses stratégies pour éviter une escalade régionale. La stabilité et la paix au Sahel restent suspendues à l’issue de cette confrontation entre deux visions diamétralement opposées de l’avenir de la région.

CEDEAO – AES : Une période transitoire pour éviter le divorce ?

À l’issue de la 66ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, tenue à Abuja le 15 décembre 2024, l’organisation a décidé d’octroyer une période de transition supplémentaire de six mois avant d’acter définitivement le retrait des pays de l’AES.

Bien que le divorce semble inévitable entre les deux organisations, la CEDEAO laisse ses portes ouvertes à un retour en son sein du Burkina Faso, du Mali et du Niger, tout en examinant les modalités de leur départ.

Dans le communiqué final de ce 66ème sommet, la CEDEAO indique avoir pris note de la notification par la République du Mali, la République du Niger et le Burkina Faso de leur décision de se retirer de l’organisation. Elle reconnaît que, conformément aux dispositions de l’article 91 du Traité révisé de 1993, les trois pays cesseront officiellement d’être membres de la CEDEAO à partir du 29 janvier 2025.

Cependant, la note précise que « la Conférence décide de fixer la période du 29 janvier au 29 juillet 2025 comme période de transition au cours de laquelle les portes de la CEDEAO resteront ouvertes au retour des trois pays ».

Pendant cette période, la Commission de la CEDEAO devra gérer la situation des salariés contractuels de l’organisation originaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger, tout en préparant le déménagement des différentes agences communautaires dont les sièges sont situés dans ces trois États, membres fondateurs de la communauté ouest-africaine.

Une session extraordinaire du Conseil des ministres de la CEDEAO se tiendra également au cours du deuxième trimestre 2025 pour examiner et adopter à la fois les modalités de séparation et le plan de contingence couvrant les relations politiques et économiques entre la CEDEAO et les trois pays de la Confédération des États du Sahel.

Ultime médiation

Parallèlement à la finalisation du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, la CEDEAO continuera de dialoguer avec les dirigeants de ces trois pays pour tenter de les convaincre de revenir sur leur décision de quitter le bloc sous-régional.

Le sommet du 15 décembre a décidé de proroger le mandat des Présidents sénégalais et togolais, Bassirou Diomaye Dhiakar Faye et Faure Essozimna Gnassingbé, « pour poursuivre leur médiation jusqu’à la fin de la période de transition, en vue du retour des trois pays ».

Selon la Présidence sénégalaise, le Président Faye devrait effectuer une visite dans les prochaines semaines dans les trois pays pour « poursuivre le dialogue diplomatique en vue de leur réintégration ». Bassirou Diomaye Dhiakar Faye s’était déjà rendu au Mali et au Burkina Faso le 30 mai dernier.

Cependant, l’hypothèse d’un retour des trois pays membres de l’AES au sein de la CEDEAO semble peu probable. Réunis à Niamey le 13 décembre dernier pour débattre de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace AES, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont réaffirmé le caractère irréversible de leur décision de quitter la CEDEAO.

La période supplémentaire de dialogue entre les médiateurs de la CEDEAO et les dirigeants des pays de l’AES pourrait-elle aboutir à une réconciliation entre les deux blocs ? « Rien n’est exclu. Les lignes peuvent encore bouger, mais, au vu de la situation actuelle, il sera très difficile pour les médiateurs de la CEDEAO de convaincre les chefs d’État de l’AES de retourner au sein de l’organisation ouest-africaine. Je pense qu’il faudrait plutôt discuter des modalités de ce retrait et surtout de la cohabitation future entre la CEDEAO et l’AES », répond Ibrahim Sidibé, analyste politique.

Dr Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13, partage cet avis. Selon lui, il est très peu probable que le Mali, le Niger et le Burkina Faso, avec leurs autorités actuelles, décident de revenir au sein de la CEDEAO. « Encore plus si la CEDEAO s’inscrit dans une dynamique purement politique, elle n’obtiendra pas de fléchissement de la part des pays de l’AES », conclut-il.

Mohamed Kenouvi

Ibrahim Maïga, Conseiller principal pour le Sahel à l’ICG : « Le souverainisme répond à un double mécontentement populaire »

Alors que la CEDEAO se prépare à un sommet décisif le 15 décembre 2024 pour discuter du retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger, Ibrahim Maïga, Conseiller principal pour le Sahel à l’International Crisis Group (ICG), analyse les dynamiques du souverainisme malien, son impact sur la jeunesse et les défis régionaux. 

