Niger : enlèvement d’un pilote humanitaire à Niamey et libération de l’ancien préfet d’un département du nord-est

Dans la nuit du 21 au 22 octobre 2025, un ressortissant américain, pilote de l’ONG Serving In Mission (SIM) présent au Niger depuis 2010, a été enlevé à Niamey. Le lendemain, le 22 octobre, le commandant Amadou Torda, ancien préfet du département de Bilma, ainsi que quatre de ses compagnons (deux gendarmes, deux soldats de la Garde nationale) ont été libérés après plus d’un an de captivité.

Le pilote américain, âgé de 48 ans selon plusieurs sources, a été retiré de son domicile situé dans le quartier Château 1, un secteur sécurisé près de l’hôtel Bravia et du palais présidentiel. Trois hommes armés non identifiés l’ont emmené. Le Département d’État des États-Unis a indiqué que l’ambassade américaine à Niamey travaille avec les autorités nigériennes pour obtenir sa libération. Aucune revendication n’a encore été faite, et les forces de sécurité nigériennes ont engagé des recherches dès le mercredi 22 octobre. Il s’agit, selon les médias, du premier enlèvement d’un ressortissant étranger à Niamey depuis 2011.
Le pilote enlevé exerçait des missions de transport aérien d’urgence humanitaire pour SIM International, organisation active dans plusieurs pays du Sahel. SIM confirme sa présence au Niger, en soulignant les défis sécuritaires grandissants dans la région.

La seconde situation concerne la libération du commandant Amadou Torda et de ses quatre compagnons qui avaient été enlevés le 21 juin 2024 alors qu’ils revenaient vers Bilma, dans la région d’Agadez. L’enlèvement avait été attribué à un groupe armé non identifié. Des documents de l’époque mentionnaient la mort d’un membre de la délégation et la mise en œuvre d’une vaste opération de recherche par les forces de défense et de sécurité nigériennes. Leur libération, intervenue le 22 octobre 2025 après plus de 16 mois de détention, marque un soulagement dans la communauté locale mais s’inscrit dans un contexte d’insécurité récurrente dans cette zone du nord-est du pays.

Ces deux affaires reflètent la persistance des risques sécuritaires au Niger où les enlèvements – tant de ressortissants étrangers que de représentants de l’État – interviennent dans un contexte de dégradation de la sécurité, en particulier dans les régions du Sahel et du nord-est. L’enlèvement à Niamey d’un humanitaire opérant dans un quartier hautement sécurisé illustre notamment l’extension des menaces urbaines. De son côté, la libération des otages de Bilma souligne la lenteur du processus de réponse, mais aussi la capacité de l’État à conduire des opérations de recherche et de négociation.

L’ONG humanitaire concernée, active depuis des années au Niger, signale que le contexte opérationnel s’est durement complexifié ces dernières années, avec une multiplication d’attaques et d’enlèvements dans les zones rurales et frontalières. Les otages libérés de Bilma étaient détenus dans des conditions qui restaient obscures jusqu’à récemment, et leur retour pose la question de la prise en charge et de la réinsertion de personnels de sécurité confrontés à de tels conflits.

Enfin, la multiplication de ces opérations d’enlèvement met en lumière les défis de l’État nigérien en matière de sécurisation de ses frontières, de protection des humanitaires et de maintien de l’ordre dans des zones de faible densité administrative. Le retour à la normale pour les familles et les organisations concernées va nécessiter une gestion psychologique, matérielle et institutionnelle.

Franc CFA : Une monnaie en sursis ou en transition ?

À quatorze mois du lancement annoncé de la monnaie unique Eco et à la veille du quatre-vingtième anniversaire du franc CFA, la question de l’avenir de la monnaie ouest-africaine revient sur le devant de la scène. Entre héritage historique, stabilité économique et souveraineté politique, la région cherche à définir les contours d’une nouvelle ère monétaire.

Créé le 26 décembre 1945, le franc CFA demeure, près de quatre-vingts ans plus tard, l’une des devises les plus anciennes en circulation sur le continent. Instrument de stabilité pour certains, symbole de dépendance pour d’autres, il est au cœur des débats sur la souveraineté et l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest.

Pour l’économiste Modibo Mao Makalou, « le débat sur le franc CFA s’inscrit dans une dynamique plus large, celle d’une réorganisation des zones monétaires ouest-africaines ». Il rappelle : « il existe aujourd’hui deux blocs – l’UEMOA et la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) – qui devraient converger vers une monnaie unique, l’Eco, prévue pour 2027 ».

Souvent présenté comme un vestige du passé colonial, le franc CFA a pourtant connu plusieurs mutations majeures. D’abord baptisé franc des Colonies Françaises d’Afrique, il devient à l’indépendance franc de la Communauté Financière Africaine pour l’UEMOA et franc de la Coopération Financière en Afrique centrale pour la CEMAC.

La dévaluation de 1994 et la réforme de 2019 ont transformé sa gouvernance. Les pays de l’UEMOA ne déposent plus leurs réserves au Trésor français et la France ne siège plus dans les instances de la BCEAO.

Stabilité monétaire

De plus, l’arrimage à l’euro (1 € = 655,957 franc CFA) demeure un choix de stabilité monétaire comparable à d’autres régimes de change dans le monde. Des pays comme le Danemark, le Maroc ou le Qatar arriment également leur monnaie à une devise forte sans y voir une atteinte à leur souveraineté.

Ce système assure la prévisibilité des prix et la confiance des investisseurs, mais limite la marge de manœuvre monétaire des États membres.

Selon la BCEAO, la zone UEMOA – huit pays dont le Mali – a enregistré en 2024 une croissance moyenne de 5,7% et une inflation de 3,4%, parmi les plus faibles du continent. Les réserves de change, estimées à 16,1 milliards d’euros, couvrent environ quatre mois et demi d’importations, tandis que la dette publique moyenne atteint 52% du PIB.

Réformes inachevées et enjeux régionaux

L’accord signé en décembre 2019 entre la France et les États membres de l’UEMOA visait à moderniser la Zone franc avec le retrait des représentants français, la création d’un compte de garantie à la BCEAO et l’autonomie soutenue de la banque centrale. Ces réformes ont renforcé la gouvernance régionale sans remettre en cause la parité fixe avec l’euro.

L’Eco en ligne de mire

En parallèle, la CEDEAO poursuit le projet de monnaie unique Eco, dont le lancement est prévu pour 2027. Les chefs d’État ont confirmé cette date lors du sommet d’Abuja de juillet 2024, sous réserve du respect des critères de convergence : déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, inflation maîtrisée, réserves couvrant au moins trois mois d’importations et ratio dette/PIB inférieur à 70. À ce jour, seuls deux pays remplissent durablement ces conditions.

Selon Modibo Mao Makalou, « l’Eco sera une monnaie ouest-africaine émise par une banque centrale fédérale, dotée d’un taux de change flexible adossé à un panier de devises ». Il précise que « seuls les pays respectant les critères de convergence macroéconomique fixés par la CEDEAO seront éligibles », une condition qui rendra la mise en œuvre progressive.

Souveraineté monétaire en débat

Pour l’économiste Étienne Fakaba Sissoko, la question du franc CFA dépasse les frontières de la technocratie. « Le débat sur le franc CFA est à la fois économique, politique et symbolique. Sur le plan économique, il interroge la performance réelle du système : la Zone CFA a assuré la stabilité nominale, mais pas la transformation structurelle des économies. Sur le plan politique, il pose la question du pouvoir : qui décide de la politique monétaire africaine, selon quelles règles et au profit de qui ? ».

Sissoko estime que les réformes menées depuis 2019 ont renforcé la forme plus que le fond : « la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité par la France ont été maintenues. L’arrimage est une source de crédibilité, mais aussi une contrainte : il protège contre l’instabilité mais limite la capacité d’adaptation ».

Il plaide pour une transition graduelle : « l’enjeu n’est pas de rompre brutalement, mais de redéfinir la relation monétaire dans un cadre africain maîtrisé : un système plus flexible, appuyé sur un fonds de stabilisation régional et une coordination budgétaire renforcée ».

Le Mali à la croisée des chemins

La sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO en janvier 2025 et la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) redessinent la carte institutionnelle régionale. Ces pays demeurent membres de l’UEMOA, mais leur position au sein du futur Eco reste incertaine.

Pour Étienne Fakaba Sissoko, cette situation crée une zone grise monétaire : « le Mali se trouve à la croisée de trois dynamiques contradictoires : son appartenance à l’UEMOA, sa rupture avec la CEDEAO et son adhésion à l’AES. Cette triple appartenance pose un défi de cohérence monétaire ».

Pour Modibo Mao Makalou, « aucune incompatibilité n’existe pour le moment entre l’AES et l’UEMOA ». Il estime que « ces deux cadres peuvent coexister, car l’UEMOA repose sur un traité solide d’intégration économique et monétaire, avec des politiques sectorielles harmonisées et un Tarif extérieur commun ».

Certains analystes, comme Madou Cissé, appellent à la prudence face à une monnaie propre à l’AES. Dans une analyse publiée récemment, il souligne que ces pays « affichent une balance commerciale déficitaire » et que « près de 40% des importations devraient être couvertes par un stock supplémentaire de devises ». Il estime qu’une monnaie autonome mal préparée pourrait accroître les coûts de transaction et fragiliser les échanges dans une économie encore dépendante des importations.

Makalou souligne, quant à lui, qu’une monnaie nationale « doit reposer sur la solidité de l’économie réelle et sur un appareil institutionnel crédible ». Il rappelle qu’une banque centrale indépendante devrait « assurer la stabilité des prix, gérer les réserves de change et garantir la sécurité du système bancaire ».

Pour autant, des experts s’accordent néanmoins sur la nécessité d’une préparation concertée : « le Mali devra préserver la stabilité de sa monnaie actuelle tout en préparant sa position stratégique dans les recompositions à venir. Sans discipline budgétaire et sans vision partagée du développement, aucune monnaie ne peut être souveraine – fût-elle rebaptisée Eco », conclut Sissoko.

Les précédents guinéen et mauritanien

Rappelons que la Guinée et la Mauritanie faisaient partie de la Zone franc avant de la quitter respectivement en 1960 et 1973. La Guinée, première à se retirer, a connu une crise de liquidité et une inflation rapide après la création du franc guinéen. La Mauritanie, avec l’introduction de l’ouguiya, a subi plusieurs années d’instabilité avant de retrouver un équilibre. Ces expériences illustrent les risques d’une transition monétaire précipitée sans réserves ni instruments de stabilisation suffisants.

Perspectives pragmatiques

La transition vers l’Eco, prévue pour 2027, s’annonce progressive. Plusieurs scénarios sont évoqués : maintien d’un CFA réformé, adoption partielle de l’Eco par les pays les plus préparés ou création de mécanismes parallèles au sein du Sahel.

Pour Modibo Mao Makalou, la réussite de la transition dépendra aussi du rôle du secteur privé. Il appelle à « mobiliser l’épargne régionale, créer des marchés financiers intégrés et allonger la durée des crédits » afin de financer les investissements productifs et environnementaux.

La BCEAO rappelle que l’objectif premier demeure la stabilité macroéconomique et la protection du pouvoir d’achat. Selon ses données 2025, la Zone UEMOA conserve « des fondamentaux solides » malgré les pressions sécuritaires et climatiques.

À l’aube de ses 80 ans, le franc CFA en est aujourd’hui à une étape décisive de son histoire, entre autonomie institutionnelle et dépendance structurelle. Pour les experts, l’enjeu n’est pas la rupture, mais la construction d’une souveraineté monétaire pragmatique conciliant stabilité, intégration régionale et indépendance économique.

MD

Mort de Boubacar Demougui : un coup dur pour l’État islamique au Sahel  

Le 8 octobre 2025, les Forces armées de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont réalisé une frappe aérienne décisive à Inarabane, une localité située au sud-ouest de Ménaka, visant l’État islamique au Sahel (EIS). Cette opération a permis de neutraliser plusieurs responsables de premier plan du groupe, parmi lesquels Boubacar Demougui, chef redouté de la branche locale de l’EIS et principal acteur de la terreur au nord du Mali.

Dans la matinée du 8 octobre, les forces de l’AES ont mené une frappe stratégique, en se basant sur des renseignements fiables et confirmés. Des drones ont ciblé une réunion de commandement de l’EIS dans la zone d’Inarabane. Cette intervention a permis d’éliminer plusieurs responsables de l’organisation, dont Boubacar Demougui, adjoint direct de l’émir Issa Barrey et un acteur central du dispositif militaire du groupe dans la région.
Boubacar Demougui, originaire du nord de Ménaka, dirigeait depuis plusieurs années les opérations sur un large secteur s’étendant de Tidermène à Ikadewan, en passant par Tedjererte. Il était responsable de la gestion logistique des unités combattantes et de la coordination des ressources du groupe. Sa réputation de violence s’est particulièrement renforcée après qu’il ait exécuté, en 2022, Sidi Barka, le président de la société civile de Ménaka, un crime qui avait profondément affecté la population locale.
L’opération a également permis de neutraliser plusieurs de ses lieutenants, dont Ismaël Ould Habib Ould Choghib et Ahmed Ould Alwane Ould Choghib. Ces derniers, également actifs dans la région de Ménaka, étaient impliqués dans de nombreuses exactions contre les civils et dans des enlèvements d’otages, incluant une ressortissante suisse et une autrichienne, capturées entre Agadez et Ménaka. Selon les renseignements, ces individus participaient à une réunion de coordination au moment de l’attaque.
Boubacar Demougui, connu pour sa mobilité et son expertise tactique, était l’un des stratèges les plus redoutés de l’EIS dans la région du Sahel. Il avait pris part à plusieurs attaques majeures, notamment l’embuscade de Tongo Tongo au Niger en 2017, l’attaque du camp d’Indelimane en 2019 et l’assaut sur Labbezanga en 2023. Sa mort est considérée comme un succès militaire majeur par les forces de l’AES, affaiblissant la structure de commandement de l’EIS dans le nord du Mali, déjà fragilisée par les actions militaires récentes menées à Ménaka et à Gao.
Au-delà de son impact militaire, cet événement a une portée symbolique importante dans la lutte psychologique contre les groupes armés. Dans une région marquée par la terreur, l’élimination de l’un des responsables les plus cruels de la violence pourrait bien marquer un tournant. Cependant, les autorités demeurent prudentes. Bien que cette victoire porte un coup sévère à l’appareil de l’EIS, la menace reste présente, les réseaux de soutien restant opérationnels et susceptibles de se réorganiser rapidement.

