Soudan : « Cessez d’armer les généraux » demande Biden

L’Union africaine (UA) a appelé, mardi 24 septembre, à la « cessation immédiate » des combats dans la grande ville soudanaise d’El-Fasher (Sud-Ouest), dénonçant une « escalade » de la crise après un assaut ce week-end des forces paramilitaires.

La guerre oppose depuis avril 2023 l’armée, dirigée par le Général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) de son ex-adjoint, le Général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Le Président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, « appelle à une cessation immédiate des combats à l’intérieur et à l’extérieur d’El-Fasher », affirme un communiqué.

Depuis des mois, le sort d’El-Fasher inquiète la communauté internationale. Dans cette métropole de 2 millions d’habitants, seule capitale des cinq Etats du Darfour à ne pas être aux mains des FSR, des « centaines de milliers de civils » sont menacés par des violences « de masse », a alerté la semaine dernière l’ONU. Les paramilitaires ont lancé leur offensive après des mois de siège.

Lors de l’Assemblée Générale de l’ONU, en cours actuellement, le Président américain Joe Biden a exhorté les dirigeants du monde entier « à cesser d’armer les généraux soudanais et à mettre fin à la guerre qui ravage ce pays depuis 2023 ». Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lui aussi dénoncé « les puissances extérieures qui continuent de s’ingérer sans aucune approche unifiée pour trouver la paix ».

Plus de 10 millions de personnes, dont la moitié sont des enfants, ont fui leur foyer depuis avril 2023. Plus de 2 millions de personnes ont cherché refuge dans les pays voisins. Le Soudan connaît également la plus grande crise alimentaire au monde. Plus de la moitié de la population du pays, soit près de 26 millions de personnes, est confrontée à des niveaux élevés de malnutrition aiguë. Près de 5 millions d’enfants et de femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition aiguë.

Les soins de santé et les services de base ont été réduits à néant, le choléra et d’autres maladies sont en augmentation et les enfants sont privés d’école pour la deuxième année consécutive. Cette situation est l’une des pires crises de protection de l’histoire récente, avec des niveaux alarmants de violence sexuelle et sexiste qui continuent de terroriser les civils, en particulier les femmes et les jeunes filles.

Ramata Diaouré

Retrait de la CEDEAO : L’AES face à la pression internationale

Alors que la fin de l’échéance pour le retrait effectif du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO approche à grands pas, la médiation de la dernière chance tentée par la communauté sous-régionale se prépare. En attendant son issue, l’Union africaine et les Nations unies, dans une moindre mesure, maintiennent une certaine pression sur les dirigeants de la Confédération de l’AES. 

La médiation annoncée par la CEDEAO à l’issue de son sommet du 7 juillet 2024 pour dialoguer avec les pays de l’AES, qui avaient annoncé fin janvier leur retrait de l’institution sous-régionale, n’est pas encore entrée dans sa phase active.

Désigné facilitateur, aux côtés du Président Faure Gnassingbé, par ses pairs de la CEDEAO, le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a indiqué le 13 juillet dernier qu’il allait se rendre, sans préciser de date, chez son homologue togolais pour « définir ensemble les voies et moyens pour trouver au moins une plage de discussion » avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Bassirou Diomaye Faye, qui s’exprimait lors d’une interview avec la presse nationale à l’occasion de ses 100 jours au pouvoir, ne se « fait pas d’illusions » et ira chez ses homologues de la Confédération AES « avec beaucoup d’humilité ».

« J’ai eu la chance ou la malchance de ne pas être là quand les sanctions étaient prises par la CEDEAO contre les États de l’AES.  Ces États ne me regardent pas comme quelqu’un qui était parmi ceux qui les ont sanctionnés, donc ils ont une facilité à me parler plus qu’ils ne peuvent en avoir pour les autres. C’est un atout qu’il faut mettre au service de la communauté pour faire en sorte que la réconciliation renforce l’objectif d’intégration », a souligné par ailleurs le Président sénégalais.

« Inacceptable pour l’UA »

Lors de son allocution d’ouverture du 65ème Sommet de la CEDEAO, le 7 juillet à Abuja, le Président de la Commission de l’institution ouest africaine, Omar Alieu Touray, avait mis en garde les pays de la Confédération de l’AES sur les éventuelles conséquences négatives qui pourraient découler de leur retrait du bloc sous-régional. Une sorte d’intimidation envers eux, selon certains analystes. Le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, avait d’ailleurs dénoncé cette démarche comme une tentative de retournement des populations contre les dirigeants de l’AES.

« Le retrait des 3 pays de la CEDEAO est inacceptable pour l’Union africaine et nous croyons en une seule CEDEAO », avait déclaré de son côté le représentant de l’Union africaine à ce sommet, Bankole Adeoye, Commissaire en charge des Affaires politiques, paix et sécurité. Ces propos ont provoqué le courroux des États de l’AES, que les ministres des Affaires étrangères ont souligné dans une déclaration commune en date du 11 juillet 2024.

« Les ministres des Affaires étrangères de la Confédération des États du Sahel désapprouvent et condamnent avec la dernière rigueur cette attitude, contraire au devoir de réserve et à l’obligation d’impartialité qui incombe à tout fonctionnaire d’une organisation intergouvernementale », ont-ils répliqué.

L’ONU pour l’unité régionale

Le 12 juillet, le Chef du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Représentant spécial du Secrétaire général, Leonardo Santos Simão, a également appelé à la préservation de l’unité régionale en Afrique de l’ouest, tout en s’inquiétant de la réduction de la participation des pays de l’AES aux mécanismes régionaux de coopération en matière de sécurité.

« La position de L’Union Africaine, comme celle des Nations Unies, se comprend. Ce sont des réactions tout à fait normales dans le sens où c’est l’architecture même des organismes internationaux qui est ainsi faite », estime l’analyste en stratégie internationale et ancien ambassadeur du Mali en Turquie Birahim Soumaré.

« En dehors d’un compromis avec la CEDEAO, j’ai bien peur qu’il y ait une sorte d’isolement qui s’installe au niveau des pays de l’AES par rapport aux organisations internationales, tant au niveau de l’Union Africaine que du Système des Nations Unies », craint l’ancien diplomate.