Quels éléments expliquent le choix souverainiste des autorités maliennes après le double coup d’État ?

Deux raisons-clés motivent ce tournant souverainiste. D’abord, les autorités maliennes ont adopté cette posture comme un moyen de renforcer leur légitimité et de résister aux pressions extérieures, notamment après un second coup d’État en moins de neuf mois. Ensuite, ce souverainisme répond à un double mécontentement populaire. D’une part, face à des élites politiques nationales jugées corrompues et inefficaces. D’autre part, en réaction aux forces internationales, qui, depuis 2013, n’ont pas réussi à endiguer la dégradation sécuritaire marquée par l’expansion des groupes jihadistes.

 

Comment le discours souverainiste est-il perçu par la jeunesse malienne ?

Le souverainisme bénéficie d’une large adhésion parmi les jeunes Maliens, notamment grâce à l’essor d’Internet et des réseaux sociaux. Depuis la fin des années 2010, ces canaux ont permis de diffuser ces idées et de renforcer leur popularité. Cependant, la situation économique actuelle, marquée par une crise énergétique sans précédent et un chômage élevé, fragilise cette adhésion. Les frustrations liées au manque d’opportunités économiques remettent en question l’efficacité des politiques des autorités souverainistes, surtout auprès de cette frange de la population.

Quelles sont les attentes pour le sommet de la CEDEAO, prévu le 15 décembre prochain, concernant le retrait du Mali et des autres pays de l’AES ?

Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO constitue un défi majeur pour l’intégration régionale. Cette décision aura des répercussions sécuritaires, politiques et économiques, bien qu’il soit difficile de les évaluer à ce stade. Une possibilité pour le sommet serait d’envisager une prorogation du délai de retrait, initialement fixé au 29 janvier 2025. Cette prolongation offrirait une opportunité de négocier une séparation en douceur afin d’atténuer ses impacts sur les populations ou même solution ambitieuse : ramener les Etats de l’AES à faire marche arrière.

 

La montée du souverainisme s’accompagne-t-elle de dérives ?

Oui, on observe un rétrécissement de l’espace civique sous prétexte de défendre l’intérêt national. Certains perçoivent ce durcissement comme une tentative des autorités de renforcer leur contrôle et de conserver le pouvoir. Cependant, il est important de noter que la popularité actuelle du régime ne signifie pas un rejet des principes démocratiques par les Maliens. Elle traduit plutôt une désillusion envers les régimes précédents, accusés d’avoir échoué à répondre aux aspirations populaires.

 

L’ICG insiste sur l’importance d’un dialogue politique inclusif au Mali. Pourquoi est-ce crucial ?

Les autorités maliennes devraient adopter un souverainisme plus ouvert et plus inclusif. Le pays traverse une crise multiforme qui ne peut être résolue sans un consensus national impliquant tous les segments de la société. En l’absence de ce dialogue, les divisions internes risquent de s’aggraver, rendant encore plus complexe la résolution des problèmes sécuritaires et économiques. De manière concrète, les autorités de transition doivent saisir l’opportunité de l’élaboration d’une charte pour la paix, l’une des recommandations issues du dialogue intermalien de mai 2024, pour apaiser le climat politique et relancer des pourparlers avec les forces belligérantes.

 

Un dernier mot sur les défis régionaux et le rôle de la CEDEAO ?

La CEDEAO est à un moment charnière de son histoire. Elle doit trouver un équilibre entre fermeté et diplomatie pour gérer la crise actuelle. Le sommet du 15 décembre sera crucial pour redéfinir ses relations avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Si l’organisation parvient à préserver son unité tout en répondant aux aspirations souverainistes de ces États, elle pourra non seulement renforcer son rôle régional, mais aussi démontrer sa capacité à concilier stabilité, sécurité et respect des souverainetés nationales.

Burkina Faso : Jean Emmanuel Ouédraogo nommé Premier ministre

Le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, a nommé Jean Emmanuel Ouedraogo Premier ministre et chef du gouvernement, selon un décret lu à la télévision nationale ce 7 décembre 2024 par le secrétaire général du gouvernement.