E-passeport AES : de nouveaux tarifs avant la suspension annoncée du service

Le gouvernement a adopté de nouveaux tarifs pour le passeport confédéral AES, désormais fixés à 45 000 F CFA pour le service standard et 90 000 F CFA pour le service premium. Cette mesure précède la suspension temporaire de l’enrôlement biométrique, prévue à partir du 11 octobre, le temps d’une modernisation technique.

Réuni en session ordinaire mercredi 8 octobre 2025 au Palais de Koulouba, le Conseil des ministres, présidé par le général Assimi Goïta, a approuvé un décret fixant les nouveaux prix du e-passeport de la Confédération des États du Sahel (AES). Ce document, adopté le 18 avril dernier par les trois pays membres, vise à harmoniser les titres de voyage au sein de l’espace sahélien et répond aux normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale en matière de sécurité et de protection des données personnelles.

Le tarif du passeport standard baisse de 55 000 à 45 000 F CFA, tandis que celui du service premium passe de 110 000 à 90 000 F CFA, soit une réduction de 10 000 et 20 000 F CFA respectivement. Cette révision tarifaire s’inscrit dans la volonté des autorités d’encourager la libre circulation des personnes et de renforcer la souveraineté administrative dans le cadre confédéral de l’AES.

Quelques jours plus tôt, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile avait annoncé, dans un communiqué daté du 26 septembre, une suspension temporaire du service d’enrôlement pour le passeport biométrique malien. Celle-ci prendra effet le 11 octobre pour le service standard et le 16 octobre pour le service premium, à Bamako, dans les régions et au Consulat général du Mali à Paris. La reprise est prévue au plus tard le 25 octobre 2025, le temps de finaliser une série d’améliorations techniques de la chaîne de production.

Le secrétaire général du ministère, Oumar Sogoba, a souligné que cette suspension est une étape nécessaire pour garantir un service plus fiable et mieux adapté aux exigences internationales. Selon les autorités, cette modernisation, associée à l’introduction du e-passeport AES, illustre la volonté de l’État de doter ses citoyens de documents plus sécurisés et de renforcer l’intégration régionale au sein de l’espace confédéral sahélien.

80e Assemblée de l’ONU : l’AES défend sa souveraineté

Le Premier ministre et chef du gouvernement Abdoulaye Maïga a pris la parole le 26 septembre à New York lors du débat général de la 80e session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies.

Il s’est exprimé au nom de la Confédération des États du Sahel (AES), qui regroupe le Burkina Faso, le Niger et son pays, pour présenter la vision et les priorités de cette alliance née de la volonté des trois États de renforcer leur sécurité et de consolider leur souveraineté.

Dans son allocution, Abdoulaye Maïga a réaffirmé l’engagement des pays de l’AES à lutter ensemble contre le terrorisme, qu’il a qualifié de menace majeure à la paix et à la stabilité. Il a mis en avant la nouvelle approche sécuritaire adoptée par les trois États, fondée sur la mutualisation des forces, le renforcement des capacités militaires, le recrutement massif et l’équipement des armées. Il a estimé que cette dynamique, née après le retrait des forces internationales, a permis d’obtenir des résultats sur le terrain et de réduire la dépendance sécuritaire vis-à-vis de partenaires étrangers.

Le chef du gouvernement a accusé certains États d’ingérence dans la région, citant notamment la France, soupçonnée de soutien à des groupes armés, et l’Ukraine, qu’il a accusée d’avoir revendiqué une attaque contre une patrouille malienne en juillet 2024 et de fournir des drones aux groupes terroristes. Il a aussi dénoncé l’inaction des Nations unies face à la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel. Abdoulaye Maïga a annoncé que l’AES s’était retirée du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 22 septembre 2025 et qu’elle entendait désormais mettre en place des mécanismes de justice internes adaptés à ses valeurs et à ses réalités.

Le discours a insisté sur la nécessité d’une réforme profonde de l’Organisation des Nations unies, notamment du Conseil de sécurité, afin d’accorder à l’Afrique deux sièges permanents et cinq non permanents, conformément au Consensus d’Ezulwini et à la Déclaration de Syrte. Le Premier ministre a plaidé pour un multilatéralisme plus équitable, capable de traduire les résolutions en actions concrètes et de garantir le respect du droit international. Il a également appelé à une refondation de la gouvernance mondiale pour mieux répondre aux défis sécuritaires et économiques, citant les initiatives des BRICS comme alternatives au modèle actuel.

Le Premier ministre a abordé les tensions diplomatiques avec l’Algérie, accusée d’avoir permis la planification d’une attaque contre les forces maliennes à proximité de sa frontière et d’avoir abattu un drone malien le 1er avril 2025. Il a indiqué que son pays avait saisi la Cour internationale de justice et dénoncé le refus d’Alger de reconnaître la compétence de cette juridiction. Il a averti que toute agression future ferait désormais l’objet d’une réponse par réciprocité.

Sur le plan du développement, Abdoulaye Maïga a présenté la stratégie économique de l’AES fondée sur l’exploitation de ses ressources naturelles, l’investissement dans les infrastructures, l’énergie et l’industrialisation, ainsi que la création d’une Banque confédérale pour l’investissement et le développement. Il a souligné l’importance d’un modèle économique endogène et la volonté de rompre avec la dépendance extérieure.

Il a réaffirmé l’attachement de la Confédération des États du Sahel aux principes de la Charte des Nations unies, tout en insistant sur l’urgence d’une réforme du système multilatéral. Il a appelé la communauté internationale à reconnaître les efforts de l’AES dans la lutte contre le terrorisme et à soutenir une alliance qui, selon lui, œuvre pour la stabilité de l’Afrique et, au-delà, pour celle du monde entier.

 

Retrait de la CPI : Une décision politique aux effets juridiques limités

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé le 22 septembre 2025 leur retrait « avec effet immédiat » de la Cour pénale internationale, dénonçant une justice sélective et néocoloniale. Une décision au fort poids politique, mais dont la portée juridique est encadrée et différée dans le temps.

Les trois pays sahéliens ont adhéré au Statut de Rome peu après son adoption : le Mali en août 2000, le Niger en avril 2002 et le Burkina Faso en avril 2004. Ils avaient alors conclu des accords facilitant l’installation et le travail de la Cour, une coopération qu’ils jugent aujourd’hui devenue une contrainte. Dans leur communiqué, ils accusent la CPI de pratiquer une « justice sélective » et de garder un « mutisme complaisant » face à certains crimes, tout en s’acharnant contre ceux exclus du « cercle fermé des bénéficiaires de l’impunité internationale ». Parmi eux, seul le Mali a formellement déféré une situation à la Cour, en juillet 2012, après la chute du Nord face aux groupes armés. L’enquête avait été ouverte en janvier 2013, sur la base de l’article 13 du Statut, permettant à un État partie de saisir la juridiction pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide.

Deux affaires emblématiques ont suivi. Ahmad Al Faqi Al Mahdi a été condamné le 27 septembre 2016 pour la destruction des mausolées de Tombouctou, sur le fondement de l’article 8-2-e)iv) relatif aux atteintes aux biens culturels. Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud a été reconnu coupable le 26 juin 2024 de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et condamné le 20 novembre 2024 à dix ans d’emprisonnement, peine réduite de douze mois le 23 juillet 2025.

Réparations en cours

L’affaire Al Mahdi a marqué un tournant en devenant en 2016 le premier procès pour destruction de biens culturels. En août 2017, la Chambre de première instance a ordonné 2,7 millions d’euros de réparations, financées en partie par le Fonds au profit des victimes, qui a mobilisé 1,35 million d’euros. Près de 989 victimes ont déjà bénéficié de réparations individuelles et une phase collective a été engagée en juillet 2022 à Tombouctou, incluant la réhabilitation de sites et un soutien communautaire.

Dans l’affaire Al Hassan, la décision sur les réparations est toujours attendue. Selon Mme Margo du bureau de l’information de la CPI à Bamako, « l’affaire Al Hassan est au stade des réparations pour les victimes. Nous attendons d’ailleurs une décision prochaine sur le type de réparations », soulignant que le processus reste pleinement en vigueur malgré l’annonce du retrait. Conformément à l’article 127 du Statut de Rome, ce retrait « ne libère pas l’État des obligations contractées » et « n’affecte pas la compétence de la Cour sur les affaires déjà engagées ».

Un retrait juridiquement limité

Le communiqué de l’AES parle d’un retrait « avec effet immédiat », alors que l’article 127-1 prévoit qu’il n’entre en vigueur qu’un an après notification au Secrétaire général de l’ONU. Comme le rappelle Mme Margo, ce délai implique que les obligations de coopération se poursuivent jusqu’en septembre 2026 et que les crimes commis jusque-là restent dans le champ de compétence de la Cour. Amnesty International a également réagi, soulignant que « le retrait du Statut de Rome n’aurait aucune incidence sur l’enquête en cours au Mali ni sur les obligations de coopération de l’État envers la Cour, mais il compromettrait l’accès futur des victimes de crimes graves à la justice internationale », selon Marceau Sivieude, Directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Pour Dr Jean-François Marie Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques, cette annonce s’inscrit dans la dynamique des retraits précédents mais surprend au moment où le Mali saisit la CIJ. Il avertit que la souveraineté ne doit pas conduire à l’isolement et plaide pour le renforcement de juridictions nationales compétentes et impartiales.

Les précédents du Burundi, sorti en octobre 2017, et des Philippines, en mars 2019, confirment que la CPI conserve sa compétence pour les crimes commis avant le retrait. D’autres pays africains avaient amorcé la même démarche avant de reculer : la Gambie de Yahya Jammeh, dont la notification d’octobre 2016 a été annulée après l’alternance politique, et l’Afrique du Sud, où la justice a jugé la procédure inconstitutionnelle. Ces exemples illustrent que les annonces de dénonciation du Statut de Rome peuvent être réversibles.

Dynamique régionale

Au-delà du droit, l’annonce du 22 septembre 2025 s’inscrit dans le repositionnement politique de l’AES, marqué par le retrait du G5 Sahel en 2022, la sortie de la CEDEAO en janvier 2024, puis la suspension de sa participation à l’Organisation internationale de la Francophonie en 2024. Quelques jours plus tôt, du 15 au 17 septembre 2025 à Niamey, les ministres de la Justice avaient évoqué la création d’une Cour pénale sahélienne des droits de l’Homme pour juger les crimes internationaux, le terrorisme et la criminalité organisée. Présentée comme une justice « endogène », cette initiative reste entourée d’incertitudes, tant sur son financement que sur l’indépendance des juges, les garanties procédurales et le calendrier de sa mise en œuvre.

Relation complexe

L’Afrique compte 33 États parties au Statut de Rome, soit plus d’un quart des membres, mais est la région la plus concernée, avec neuf situations ouvertes depuis 2002. Plusieurs dirigeants africains ont été visés, d’Omar el-Béchir à Uhuru Kenyatta, tandis que Laurent Gbagbo avait été transféré à La Haye avant son acquittement en 2021. Plus récemment, la Cour a émis des mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahu, montrant que sa compétence peut s’étendre à des États non signataires par renvoi du Conseil de sécurité ou selon la reconnaissance territoriale.

Mme Margo rappelle que « la CPI est une cour de dernier recours », complémentaire des juridictions nationales, et cite les saisines du Mali, de la RDC, de l’Ouganda ou encore de la Centrafrique. Elle insiste aussi sur le fait que la Cour mène des enquêtes bien au-delà de l’Afrique, « notamment en Palestine, au Venezuela, en Géorgie, en Ukraine, au Bangladesh / Myanmar ou encore en Afghanistan ».

Les victimes, premières concernées

La question des victimes reste centrale. Les réparations de l’affaire Al Mahdi se poursuivent malgré le retrait, mais le Fonds au profit des victimes, qui dépend de contributions volontaires, pourrait être fragilisé par des difficultés d’accès au terrain. Dans l’affaire Al Hassan, la décision sur les réparations est encore attendue et les victimes maliennes resteront sous la compétence de la Cour jusqu’en septembre 2026. « La CPI a permis à de nombreuses victimes de voir les présumés auteurs de crimes jugés et, dans les affaires où des condamnations ont été prononcées, de recevoir des réparations », rappelle Mme Margo.