Le ton est tout autre chez le Premier ministre burkinabé. Dans une intervention, le 10 juillet lors d’une rencontre avec les Directeurs régionaux des Nations Unies, Dr. Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambèla a déclaré que son pays (membre de l’AES) n’hésiterait pas à quitter l’Union africaine et l’ONU si elles se comportaient comme la CEDEAO.

El Ghassim Wane : « L’opération de retrait de la MINUSMA a été complexe et difficile »

Entamé le 1er juillet dernier, le processus de retrait de la MINUSMA est presque bouclé. Après 10 ans de présence, la mission onusienne quitte le Mali, où elle a longtemps été décriée par une grande partie de la population, qui regrettait son inefficacité et son inadaptation face à la complexe crise malienne. Le Mauritanien El Ghassim Wane, nommé le 15 mars 2021 et arrivé au Mali en mai de la même année, aura passé un peu plus deux ans comme chef de la mission. Dans cette longue interview exclusive, il revient sur la rétrocession des bases, les polémiques dans la région de Kidal, l’après 31 décembre 2023, le rapport sur Moura, l’avenir de l’Accord pour la paix et fait un bilan des 10 années de la MINUSMA.

La MINUSMA a organisé une cérémonie de clôture à son quartier général le 11 décembre pour marquer le départ de la mission. Quelle appréciation faites-vous du processus de retrait ?

La cérémonie qui a eu lieu le 11 décembre était destinée à marquer symboliquement le départ de la mission du Mali, à la suite de la demande faite à cet effet par les autorités de la Transition et de l’adoption subséquente par le Conseil de sécurité de la Résolution 2690. Dans les faits, nous avons déjà fermé les dix bases qui devaient l’être d’ici au 31 décembre 2023. Les trois restantes (Bamako, Gao et Tombouctou) seront converties en sites de liquidation à partir du 1er janvier 2024. Mais, même s’agissant de ces dernières emprises, nous avons déjà procédé à une rétrocession partielle aux autorités maliennes de la base de Gao et nous transfèrerons celle de Sénou, à Bamako, d’ici la fin du mois. Pour Tombouctou, tout est fait pour accélérer la cadence et assurer la remise de l’emprise au plus tard en février de l’année prochaine. Plus des deux tiers de nos personnels civils et en uniforme ont déjà quitté le Mali. Tous les personnels restants, à l’exception de ceux qui seront impliqués dans la liquidation de la mission, auront quitté le Mali d’ici la fin de l’année. Nous sommes évidemment satisfaits des résultats obtenus. Réussir le pari d’un retrait dans les délais fixés était loin d’être acquis, compte tenu de l’environnement sécuritaire, de l’envergure de la mission, de l’immensité de notre théâtre d’opération et d’autres contraintes, y compris logistiques.

Les Nations unies craignaient que le délai prévu pour le retrait ne soit trop court. Finalement, le défi a été relevé ?

Il est évident que le délai prescrit pour le retrait est exceptionnellement court. C’est une réalité ! Dans une situation normale, une opération de retrait de cette envergure prend beaucoup plus de temps. La question n’est pas que logistique et sécuritaire, il s’agit aussi d’assurer un transfert adéquat des tâches entre la mission qui part et les autorités du pays hôte et, le cas échéant, avec l’équipe-pays des Nations unies, qui regroupe les Agences, Fonds et Programmes de l’organisation, et d’autres acteurs, de manière à ce qu’il y ait une certaine continuité dans l’effort. Il faut, dans toute la mesure du possible, éviter des vides qui seraient préjudiciables à la stabilité du pays. Une fois que le délai fut déterminé, notre responsabilité était d’œuvrer à la réalisation de l’objectif fixé en préservant par dessus tout la sécurité de nos personnels. C’est ce qui a été fait, grâce au dévouement et au professionnalisme des personnels nationaux et internationaux de la MINUSMA, qui ont travaillé d’arrache-pied et fait montre d’une résilience et d’une créativité remarquables pour surmonter les difficultés rencontrées. Il a fallu aussi une bonne coordination avec notre siège à New York, qui nous a apporté tout le soutien nécessaire, ainsi qu’avec les pays contributeurs de troupes et de personnels de police. Il est crucial de relever que, dès le départ, des mécanismes de coordination ont été mis en place avec les autorités maliennes, tant au niveau national que local, avec pour objectif de faciliter un retrait ordonné et en toute sécurité. Il y a eu indéniablement des difficultés, mais je me réjouis de ce que l’objectif commun d’un retrait d’ici à la fin de l’année soit maintenant sur le point d’être réalisé.

La mission a dénoncé des contraintes dans son processus de retrait, notamment des autorisations de vols non accordées. Cela vous a-t-il obligé à vous adapter ?

On ne le dira jamais assez : le retrait de la MINUSMA est une opération d’une très grande complexité et les délais prescrits sont sans précédent pour une mission de cette envergure. Il a donc fallu s’adapter continuellement, en gardant à l’esprit l’impératif du respect du délai convenu, que nos partenaires maliens, et c’est parfaitement légitime, ont régulièrement rappelé, et celui de la sécurité de nos Casques bleus, qui revêt une importance d’autant plus grande que nous sommes la mission la plus dangereuse jamais déployée par les Nations unies. Oui, il y a eu des difficultés et nous nous en sommes ouverts à nos interlocuteurs maliens, dans le cadre des mécanismes de coordination mis en place pour faciliter le retrait, en plus des discussions que notre siège à New York a régulièrement eues avec la Mission permanente de la République du Mali auprès des Nations unies. En tant que partenaires devant œuvrer ensemble et en bonne intelligence à l’exécution de la Résolution 2690, il était important que nous puissions échanger en toute franchise sur le processus, sur nos préoccupations respectives et sur les difficultés rencontrées pour essayer de trouver les solutions les plus idoines.

Certains Maliens ont dénoncé une trahison de la part de la mission. Les autorités ont évoqué un non-respect de la résolution des Nations unies, notamment pour la rétrocession des bases de la région de Kidal. Pourquoi avoir fait le choix de partir sans cérémonie de rétrocession ?