Ancien ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement sous la même transition, Jean Emmanuel Ouedraogo succède à Me Apollinaire Joachim Kyelem de Tambèla à la primature. Journaliste de profession, il a débuté sa carrière à la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) avant d’occuper des fonctions dans l’administration publique et la diplomatie, où il s’est spécialisé dans la gestion des affaires publiques et les réformes économiques.
Cette nomination intervient dans un contexte marqué par des défis sécuritaires et économiques importants. Jean Emmanuel Ouedraogo sera chargé de conduire la transition politique, renforcer la sécurité et relancer l’économie du pays.
Par ailleurs, ce changement à la tête du gouvernement burkinabè intervient peu après une décision similaire au Mali, autres pays membre de l’AES, où le général de division Abdoulaye Maïga a été nommé Premier ministre, remplaçant Choguel Maïga. Ces deux nominations, dans des pays confrontés à des enjeux similaires de stabilisation et de relance, traduisent une volonté commune de renforcer la gouvernance dans une région en proie à des crises complexes.

Harmonisation des documents de voyage et d’identité : Les experts de l’AES en réunion à Bamako

L’hôtel Salam de Bamako a abrité, les mercredi 2 et jeudi 3 octobre, une réunion des experts de l’Alliance des États du Sahel (AES). Présidée par Oumar Sogoba, Secrétaire Général du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, cette rencontre était consacrée à l’harmonisation des documents de voyage et d’identité au sein des pays membres de l’AES.

L’objectif était de parvenir à un accord sur des normes communes qui faciliteront la mobilité des citoyens des trois États membres.
Cette réunion s’inscrit dans le cadre de la décision prise, fin janvier 2024, par les pays membres de l’AES, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, de se retirer de la CEDEAO. Cette décision constitue une étape importante dans leur volonté d’asseoir une plus grande autonomie en matière de coopération régionale. L’AES, formée le 16 septembre 2023, vise à renforcer l’intégration entre ces trois pays sahéliens, notamment à travers la mise en place d’un passeport biométrique commun, un sujet discuté lors du premier sommet de l’AES sous la présidence du Colonel Assimi Goïta, le 6 juillet dernier.
La présente rencontre s’inscrit donc dans la continuité des efforts visant à faciliter la circulation des biens et des personnes. La création de ce passeport biométrique est envisagée comme un levier stratégique pour renforcer les échanges économiques, mais aussi pour améliorer les liens sociaux et humains entre les citoyens des trois pays.
Durant deux jours, les experts des différents ministères et institutions concernées ont débattu des modalités techniques et juridiques de la mise en place de ces nouveaux documents d’identité et de voyage. Parmi les points clés abordés figurent la sécurité des données biométriques, les systèmes d’interopérabilité entre les administrations des trois pays ainsi que les mécanismes de contrôle aux frontières. L’issue de ces discussions aboutira à la formulation de recommandations  qui seront soumises aux ministres en charge de la sécurité.
Cette initiative s’inscrit dans la mise en œuvre des résolutions prises par l’AES lors du premier sommet de l’organisation tenu, le 6 juillet dernier, à Niamey, visant à doter la région d’instruments adaptés à ses ambitions d’intégration économique, sécuritaire et sociale.

Retrait de la CEDEAO : L’AES face à la pression internationale

Alors que la fin de l’échéance pour le retrait effectif du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO approche à grands pas, la médiation de la dernière chance tentée par la communauté sous-régionale se prépare. En attendant son issue, l’Union africaine et les Nations unies, dans une moindre mesure, maintiennent une certaine pression sur les dirigeants de la Confédération de l’AES. 

La médiation annoncée par la CEDEAO à l’issue de son sommet du 7 juillet 2024 pour dialoguer avec les pays de l’AES, qui avaient annoncé fin janvier leur retrait de l’institution sous-régionale, n’est pas encore entrée dans sa phase active.

Désigné facilitateur, aux côtés du Président Faure Gnassingbé, par ses pairs de la CEDEAO, le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a indiqué le 13 juillet dernier qu’il allait se rendre, sans préciser de date, chez son homologue togolais pour « définir ensemble les voies et moyens pour trouver au moins une plage de discussion » avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Bassirou Diomaye Faye, qui s’exprimait lors d’une interview avec la presse nationale à l’occasion de ses 100 jours au pouvoir, ne se « fait pas d’illusions » et ira chez ses homologues de la Confédération AES « avec beaucoup d’humilité ».