Aucun impact sur la CIJ

La décision de l’AES n’affecte pas les procédures devant d’autres juridictions internationales, comme la Cour internationale de Justice de La Haye, où le Mali a déposé le 16 septembre une plainte contre l’Algérie pour la destruction d’un drone à Tinzaouaten. La CIJ, qui juge les différends entre États en vertu de son Statut, est une juridiction distincte de la CPI. Le retrait annoncé ne change rien à cette procédure.

En tout état de cause, l’annonce du 22 septembre marque une rupture politique forte, l’AES affirmant sa volonté de se distancier d’une institution jugée partiale et d’envisager une alternative régionale. Sur le plan juridique, l’article 127 du Statut limite toutefois les effets du retrait, puisque les affaires maliennes se poursuivent, que les condamnations et réparations demeurent et que la compétence de la Cour reste valable jusqu’en septembre 2026. Cette tension entre souveraineté et obligations pose la question de savoir si une future Cour sahélienne pourra garantir aux victimes le même niveau de justice que la CPI.

MD

CPI : L’AES annonce son retrait du Statut de Rome

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé lundi soir, à travers un communiqué conjoint, leur retrait immédiat du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale. La décision a été rendue publique à Bamako par le président de la Transition du Mali et président en exercice de la Confédération des États du Sahel (AES), le général Assimi Goïta.

Les trois pays rappellent avoir souverainement ratifié le Statut de Rome au début des années 2000 et soulignent avoir coopéré avec la Cour sur la base des dispositions prévues et d’accords conclus pour faciliter ses activités sur leur territoire. Mais ils affirment avoir constaté, au fil du temps, que la juridiction s’était transformée en « instrument de répression néocolonial aux mains de l’impérialisme », devenant « l’exemple mondial d’une justice sélective ». Dans leur communiqué, ils accusent la CPI de s’être révélée incapable de juger certains crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes d’agression, tout en « s’acharnant contre des acteurs qui ne relèvent pas du cercle fermé des bénéficiaires de l’impunité internationale ».

La décision de retrait, présentée comme un choix de « souveraineté », s’inscrit dans une dynamique déjà amorcée. Du 15 au 17 septembre, les ministres de la Justice des trois pays réunis à Niamey avaient proposé à leurs chefs d’État de réexaminer la coopération pénale internationale et d’accélérer la mise en place des instances juridictionnelles prévues par le traité constitutif de l’AES. Les discussions avaient porté sur la création d’une Cour pénale sahélienne des droits de l’homme, compétente pour juger les crimes internationaux, le terrorisme et la criminalité organisée, comme alternative aux mécanismes actuels.

Dans le communiqué de Bamako, les gouvernements affirment désormais leur volonté de recourir à des mécanismes endogènes de règlement des conflits, de consolidation de la paix et de promotion de la justice. L’AES réaffirme dans le même temps son engagement à défendre les droits de l’homme « en adéquation avec ses valeurs sociétales » et à lutter contre l’impunité.

Tout en exprimant leur gratitude aux Nations unies et à leurs États membres, les trois pays assurent qu’ils continueront à coopérer dans d’autres cadres jugés appropriés pour la promotion et la protection des droits humains, dans le respect de la souveraineté des États.

Cette rupture marque une nouvelle étape dans le repositionnement diplomatique et institutionnel des régimes sahéliens. Après avoir quitté successivement le G5 Sahel, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et l’Organisation internationale de la Francophonie, la Confédération des États du Sahel claque désormais la porte d’une autre grande organisation internationale, la Cour pénale internationale.

Dr. Amidou Tidiani : « C’est du fait que l’AES ait permis à ses États membres de résister collectivement face à la CEDEAO qu’a résulté l’idée d’en faire un outil politique et idéologique ».  

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont crée l’Alliance des Etats du Sahel, devenue confédération AES en juillet 2024. De quoi raviver le rêve fédéral du Mali. Dr Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris 13, répond à nos questions. Propos recueillis par Mohamed Kenouvi.

65 ans après l’échec de la Fédération du Mali, la Confédération AES pourrait-elle aboutir à une Fédération des États du Sahel ?

Par comparaison à la fédération du Mali, l’AES a une construction paradoxale. Initialement, il s’agissait d’une alliance d’infortune et de circonstance, dans un contexte d’opposition à la CEDEAO. Cette alliance n’avait initialement aucune consistance politique, ni idéologique.

C’est du fait que l’AES ait permis à ses États membres de résister collectivement face à la CEDEAO qu’a résulté l’idée d’en faire un outil politique et idéologique. On est ainsi passé d’une alliance de protection de régimes militaires à un projet politique.

Aujourd’hui, force est de constater que ce projet se renforce, se concrétise et prend un air beaucoup plus concret. Cependant, on est encore loin d’un véritable État fédéral comme le Mali d’il y a 65 ans.

En tant que précurseur de l’aspiration fédérale sous Modibo Keita, quel rôle pourrait jouer le Mali dans la concrétisation d’un État fédéral sahélien ?

Le Mali fait déjà office de locomotive de l’AES. C’est le précurseur de la résistance d’un régime militaire issu d’un coup d’Etat face à la CEDEAO. Les autres ont capitalisé sur l’expérience malienne. À cet égard, le Mali détermine le tempo de l’Alliance. Tant que l’AES restera gouvernée par des régimes militaires comme c’est le cas aujourd’hui, la dynamique malienne perdurera.

La consistance politique et idéologique de la fédération au sens de Modibo Keita est totalement différente de celle de Assimi Goita. Mais il me semble effectivement que l’AES inspire l’intégration sous régionale, idée chère à Modibo Keita.

Aujourd’hui, un peu plus d’un an après la création de la Confédération AES, quel regard portez-vous sur son évolution ?

S’il faut faire bilan, force est de constater que l’AES a réussi son  premier combat : celui de la résistance de ses membres face à la CEDEAO.

Cependant, le second volet sur lequel s’est construite l’AES (le volet sécuritaire) offre un bilan assez mitigé. La communication est importante mais les résultats restent à percevoir. Si l’AES atteint l’objectif de la sécurisation des territoires de ses Etats membres, elle s’inscrira définitivement dans le décor institutionnel sous-régional comme un acteur incontournable et attirera alors de nouveaux membres.

 

Premier Forum agricole de l’AES : Une synergie autour des défis communs

Le Mali accueille le premier Forum sur le développement de l’agriculture dans l’espace AES du 18 au 20 septembre 2025. C’est une opportunité pour les trois pays de mettre en synergie leurs atouts afin de résoudre des défis communs.

L’agriculture occupe environ 80% des actifs de la population dans les trois pays de l’AES (Burkina Faso, Mali et Niger). Elle contribue significativement au PIB et reste confrontée aux mêmes défis, notamment la crise climatique et les difficultés d’accès aux intrants. Le forum est donc une occasion de prendre en compte toutes les dimensions de l’agriculture. Il peut aboutir à un renforcement des bonnes pratiques culturales et de commercialisation.

Si la création de l’AES a d’abord mis l’accent sur les défis sécuritaires, l’organisation du Forum sur l’agriculture « vient à point nommé » pour atteindre la sécurité alimentaire dans les trois pays, touchés par des problématiques similaires.

Parmi ces contraintes figurent la faible fertilité des sols, la persistance des aléas climatiques et l’accès aux intrants. Il est donc attendu de la réunion des experts des réponses sur la restauration des sols, l’adaptation au changement climatique et l’accès aux intrants de qualité. Ce cadre d’échanges doit également servir à un partage des connaissances sur les techniques culturales et la conservation des produits agricoles.

Économies similaires

Selon la Banque mondiale, l’agriculture a représenté 33,45% du PIB du Mali en 2024, contre 32,49% en 2023, avec une production céréalière de 10,4 millions de tonnes, soit 5% de plus que la moyenne des 5 dernières années.

Au Burkina Faso, la part de l’agriculture était de 18,59% en 2024, contre 16,33% en 2023. Le coton était la principale culture d’exportation.

Au Niger, l’agriculture pesait 40% du PIB et mobilisait 80% de la population active, dominée par l’élevage et les cultures vivrières, en 2024.

Malgré leurs ressemblances, des particularités existent et certaines économies ont connu des avancées dans certains domaines, comme au Mali en matière de culture cotonnière. Ces connaissances doivent être mutualisées, suggère Dr Abdrahamane Tamboura, économiste. En outre, ces pays peuvent faire face ensemble à la demande internationale de certains produits pour combler les manques à gagner et avoir une offre significative.

La Confédération AES, créée en juillet 2024, couvre une population de 71,4 millions d’habitants, avec un PIB nominal de 62,38 milliards de dollars en 2024. La croissance a atteint 9,9% au Niger, 5,5% au Burkina Faso et 3,8% au Mali en 2024.

Le forum s’inscrit dans la continuité d’une intégration qui se traduit par plusieurs initiatives, dont la création d’une force conjointe de 5 000 hommes, d’une Banque d’investissement et de développement et, en juillet 2025, de l’Alliance des Producteurs de Semences Agricoles du Sahel (APSA-Sahel).

Fatoumata Maguiraga

Du rêve de Modibo Keita à la Confédération AES : Le Mali entre souveraineté nationale et fédération sahélienne

Soixante-cinq ans après l’éclatement de la Fédération du Mali et l’indépendance de la République du Mali, l’histoire semble offrir une seconde chance aux pays du Sahel central. Le rêve fédéral de Modibo Keita, brisé par les rivalités politiques et l’absence de compromis, trouve aujourd’hui un écho dans la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui, au-delà des impératifs sécuritaires, incarne une quête renouvelée d’unité et de souveraineté.

Dès l’aube des indépendances, le Mali, alors Soudan français, a cherché à dépasser les frontières héritées de la colonisation. En janvier 1959, la Fédération du Mali a vu le jour, regroupant le Soudan français et le Sénégal, avec l’ambition d’incarner une Afrique unie, forte et souveraine.

Portée par deux figures charismatiques, le Malien Modibo Keita et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, cette fédération représentait un véritable élan panafricain. Le projet impliquait initialement la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Dahomey (actuel Bénin), avant leur retrait. La Fédération fut rapidement reconnue par la France et par les Nations unies, ce qui constituait une première tentative concrète d’intégration politique en Afrique de l’Ouest francophone.

En juin 1960, elle proclama son indépendance fédérale, mais ses fragilités apparurent vite. Le 20 août 1960, à peine deux mois plus tard, le Sénégal se retira brusquement, entraînant l’éclatement de l’union et laissant le Soudan français poursuivre seul sa marche sous le nom de République du Mali.

Les causes profondes de l’échec de 1960

Très vite, des divergences politiques et idéologiques se sont manifestées. Senghor défendait une coopération étroite avec l’ancienne puissance coloniale et un modèle libéral, tandis que Keita privilégiait une orientation plus radicale, fondée sur la souveraineté économique et une planification socialiste.

Ces différences s’accompagnaient de disparités économiques et sociales, que les leaders utilisaient davantage pour diviser que pour unir. Les clivages linguistiques, les écarts de développement entre les régions et les rivalités institutionnelles fragilisaient la cohésion fédérale. La précipitation institutionnelle a aussi joué un rôle fatal, dans la mesure où la fédération a été proclamée sans que ses structures aient eu le temps de se consolider.

Cet échec reste une marque profonde dans l’histoire politique africaine, en rappelant qu’aucun projet fédéral ne peut prospérer sans compromis durables entre dirigeants nationaux.

L’émergence de la Confédération AES

Six décennies plus tard, l’idée fédéraliste refait surface, dans un contexte radicalement différent. En effet, le 16 septembre 2023, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont signé la Charte du Liptako Gourma, instituant l’Alliance des États du Sahel (AES), un pacte de défense mutuelle. Le 6 juillet 2024, les trois pays ont franchi une étape supplémentaire avec le traité instituant la Confédération des États du Sahel, en vue d’évoluer vers une fédération.

Contrairement au projet panafricain de 1959, l’AES naît d’une nécessité stratégique puisque, face à l’insécurité chronique, aux pressions économiques et aux sanctions internationales, les trois États ont choisi de mutualiser leurs efforts. En 2025, ils ont annoncé la création d’une force unifiée de 5 000 hommes, dotée de moyens terrestres, aériens et de renseignement, pour incarner cette intégration sécuritaire.

Parallèlement, les discussions portent sur une monnaie commune, la libre circulation et l’interconnexion énergétique, ce qui traduit une volonté d’aller au-delà du tout militaire. À ces initiatives s’ajoute l’annonce de la mise en place d’une Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID-AES). Ces projets, encore à l’état embryonnaire, visent à donner à la Confédération une dimension économique et sociale durable.

Les principes de la Confédération

Le traité fondateur de l’AES fixe, à travers ses articles 3 et 4, les principes et compétences partagées. L’article 3 insiste sur la souveraineté, l’intégrité territoriale, la solidarité confédérale et la défense des intérêts des populations. L’article 4 précise que chaque État conserve son indépendance, sauf dans les domaines délégués à la Confédération, tels que la défense et la sécurité, la diplomatie et le développement. Un protocole additionnel prévoit d’élargir ces compétences si nécessaire, afin d’éviter les erreurs de précipitation institutionnelle du passé.

Similitudes et différences

Si l’on compare la Fédération du Mali et la Confédération AES, des similitudes apparaissent, mais les différences sont tout aussi instructives. Dans les deux cas, il s’agit de dépasser les frontières coloniales afin de renforcer la solidarité et la capacité d’action collective.