 Je voudrais tout d’abord souligner que dans la très grande majorité des cas (Ogossagou, Douentza, Goundam, Ménaka, Mopti, Ansongo, entre autres), la fermeture de nos emprises et leur rétrocession se sont très bien passées, à la satisfaction et du gouvernement malien et de la MINUSMA. Cela dénote d’un degré élevé de coordination et de collaboration. Pour revenir plus directement à votre question, il importe d’abord de rappeler qu’avant le début du processus de retrait  nous avons élaboré un chronogramme tenant compte de plusieurs facteurs, notamment logistiques et sécuritaires. Ce plan a été partagé avec les autorités maliennes et, lorsque des ajustements ont dû être opérés du fait de contraintes totalement indépendantes de notre volonté, ceux-ci furent également communiqués, dans l’esprit du partenariat qui sous-tend la bonne mise en œuvre de la Résolution 2690. La fermeture des bases de la mission a été exécutée dans les périodes prévues. Cela n’a pu être le cas à Kidal, où la période envisagée a dû être réaménagée du fait d’impératifs sécuritaires. Je l’ai dit, et le Conseil de sécurité l’a souligné, la sécurité de nos Casques bleus est une préoccupation primordiale. Dans un contexte marqué par l’absence d’un mandat substantif à la suite de la demande de retrait et de la résolution du Conseil, la réduction drastique de nos capacités à nous protéger et l’augmentation très significative des risques sécuritaires, nous avions la responsabilité, l’obligation, de ne pas mettre la vie de nos personnels davantage en danger. Que ce soit lors des retraits de Ber, dans la région de Tombouctou, ou des bases situées dans la région de Kidal, nous avons fait face à des attaques et sommes, à plusieurs reprises, passés tout près de la catastrophe. Nous devons tous être soulagés qu’aucun Casque bleu n’ait perdu la vie dans ces opérations, même s’il y a eu des blessés nombreux : c’est un motif de satisfaction pour la mission, pour les pays contributeurs de troupes et de personnels de police, ainsi que pour les familles et proches des Casques bleus, et pour l’ensemble des États membres des Nations unies, étant donné que la mission a été mandatée par le Conseil de sécurité en leur nom.

Les autorités de la Transition étaient-elles informées de votre départ précipité de Kidal et de l’intention de ne pas faire de cérémonie de rétrocession ?

Comme indiqué plus haut, nous avons établi avec les autorités maliennes des canaux de communication multiples et à différents niveaux pour assurer une exécution aussi efficace et efficiente que possible du retrait de la mission. Dans ce cadre, nous échangeons régulièrement et dans le détail sur tous les aspects du processus de retrait, son évolution et nos préoccupations respectives.

Je crois que tous les acteurs concernés avaient conscience qu’un retrait dans des délais si courts, quelle que soit par ailleurs la bonne volonté des uns et des autres, ne pouvait être sans difficultés, d’autant qu’il est intervenu à un moment où le processus de paix était paralysé. Il peut y avoir des appréciations divergentes de ce qui s’est passé. Mais nous pouvons tous nous féliciter de ce qu’il est maintenant certain que le délai convenu pour le retrait sera respecté.

Une impression générale s’est dégagée, celle d’avoir favorisé les groupes armés, notamment la CMA, en agissant ainsi. Que répondez-vous ?

L’opération de retrait de la MINUSMA a été exécutée dans des conditions dont on ne soulignera jamais assez la complexité et la difficulté. Dans des situations de ce type, il n’est pas rare que des critiques soient entendues de la part des parties. Il ne vous a pas échappé que nous avons aussi fait l’objet de critiques de la part des Mouvements signataires. Notre unique objectif était d’assurer la bonne exécution de la résolution 2690. Et, dans cette entreprise, nous ne nous sommes jamais départis des principes qui gouvernent le fonctionnement des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Oui, il y a eu des incompréhensions et des questionnements, mais tout ceci est maintenant derrière nous. L’important, c’est la poursuite du processus de stabilisation, de paix et réconciliation et, pour cela, le Mali, qui appartient à la famille des Nations unies, pourra toujours compter sur le soutien indéfectible de l’organisation. La MINUSMA part, mais les Nations unies, à travers leurs Agences, Fonds et Programmes, restent pour continuer et renforcer la coopération existante.

Après cette phase de retrait, une nouvelle, dite de liquidation, va débuter le 1er janvier 2024. En quoi consiste-t-elle ? Comment de temps va-t-elle durer ? Quels personnels sont prévus à cet effet ?

Cette phase est mise à profit pour faire transporter hors du Mali les matériels et équipements, notamment ceux appartenant aux contingents qui n’ont pu être rapatriés avant la fin du retrait, ainsi que pour gérer tous les autres aspects, administratifs, financiers et autres, liés aux activités de la mission, et disposer de ses biens. Il importe de s’assurer que tout est en bon ordre.

L’expérience des Nations unies montre que ce type d’activités requiert normalement 18 mois pour être mené à bien. Mais mes collègues qui gèrent ce dossier ont la détermination de faire en sorte que ce travail soit accompli dans les délais les plus courts qui soient. Celui-ci mobilisera des personnels civils, avec le soutien d’effectifs limités de personnels de garde pour protéger les équipements encore au Mali et assurer la sécurité intérieure des sites de liquidation.

Combien d’agents de la MINUSMA auront quitté le Mali d’ici le 31 décembre 2023 ?

Plus des deux tiers de notre personnel sont déjà rentrés dans leurs pays respectifs. L’ensemble des personnels civils et en uniforme de la mission qui ne sont pas impliqués dans la phase de liquidation quitteront le Mali au plus tard le 31 décembre. Les personnels en uniforme – dont le nombre sera très limité – qui resteront au Mali seront ceux des unités de garde déployées sur les sites de liquidation, pour en assurer la sécurité intérieure, étant entendu que la sécurisation du périmètre extérieur de ces sites sera assurée par les autorités maliennes. Nous espérons nous accorder rapidement avec les autorités sur le détail des arrangements à mettre en place. Aux unités de garde s’ajouteront des éléments, également en nombre très réduit – post-curseurs laissés sur place par les contingents dont les équipements n’auront pu être rapatriés d’ici la fin de l’année

La MINUSMA employait de nombreux nationaux et avait des contrats avec des sociétés maliennes. Était-il prévu dans votre plan de retrait une indemnité pour ces personnes et entités ?

Le retrait est intervenu de façon abrupte et a dû être exécuté dans des délais on ne peut plus courts, apportant donc son lot de complications administratives et autres. Nous nous sommes employés à atténuer, dans le cadre strict de ce que permettent les règles des Nations unies et les règles contractuelles en cause, son impact pour nos personnels nationaux et internationaux et les entités avec lesquelles nous avons travaillé. Mais il est évident qu’il y a des limites à ce que nous pouvons faire.