« J’ai eu la chance ou la malchance de ne pas être là quand les sanctions étaient prises par la CEDEAO contre les États de l’AES.  Ces États ne me regardent pas comme quelqu’un qui était parmi ceux qui les ont sanctionnés, donc ils ont une facilité à me parler plus qu’ils ne peuvent en avoir pour les autres. C’est un atout qu’il faut mettre au service de la communauté pour faire en sorte que la réconciliation renforce l’objectif d’intégration », a souligné par ailleurs le Président sénégalais.

« Inacceptable pour l’UA »

Lors de son allocution d’ouverture du 65ème Sommet de la CEDEAO, le 7 juillet à Abuja, le Président de la Commission de l’institution ouest africaine, Omar Alieu Touray, avait mis en garde les pays de la Confédération de l’AES sur les éventuelles conséquences négatives qui pourraient découler de leur retrait du bloc sous-régional. Une sorte d’intimidation envers eux, selon certains analystes. Le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, avait d’ailleurs dénoncé cette démarche comme une tentative de retournement des populations contre les dirigeants de l’AES.

« Le retrait des 3 pays de la CEDEAO est inacceptable pour l’Union africaine et nous croyons en une seule CEDEAO », avait déclaré de son côté le représentant de l’Union africaine à ce sommet, Bankole Adeoye, Commissaire en charge des Affaires politiques, paix et sécurité. Ces propos ont provoqué le courroux des États de l’AES, que les ministres des Affaires étrangères ont souligné dans une déclaration commune en date du 11 juillet 2024.

« Les ministres des Affaires étrangères de la Confédération des États du Sahel désapprouvent et condamnent avec la dernière rigueur cette attitude, contraire au devoir de réserve et à l’obligation d’impartialité qui incombe à tout fonctionnaire d’une organisation intergouvernementale », ont-ils répliqué.

L’ONU pour l’unité régionale

Le 12 juillet, le Chef du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Représentant spécial du Secrétaire général, Leonardo Santos Simão, a également appelé à la préservation de l’unité régionale en Afrique de l’ouest, tout en s’inquiétant de la réduction de la participation des pays de l’AES aux mécanismes régionaux de coopération en matière de sécurité.

« La position de L’Union Africaine, comme celle des Nations Unies, se comprend. Ce sont des réactions tout à fait normales dans le sens où c’est l’architecture même des organismes internationaux qui est ainsi faite », estime l’analyste en stratégie internationale et ancien ambassadeur du Mali en Turquie Birahim Soumaré.

« En dehors d’un compromis avec la CEDEAO, j’ai bien peur qu’il y ait une sorte d’isolement qui s’installe au niveau des pays de l’AES par rapport aux organisations internationales, tant au niveau de l’Union Africaine que du Système des Nations Unies », craint l’ancien diplomate.

Le ton est tout autre chez le Premier ministre burkinabé. Dans une intervention, le 10 juillet lors d’une rencontre avec les Directeurs régionaux des Nations Unies, Dr. Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambèla a déclaré que son pays (membre de l’AES) n’hésiterait pas à quitter l’Union africaine et l’ONU si elles se comportaient comme la CEDEAO.

AES – CEDEAO : l’inévitable divorce

L’adoption le 6 juillet 2024 à Niamey du traité instituant la Confédération « Alliance des États du Sahel », regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, lors du 1er sommet des Chefs d’États de l’Alliance, marque une étape décisive dans la séparation des trois pays d’avec la CEDEAO. Même si le bloc sous-régional ouest-africain s’active toujours pour leur retour au sein de la Communauté, le divorce entre les deux entités semble de plus en plus inévitable et pourrait bouleverser les dynamiques d’intégration politique et institutionnelle en Afrique de l’ouest.

C’était attendu depuis quelques mois. Le 1er sommet des Chefs d’États des pays membres de l’Alliance des États du Sahel, tenu à Niamey le 6 juillet, a consacré la naissance de la Confédération « AES » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, après la volonté commune des trois pays, en septembre 2023, de mettre en place une architecture de défense collective.

« Les Chefs d’États ont décidé de franchir une étape supplémentaire vers une intégration plus poussée entre les pays membres. À cet effet, ils ont adopté le traité instituant une Confédération entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger, dénommée Confédération « Alliance des États du Sahel », en abrégé Confédération AES », indique le communiqué final du sommet.