Cependant, alors que la Fédération reposait sur l’enthousiasme idéologique des indépendances, l’AES procède d’un calcul pragmatique face à l’urgence sécuritaire et à l’isolement diplomatique. La première avait été fragilisée par le face-à-face entre deux dirigeants aux visions opposées, tandis que la seconde réunit trois régimes de transition animés par des orientations convergentes et un rejet commun des pressions extérieures. Enfin, là où la Fédération avait voulu aller trop vite en proclamant un État sans institutions solides, l’AES adopte une démarche progressive, en commençant par une confédération pour envisager ensuite une fédération.

Le poids du contexte diplomatique

L’AES s’inscrit aussi dans un contexte géopolitique marqué par le retrait des trois pays de la CEDEAO et du G5 Sahel, au profit d’un cadre inédit de coopération. Isolés par les sanctions, Bamako, Ouagadougou et Niamey ont resserré leurs liens, notamment avec Conakry, qui soutient leur démarche souverainiste. Cette réorientation diplomatique, accompagnée d’un rapprochement avec de nouveaux partenaires comme la Russie, la Turquie et la Chine, illustre l’ambition de bâtir une alternative régionale face aux pressions extérieures.

Les conditions d’une réussite durable

La consolidation de l’AES pourrait, à terme, passer par une évolution vers une véritable fédération. Plusieurs éléments créent aujourd’hui un terrain propice. La convergence politique des régimes de transition à Bamako, Ouagadougou et Niamey limite le risque de divergences idéologiques. L’existence d’un ennemi commun, le terrorisme, contribue à renforcer la cohésion stratégique entre les trois États. S’y ajoute un appui populaire confirmé par des enquêtes comme Afrobarometer, qui révèlent qu’une majorité de Maliens soutient l’AES et approuvent la sortie de leur pays de la CEDEAO.

Mais des défis, demeurent dont la faiblesse structurelle des économies, la dépendance extérieure, la difficulté d’abandonner une partie des souverainetés nationales, les pressions internationales et la nécessité de bâtir des institutions stables et inclusives.

Selon Abdoul Sogodogo, enseignant-chercheur et Vice-doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de l’Université Kurukanfuga de Bamako, « le passage à la fédération implique nécessairement la perte de la souveraineté des États unitaires pour son éclosion ». « En même temps, cela réduit la menace de retrait d’un État membre de l’Alliance, puisque le retrait de tout État fédéré nécessiterait dès lors un référendum dans l’État concerné », ajoute-t-il.

Il estime toutefois que la construction d’une fédération rencontrerait « des réticences et résistances de certains acteurs politiques et des entrepreneurs de la violence armée ». Ces résistances ne se limiteraient pas aux groupes armés, mais concerneraient aussi des acteurs politiques et économiques qui tirent profit des souverainetés nationales.

Mais l’universitaire insiste également sur les avantages stratégiques : « la fédération a l’avantage d’unifier les terroirs des trois entités, leurs forces armées et leurs économies. L’unification des territoires priverait les groupes terroristes et sécessionnistes de bases arrières et fera de la zone des trois frontières un espace géographique continu, sans rupture induite par des frontières ».

Une aspiration ravivée

À l’heure où le Mali s’apprête à commémorer le 65ème anniversaire de son indépendance, ce 22 septembre 2025, l’aspiration profonde du pays à un État fédéral sahélien, voire africain, qu’incarnait Modibo Keita, semble retrouver vie. Un peu plus d’un an après la création de la Confédération AES, les avancées en matière d’intégration sont réelles. L’enjeu est désormais de transformer cette flamme ravivée en réalité, en bâtissant une fédération sahélienne capable de résister aux vents contraires et de donner à l’Afrique un exemple durable d’intégration politique réussie.

Mohamed Kenouvi

AES : réunion des ministres de la Justice à Niamey

Les ministres de la Justice du Burkina Faso, du Mali et du Niger se sont réunis à Niamey du 15 au 17 septembre 2025 pour la deuxième réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel. Les travaux, ouverts par le ministre d’État nigérien Mohamed Toumba au Centre international de conférences Mahatma-Gandhi, ont porté sur l’intégration juridique et judiciaire entre les trois pays.

Dans leur communiqué final, les ministres ont indiqué avoir proposé aux chefs d’État de l’Alliance de réexaminer la coopération pénale internationale et d’accélérer la mise en place des instances juridictionnelles prévues par le traité constitutif signé en septembre 2023. Ce texte fondateur prévoit notamment la création d’une Cour de justice de l’Alliance. Les discussions ont également porté sur le renforcement de l’entraide judiciaire et la mutualisation des moyens de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Cette rencontre s’inscrit dans le prolongement du sommet des chefs d’État tenu à Niamey en juillet 2025, qui avait validé l’accélération de la mise en place des institutions communes. Les ministres ont précisé que les textes relatifs aux organes judiciaires seront transmis aux chefs d’État pour examen et adoption lors d’une prochaine session.

L’article 127 du Statut de Rome encadre toute décision de retrait de la Cour pénale internationale et prévoit qu’une telle démarche prend effet un an après notification au Secrétaire général des Nations unies. À ce jour, aucune notification n’a été rendue publique. La réunion de Niamey marque une nouvelle étape dans la construction institutionnelle de l’Alliance, qui entend doter la région d’organes communs de justice et de mécanismes propres de coopération judiciaire.

AES : Bamako accueillera un forum sur le développement de l’agriculture

La capitale malienne abritera les 18, 19 et 20 septembre prochain, au CICB, un forum sur le développement de l’Agriculture, dans l’espace de la Confédération des États du Sahel. Ce forum servira de cadre d’échanges et de partage d’expériences entre les professionnels du secteur agricole des pays membres de l’AES, en vue d’identifier les actions de synergie dans le domaine Agricole.

 

La capitale malienne servira de cadre à un forum sur le développement agricole, secteur stratégique pour les pays de l’AES. Pour aider à bien préparer la rencontre, une commission d’organisation a été mise en place et comprend des représentants de plusieurs départements ministériels maliens. Elle s’est réunie ce mardi 09 septembre 2025, dans la salle de réunion du ministère de l’Agriculture, sous la co présidence des Secrétaires Généraux des ministères de l’Agriculture et de celui de l’Élevage et de la Pêche.

 

Placé sous le parrainage du Général Assimi GOÏTA, président de la Confédération AES et placé sous la présidence du Premier Ministre, Abdoulaye MAÏGA, ce forum s’inscrit dans la perspective de parvenir à une vison partagée du développement agricole, afin d’accélérer la transformation durable des systèmes agricoles dans l’espace de la confédération. L’agriculture est le pilier clé de l’économie des Etats du sahel. Au Mali, il emploie près de 80 % de la population et contribue à hauteur de 38 % au PIB. Selon le rapport de revue du secteur agricole de la banque mondiale, le Mali possède un potentiel agricole considérable.

 

Environ 44 millions d’hectares sont utilisables pour l’agriculture et l’élevage, dont seulement 7 millions d’hectares (soit 16%) sont cultivés à l’heure actuelle. Cette grande rencontre servira de cadre d’échanges et de partage d’expériences entre les professionnels du secteur agricole des pays membres de l’AES, dans l’optique d’identifier les actions de synergie dans le domaine Agricole dont la mise en œuvre pourrait contribuer à l’atteinte de la souveraineté alimentaire et l’amélioration des conditions de vie des exploitantes et exploitants agricoles de la zone AES. Les échanges de cette première réunion ont porté essentiellement sur la tenue et la réussite du forum.

Joseph Amara DEMBELE

 

 

Sommet africain sur la sécurité : Le Mali et Burkina Faso absents

 Le Sommet des chefs d’état-major africains s’est tenu du 25 au 27 août 2025 à Abuja. Durant trois jours, les responsables de la sécurité ont échangé sur les perspectives de la sécurisation des territoires de l’ensemble du continent. Le Burkina Faso et le Mali n’ont pas pris part à la rencontre.

La rencontre qui a regroupé des officiers de haut rang, venus de l’ensemble du continent,  visait notamment à « discuter des défis communs du continent, parler des stratégies collectives » afin de trouver « des solutions locales aux besoins de l’Afrique en termes de défense ».

Sur les trois pays de l’AES, seul le Niger était représenté, le Burkina Faso et le Mali ayant choisi de ne pas répondre à l’invitation des autorités nigérianes.

 

En présence de nombreux chefs  d’état-major d’Afrique, les questions relatives aux menaces sécuritaires et la multiplication des groupes armés terroristes dans la région ouest-africaine, notamment, ont été abordées. Selon le chef d’état-major nigérian, Christopher Musa, il est important d’aller à une coopération en matière de sécurité en vue de mener les actions en synergie.

« La véritable sécurité ne s’obtient pas dans l’isolement », a fait savoir le chef d’état-major nigérian aux officiers présents à ce sommet.  Sans doute, un appel aux pays de l’AES qui envisagent désormais une défense commune aux trois Etats. Les tensions entre la CEDEAO et l’AES, s’étaient  accentuées, après les sanctions prises par la CEDEAO, contre le Niger, suite au coup d’Etat de juillet 2023.

 

Depuis leur retrait de la CEDEAO, en janvier 2025, les trois pays de l’AES, confrontés à des défis sécuritaires depuis plus d’une décennie, ont décidé de fédérer leurs moyens pour une lutte coordonnée contre le terrorisme. Ils ont notamment crée une force commune constituée de 5 000 hommes, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Ali Sankaré

 

Cédéao : vers l’opérationnalisation d’une brigade antiterroriste régionale

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a annoncé, le lundi 25 août 2025 à Abuja, la création d’une brigade antiterroriste de 260 000 hommes, financée à hauteur de 2,5 milliards de dollars par an. Les ministres des Finances et de la Défense se réuniront vendredi 29 août 2025, toujours dans la capitale nigériane, pour arrêter les modalités de financement et d’opérationnalisation de cette force.

La décision du 25 août s’inscrit dans une série d’initiatives déjà engagées par l’organisation régionale. En mars 2025, la Cédéao avait officiellement annoncé l’activation de sa Force en attente, considérée comme une première étape vers une riposte régionale coordonnée contre le terrorisme. Cette force de plusieurs milliers d’hommes avait été présentée comme un dispositif transitoire destiné à préparer un déploiement de plus grande ampleur.

En juin 2025, à Abuja, les chefs d’État et de gouvernement réunis en sommet ordinaire avaient entériné le principe d’une montée en puissance de cette capacité militaire, insistant sur la nécessité d’un financement durable et de mécanismes de commandement adaptés à la menace sécuritaire croissante dans la sous-région.

L’annonce de la création d’une brigade de 260 000 hommes représente l’aboutissement de ces discussions. Selon la Commission de la Cédéao, dirigée par le Dr Omar Touray, cette force sera dotée d’un budget annuel de 2,5 milliards de dollars afin de couvrir les besoins logistiques, opérationnels et de coordination.

Le calendrier prévoit désormais la réunion ministérielle du vendredi 29 août 2025 à Abuja. Celle-ci devra préciser les modalités de financement, la répartition des contributions nationales et les premières étapes de l’opérationnalisation de la brigade.

En parallèle, la Cédéao poursuit ses échanges avec l’Alliance des États du Sahel (AES) — regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger — qui a, de son côté, annoncé l’opérationnalisation d’une force unifiée de 5 000 hommes. Les discussions portent sur les formes possibles de coopération et de complémentarité entre ces deux dispositifs, dans un contexte où l’Afrique de l’Ouest est devenue l’une des principales zones d’activité des groupes armés.

L’ensemble de ces décisions illustre la volonté des États ouest-africains de renforcer la coordination militaire face à l’expansion du terrorisme. La réunion de ce vendredi devrait marquer une étape décisive dans le passage de l’annonce à la mise en œuvre concrète de la brigade régionale.

Le Premier ministre burkinabè achève une visite de quatre jours à Bamako

Le Premier ministre du Burkina Faso, Rimtalba Jean-Emmanuel Ouédraogo, a quitté Bamako ce vendredi matin au terme d’un séjour de quatre jours au Mali.

Son départ de l’aéroport international Modibo Keïta-Sénou a été marqué par la présence de son homologue malien, le général de division Abdoulaye Maïga, de plusieurs membres du gouvernement et de représentants de la communauté burkinabè vivant au Mali.

Arrivé le 18 août, M. Ouédraogo a effectué cette visite en qualité d’invité d’honneur de la célébration du deuxième anniversaire de la Brigade citoyenne, organisée par le ministère malien de la Jeunesse et des Sports. L’initiative, lancée en 2023, mobilise des jeunes autour de l’instruction civique, de la solidarité et de la discipline collective. Les cérémonies commémoratives ont réuni des délégations venues de plusieurs régions du Mali.
Durant son séjour, le Premier ministre burkinabè a eu une séance de travail avec son homologue malien. Il a également été reçu par le président de la Transition, le général d’armée Assimi Goïta, pour un entretien centré sur la coopération bilatérale et les projets communs de la Confédération des États du Sahel.
La délégation burkinabè, composée de membres du gouvernement et de conseillers techniques, a également pris part à des rencontres avec leurs homologues maliens autour de questions de sécurité, de jeunesse et de développement.