Le Mali, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a le 16 juin dernier demandé le retrait sans délai de la MINUSMA. Vous étiez présent à cette réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Quel était le ressenti général après cette demande ?

Comme vous le savez sans doute, le Secrétariat des Nations unies, dans le rapport soumis au Conseil de sécurité pour sa session de juin 2023, avait recommandé que le mandat de la MINUSMA fût renouvelé pour une année supplémentaire. Et des consultations informelles avaient déjà commencé entre les membres du Conseil de sécurité sur un projet de résolution. Tel est le contexte dans lequel la demande de retrait a été faite. Les opérations de maintien de la paix, qui, même dans les conditions les plus favorables, sont d’une grande complexité, sont déployées avec le consentement de l’État hôte. Et il est évident qu’en l’absence d’un tel consentement il est quasiment impossible de mener à bien un mandat. La Résolution 2690 a tiré les conséquences de cet état de fait.

Avant que le Conseil n’entérine la fin de la MINUSMA, le 30 juin dernier, y a-t-il eu des discussions pour essayer de faire changer d’avis les autorités maliennes ?

Tout ce que je peux dire est que dès lors que le Mali a annoncé sa demande de retrait, l’attention s’est portée sur les conditions et les modalités de ce retrait, culminant avec l’adoption unanime de la Résolution 2690. Celle-ci constitue le guide commun, pour les Nations unies et pour le Mali, en vue de la réalisation du retrait demandé par les autorités maliennes.

Qu’est-ce qui a, selon vous, motivé la décision des autorités maliennes de réclamer le départ de la mission ?

Le Mali a exposé ses raisons devant le Conseil de sécurité le 16 juin 2023, lors d’une séance ouverte.

Le rapport de Moura, dont la publication avait été retardée, est très mal passé auprès des autorités. Pensez-vous que cela a eu un impact sur leur décision ?

Il n’appartient pas à la MINUSMA de spéculer sur les motivations d’une décision prise par les autorités d’un pays souverain ou de les commenter. Notre rôle, à ce stade, est de mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité et c’est ce à quoi nous nous sommes attelés depuis le 1er juillet 2023.

La MINUSMA était très importante dans le processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation.  Avec la reprise des hostilités, la prise de Kidal et votre départ, estimez-vous l’Accord enterré ?

Aucune des parties signataires n’a, à ma connaissance, dénoncé l’Accord, qui constitue un cadre de sortie de crise important pour le Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que cet organe l’a, du reste, souligné dans le préambule de la Résolution 2690.

L’appui à la mise en œuvre de l’Accord de paix était la première priorité stratégique de la MINUSMA. Et, conformément aux résolutions du Conseil mandatant la mission, celle-ci a joué un rôle crucial, tant en termes de bons offices que de soutien opérationnel. Les Nations unies, en tant qu’organisation, restent bien sûr engagées en appui au Mali dans sa quête d’une paix durable, en prenant en compte les besoins et priorités de l’État malien.

La MINUSMA était également engagée dans le processus de transition, notamment sur le plan électoral. Quid après votre départ ?

Le mandat de la MINUSMA a pris fin le 30 juin 2023, date de l’adoption de la Résolution 2690 du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans le cadre de l’accompagnement de la Transition en cours au Mali et des cycles électoraux précédents, la MINUSMA s’était fortement impliquée, et de multiples manières. Elle a assuré la présidence du Comité local de suivi de la Transition, comprenant la CEDEAO, l’UA et la MINUSMA; apporté un soutien technique, logistique, financier et sécuritaire pour la bonne tenue des élections; œuvré à la participation des femmes et des jeunes aux élections et au renforcement de leur rôle dans la gouvernance locale et nationale; mobilisé le soutien de la communauté internationale, etc. Tout ceci a été fait dans un esprit d’excellente coopération avec les autorités maliennes compétentes. Le rôle de la MINUSMA était d’appuyer les efforts du gouvernement du Mali, et non de se substituer à l’État, qui continuera donc à mettre en œuvre ses objectifs de transition. Évidemment, les agences compétentes des Nations unies continueront, dans le cadre des priorités des autorités, à appuyer le processus électoral.

L’heure du départ est également celle des comptes. Après 10 ans de présence, quel bilan chiffré faites-vous de la MINUSMA ?

Il est impossible de faire un bilan exhaustif des 10 ans de la mission en peu de mots. Mais, pour le bénéfice de vos lecteurs, il me semble d’abord important de rappeler les conditions dans lesquelles la mission a été déployée et a opéré au Mali : le contexte sécuritaire, marqué par l’omniprésence du terrorisme, une menace asymétrique pour le moins inhabituelle pour le maintien de la paix; la taille de notre théâtre d’opération, avec une présence tant au centre que dans le nord du Mali et l’attente forte et bien évidemment légitime des populations quant à l’amélioration rapide de la situation sécuritaire et à la matérialisation des dividendes de la paix. À tout cela il convient d’ajouter la fragilité des processus politiques que nous étions mandatés à soutenir. Je peux dire avec certitude que l’action de la mission a eu des effets très bénéfiques et j’ai pu l’observer de mes propres yeux lors des très nombreux déplacements que j’ai effectués à l’intérieur du Mali. Nous avons aidé à la stabilisation des centres urbains dans les zones où nous étions déployés; exécuté des centaines de projets socio-économiques qui ont bénéficié aux populations, notamment dans le centre et le nord; réhabilité de nombreuses infrastructures aériennes, y compris à Gao, Tessalit et Kidal, ainsi que d’autres infrastructures tout aussi importantes tels des ponts  situés entre Sévaré et Bandiagara, le long de la route dite du Poisson qui conduit au Burkina Faso; protégé des civils dans nos zones de déploiement; soutenu de façon multiforme la réconciliation au niveau local; apporté un appui aux forces de défense et de sécurité, y compris en conduisant à leur demande des évacuations sanitaires et médicales et en finançant la construction d’infrastructures; facilité l’acheminement de l’aide humanitaire et appuyé les efforts de promotion et de protection des droits de l’Homme, y compris à travers un programme soutenu de renforcement des capacités. Nous avons aussi, comme je l’ai souligné tantôt, soutenu la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la Transition, en plus du processus d’élaboration d’une stratégie malienne de stabilisation des régions centrales du Mali.