Outre la concrétisation de la Confédération, les trois chefs d’États, le Capitaine Ibrahim Traoré, le Colonel Assimi Goïta et le Général Abdourahamane Tiani, ont souligné la nécessité d’une coordination de l’action diplomatique ainsi que l’importance de parler d’une seule voix et celle de mutualiser leurs moyens en vue de mettre en place des projets structurants et intégrateurs dans des secteurs stratégiques, tels qu’entre autres l’agriculture et la sécurité alimentaire, l’énergie et les mines, la communication et les télécommunications, ainsi que l’éducation et la formation professionnelle. Ils ont par ailleurs décidé de la création d’une Banque d’investissement de l’AES et de la mise en place d’un fonds de stabilisation.

Rupture presque consommée

Alors qu’en parallèle au sommet des Chefs d’États des pays membres de l’AES le 65ème sommet ordinaire des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, tenu le 7 juillet 2024 à Abuja, aurait pu définitivement prendre acte du retrait annoncé des pays de l’AES, les dirigeants de l’institution ouest-africaine ont décidé de poursuivre la dynamique de discussion avec les trois pays concernés en vue d’éviter leur départ du bloc sous-régional.

En reconnaissant le « manque de progrès dans les interactions avec les autorités des trois pays », la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO a décidé d’entamer une « approche plus vigoureuse » et a désigné le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, en collaboration avec son homologue togolais Faure Gnassingbé, comme facilitateur de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté avec l’AES.

Pour Bassirou Diomaye Faye, qui avait déjà rencontré les Présidents de transition Goïta et Traoré lors de sa visite au Mali et au Burkina Faso le 30 mai dernier, le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO serait « le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué et que nous avons la responsabilité historique de sauvegarder et de transmettre aux générations futures ».

Mais si le Président sénégalais affiche son optimisme par rapport à un rapprochement des positions d’ici la fin du délai du « préavis » de retrait, la plupart des analystes jugent infimes les chances d’un retour des pays de l’AES au sein de la CEDEAO. D’ailleurs, pour les militaires aux commandes de la Confédération AES, comme souligné pendant les prises de paroles et consigné dans le communiqué final, le retrait de la CEDEAO est « irrévocable et sans délai ».

« Par rapport à la CEDEAO, nos Chefs d’États ont été très clairs à Niamey en indiquant que le retrait des trois pays de la CEDEAO est irrévocable et qu’à partir de cet instant nous devons cesser de regarder dans le rétroviseur », a clamé lundi à la télévision nationale le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop.

Selon Boubacar Bocoum, analyste politique au Centre d’études stratégiques Sénè, la voie prise par les dirigeants des pays de l’AES est un chemin de non-retour, parce que, soutient-il, la CEDEAO a été arrogante envers ces trois pays et a montré son incapacité à aller vers un une intégration économique.

« Nous ne sommes pas isolés, ni sortis de l’esprit de fédéralisme et de solidarité entre les peuples prônés par les pères fondateurs de la CEDEAO. L’AES, au contraire, est l’embryon d’une nouvelle CEDEAO, propulseuse des États Unis d’Afrique », affirme-t-il.

Quelle cohabitation ?

Si les dirigeants de l’AES et de la CEDEAO sont loin d’un compromis pouvant permettre un maintien du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la communauté sous-régionale ouest africaine, ils sont conscients, d’un côté comme de l’autre, de la nécessité d’une cohabitation pacifique entre deux blocs partageant le même espace géographique.

« Nous restons ouverts à un travail avec nos voisins et d’autres organisations, avec lesquelles nous partageons cet espace et avec lesquelles nous sommes condamnés à vivre. Nous allons devoir maintenir les discussions avec les autres pour avancer », a déclaré le ministre Abdoulaye Diop. « Dans tous les cas, dans un processus d’intégration, il y a des gains et des pertes pour tout le monde. Mais nous devons travailler à en minimiser l’impact pour nos populations et c’est à cela que s’attèlent nos autorités », a assuré le Chef de la diplomatie malienne.

La Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, parallèlement à la mission de facilitation assignée au Président Diomaye Faye, qui sera épaulé par le Président Faure Gnassingbé, se prépare aussi au changement de nature des relations de l’institution avec les pays membres de la Confédération AES après l’effectivité de leur retrait, en janvier 2025. Ainsi, les dirigeants ouest-africains ont demandé à la Commission d’élaborer un plan d’urgence prospectif à leur intention pour « faire face à toutes les éventualités dans les relations avec les pays de l’AES », en tenant compte des exigences de l’article 91 du Traité révisé de la CEDEAO de 1993.