Les humanitaires en danger : 42 attaques recensées au Mali en 2025

La Journée mondiale de l’aide humanitaire, célébrée le 19 août, s’est tenue cette année au Mali dans un climat de violence et de restrictions sans précédent. Selon OCHA, 42 attaques contre des travailleurs humanitaires ont été recensées dans le pays entre janvier et fin juillet 2025, faisant du Mali l’un des contextes les plus hostiles pour l’action humanitaire. On deplore aussi 5 enlèvements dans la même période. 

Juillet a marqué un pic avec 81 incidents d’entraves à l’accès, contre 50 en juillet 2024, soit une hausse de 62 %. Ces entraves regroupent des interdictions de mouvement, des restrictions imposées par des acteurs armés, des menaces sécuritaires, des attaques directes et aussi des enlèvements, qui continuent d’exposer particulièrement le personnel national présent en première ligne. En juin, 76 incidents avaient été enregistrés, plus du double par rapport à l’année précédente. Entre janvier et mars, 246 contraintes d’accès avaient déjà été documentées, dont 92 pour le seul mois de mars, contre 62 à la même période en 2024. La hausse s’est amorcée dès janvier, avec 26 incidents, au-dessus du niveau de décembre 2024. La concentration la plus forte reste dans les régions du centre et du nord où l’insécurité demeure.

Cette dégradation survient alors que les besoins restent considérables. En 2025, 6,4 millions de Maliens ont besoin d’une assistance humanitaire. Le pays abrite 402 167 déplacés internes et environ 140 404 réfugiés, dont près de 70 % originaires du Burkina Faso, tandis que 318 000 Maliens ont trouvé refuge à l’étranger. Entre juin et août 2025, 819 000 personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 34 000 en situation d’urgence.

Le financement ne suit pas l’ampleur de ces besoins. Au 20 août 2025, seuls 94,7 millions USD avaient été mobilisés sur un total requis de 771,3 millions USD, soit une couverture de 12,3 %. Ce déficit de plus de 670 millions USD met en péril la continuité des interventions alors que les attaques et entraves se multiplient.

Réunis à Bamako du 7 au 9 août pour le premier Forum humanitaire de l’Alliance des États du Sahel, les ministres chargés de l’action humanitaire ont décidé de mettre en place un cadre de concertation régional afin de mieux coordonner les réponses et d’intégrer les liens entre climat, sécurité, paix et développement. Ils ont souligné la nécessité d’anticiper les crises, de renforcer la redevabilité envers les communautés bénéficiaires et de promouvoir des solutions durables pour les déplacés et les réfugiés. Une volonté affirmée de diversifier les sources de financement, notamment à travers le secteur privé et les diasporas, accompagne cette démarche, tout en réaffirmant la souveraineté des États de l’AES dans la conduite de leurs priorités humanitaires.

À l’échelle régionale, la tendance est tout aussi alarmante. Au 1er août 2025, près de 19 000 personnes avaient perdu la vie en Afrique de l’Ouest et du Centre, contre 32 000 pour toute l’année 2024. Les besoins humanitaires concernent 57 millions de personnes, pour des plans visant à en assister 34,5 millions. Seuls 1,2 milliard USD, soit 16 % des 7,8 milliards USD recherchés, avaient été financés à cette date.

La commémoration du 19 août rappelle l’attentat de 2003 contre le siège de l’ONU à Bagdad, qui avait coûté la vie à 22 personnes dont Sergio Vieira de Mello, alors Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Irak. Vingt-deux ans plus tard, l’hommage rendu aux humanitaires prend au Mali une résonance particulière. Alors que les attaques s’accumulent et que les financements manquent, la protection des équipes et la garantie d’un accès sûr aux populations vulnérables apparaissent plus urgentes que jamais.

 

Al’Ada 2025 : Le Sahel célèbre sa culture sous le signe de l’unité

Du 26 juillet au 3 août, la capitale nigérienne, Niamey, accueille la deuxième édition de la Semaine culturelle Al’Ada, un rendez-vous qui prend cette année une dimension régionale inédite. Le Mali et le Burkina Faso, invités d’honneur, y prennent part pour célébrer avec le Niger l’identité culturelle commune des peuples sahéliens.

Née d’une volonté politique de renforcer la coopération entre les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), la Semaine Al’Ada n’est plus seulement un événement national. Elle devient une vitrine de la solidarité culturelle entre trois pays engagés dans une redéfinition de leur souveraineté. À travers danses traditionnelles, concerts, contes, expositions d’artisanat ou encore compétitions sportives populaires comme la lutte traditionnelle, les peuples du Sahel entendent se réapproprier leurs récits et leurs imaginaires.

Dans les rues de Niamey, l’événement bat son plein. Les délégations malienne et burkinabè sont déjà présentes avec leurs artistes, conteurs, musiciens et créateurs. Côté malien, l’on évoque la participation de troupes folkloriques originaires de Ségou et de Mopti, ainsi que d’artisans de Tombouctou porteurs d’un patrimoine transmis oralement depuis des siècles. Pour le Niger, chaque région a envoyé ses meilleurs talents, sélectionnés au cours de concours régionaux organisés dans les semaines précédentes. À Agadez, par exemple, un concours régional organisé le 21 juin a permis de départager une vingtaine d’artistes dans les catégories chant, ballet, humour et conte, sous l’œil d’un jury pluridisciplinaire.

Mais, au-delà de la fête, l’événement porte un message politique assumé. En février dernier à Ségou les trois États sahéliens ont posé les bases d’une politique culturelle et sportive commune. Al’Ada 2025 doit en être la première concrétisation. Des rencontres officielles sont prévues en marge des festivités pour poser les jalons d’un cadre de coopération pérenne dans les domaines des arts, du sport et du tourisme. Le projet s’inscrit aussi dans la continuité des Jeux de l’AES, organisés à Bamako en juin dernier.

Dans un contexte sécuritaire et diplomatique tendu, la culture devient ainsi un levier de rapprochement entre peuples, mais aussi un vecteur de résilience. « Ce n’est pas un simple festival, c’est une déclaration d’unité », confie un membre du Comité d’organisation nigérien.

En résonance avec des initiatives comme le festival Ségou’Art au Mali, la Semaine Al’Ada s’impose comme un carrefour où traditions et avenir se croisent et où l’art devient un langage diplomatique. L’édition 2025 promet d’être plus qu’un événement culturel, un moment de communion et d’unité autours des valeurs communes. Les organisateurs ambitionnent d’en faire un acte fort d’affirmation identitaire dans un Sahel en recomposition.

Massiré Diop

AES : à Niamey, les droits des femmes en quête de réalité

Les ministres de la Promotion de la femme et du genre du Mali, du Burkina Faso et du Niger se retrouvent les 17 et 18 juillet 2025 à Niamey, après la réunion préparatoire des experts les 13 et 14 juillet. Cette rencontre vise à harmoniser les législations et à élaborer un mécanisme régional pour faire respecter les droits des femmes dans l’espace AES.

Les trois pays du Sahel arrivent à cette réunion avec des textes ambitieux mais des résultats inégaux. Au Mali, la loi n° 2015‑052 impose depuis dix ans un quota minimum de 30 % de femmes dans les fonctions électives et nominatives, mais le gouvernement en place ne compte que 18 % de femmes et leur présence reste faible dans les instances locales.

Au Burkina Faso, une loi cadre adoptée en 2009 fixe le même seuil, mais la représentation parlementaire plafonne à environ 18 % et la participation ministérielle peine à dépasser 20 %.

Au Niger, la loi de 2020 prévoyait 25 % de femmes sur les listes électorales, mais seules 15 % siègeaient au Parlement, tandis que plus de 70 % des filles y sont toujours mariées avant 18 ans et que l’accès à l’éducation secondaire demeure très limité.

Les ministres sont attendus pour valider une feuille de route et un mécanisme de suivi communs, en ciblant notamment la lutte contre les mariages précoces, les violences basées sur le genre, l’éducation des filles et la mise en œuvre effective des quotas. Pour l’AES, ce rendez-vous est présenté comme une étape vers une intégration plus concrète de la dimension genre dans ses politiques de souveraineté et de développement.

8ᵉ session ordinaire de l’ALG : les Chefs d’État fixent le cap pour une réorganisation d’ici fin 2025

Les Chefs d’État du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont participé, ce vendredi 11 juillet, par visioconférence à la 8ᵉ session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Autorité de Développement Intégré du Liptako-Gourma. Ils ont décidé de réorganiser l’institution pour l’adapter aux objectifs de la Confédération des États du Sahel avant le 31 décembre prochain.

La session, présidée par le Général Abdourahamane Tiani, Chef de l’État du Niger, a permis d’évaluer les activités en cours et d’arrêter une série de mesures pour clarifier le rôle de l’ALG dans le nouvel espace confédéral. Les Chefs d’État ont convenu de maintenir le siège à Ouagadougou, de nommer un administrateur provisoire, de procéder à un audit et de transférer progressivement les missions de l’organisation vers une nouvelle structure, tout en veillant à ce que la réorganisation soit finalisée avant la fin de l’année.
Créée en 1970, l’ALG a pour mandat de promouvoir le développement intégré dans le Liptako-Gourma, une région de plus de 370 000 kilomètres carrés. Depuis sa mise en œuvre, elle a conduit plusieurs programmes structurants dans l’hydraulique, l’environnement, les infrastructures et la promotion économique. Elle a, par exemple, contribué à la réalisation de 140 marchés à bétail équipés, à la plantation de 500 hectares d’arbres dans des zones dégradées, à la mise en place de 18 centres de transformation de produits locaux et à la formation de 1 200 comités locaux de gestion des ressources naturelles. Elle a également participé à la réhabilitation de plus de 2 500 kilomètres de diguettes antiérosives pour lutter contre l’érosion des sols et à l’électrification de 35 centres de santé ruraux grâce à des installations solaires.
Les dirigeants ont indiqué que les ministres sectoriels et les experts techniques sont chargés d’élaborer les textes juridiques et les modalités de fonctionnement de la future structure. Ils ont aussi demandé de garantir la continuité des services pendant la période de transition et d’associer les communautés locales au processus de réorganisation.
La session s’est conclue sur un engagement renouvelé à renforcer la coopération régionale, à mutualiser les ressources et à mener à bien la feuille de route définie dans les délais impartis.

AES : la session des chefs d’État reportée à décembre 2025

Initialement prévue en juillet 2025 à Bamako, la deuxième session du Collège des Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel se tiendra finalement en décembre.

L’annonce a été faite le 4 juillet par le Général d’armée Assimi Goïta, président de la Transition malienne et président en exercice de la Confédération, à l’issue de consultations avec ses homologues le Capitaine Ibrahim Traoré et le Général Abdourahamane Tiani.

Ce report intervient un an après la création officielle de la Confédération le 6 juillet 2024 à Niamey, où les trois chefs d’État avaient signé les textes fondateurs, désigné le général Goïta à sa présidence et fixé la feuille de route.

Depuis lors, plusieurs initiatives ont marqué son mandat : le lancement officiel du passeport biométrique commun en janvier 2025, la présentation à Bamako le 12 mai 2025 de l’hymne confédéral intitulé « La Confédérale » et de la devise, la confirmation le 17 septembre 2024 de la création d’une banque d’investissement et d’un fonds de stabilisation pour financer les infrastructures et la planification d’une force militaire conjointe de cinq mille hommes annoncée début 2025 pour sécuriser les zones frontalières. Du 21 au 28 juin 2025, Bamako a accueilli la première édition des Jeux de l’AES, réunissant des délégations sportives des trois pays.

Ce report survient alors que le Conseil national de Transition du Mali a adopté, le 3 juillet 2025, en clôture de sa session ordinaire, la révision de la charte de la Transition accordant au Général Assimi Goïta un mandat présidentiel de cinq ans renouvelable jusqu’à la pacification du pays et l’érigeant au rang de président de la République, alignant ainsi le Mali sur le Burkina Faso et le Niger qui avaient déjà pris cette orientation institutionnelle.

Cette décision intervient aussi dans un climat marqué par une intensification des attaques armées visant les trois pays, renforçant les enjeux sécuritaires qui devraient figurer en bonne place lors de la session de décembre.

Jeux de l’AES : Clap de fin sur la première édition

La première édition des Jeux de l’Alliance des États du Sahel (AES) s’est achevée le 28 juin 2025 au Palais des Sports Salamatou Maïga de Bamako, au terme d’une semaine de compétition placée sous le signe de la fraternité, de la résilience et de l’unité sahélienne.

La cérémonie de clôture, présidée par le ministre de la Jeunesse et des Sports, Abdoul Kassim Ibrahim Fomba, a rassemblé autorités, athlètes, encadreurs et un public nombreux venu saluer la réussite de cet événement inédit. Elle a été marquée par des prestations artistiques qui ont mis en lumière des talents venus des trois pays.

Durant une semaine, les athlètes maliens, burkinabè et nigériens se sont affrontés dans différentes disciplines, telles que le judo, le karaté, la lutte traditionnelle, le taekwondo, le kung-fu, le bras de fer, l’athlétisme, le tir à l’arc et le football, affichant un esprit de fraternité et de solidarité entre les trois pays membres.