Estimez-vous que la mission a été accomplie et les objectifs atteints ?

L’on ne peut dire, s’agissant d’une opération aussi complexe, que les objectifs ont été complètement atteints. La quête d’une paix durable est une entreprise de longue haleine. Elle repose fondamentalement sur la volonté et les efforts des acteurs nationaux. Dans le cas d’espèce, le rôle de la MINUSMA était de les accompagner et d’appuyer leurs efforts, sans préjudice de la responsabilité première qui est la leur.

De ce point de vue, il me semble que nous avons joué notre rôle. Et il est notable que, dans les zones où nous étions déployés, notre action a eu un effet tangible indéniable et était appréciée. Bien sûr, il y a eu des critiques, et cela est normal, car aucune œuvre ne peut être parfaite. La nôtre encore moins, car dépendant de beaucoup de variables multiples et complexes.

Nous nous sommes constamment employés à renforcer l’efficacité de notre action, y compris en restant à l’écoute des autorités, des autres acteurs concernés et de la population, d’une manière plus générale. Et nous nous sommes dépensés sans compter pour la cause de la paix, de la sécurité et de la stabilité au Mali. L’engagement des personnels de la mission fut tout simplement remarquable, surtout au regard de l’omniprésence et de la gravité du risque sécuritaire. Le nombre élevé des pertes que nous avons subies et de blessures infligées à nos Casques bleus en est une claire et tragique illustration.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour, en mon nom et au nom de l’ensemble de mes collègues, remercier le gouvernement et le peuple maliens pour leur collaboration et soutien au cours de cette décennie et de formuler les vœux les meilleurs pour l’année 2024 et, au-delà, pour l’avènement d’un Mali en paix, stable et prospère.

COP 28 : un rendez vous crucial pour la planète

La Conférence des Parties à la Convention – Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (COP 28) se tient du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï. Pour les Nations Unies, l’action climatique ne peut plus attendre, car les températures de la planète ont atteint des niveaux records et que les phénomènes météorologiques extrêmes perturbent un peu partout la vie des populations. C’est donc « une opportunité unique de rectifier le tir », en accélérant le rythme des mesures à prendre.

La COP 28 fera le bilan des actions entreprises depuis l’Accord de Paris de 2015 et planifiera les actions à envisager. Selon les données scientifiques, pour préserver un climat vivable, la production de charbon, de pétrole et de gaz doit diminuer rapidement et la capacité mondiale d’énergies renouvelables (éolienne, solaire, hydraulique et géothermique), doit tripler d’ici 2030. Dans le même temps, le financement de l’adaptation et les investissements pour la résilience doivent augmenter.

Rencontre cruciale

La Conférence de Dubaï ne peut pas être une conférence de plus. Elle doit être un tournant où les pays se mettront d’accord sur les mesures strictes à adopter en faveur du climat, mais aussi sur la manière dont ces mesures seront mises en œuvre, et évalueront les progrès réalisés pour l’atteinte des objectifs de Paris en termes d’atténuation, d’adaptation et de financement.

À Dubaï se conclura le premier Bilan mondial, débuté à Glasgow lors de la COP 26. Le processus doit permettre aux pays de mesurer ce qui reste à faire et les inciter à des plans d’action climatique ambitieux et accélérés. Les enjeux sont la santé et le bien-être de notre planète, alerte l’ONU.

« La banquise de l’Antarctique est à son plus bas niveau. De nouveaux chiffres montrent qu’en septembre elle était inférieure de 1,5 millions de kilomètres carrés à la moyenne de la période de l’année, une superficie à peu près égale à la taille du Portugal, de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne réunis ». Mais le monde entier  est concerné, « parce que ce qui se passe là-bas a des impacts à des milliers de kilomètres », relève le Secrétaire général de l’ONU. Plus d’un siècle d’utilisation non rationnelle des énergies et des terres a donc entraîné un réchauffement de 1,1°C par rapport aux niveaux préindustriels. Chaque augmentation du réchauffement est susceptible d’aggraver les phénomènes météorologiques extrêmes, comme la chaleur et les inondations, et entraîner des changements climatiques irréversibles.

ONU : la Russie bloque une résolution sur le Mali

Témoignant de son soutien à Bamako, la Russie a bloqué mercredi une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui aurait prolongé le mandat d’experts ayant rendu des conclusions accablantes pour la junte malienne et ses  » partenaires de sécurité étrangers « .

Le texte prévoyait de prolonger d’un an le régime de sanctions mis en place en 2017 contre des individus mettant en danger l’accord de paix de 2015, et le mandat du comité d’experts chargés de les surveiller. Elle a recueilli 13 voix en faveur, une abstention (Chine) et une voix contre, celle de la Russie qui dispose d’un droit de veto.

La Russie était d’accord pour prolonger les sanctions, mais seulement pour la dernière fois, et voulait surtout dissoudre le comité d’experts dont elle conteste, avec Bamako, l’objectivité. Sa résolution en ce sens a été rejetée, avec une voix pour, une contre (Japon) et 13 abstentions.

Les sanctions  » ne doivent pas être utilisées comme un moyen d’influence étrangère au Mali, et c’est ce que le comité d’experts faisait « , a justifié l’ambassadeur russe Vassili Nebenzia, estimant que le projet de résolution préparée par la France et les Émirats arabes unis  » n’aurait pas aidé le processus de paix  » mais aurait  » encore plus opposé les parties « . Dans son dernier rapport publié la semaine dernière, le comité d’experts dénonçait des violences contre les femmes perpétrées de façon  » systématique et organisée  » par les forces armées maliennes et leurs  » partenaires de sécurité étrangers « . Le régime de sanctions sur le Mali (gel des avoirs ou interdiction de voyage), qui expire le 31 août, avait été mis en place en 2017 et concernait huit individus, notamment des responsables de groupes signataires de l’accord de paix de 2015 accusés de le mettre en péril.