Parmi les conséquences du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, le Président de la Commission de la CEDEAO, Omar  Alieu Touray, avait  évoqué, lors de l’ouverture du sommet d’Abuja du 7 juillet, l’éventualité pour les ressortissants des trois pays de devoir mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région et la fin pour eux du bénéfice des facilités de la CEDEAO pour résider ou créer librement des entreprises dans les différents pays où ils seraient alors soumis à diverses lois nationales.

Pour l’analyste Ousmane Bamba, modérateur du « Forum du Kenoudougou », de telles mesures, si elles venaient à être prises par les pays de la CEDEAO, vont entraîner de facto le principe de réciprocité du côté des pays de la Confédération AES.

« On peut divorcer en sauvant les meubles. Nous avons intérêt à nous entendre », glisse-t-il, prenant l’exemple sur l’importance de l’espace aérien de l’AES pour les vols de la sous-région vers l’Europe, dont l’imposition d’un contournement entraînerait un véritable renchérissement des billets d’avion.

Le sociologue Bréhima Ely Dicko souligne pour sa part la nécessité d’aller vers des accords en termes de relecture du protocole de libre circulation des personnes et des biens de la CEDEAO, 84% des Maliens vivant à l’étranger étant installés dans les pays de la CEDEAO. « Si nous sortons de la CEDEAO, il faut aller vers des accords avec les pays membres pour que nos populations qui résident dans ces pays ne soient pas victimes des mesures que la CEDEAO pourrait être amenée à prendre », alerte-t-il.

CEDEAO : quelles chances pour un retour des pays de l’AES ?

Les appels du pied et les initiatives pour ramener le Burkina Faso, le Mali et le Niger dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se multiplient depuis un moment. Alors que les trois pays, qui ont annoncé leur départ du bloc sous-régional fin janvier, sont pleinement tournés vers la création de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, un retour dans la CEDEAO est-il envisageable ?

La CEDEAO est visiblement décidée à tout mettre en œuvre pour ne pas laisser s’en aller le Burkina Faso, le Mali et le Niger de la communauté sous-régionale. D’ailleurs, dès l’annonce du retrait des trois pays, le 29 janvier 2024, l’institution ouest africaine a affiché son intention de privilégier le dialogue avec les pays concernés pour parvenir à un compromis.

À l’issue de la deuxième Session extraordinaire du Parlement de la CEDEAO de l’année 2024, tenue du 20 au 25 mai dernier à Kano, au Nigéria, il a été décidé  de la création d’une Commission ad hoc de facilitation, de médiation et de réconciliation pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Objectif, « trouver des compromis entre les États membres désireux de quitter la CEDEAO et les instances dirigeantes de la Communauté ».

« Je ne pense pas que cette commission pourra faire des miracles parce que tant que les questions sécuritaires ne seront pas réglés, les militaires au pouvoir dans ces 3 pays n’organiseront pas les  élections. Si la CEDEAO est capable de laisser tomber toutes ses exigences, il y a peut-être une chance que ces pays reviennent », estime un analyste.

Plus tôt, le 16 mai, lors de la visite du Président Bassirou Diomaye Faye au Nigéria, le Président nigérian Bola Ahmed Tinubu, par ailleurs Président en exercice de la CEDEAO, avait invité son homologue sénégalais à « collaborer et à rencontrer les autres frères (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) pour les persuader de revenir au bercail ». Ce dernier vient d’ailleurs d’effectuer le 30 mai une visite de travail au Mali et au Burkina Faso. A Bamako, le chef de l’Etat Sénégalais a assuré qu’il n’était pas là en tant que médiateur de la CEDEAO avant d’ajouter : « Je ne désespère pas de voir la CEDEAO repartir sur de nouvelles bases qui nous évite la situation que nous traversons aujourd’hui. Tant que nous sommes dans cet élan, je considère qu’il nous faut travailler au sein de la CEDEAO avec les différentes parties prenantes pour voir comment réconcilier les positions ». Il a également fait que ce n’était pas à l’ordre du jour pour le Sénégal de rejoindre l’AES.

Le 30 avril, réuni à Abidjan, le Conseil des sages de la CEDEAO, présidé par l’ancien Président nigérian et ancien médiateur de la CEDEAO au Mali Goodluck Jonathan, avait également exprimé des inquiétudes et invité les trois pays membres de l’AES à « reconsidérer leur position dans l’intérêt de l’unité de la Communauté ».