« Pendant ces quelques jours, bien qu’il s’agisse d’une compétition, nous avons vu des regards complices, des mains tendues, des hymnes chantés à l’unisson. Nous avons vu des peuples se reconnaître au-delà des frontières, des accents ou des drapeaux burkinabé, nigérien, malien », a salué le ministre Fomba devant les trois ambassadeurs des JAES : Cheick Ahmed Alhassan Sanou dit Iron Biby du Burkina Faso, qui porte le titre de l’homme le plus fort du monde, Daba Modibo Keïta du Mali, double champion du monde de taekwondo, et Abdoulrazak Issoufou Alfaga du Niger, champion du monde de taekwondo en 2017 dans la catégorie des 87 kg.

« Nous avons couru, lutté, combattu, mais jamais seuls. Nous avons formé un seul bloc, une seule équipe, une seule famille : la grande famille du Sahel, unie et solidaire », a-t-il poursuivi, soulignant que l’AES, tracée par les plus hautes autorités des trois pays, n’était pas seulement une entité politique, mais « une communauté de cœur, une union de valeurs, un destin commun ».

Un bilan sportif dominé par le Mali

Au plan sportif, le Mali termine premier avec 59 médailles, dont 27 en or, 21 en argent et 11 en bronze, suivi du Niger avec 48 médailles (20 or, 10 argent, 18 bronze). Le Burkina Faso se classe troisième malgré un total supérieur de 55 médailles, mais seulement 14 en or, 28 en argent et 13 en bronze.

« Tous les trois pays ont remporté des médailles d’or. Pour moi, il n’y a donc pas de perdant, c’est l’AES qui a gagné. L’objectif était de réunir les fils et les filles d’un même espace pour rivaliser d’audace et de talent », a indiqué Roland Somda, ministre des Sports, de la Jeunesse et de l’Emploi du Burkina Faso.

Un projet d’intégration au-delà du sport

Ces premiers Jeux de l’AES se referment sur un espoir : celui d’un Sahel debout, résilient et uni autour de sa jeunesse sportive, prête à porter haut le flambeau de l’alliance.

Au-delà des performances, ces jeux restent un symbole fort d’intégration et de résilience pour l’AES. Ils ont permis de renforcer les liens fraternels entre les trois pays et d’affirmer leur volonté commune d’avancer unis. La prochaine édition se tiendra en 2026 au Burkina Faso.

Mohamed Kenouvi

1ers Jeux de l’AES : Premières médailles, premières émotions

Lancée en grande pompe le 21 juin par une cérémonie d’ouverture haute en couleurs au Palais des Sports Salamatou Maïga de Bamako, la première édition des Jeux de l’AES se poursuit jusqu’au 28 juin dans une ambiance fraternelle et compétitive. Voici un tour d’horizon des résultats enregistrés au football, au kung fu wushu et au taekwondo.

Au tournoi de football U17, le Mali s’est largement imposé en match d’ouverture le 21 juin devant le Niger avec un score de 3 à 0. Cependant, les Nigériens se sont repris lors de leur deuxième sortie, le 23 juin, en s’imposant 1 à 0 devant le Burkina Faso. Pour leur deuxième match, les Étalons Cadets ont affronté les Aiglonnets le 25 juin et se sont inclinés de nouveau (2-5). La finale a opposé le 27 juin le Mali au Niger. Les Aiglonnets se sont à nouveau largement imposés devant les U17 nigériens (4-0) et ont décroché la médaille d’or de la compétition de football pour ces 1ers jeux de l’AES.

Le Mali en force au kung fu wushu

Le kung fu wushu était à l’honneur le 23 juin. En taolu (enchaînements techniques), la Malienne Oumou Bouaré a brillé en décrochant 2 médailles d’or, notamment en changquan (main nue) et gunshu (bâton). Elle a néanmoins été devancée dans l’épreuve du sabre (daoshu) par la Burkinabè Rim Vanessa Simporé, sacrée championne.

Du côté du combat libre (sanda), la Malienne Adam Djekpilé s’est imposée chez les femmes (-65 kg), tandis qu’Abdoulaye Diassana, également Malien, a remporté l’or chez les hommes après avoir battu le Burkinabè Iboudo Nianis.

Le Niger tire aussi son épingle du jeu. Dans la catégorie masculine des -80 kg, Boubacar Ibrahim a dominé le Malien Seydou Diarra, offrant à son pays sa toute 1ère  médaille d’or de ces Jeux. Au classement final de cette épreuve, le Mali se hisse en tête avec 8 médailles d’or, suivi du Burkina Faso (3 médailles d’or) et du Niger (1 médaille d’or).

Le Niger s’impose au taekwondo

Le Niger s’est particulièrement illustré lors des épreuves de taekwondo junior, disputées le 24 juin. Avec 3 médailles d’or, 1 d’argent et 1e de bronze, les athlètes nigériens ont dominé le classement.

On retient notamment les victoires de Samira Soumana (-44 kg), Houssseina Zada (-55 kg) et Abdoul Aziz Issifi (-55 kg), qui ont porté haut les couleurs nigériennes. Le Burkina Faso suit de près avec 2 titres remportés par Doumbia Mariam (-49 kg) et Sanou Sibiri Moumouni (-63 kg), en plus de 3 médailles de bronze. De son côté, le Mali complète le podium avec 4 médailles d’argent et 1 de bronze.

Mohamed Kenouvi

Transition prolongée : Entre logique sécuritaire et rupture démocratique

La prolongation du mandat du Président de la Transition à cinq ans renouvelables marque un tournant institutionnel inédit depuis 2020. Entre justifications sécuritaires, incertitudes électorales et critiques sur la gouvernance, la question de la permanence du provisoire s’impose au cœur du débat politique national.

Le 11 juin 2025, le Conseil des ministres a adopté un projet de loi révisant la Charte de la Transition. Il ouvre la voie à un mandat de cinq ans renouvelable pour le chef de l’État, le Général Assimi Goïta. Cette décision, qui devrait encore être entérinée par le Conseil national de transition (CNT), modifie de manière substantielle le cadre temporaire en vigueur depuis septembre 2020. Rappelons que le Conseil national de transition (CNT), mis en place par ordonnance en décembre 2020, fait toujours office d’organe législatif intérimaire. Il regroupe 147 membres désignés par le Président de la Transition, représentant les forces de défense, la société civile, les syndicats et les partis politiques d’alors. Il détient le pouvoir de valider les projets de loi et de contrôler l’action du gouvernement.

Ainsi, la Charte initiale, adoptée en octobre 2020, avait fixé une durée de transition de 18 mois. Une première prolongation en février 2022 l’étendra à 24 mois, jusqu’en février 2024. La nouvelle révision de juin 2025 prolongerait cette durée à cinq ans, avec possibilité de renouvellement. Cette orientation s’inscrit dans un contexte où les consultations nationales et les difficultés sécuritaires ont fortement influencé les choix de gouvernance.

L’élément déclencheur de la suspension du processus électoral remonte à septembre 2023. La présidentielle, prévue pour février 2024, est reportée en raison du blocage des données biométriques par la société française IDEMIA, qui réclame environ 5 milliards de francs CFA. Le fichier est finalement récupéré en février 2024 par des informaticiens maliens, sans que les contours de cette affaire ne soient entièrement connus. Malgré la récupération de ces données, aucune date de scrutin n’est annoncée. Cette absence de calendrier n’est pas sans rappeler la crise de 2022, lorsque la CEDEAO avait imposé de lourdes sanctions au Mali après l’annonce d’une transition prolongée à 5 ans d’après certaines sources. À l’époque, la levée des sanctions avait été conditionnée à la remise d’un chronogramme électoral crédible, ce qui fut obtenu à la suite de négociations en juillet 2022.

Pourtant, les promesses initiales de renforcement de la décentralisation formulées en 2021 pour permettre l’organisation de ces élections dans de bonnes conditions sont restées sans traduction concrète dans les politiques territoriales.

Engagements électoraux non tenus

Pourtant, dans sa lettre de cadrage de novembre 2024, le Premier ministre Abdoulaye Maïga, également ministre de l’Administration territoriale, avait placé l’organisation des élections parmi ses priorités. Une enveloppe de 80 milliards de francs CFA figure même dans le projet de Loi de finances 2025, mais sans détails ni chronogramme précis, alimentant les incertitudes sur la volonté effective de tenir des scrutins.

Entre-temps, plusieurs signaux institutionnels se sont superposés. On se souvient que le 31 décembre 2024, dans son discours à la Nation, le Président de la Transition n’avait fait aucune référence au processus électoral. En avril 2024, les activités des partis politiques avaient été suspendues, puis une dissolution générale décidée par décret le 13 mai 2025. Ces mesures sont justifiées par le gouvernement comme nécessaires à la refondation du système politique. Le 3 mai 2025, plusieurs centaines de citoyens ont manifesté à Bamako contre la dissolution des partis politiques et l’absence de perspectives électorales. Il s’agit de la première mobilisation d’ampleur enregistrée dans la capitale depuis la suspension des activités politiques en avril 2024. Les organisateurs dénonçaient une « confiscation du débat public » et appelaient à la restauration des libertés fondamentales, ainsi qu’à l’organisation d’élections pour sortir de la Transition.

Les consultations nationales menées à Bamako du 20 au 29 avril 2025, dites « Rencontres des forces vives », avaient recommandé explicitement la prolongation de la Transition pour cinq ans renouvelables, en harmonie avec le Burkina Faso et le Niger. Ces pays, membres avec le Mali de la Confédération des États du Sahel (AES), ont également fixé leurs transitions à cinq ans (Niger, mars 2025 ; Burkina Faso, mai 2024). Rappelons aussi que le 29 janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont officialisé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette décision, assortie d’un délai d’un an selon les traités, a été justifiée par les autorités comme une affirmation de leur « souveraineté stratégique ». Elle renforce le positionnement des trois États autour de la Confédération des États du Sahel (AES), mise en place en juillet 2024, où prévaut un modèle de transition militaire prolongée.

En privé, certains partenaires étrangers avaient déjà exprimé leurs doutes quant à la faisabilité d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel avec cette nouvelle organisation regroupant les trois pays.

Coopérations internationales suspendues

Ce positionnement trouve également un ancrage antérieur dans les Assises nationales de la refondation, tenues en décembre 2021, où certaines recommandations évoquaient déjà une transition longue, pouvant aller jusqu’à cinq ans. L’argument sécuritaire est central dans les justifications avancées par les autorités. Les données disponibles indiquent une persistance de l’insécurité dans le centre et le nord du pays, avec plusieurs incidents meurtriers recensés au premier semestre 2025. On se rappelle que le 7 février 2025, une embuscade dans la région de Gao, attribuée à des éléments de l’État islamique en Afrique de l’Ouest, a causé la mort de 34 civils et blessé 20 militaires maliens. Quelques mois plus tôt, le 17 septembre 2024, une attaque simultanée contre des installations sécuritaires à Bamako avait fait des dizaines de morts. De plus, selon le Global Terrorism Index 2025, le Sahel concentre plus de 50% des décès liés au terrorisme dans le monde, avec 4 800 morts enregistrées en 2024. Le Mali à lui seul a comptabilisé environ 1 532 décès liés à des violences armées cette même année, notamment dans les régions du centre et du nord.

Sur le plan juridique, la Constitution adoptée par référendum le 23 juillet 2023 prévoit, dans son article 45, que le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Le prolongement actuel, décidé sans élection, repose donc sur un cadre transitoire qui s’écarte du droit constitutionnel en vigueur.

Sonnette d’alarme

Par ailleurs, plusieurs personnalités politiques ont exprimé publiquement leurs inquiétudes. Le 15 juin 2025, Mountaga Tall a alerté sur les risques d’une confiscation du pouvoir et a proposé douze mesures pour restaurer la confiance, dont la fixation d’une date de fin de transition et la réhabilitation des partis. Le 16 juin, Yaya Sangaré a dénoncé une « violation répétée » des textes, avant d’appeler à une mobilisation citoyenne. Oumar Ibrahim Touré avait rappelé que le Mali était le seul pays de l’AES à disposer d’une Constitution en vigueur, insistant sur la responsabilité à respecter l’État de droit. Le politologue Cheick Oumar Doumbia avait lui aussi tiré la sonnette d’alarme sur les risques de démocratie sous pression liés à une gouvernance trop fortement militarisée.

L’histoire politique récente du Mali est marquée par deux précédentes transitions. En 1991, le régime militaire issu de la chute de Moussa Traoré a organisé en un an une Conférence nationale souveraine, suivie d’élections pluralistes en 1992. En 2012, après un coup d’État intervenu en pleine crise sécuritaire au Nord, une transition de moins de 15 mois a permis d’organiser des élections sous supervision internationale. Ces précédents tranchent avec la transition actuelle, dont la durée cumulée et l’évolution institutionnelle sont sans précédent.

Dans l’attente d’une validation du texte par le CNT, aucun calendrier électoral n’est actuellement publié. Le cadre transitoire demeure en vigueur, sans perspective claire de sortie. La consolidation institutionnelle du Mali s’inscrit ainsi dans une temporalité prolongée qui pose la question de la permanence du provisoire.

Alphadi présente sa « Caravane de la paix » au ministre Diop : art, réconciliation et diplomatie culturelle

Le créateur de mode nigérien Alphadi, pionnier de la haute couture africaine et figure de la diplomatie culturelle sur le continent, a été reçu ce mercredi par le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, pour présenter son initiative baptisée « Caravane de la paix », prévue au Mali à partir de septembre 2025. Cette tournée artistique, artisanale et éducative entend mettre la culture au service de la cohésion sociale, de la paix et du développement économique.