MINUSMA : le conseil de sécurité se penche sur le processus de retrait

Le conseil de sécurité des Nations Unies s’est réuni hier lundi pour évoquer la situation au Mali ainsi que le processus de retrait de la MINUSMA. Dans son allocution, le chef de la MINUSMA a tenu a signalé des difficultés constatées dans ce processus de retrait, spécifiquement celui du camp de Ber marqué par une attaque contre les casques bleus qui a fait 4 blessés. « Clôturer une mission bâtie sur une décennie en l’espace de six mois est une entreprise complexe et ambitieuse », a ajouté le chef de la MINUSMA. Concrètement, cela implique le rapatriement de 12.947 personnels en uniforme, la séparation de 1.786 personnels civils, le rapatriement et/ou la relocalisation d’un chargement d’environ 5.500 conteneurs maritimes de matériel des contingents et appartenant à l’ONU et de près de 4.000 véhicules, ainsi que le fermeture et remise de 12 camps et d’une base opérationnelle temporaire aux autorités civiles maliennes.

La 2e phase du processus de retrait du personnel et des bases de la MINUSMA se déroulera jusqu’au 15 décembre 2023 affirme le chef de la MINUSMA. Il se concentrera sur la fermeture de 6 bases (Tessalit, Aguelhok et Kidal, au Nord, Douentza et Mopti, au Centre, et Ansongo à l’Est). Le personnel, les équipements et matériels concernés seront redéployés dans les super camps de Tombouctou, Gao et Bamako, avant d’être rapatriés dans leurs pays respectifs. Une phase qui sera très complexe prévient le chef de la MINUSMA.

Pour sa part, le Mali regrette les incidents intervenus dans le retrait de la MINUSMA de certain camp et tient au respect strict du calendrier établi pour le retrait de la MINUSMA au plus tard le 31 décembre 2023. « Je tiens à rappeler que le Gouvernement du Mali n’envisage pas de prolongation du départ de la Mission » a assuré Issa Konfourou, ambassadeur représentant permanent du Mali auprès des Nations Unies.

Moura : le gouvernement réfute et décide d’ouvrir une enquête contre l’ONU

Dans un communiqué lu à la télévision nationale le samedi 13 mai, le gouvernement de transition a dénoncé un «rapport biaisé, reposant sur un récit fictif ».  Les autorité de la transition réagissaient à la publication d’un rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme faisant suite à une enquête menée dans le centre du pays. Ce document accuse l’armée et des combattants « étrangers » d’avoir tué plus de 500 personnes.

Le Colonel Abdoulaye Maïga, ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, porte-parole du gouvernement, a affirmé qu' »aucun ressortissant civil de Moura n’a perdu la vie pendant l’opération militaire », insistant sur le fait que les morts ne concernaient « que des combattants terroristes ». Dans le rapport, la mission d’établissement des faits a assuré avoir utilisé des images satellites. Le Colonel Maiga a expliqué « qu’en aucun moment, ni la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma), ni le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme ne lui ont adressé une demande d’autorisation pour prendre des images de Moura grâce à des satellites », soulignant qu’« en utilisant des satellites pour obtenir des images, sans autorisation et à l’insu des autorités maliennes, la Mission d’établissement des faits a effectué une manœuvre clandestine contre la sécurité nationale du Mali ». Par conséquent, « le Gouvernement décide d’ouvrir immédiatement une enquête judiciaire contre la Mission d’établissement des faits et ses complices pour espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, des crimes réprimés par le code pénal (Article 33 et 35), ainsi que de complot militaire, un crime réprimé par le code de justice militaire (Article 130), sans préjuger de la qualification des autorités judiciaires »

Moura : l’ONU accuse les FAMa et du personnel militaire étranger d’avoir tué plus de 500 personnes

Dans un rapport publié ce vendredi 11 mai 2023, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, accuse l’armée malienne et des combattants « étrangers » d’avoir exécuté entre le 27 et le 31 mars 2022 au moins 500 personnes lors d’une opération de traque de terroristes à Moura.

Le rapport de la mission d’établissement des faits du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies a conclu qu’il y’a de fortes indications que plus de 500 personnes aient été tuées par les soldats maliens et du personnel militaire étranger en mars 2022 au cours d’une opération militaire dans le village de Moura. D’après l’ONU, le rapport est le résultat d’une vaste mission visant à établir des faits menés durant plusieurs mois par le personnel des Nations Unies au Mali. Le rapport précise que les demandes d’accès au village ont été refusées par les autorités maliennes. La méthodologie se base sur des entretiens avec des victimes et des témoins, ainsi que des sources d’informations médico-légales et autres telles que l’imagerie satellitaire. Les Forces Armées Maliennes ont toujours démenti les informations portant sur des exactions commises sur des civils à Moura. C’est une opération assure-t-elle antiterroristes qui a permis de neutraliser au moins 203 terroristes. Dans le rapport publié ce vendredi, les pages 18 à 21 sont consacrées au déroulement de l’opération militaire menée par les Forces Armées Maliennes, avec des éléments des forces spéciales et appuyées par des personnels militaires étrangers. Pour Volker Türk Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, la tragédie de Moura pourrait constituer un crime de guerre.

Sur la BBC le 17 avril 2022, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop qui invite à dépolitiser la question des droits de l’homme a assuré qu’il n’y avait pas eu de massacre à Moura, fustigeant une « propagande occidentale ».

La question de Moura cristallise les tensions entre les autorités de la transition et plusieurs pays occidentaux. Quelques jours après l’opération, des ONG de défense des Droits de l’homme ont accusé l’armée d’exactions sur les civils. Mais des organisations locales se sont désolidarisés de certains des rapports produits dénonçant la méthodologie. « Nous nous sommes désolidarisés du communiqué de la FIDH, car nous avons des antennes à Mopti à Douentza et à Bandiagara et aucune ne nous a saisi pour des soupçons d’exactions de l’armée sur les populations civiles » a explique Me Moctar Mariko, président de l’association malienne des droits de l’Homme.

Le gouvernement n’a pas encore officiellement réagi au rapport de l’ONU mais ce nouveau document pourrait porter un coup dur aux relations entre les autorités et la MINUSMA alors que le renouvellement du mandat de la mission sera débattue le mois prochain.

Maintien de la paix : l’ONU très présente en Afrique

Sur les 12 missions de maintien de la paix de l’ONU en cours dans le monde, 6 sont déployées en Afrique. En plus du Mali (MINUSMA), elles sont présentes en RDC (MONUSCO), en Centrafrique (MINUSCA), au Sahara occidental (MINURSO), au Soudan du Sud (MINUSS) et à Abiyé, au Soudan  (FISNUA).