Un retour difficile 

Malgré la volonté affichée des dirigeants de la CEDEAO de faire revenir le Burkina Faso, le Mali et le Niger dans le bloc régional, la tâche s’annonce compliquée, d’autant plus que les trois pays semblent bien engagés dans une dynamique de non retour.

« Notre itinéraire est un chemin de non retour. Les chaînes que nous sommes en train de briser, c’est pour toujours. C’est fini, plus de CEDEAO », avait d’ailleurs martelé le Président de la transition du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, le 31 janvier dans un entretien accordé au journaliste Alain Foka.

Pour Boubacar Bocoum, analyste politique et en économie de guerre au Centre d’études stratégiques Sènè, la décision de l’AES est une décision « mûrement réfléchie et responsable » et il est  hors de question de retourner dans le giron de la CEDEAO.

« Ce serait totalement illogique, parce que ce qui est reproché à la CEDEAO n’a pas changé, rien n’a évolué. Je ne vois donc pas comment les pays de l’AES décideraient aujourd’hui d’arrêter leur projet de confédération pour retourner au sein de la CEDEAO », clame-t-il.

Pour lui, par ailleurs, c’est à la CEDEAO de se reconvertir vers l’Alliance des États du Sahel et non le contraire. « Les États de la CEDEAO qui souhaiteraient une union monétaire et une cohésion des États en Afrique de l’Ouest doivent muter vers une nouvelle dynamique fédérative qui prenne en compte les intérêts des communautés », soutient M. Bocoum.

Confédération de l’AES : les défis de la concrétisation

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger viennent de franchir une nouvelle étape dans la mise en place de l’architecture de la Confédération regroupant les trois États. Réunis à Niamey le 17 mai 2024, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont adopté les textes de création de la future entité. En attendant la validation des textes par le sommet des chefs d’État, les défis et les attentes sont déjà grands pour cette future alliance.

« Nous pouvons considérer très clairement que la Confédération des États de l’Alliance des États du Sahel (AES) est née », s’est réjouit le ministre malien des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Abdoulaye Diop, à l’issue d’une rencontre avec le chef de l’État du Niger. En effet, le ministre Diop et ses homologues du Burkina Faso et du Niger ont été reçus par le Président de la Transition au Niger après la réunion ministérielle qui a adopté les textes de création de la Confédération de l’AES, le 17 mai dans la capitale nigérienne. Quatrième du genre, cette rencontre des ministres des Affaires étrangères était une étape supplémentaire vers la concrétisation de la Confédération. « La phase d’organisation de la nouvelle entité confédérale se déroule bien », assure un spécialiste.

L’alliance stratégique incarnée par l’AES prendra bientôt forme et la préparation des « documents-cadres donne satisfaction », poursuit notre interlocuteur. Il ne reste plus aux chefs d’État que de « valider leur volonté politique de mettre en place cette Confédération, qui porte les espoirs de la renaissance africaine ». Ainsi, plus qu’une entité politique destinée à répondre à des défis communs, cette Confédération est aussi, pour certains analystes, le début d’une nouvelle ère.

Opportunités

L’Alliance des États du Sahel est le point de départ d’une nouvelle Union africaine, estime pour sa part Ousmane Bamba, modérateur du « Forum du Kénédougou », et invité du plateau du Débat du dimanche sur la chaîne de télévision Africable. Selon lui, quand la Confédération aura démontré ses avantages, elle pourra devenir une fédération. Il suggère ainsi que le traité fondateur de la Confédération soit assez « contraignant », afin de diminuer l’impact des droits de réserve des États, qui pourraient dépouiller l’alliance de son essence. Il doit aussi rester « ouvert » afin de permettre des adhésions futures.

Face aux défis communs, notamment sur le plan sécuritaire, les États de l’AES ont vite envisagé une synergie d’action, concrétisée par l’adoption de la Charte du Liptako Gourma le 16 septembre 2023. Une dynamique poursuivie lors de la 1ère réunion des ministres des Affaires étrangères des trois pays à Bamako, le 30 novembre et le 1er décembre 2023. Elle s’est traduite par la « mise en place de la synergie d’action pour prendre en compte les aspirations profondes des 3 peuples », a expliqué le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, dans le communiqué sanctionnant la réunion ministérielle. Le but de la Confédération est de mutualiser les forces afin de résoudre les problèmes communs, auxquels les États pris individuellement ne peuvent faire face. Une réalité que les États de l’AES ont déjà expérimenté sur le plan sécuritaire avec des résultats probants, admettent les observateurs. Appelés à aller au-delà de cette « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle », les États de l’AES veulent désormais bâtir une « unité militaire et économique plus poussée ».