Fondateur du Festival international de la mode africaine (FIMA) en 1998 à Agadez, Alphadi – de son vrai nom Seidnaly Sidhamed, né à Tombouctou – s’est vu décerner en 2016 le titre d’Artiste pour la paix par l’UNESCO. Son parcours de plus de 40 ans lui a valu une reconnaissance internationale, et il continue d’utiliser la mode comme levier de dialogue interculturel.

Selon ses premières annonces, la caravane malienne visitera les régions de Kayes, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao et le district de Bamako, en collaboration avec les directions régionales de la culture. Chaque étape prévoit :

des défilés mettant en avant les textiles locaux (bogolan, bazin, tissage traditionnel) ;

des ateliers de formation pour jeunes créateurs, stylistes, tanneurs et brodeurs ;

des conférences sur l’art et la paix, et des performances collectives.

L’objectif est double : renouer les communautés autour de l’héritage culturel commun, et créer un cadre de développement économique pour les métiers d’art. D’après une note transmise aux autorités, le projet vise à former 300 jeunes artisans, à générer plus de 2 500 emplois temporaires, et à attirer plus de 20 000 visiteurs locaux. Un budget estimatif de 1,2 milliard de FCFA est en cours de finalisation, incluant les aspects logistiques, sécuritaires, promotionnels et techniques.

Pour le ministre Diop, cette initiative s’inscrit pleinement dans la dynamique de 2025, décrétée Année de la Culture par le Président de la Transition. Il a salué « une vision panafricaine de la paix par la création », et promis l’appui de son département pour mobiliser les partenaires diplomatiques et culturels. Le projet pourrait également s’insérer dans les priorités du Fonds national pour la culture, ainsi que dans les programmes jeunesse du ministère de la Réconciliation nationale.

Le calendrier précis de la Caravane sera présenté fin juillet lors d’une conférence conjointe avec les ministères de la Culture, de la Jeunesse, et de l’Artisanat. Des partenaires comme l’UNESCO, l’Union africaine, le Réseau des villes créatives africaines, ou encore des enseignes du secteur textile sont sollicités pour contribuer au succès de l’événement.

À travers cette caravane, Alphadi souhaite « redonner espoir à une jeunesse talentueuse souvent oubliée », tout en rappelant, selon ses mots, que « la culture est une arme douce mais puissante contre la division et la pauvreté ».

 

Vers une justice sahélienne commune : Les premiers jalons posés à Bamako

Les ministres de la Justice du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont entamé un processus ambitieux d’unification de leurs systèmes judiciaires. Ce projet vise à créer des institutions juridiques et pénitentiaires confédérales, à harmoniser les législations et à renforcer la coopération face aux défis transnationaux.

Les autorités judiciaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont engagé un processus inédit de rapprochement législatif et institutionnel dans le cadre de la Confédération des États du Sahel (AES). L’initiative, conduite dans la continuité des piliers « Défense, Diplomatie et Développement » de la feuille de route malienne, entend désormais faire de la justice un levier central de souveraineté collective.

Au cœur des discussions figure la volonté d’inscrire la justice parmi les compétences officiellement déléguées à la Confédération. Les ministres ont validé la proposition de modification de l’article 4 du Traité fondateur, ce qui permettra à terme d’asseoir la légitimité d’un système juridique commun et cohérent. Dans son prolongement, un cadre de concertation permanent entre ministres de la Justice a été instauré et des Comités techniques nationaux devront veiller à la mise en œuvre progressive de l’agenda commun, avec pour visée une meilleure coordination, une standardisation des pratiques et l’interopérabilité des procédures.

L’ambition affichée est de bâtir un socle juridique harmonisé, allant des textes de droit pénal à l’organisation des professions judiciaires en passant par la coopération interétatique sur les procédures, les standards et les sanctions. Ce chantier traduit une volonté d’adapter les outils juridiques aux réalités sahéliennes en privilégiant l’harmonisation et l’efficacité.

Des institutions confédérales en gestation

La principale innovation portée par ce chantier est la création annoncée d’une Cour pénale et des droits de l’Homme sahélienne, compétente en matière de crimes de guerre, de blanchiment, de financement du terrorisme, ainsi que pour le contentieux interconfédéral. Cette juridiction, inédite dans l’espace sahélien, sera appuyée par une prison de haute sécurité dont la construction a été validée.

Ces mécanismes viendront renforcer une réponse judiciaire adaptée aux formes nouvelles de criminalité transfrontalière et aux défis liés à la lutte contre l’impunité, dans une zone où les juridictions nationales seules ne suffisent plus. Dans l’attente de leur mise en service, les États membres se réservent la possibilité de saisir toute instance régionale ou internationale existante pour poursuivre les auteurs d’actes graves.

Le projet repose également sur des outils numériques concrets. C’est ainsi qu’une plateforme de coopération judiciaire et un fichier unique des personnes recherchées ont été validés. Leur objectif est de garantir l’interopérabilité des systèmes nationaux et de faciliter les extraditions, transferts de détenus ou exécution des mandats d’arrêt entre les trois pays.

Le volet pénitentiaire n’est pas en reste, puisque la sécurité des établissements, la prévention de la radicalisation, le respect des droits humains, la réinsertion et la mutualisation des formations sont inscrits à l’agenda. Un Centre régional de formation judiciaire et pénitentiaire verra le jour, assurant une standardisation des profils et pratiques.

Contraintes nationales

En dépit de l’élan affiché, la mise en œuvre de ces décisions est conditionnée à plusieurs facteurs. D’abord, une série d’adaptations législatives devront être opérées dans chacun des pays, notamment pour garantir la compatibilité entre les textes de la Confédération et les droits nationaux existants, en particulier les Codes pénaux et de procédure pénale.

La question du financement, également importante, reste en suspens. La construction des infrastructures prévues, le développement des plateformes numériques ou la formation conjointe du personnel nécessiteront des budgets importants, encore non précisés. Les États espèrent l’appui de partenaires techniques ou financiers, mais affichent leur volonté d’autonomie.

Sur le plan politique, une attention particulière sera portée à la répartition des compétences, à la souveraineté des juridictions nationales et à l’acceptabilité du mécanisme par les Parlements. La diversité des pratiques judiciaires, des traditions juridiques et des cadres institutionnels est aussi un obstacle à surmonter.

Au-delà de ces contraintes, l’orientation prise est tout de même une première. Dans un espace longtemps fragmenté, ces États cherchent à construire une justice collective, cohérente, respectueuse des droits fondamentaux, capable de répondre aux attentes de leurs citoyens et aux exigences contemporaines de sécurité et de gouvernance.

Géopolitique : l’APA appelle à une réforme du système international depuis Lomé  

Réunis à Lomé le 2 juin 2025, les ministres de l’Alliance Politique Africaine ont appelé à un sursaut stratégique du continent. Dans une déclaration dense, ils demandent des réformes immédiates des institutions multilatérales, une autonomie accrue en matière de sécurité, et un partenariat renforcé avec les BRICS.

À l’abri des projecteurs internationaux mais dans une atmosphère studieuse, la capitale togolaise a accueilli la troisième conférence ministérielle de l’Alliance Politique Africaine (APA). L’événement s’est tenu sous le haut patronage du président Faure Essozimna Gnassingbé, président en exercice du Conseil de l’APA. Le thème retenu, « Place de l’Afrique dans un monde en mutation : enjeux d’un repositionnement stratégique et diplomatique », a donné le ton d’une déclaration ferme, fondée sur des faits et des objectifs politiques précis.
Les ministres présents ont dénoncé l’inaction de la communauté internationale face à la marginalisation persistante de l’Afrique dans les mécanismes de gouvernance mondiale. Ils ont exigé une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que des grandes institutions financières internationales, estimant que le continent ne peut plus rester spectateur des décisions qui engagent son avenir.
Sécurité collective, industries de défense, souveraineté technologique
Sur le plan sécuritaire, les participants ont défendu une vision d’autonomie stratégique, appelant à renforcer l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et à créer un mécanisme opérationnel de défense collective. La déclaration exhorte à intégrer les dimensions maritime et spatiale, avec une insistance particulière sur l’entrée en vigueur effective de la Charte de Lomé sur la sécurité maritime, adoptée en 2016 mais encore peu appliquée.
Les États membres sont également encouragés à développer une industrie continentale de l’armement, à partir de technologies locales, afin de limiter les dépendances critiques. Le texte recommande de mutualiser les moyens militaires, de financer nationalement les efforts de défense, et d’adopter une approche holistique incluant les enjeux énergétiques, sociaux, et informationnels. Une telle posture, insistent les signataires, est un prérequis à toute stabilité durable.
En toile de fond, les bouleversements géopolitiques en cours, notamment la montée en puissance des BRICS, sont vus comme une opportunité. L’APA appelle à construire un agenda commun avec ce groupe, désormais élargi, pour faire avancer les réformes du système international. Les pays africains membres des BRICS sont invités à y défendre activement les positions stratégiques du continent.
Mémoire historique, justice globale et diplomatie panafricaine
Le communiqué salue également l’adoption par l’Union africaine, lors de sa 38e session ordinaire tenue le 16 février 2025 à Addis-Abeba, d’une décision historique reconnaissant l’esclavage, la colonisation et la traite négrière comme crimes contre l’humanité et génocide à l’encontre des peuples africains. Cette initiative, portée par le Togo, est présentée comme un moment décisif dans la reconnaissance des injustices historiques subies par l’Afrique.
Dans la continuité, les ministres ont lancé un appel aux Nations unies pour qu’elles intensifient la lutte contre les discriminations systémiques subies par les personnes d’origine africaine dans plusieurs régions du monde.
Deux événements à venir ont été annoncés comme priorités diplomatiques : la 2e édition du Lomé Peace and Security Forum, en octobre 2025, et le 9e Congrès panafricain, prévu pour décembre à Lomé. Ces rendez-vous visent à consolider la dynamique de concertation continentale et à construire une parole panafricaine forte, structurée et audible sur la scène mondiale.
À travers cette déclaration, l’APA entend marquer un tournant. Non par des effets d’annonce, mais par la formulation de revendications concrètes, stratégiques et coordonnées, à même de repositionner durablement l’Afrique dans le nouvel équilibre mondial en gestation.

AES : Vers une union douanière

Le 15 mai 2025, les Directeurs généraux des Douanes des États de l’AES se sont retrouvés à Bamako autour de l’harmonisation des procédures douanières dans l’espace confédéral. Une étape importante destinée à faire le point sur les recommandations antérieures et à progresser vers un espace douanier unifié.

Les États de la Confédération de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) sont désormais engagés dans un processus d’unification de leurs procédures et de leurs textes douaniers. Si la construction de cette nouvelle architecture juridique comporte des défis, elle s’inscrit dans la continuité logique du processus enclenché par ces États depuis leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Pour les futures négociations avec la CEDEAO, l’AES souhaite adopter une position commune, exprimée de manière collective et coordonnée, affirmant ainsi son unité. Une telle orientation ne suscite pas de blocages particuliers à ce stade. « En théorie, le retrait des États de l’AES de la CEDEAO ne devrait pas empêcher les pays de la sous-région de négocier des accords de partenariat dans des domaines stratégiques tels que la sécurité transfrontalière, les tarifs extérieurs communs, ainsi que la libre circulation des personnes et des capitaux », expliquait le Dr Abdoul Sogodogo, dans une étude intitulée « AES, Défis et Perspectives », publiée en septembre 2024.

La coexistence de plusieurs organisations dans l’espace sous-régional n’est d’ailleurs pas une réalité nouvelle, poursuit-il. Celle de la CEDEAO et de l’UEMOA en est une illustration. L’avènement de la nouvelle entité, l’AES, pourrait même représenter une opportunité pour attribuer à chaque organisation un mandat spécifique : à l’UEMOA, les questions monétaires ; à la CEDEAO, le développement intégré et la démocratisation ; à l’AES, les questions de sécurité, pour combler les lacunes des initiatives précédentes.

Dès sa création, l’AES s’est positionnée non seulement comme un instrument sécuritaire face aux défis communs, mais aussi comme un levier diplomatique et économique au service des trois États qui la composent.

Un espace intégré en construction

Avant la rencontre des Directeurs généraux des Douanes de l’AES à Bamako, plusieurs réunions avaient jeté les bases d’une coopération douanière plus étroite entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

À Niamey, en juillet 2024, la rencontre des DG des Douanes de l’AES a permis de créer des groupes de travail sur le transit, le Code des douanes, les tarifs communs et les règles d’origine. L’interconnexion des systèmes douaniers est apparue comme une priorité pour répondre aux difficultés d’approvisionnement et sécuriser les recettes douanières.

Ce processus s’est poursuivi lors de la réunion de Lomé, en septembre 2024, avec une recommandation forte en faveur de l’interconnexion des systèmes douaniers, y compris avec le Togo.

En janvier 2025, à Ouagadougou, les autorités douanières des trois pays ont évalué l’état d’avancement de cette interconnexion, notamment avec l’administration douanière togolaise.

La réunion de Bamako visait donc à dresser un état des lieux de l’évolution des chantiers engagés et des projets de textes. Parmi les dossiers examinés figuraient : l’encadrement du métier de Commissionnaire en douanes, l’adoption d’un Code des douanes unifié, l’établissement de règles d’origine spécifiques à l’AES, le régime de transit communautaire et l’élaboration de tarifs extérieurs communs (TEC) et préférentiels.