Elles tirent leur légitimité du Chapitre 7 de la Charte des Nations unies, qui stipule qu’en en cas de menace à la paix le Conseil de sécurité peut autoriser l’usage de tous les moyens, y compris coercitifs. Et visent donc très souvent à faciliter le processus politique et l’organisation d’élections libres, à aider au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants et à protéger les civils.

La Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) a remplacé le 1er juillet 2010 la MONUC (Mission de l’organisation des Nations unies en République démocratique du Congo). Ce changement reflétait la nouvelle phase dans laquelle le pays était entré en application de la Résolution 1925 du Conseil de sécurité du 28 mai 2010. La nouvelle mission est autorisée à utiliser tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de son mandat.

En République Centrafricaine, c’est dans un rapport, le 3 mars 2014, que le Secrétaire général a recommandé au Conseil de sécurité d’autoriser le déploiement d’une opération de maintien de la paix multidimensionnelle, dont la priorité première serait la protection des civils. Ainsi naissait la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA), en remplacement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, sous conduite africaine (MISCA), déployée dans le pays en 2013.

Créée par la Résolution 690 du 29 avril 1981, suite à l’acceptation des propositions de règlement par le Maroc et le Front Polisario le 30 août 1988, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) est la plus vielle mission de maintien de paix sur le continent. Le 29 avril 2016, alors que le différent persistait, le Conseil de sécurité a adopté la Résolution 2285, demandant aux parties de continuer à faire preuve de volonté politique afin d’engager des négociations résolues et axées sur le fond.

La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a été créée par la Résolution 1996, le 9 juillet 2011, après l’indépendance du pays. Auparavant, l’ONU avait mis en place une Force intérimaire de sécurité pour Abiyé (FISNUA), pour répondre à l’urgence dans cette zone du Soudan réclamée par les deux pays.

Autorisée à faire usage de la force pour protéger les civils et les travailleurs humanitaires, la FISNUA contrôle cette zone et facilite l’acheminement de l’aide.

ONU : le Mali récuse le statut de porte plume de la France

Dans une lettre adressée le 1er mars à Pedro Comissario Afonso, président en exercice du Conseil de sécurité, le gouvernement de transition récuse le statut de porte-plume de la France sur toutes questions examinées par le Conseil de sécurité concernant le Mali. Les portes plumes sont chargées de rédiger les projets de résolution et de déclaration auprès du conseil de sécurité. D’après le document, la France a porté la plume sur tous les sujets concernant le Mali au Conseil de sécurité depuis décembre 2012. Au sein du conseil de sécurité, ce rôle est généralement dévolu à la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En août 2022, le Mali a porté plainte auprès du Conseil de sécurité pour actes d’agression, de subversion, de déstabilisation et de violation de l’espace aérien malien par des aéronefs des forces armées françaises.

Aminata Dramane Traoré : « l’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains »

Sociologue, écrivaine, militante altermondialiste, Aminata Dramane Traoré a plusieurs cordes à son arc et autant de combats à mener. Depuis toujours, ou presque, elle questionne le pré-établi, pousse l’analyse et dénonce au besoin. Ses prises de position vont de la dénonciation de la politique française en Afrique au néolibéralisme ou encore aux questions des droits des femmes. Toujours avec l’intensité qui la caractérise, l’ancienne ministre de la Culture répond à nos questions.

Le Mali célèbre ce 14 janvier la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ». Estimez-vous que nous le pays a vraiment recouvré sa souveraineté ?

J’ai pris part à la mobilisation du 14 janvier 2022 parce qu’indignée par les sanctions infligées à notre pays par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est un combat d’avant-garde, en raison de l’importance stratégique des enjeux de souveraineté de nos jours. Ils sont politiques, géopolitiques, militaires, sécuritaires, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques. Un jalon important vers l’affirmation de notre souveraineté a donc été franchi ce jour-là. La souveraineté étant une quête de tous les jours, les acquis doivent être entretenus et consolidés. Tel est le sens à donner à la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ».

Dans cette quête de souveraineté, les autorités de la Transition ont pris de nombreuses décisions qui ont créé des tensions avec certains partenaires, notamment la France ou certains voisins. Cette quête doit-elle être aussi conflictuelle ?

La conflictualité de cette quête ne dépend pas que du Mali. Elle rend compte de la volonté de puissance de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique, ainsi que des failles dans la coopération sous-régionale, bilatérale, multilatérale et internationale. Notre pays est un véritable cas d’école.

Le Mali redéfinit ses alliances dans une période très polarisée, notamment par la guerre en Ukraine. Comment tirer son épingle du jeu dans cette situation ?

La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur les buts des guerres des temps présents, dont celle qui a été imposée au Mali au nom de « l’anti-terrorisme ». Je n’ai pas cessé, dès 2012, de contester et de déconstruire ce narratif français à la lumière de ce que je sais des interventions militaires étrangères. J’ai exprimé mon désaccord en ayant à l’esprit ce qui s’était passé en Irak et surtout en Libye. Alors comment choisir son camp entre des puissances qui s’autoproclament « démocratiques » et les autres (Chine, Russie, Turquie), qu’elles considèrent comme autocratiques parce qu’elles n’adhèrent pas à leurs principes politiques ? C’est le non alignement qui nous sied le mieux pour nous frayer notre propre voie, conformément aux besoins de nos peuples qui n’en peuvent plus des fausses promesses de développement, de démocratie et de gouvernance.

Vous avez symboliquement été candidate au poste de Secrétaire général de l’ONU. Selon vous, pourquoi la réunion demandée par le Mali en août dernier concernant un soutien présumé de la France aux terroristes n’aboutit-elle pas ?

Permettez-moi de rappeler d’abord que cette candidature symbolique au poste de Secrétaire général des Nations-Unies, auquel les femmes étaient invitées à se présenter, était l’occasion pour moi de rappeler que la crise de la démocratie libérale est stratégique. Le fait d’être homme ou femme à ce poste ne fait pas de différence dans l’ordre congénitalement injuste et violent du capitalisme. L’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains.