Conditions de la réussite

Condamnés à réussir la prise en main de leur destin commun, les États de l’Alliance ont l’obligation de financer leurs propres projets pour ne pas finir comme le G5 Sahel, avertissent les observateurs. L’un des avantages de la future Confédération, comme pour toute intégration, est la mutualisation d’un certain nombre de moyens et l’élaboration de certaines politiques communes », note le Professeur Abdoul Karim Diamouténé, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FSEG). Ces politiques peuvent permettre l’élimination de certaines contraintes, dans le cadre par exemple de la libre circulation des biens et des personnes. Et, à ce titre, les entraves à la libre circulation dans le cadre de la CEDEAO sont des expériences à capitaliser, ajoute-t-il.

Sur le plan de l’énergie, la décision du Niger de fournir les pays membres de l’AES en carburant est un atout qui n’existait pas forcément entre les pays de la CEDEAO. Ces facilités pourraient aussi permettre la mutualisation de certains investissements, conséquence d’une prise de conscience qui se concrétisera dès que le processus actuellement en cours sera formalisé.

Suite logique du départ des pays de l’AES de l’organisation commune, la CEDEAO, la création de la Banque de l’AES, qui se chargera de certains investissements, est aussi une étape à envisager pour consolider la future alliance. Elle sera en tout cas différente de celle qui existe déjà. Parce que, dans l’ancien espace, la politique et les conditions administratives « nous échappaient ».

La nouvelle Banque de développement devrait donc faciliter la prise de décisions au niveau des pays, avec une prise en compte réelle des critères, ce qui représenterait « une belle perspective » par rapport à ce qui existait auparavant. Les États de l’AES constituent donc un marché pour les pays côtiers qui en dépendent, et non le contraire, soutient M. Diamoutènè. Les résultats dépendront donc de l’efficacité des actions à mener.

Après les menaces et les sanctions suite au départ des pays de l’AES de la CEDEAO, les leaders de l’organisation tentent une médiation pour le retour en son sein des trois États du Sahel. Un retour qui n’est pas souhaitable et qui serait même une régression, estime l’économiste.

Désormais, il faut envisager l’existence de deux entités qui seront donc contraintes à négocier de nouveaux accords. Disposant de ressources naturelles et d’un marché intérieur de 70 millions d’habitants, les pays de l’Alliance peuvent envisager l’introduction de barrières tarifaires à leurs frontières pour développer leur capacité industrielle, en deçà de celle de la zone, et de protéger leurs marchés. Une opportunité qui amènerait plutôt certains pays de la CEDEAO à rejoindre l’AES. Une « autre CEDEAO, qui prendrait mieux en compte les aspirations des pays de l’AES et même de certains de la CEDEAO ».

La panacée ?

La réunion de Niamey a permis la validation des textes du Cadre d’intégration politique, économique et social, à savoir le Traité portant création de la Confédération de l’AES et le Règlement intérieur du Collège des chefs d’État, et constitue la dernière ligne droite vers la tenue de la première session du Collège des chefs d’Etat. Mais le chemin vers la réalisation des ambitions de l’organisation reste semé d’embûches. La principale condition au succès de l’Alliance « est la réalisation de la souveraineté, qui inclut la sécurisation intégrale », note notre analyste. Les autres sont relatives à la définition de politiques adaptées aux problèmes existants déjà dans les pays qui ont créé l’AES, la rigueur dans la mise en œuvre de ces politiques, grâce à des acteurs très engagés, et la garantie du temps long des transformations, ce qui suppose une continuité dans le processus. Parce que, même si l’essentiel est disponible, une volonté politique et un leadership affirmé qui ont permis de franchir des étapes importantes, le chemin vers la prospérité sera long.

Pour le ministre Diop, « le travail principal aujourd’hui est d’avancer pour finaliser et formaliser les actes nécessaires pour permettre à cette Confédération de fonctionner ». Il faut surtout « prendre la juste mesure des défis », suggère un observateur.

La Confédération ne doit pas être une réponse ponctuelle à des défis existentiels mais une solution pérenne aux aspirations de populations déjà intégrées, grâce à des mécanismes de gestion adaptés. Une dynamique des peuples qu’il faut désormais respecter, selon Boubacar Bocoum, analyste politique.