À l’issue des travaux, les Directeurs généraux ont validé le chronogramme proposé pour la finalisation du Code confédéral des douanes et des TEC entre le 28 et le 31 juillet 2025. Ils ont également fait le point sur les recommandations de Lomé : 7 sur 16 ont été réalisées, 6 sont en cours, et 3 restent à mettre en œuvre.

L’un des objectifs de cette réunion était de formuler des propositions concrètes à transmettre aux autorités de l’AES en vue des prochaines discussions avec la CEDEAO.

Interdépendance et dialogue

Le 22 mai 2025, les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES ont rencontré à Bamako le Président de la Commission de la CEDEAO. Cette première session de consultations visait à organiser les négociations entre les deux entités, après la formalisation du retrait de l’AES.

Les discussions ont porté sur les aspects politiques, diplomatiques, institutionnels, juridiques et sécuritaires, mais aussi sur le développement économique et social. Les deux parties ont souligné leur volonté de préserver les acquis majeurs de l’intégration régionale, en particulier la libre circulation des personnes et des biens.

La situation sécuritaire, point de friction majeur entre les États du Sahel et la CEDEAO, a également été abordée. Face à la menace persistante du terrorisme, les deux blocs ont réaffirmé leur volonté de coopérer dans ce domaine, essentiel à la stabilité régionale. Un impératif partagé dans un espace où les économies sont étroitement liées.

En 2024, 22,6% des importations du Mali provenaient de la CEDEAO, contre 31,3% pour le Burkina Faso. En 2022, les exportations du Niger vers la France, le Mali et le Burkina Faso représentaient 35,3% de son PIB. Ses importations – évaluées à environ 4 milliards de dollars – provenaient principalement de la France, de la Chine et des États-Unis.

Cadre parallèle avec l’UEMOA

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger restent membres de l’UEMOA. Dans son rapport annuel 2024, l’Union mentionne des progrès en matière d’union douanière, notamment avec l’élaboration d’un avant-projet de règlement sur les procédures simplifiées de dédouanement.

La Commission a poursuivi ses efforts pour dématérialiser l’octroi d’agrément de l’origine et a reconnu l’origine communautaire de 111 produits. Elle a aussi renforcé le système d’alerte contre les entraves à la libre circulation et au droit d’établissement. Toutefois, elle admet que la mise en œuvre de ces dispositifs reste incomplète. Des campagnes de plaidoyer, de sensibilisation et de renforcement des capacités ont été menées dans les postes de contrôle pour améliorer la situation sur les corridors commerciaux.

Trois mois après la sortie formelle de la CEDEAO, les autorités de l’AES se sont réunies à Bamako le 28 mars 2025. Dans une logique d’autofinancement, elles ont adopté un prélèvement communautaire de 0,5% sur les importations provenant de pays tiers non membres de l’AES, à l’exception des États de l’UEMOA, de l’aide humanitaire et des biens diplomatiques. Ce prélèvement (PC-AES) concerne uniquement les pays n’ayant pas d’accord douanier avec l’AES. L’issue des négociations en cours avec la CEDEAO permettra de savoir si cette mesure s’y appliquera.

Vers une Banque confédérale

Le 16 janvier 2025, les États de l’AES ont entamé des discussions sur la création d’une Banque d’investissement. Le 23 mai 2025, les ministres des Finances de l’AES ont adopté les documents fondateurs de la Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID). Doté d’un capital initial de 500 milliards de francs CFA, cet instrument vise à financer des projets structurants dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de l’éducation et de l’industrialisation.

Estimée à 6,9% du PIB de la CEDEAO et à 28,4% de celui de l’UEMOA, la production économique de l’AES reste encore modeste, mais ses États membres souhaitent se doter d’un instrument vital pour soutenir leur développement.

Les défis sont immenses pour cette nouvelle institution, pensée pour réduire la dépendance des économies aux financements extérieurs. Elle devra répondre aux nombreuses attentes, notamment en matière de dynamisation des économies locales, de lutte contre le chômage des jeunes, de promotion de l’entrepreneuriat et de modernisation des infrastructures.

CEDEAO : 50e anniversaire sous le signe de la résilience  

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a célébré ce mercredi son cinquantième anniversaire à Lagos, au Nigeria. Fondée en 1975 par 15 États, l’organisation régionale traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus sensibles de son histoire, marquée par le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger — désormais regroupés au sein de la Confédération AES.

La cérémonie, tenue à l’Eko Hotel & Suites en présence de onze chefs d’État, a été présidée par Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria et président en exercice de la CEDEAO. Dans un discours volontariste, il a rappelé que l’intégration régionale restait « une nécessité vitale pour relever les défis sécuritaires, économiques et sociaux ». Avec un PIB cumulé estimé à 761 milliards de dollars et une population dépassant les 400 millions d’habitants, l’espace CEDEAO représente le plus vaste marché régional du continent après la SADC.
Pourtant, l’absence des trois États sahéliens a conféré à l’événement un ton nettement moins consensuel. Le départ formalisé en janvier 2024 par Bamako, Ouagadougou et Niamey a réduit le nombre d’États membres à douze, rompant l’unité politique que l’organisation s’était efforcée de préserver depuis les années 1990.
Le poids croissant de l’AES
Créée officiellement en septembre 2023, puis transformée en Confédération en juillet 2024, l’AES regroupe plus de 70 millions d’habitants sur une superficie équivalente à 2,4 millions de km². L’AES a revendiqué son droit à une intégration alternative, fondée sur « la souveraineté assumée, la coopération de sécurité horizontale et le développement endogène ». Les trois États membres justifient leur départ de la CEDEAO par une série de sanctions jugées injustes, un manque de concertation et un éloignement des priorités sahéliennes.
Depuis leur retrait, l’AES travaille à la mise en place de son propre tarif extérieur commun, d’un passeport confédéral et d’un mécanisme de défense mutuelle. Autant d’initiatives qui résonnent comme une rupture avec les normes communautaires portées par Abuja.
Des signes de dialogue à Bamako
Le 22 mai 2025, dans un geste d’apaisement, le président de la Commission de la CEDEAO, Dr Omar Alieu Touray, a entamé à Bamako une série de consultations discrètes avec les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES. Cette première réunion « historique », visait à définir un cadre de dialogue sur les conséquences juridiques et techniques du retrait de la CEDEAO.
Reçu le lendemain par le général Assimi Goïta, président de la Transition malienne et président en exercice de la Confédération, le chef de la Commission a exprimé son attachement à la stabilité régionale et à la préservation des acquis communs, notamment en matière de libre circulation, d’électricité et d’infrastructures transfrontalières.
Malgré ces signaux d’ouverture, le fossé reste profond. La CEDEAO continue de plaider pour la réintégration à terme des pays sahéliens dans son giron. Mais les capitales de l’AES, elles, semblent vouloir construire une architecture propre, fondée sur une lecture réaliste des alliances militaires et économiques.
Alors que l’organisation célèbre un demi-siècle d’existence, la question de son avenir reste ouverte. Peut-elle encore incarner l’unité ouest-africaine sans ses membres sahéliens historiques ? Ou doit-elle accepter une coexistence institutionnelle, marquée par des pôles d’influence différenciés ?
Une chose est sûre, l’anniversaire des 50 ans de la CEDEAO restera comme celui d’un tournant. Moins festif, plus géopolitique.

Mali–CEDEAO : Bamako relance le dialogue ouest-africain dans un esprit de responsabilité

Bamako a été le théâtre, le 22 mai 2025, d’une rencontre diplomatique d’une portée exceptionnelle. Les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina Faso, regroupés au sein de la Confédération des États du Sahel (AES), ont tenu des consultations directes avec le président de la Commission de la CEDEAO, le Dr Omar Alieu Touray.

Cette initiative intervient à un moment charnière, quelques mois après le retrait officiel des trois États de l’organisation sous-régionale. Elle marque une tentative sérieuse de renouer les fils du dialogue entre deux blocs que tout semblait opposer jusqu’ici.

Les entretiens ont permis l’adoption d’un relevé de conclusions servant de base au lancement de futures négociations. Dans une atmosphère jugée constructive par toutes les parties, les représentants ont convenu de préserver les droits fondamentaux acquis au fil de l’intégration régionale. La libre circulation des personnes et des biens reste garantie jusqu’à la mise en place de nouveaux accords. Loin des déclarations symboliques, ce cadre de discussions pose les fondations d’un mécanisme de coopération qui pourrait s’avérer décisif pour les millions de citoyens concernés.

Le climat sécuritaire a largement orienté les débats. La situation dans le Sahel est critique. Selon le rapport 2024 de l’Index mondial du terrorisme, le Burkina Faso est désormais classé premier pays le plus touché au monde, avec près de deux mille morts et 258 attaques enregistrées en une année. Le Niger connaît une dégradation brutale avec une hausse de 94 % du nombre de décès liés au terrorisme, atteignant 930 victimes. Le Mali occupe la troisième place mondiale du classement, consolidant le triste constat selon lequel les trois pays de l’AES cumulent à eux seuls plus de 4 700 morts liés au terrorisme en 2024. Ces chiffres sont glaçants. Ils confirment que le Sahel central concentre aujourd’hui plus de la moitié des victimes du terrorisme dans le monde. Dans ce contexte, la relance du dialogue initiée à Bamako dépasse le cadre diplomatique pour devenir une nécessité humanitaire et stratégique.

Au-delà de la sécurité, l’économie constitue un autre défi majeur. En 2024, le PIB réel du Mali est estimé à 18,3 milliards de dollars, avec une croissance de 4 % portée par les performances agricoles, malgré des ralentissements dans le secteur industriel. Le Niger a enregistré une croissance remarquable de 9,9 %, grâce à la reprise minière et à la hausse des investissements publics. Le Burkina Faso a, pour sa part, maintenu une croissance de 5,5 %, malgré la pression sécuritaire persistante. L’ensemble de l’espace AES, fort de plus de soixante-dix millions d’habitants, génère un PIB cumulé supérieur à 62 milliards de dollars. Pourtant, les besoins restent immenses et les déséquilibres flagrants. La vulnérabilité alimentaire, la dépendance énergétique et l’accès limité aux services sociaux de base aggravent les fractures.

Nouvelle ère

Les autorités présentes à Bamako ont reconnu l’urgence d’ouvrir une nouvelle ère de coopération, dans le respect des choix souverains et des intérêts des populations. L’idée d’une rupture brutale est désormais dépassée. Le ton, désormais, est à la réinvention. L’avenir dira si cette rencontre constitue une simple trêve diplomatique ou l’amorce d’une nouvelle architecture régionale plus souple, plus réaliste, et centrée sur les besoins concrets des citoyens.

La tenue des consultations du 22 mai 2025 introduit une nouvelle phase dans les relations entre les parties concernées. Dans un environnement régional traversé par des ruptures et des incertitudes, le choix d’un échange direct et structuré témoigne d’un repositionnement stratégique. À mesure que les tensions institutionnelles se recomposent, la mise en place d’un canal de discussion offre une base de travail susceptible de faire évoluer les équilibres. La suite dépendra de la capacité des acteurs à ancrer ce dialogue dans des mécanismes concrets, visibles et durables, au bénéfice des populations sahéliennes.

Liberté de la presse en Afrique de l’Ouest : Entre espoirs et reculs

Le dernier classement de Reporters Sans Frontières (RSF) révèle une situation contrastée en Afrique de l’Ouest. Si certains pays enregistrent des avancées notables, d’autres connaissent des reculs préoccupants.

Au Burkina Faso, la situation s’est nettement détériorée. Le pays, confronté à une explosion de la désinformation alimentée par la menace sécuritaire, a chuté de 19 places, passant de la 86ème position en 2024 à la 119ème dans le nouveau classement.

RSF impute cette dégringolade à la montée de l’insécurité et à l’instabilité politique, liée aux deux coups d’État, survenus en janvier et en septembre 2022, qui ont « considérablement dégradé les conditions d’accès à une information plurielle et l’exercice d’un journalisme libre ».

L’autre pays membre de la Confédération AES, le Niger, a également régressé en matière de liberté de la presse. Cependant, ce recul de 3 places (de la 80ème en 2024 à la 83ème en 2025) est le moins important au sein de l’AES.

Cette disparité dans l’AES se retrouve également dans la CEDEAO, l’autre organisation sous-régionale. La Côte d’Ivoire a perdu 11 places et est désormais classée 64ème, tandis que le Sénégal continue de progresser dans ses efforts pour garantir une liberté de presse accrue dans le pays.

Avec 20 places gagnées par rapport au classement 2024, le pays de la Téranga se positionne comme l’un des plus sûrs pour l’exercice du journalisme et le travail des médias en Afrique occidentale.

Cependant, c’est le Cap-Vert (30ème), 3ème en Afrique derrière l’Afrique du Sud et la Namibie, qui vient en tête du classement RSF pour la région ouest-africaine. « Le pays se distingue dans la région par un cadre de travail favorable pour les journalistes. La liberté de la presse est garantie par la Constitution », souligne le rapport.

Même si, de son côté, la Gambie n’a pas progressé et a conservé sa place de 58ème du classement précédent de 2024, le pays montre des signes positifs en matière de liberté de la presse depuis quelques années.

Des avancées telles que des réformes législatives, notamment l’adoption d’une loi d’accès à l’information et la dépénalisation de la diffamation, ont contribué à une baisse des attaques visant les journalistes et à une amélioration du climat médiatique.

Mohamed Kenouvi