Il n’y a de ce fait rien d’étonnant au mépris avec lequel la demande du Mali a été traitée au sujet d’une réunion autour d’une question qui fâche la France et perturbe ses alliés occidentaux. C’est pour cette raison que je souligne dans la vidéo que je consacre à l’ONU que la réforme dont elle a besoin va bien au-delà de la représentation de ses membres au Conseil de sécurité. Sa mission est à repenser à la lumière des crises qui s’amoncellent et s’aggravent, du fait de la loi du plus fort qui est la règle du jeu.

L’affirmation de la souveraineté du Mali ou d’un nouveau narratif du pays ne passe-t-elle pas aussi par la rupture des relations diplomatiques avec la France, accusée par les autorités de soutenir les terroristes ?

Ces relations sont à repenser et à refonder en se respectant et en s’écoutant mutuellement sur tous les sujets, y compris ceux qui fâchent comme le soutien de la France aux terroristes. En s’y refusant, Paris conforte l’idée selon laquelle elle est au-dessus du droit international, qu’elle prétend défendre, et aggrave la crise de confiance qui remonte aux premières heures de l’Opération Serval, suite à l’interdiction de l’accès à Kidal aux FAMa.

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du départ des soldats français du pays ?

Bien entendu un sentiment de fierté. La guerre dite « anti-djihadiste » étant sous nos cieux une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire.

Mais la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée depuis…

Il en est ainsi parce le diagnostic est erroné. Les conséquences sont érigées en causes. Nombreux sont les analystes avisés qui rappellent que le terrorisme est un mode opératoire et non un ennemi spécifique. Le phénomène prend de l’ampleur au fur et à mesure que les mécanismes du pillage de nos richesses, du délitement du lien social et de la destruction de l’environnement s’accentuent au profit des banques, des grandes entreprises et de leurs actionnaires. L’ennemi principal est, en somme, le néolibéralisme, que nos élites s’interdisent de nommer pour ne pas scier la branche de l’arbre sur laquelle elles sont assises.

Des discours anti politique française se font de plus en plus entendre au Sahel, mais dans des pays qui ont en commun d’être dirigés par des militaires. Cette dynamique pourra-t-elle être maintenue après le retour à l’ordre constitutionnel ?

Les discours anti politique française ont largement contribué à l’éveil des consciences et à la libération de la parole. Ils ont également alerté la France sur l’impérieuse nécessité de changer son fusil d’épaule. Les dirigeants qui succéderont aux militaires se rabaisseront aux yeux de leurs concitoyens et des opinions publiques en jouant au béni-oui-ouisme.

Selon certains analystes, les raisons profondes de la crise au Mali sont d’abord économiques. Partagez-vous cette analyse ?

Ces analystes ont parfaitement raison. Je dis la même chose sans pour autant être sur la même longueur d’onde que la plupart d’entre eux, parce qu’il y a économie et économie. Pour moi, il ne s’agit pas d’approfondir les politiques néolibérales au nom d’une prétendue intégration dans l‘économie mondiale. Il s’agit, à la lumière des inégalités entre Nations et à l’intérieur de chaque pays, de réinventer l’économie afin qu’elle devienne une réponse à la faim, à la soif, à la peur et à la haine. L’état actuel des vieux pays industrialisés, comme celui des émergents, en pleine tourmente, invite à méditer sur ce que « développer économiquement » veut dire.

Pour atteindre notre souveraineté, nous avons donc besoin de transformer notre économie ? Par quoi cela passe-t-il selon-vous ?

C’est une excellente question dont nous devons nous saisir toutes et tous et à tous les niveaux. La tâche est colossale et exaltante. J’abonde dans le sens de Kako Nubukpo, Commissaire de l’UEMOA, qui plaide pour la révision de fond en comble des accords de libre-échange entre l’UE et les ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), du néoprotectionnisme et du « juste échange ». Il faut dans cette perspective (la liste n’est pas exhaustive) : une pensée économique et politique autonome, nourrie des enseignements de ces 62 ans d’essais de développement, la confiance en nous-mêmes et en les autres, la solidarité, dont le patriotisme économique est l’une des clés. On achète et on consomme Malien et Africain au lieu de continuer à importer tout et n’importe quoi, dont les restes des consommateurs des pays « émergés » ou « émergents ». Il faut une intégration sous-régionale basée non pas sur la compétition à mort mais sur la conscience de notre communauté de destin et des valeurs que nous avons en partage. Les femmes et les jeunes doivent être les fers de lance de cette quête d’alternatives.

Le Mali est aussi un pays de paradoxes, « une population pauvre assise sur des richesses ». Est-ce à cause des politiques menées depuis l’indépendance, qui n’étaient pas assez ambitieuse ?

Les régimes successifs n’ont pas manqué d’ambition. Ils ont rarement eu les marges de manœuvre nécessaires. La Première République a été torpillée et farouchement combattue par la France parce que le Président Modibo Keita avait opté pour la souveraineté en vue d’un développement conforme aux intérêts supérieurs des Maliens. Les régimes suivants ont été contraints et obligés par les institutions de Bretton Woods à désétatiser, en faisant du secteur privé, dont les tenants et les aboutissants échappent totalement aux Maliens ordinaires, le moteur du développement. L’immense majorité de nos élites refusent d’admettre que le capitalisme malien et africain gagnant est sans issue.

Vous menez aussi depuis plusieurs années un combat pour les femmes. Que pensez-vous du mouvement féministe au Mali, qui semble se développer ?

Le mouvement de libération des femmes africaines, dont les Maliennes, souffre, à bien des égards, comme le processus de développement, des mêmes stigmatisations, du mimétisme et de la volonté de rattrapage de l’Occident. Le prix à payer est considérable aux plans économique, social, culturel, politique et écologique. Nous sommes de grandes consommatrices d’idées, de biens et de services. La question des postes et des places dans un tel système est, de mon point de vue, secondaire. Hommes ou femmes, notre capacité d’analyse des faits, de propositions d’alternatives et d’anticipation est défiée comme jamais auparavant.

D’où vient votre engagement pour tous les combats que vous menez ?

Ma mère, Bintou Sidibé, m’a marquée par sa conception du monde et des relations humaines. C’est ce qui me pousse à m’emparer de tout ce qui peut contribuer à les améliorer au niveau local (le pavage de mon quartier, la conception d’un marché malien des produits faits main), à investir dans la défense des droits des migrants et des réfugiés (Migrances) et dans celle de notre pays et de l’Afrique, partout où l’on tente de nous piétiner, de nous humilier.