La fausse promesse de l’exploitation minière « responsable »

Au mois de juillet, le gouvernement de la Serbie a rétabli les permis relatifs aux projets d’extraction de lithium de Rio Tinto, après les avoir annulés en 2022 à la suite de manifestations populaires. Ce rétablissement a provoqué de nouvelles manifestations, plusieurs milliers de personnes étant descendues dans les rues de Belgrade pour exprimer leur opposition à une mine susceptible de constituer une menace pour les sources d’eau et la santé publique. Rio Tinto avait en effet déjà fait preuve par le passé d’une volonté de contourner les réglementations environnementales du pays.

 

Rio Tinto présente un long passé de violations présumées des droits de l’homme ainsi que de contamination et de mauvaise gestion de l’eau dans ses mines à travers le monde. Le problème ne se limite cependant pas à Rio Tinto : la corruption et la négligence sont monnaie courante dans l’industrie minière. La société Glencore a été condamnée par un juge américain à s’acquitter d’une amende de 700 millions $ pour avoir mis en place et appliqué pendant une dizaine d’années un système de corruption de responsables publics dans plusieurs pays. De même, le géant minier BHP et son partenaire brésilien Vale sont pris dans des batailles juridiques liées à la rupture du barrage de résidus miniers de Fundão – la plus grave catastrophe environnementale survenue au Brésil.

 

L’Union européenne prévoyant d’accroître son extraction minière intérieure de matériaux essentiels à la transition écologique ainsi qu’à de nombreuses technologies de défense et à divers produits numériques, les dirigeants politiques et les populations entendent s’assurer du caractère durable de cette démarche. C’est la raison pour laquelle le Conseil international des mines et métaux (ICMM) – une organisation que Rio Tinto a contribué à créer, qui inclut également Glencore, Vale et BHP – et plusieurs autres acteurs majeurs de l’industrie travaillent à l’élaboration d’une norme mondiale, dans le cadre de l’initiative pour une norme consolidée relative à l’exploitation minière (CMSI), permettant de certifier la production responsable des minéraux. Compte tenu de leurs antécédents, est-il raisonnable de confier à ces géants de l’industrie minière l’élaboration des règles censées leur imposer de rendre des comptes ?

 

Les normes et certifications volontaires ne constituent pas une nouveauté. Elles existent dans une multitude de secteurs, de l’agriculture jusqu’au bâtiment, et l’industrie minière connaît déjà de nombreuses initiatives de ce type. Les quatre organisations qui mènent la CMSI – l’ICMM, l’Association minière du Canada, le Conseil mondial de l’or, et Copper Mark – disposent en effet chacune de leur propre cadre de garantie.

 

Plusieurs évaluations relatives à ces programmes volontaires, conduites par Germanwatch, Mercedes-Benz et d’autres, révèlent que la plupart d’entre eux manquent en réalité de transparence, de rigueur, de contrôle, et qu’ils ne permettent pas d’assurer la mise en œuvre des contraintes. Autrement dit, ces programmes constituent une forme sophistiquée de greenwashing. Au mois de février, l’organisation Lead the Charge a publié une évaluation des programmes de garantie et d’accréditation par des tiers dans le secteur des matières premières, examinant chacun d’entre eux en fonction d’un ensemble de critères minimum de crédibilité. Constat révélateur, la procédure de l’ICMM pour la validation des prévisions de performance satisfaisait à seulement 16 % des critères.

 

Ces chiffres peu glorieux se traduisent par des conséquences concrètes pour les populations autochtones, les travailleurs et les communautés locales. D’après le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, les sociétés membres de l’ICMM, qu’elles soient directement détenues en propriété ou qu’elles participent à des coentreprises, représentent plus de la moitié des 20 entreprises responsables de la majorité des violations présumées des droits de l’homme dans l’exploitation minière des minéraux essentiels.

 

Dirigeants politiques et institutions financières injectent des milliards de dollars dans des projets miniers à travers le monde sur la base de certifications volontaires semblables à la CMSI actuellement proposée. La loi de l’UE sur les matières premières critiques se fonde par exemple sur ces garanties pour déterminer si les entreprises s’approvisionnent en matières premières de façon responsable. De même, 78 % des constructeurs automobiles évalués dans le cadre de l’étude de l’organisation Lead the Charge déclarent s’appuyer sur ces éléments pour prendre des décisions en matière d’approvisionnement – en particulier à mesure que l’adoption des véhicules électriques s’accélère.

 

Une récente analyse de la proposition de CMSI, menée par des groupes autochtones, des organisations de la société civile et des experts politiques, met en évidence plusieurs lacunes dans ce cadre, susceptibles de nuire aux communautés, et, aspect important, de présenter des risques pour les constructeurs automobiles. La norme se décompose en trois niveaux : pratiques de base, pratiques satisfaisantes, et pratiques optimales. Or, les exigences imposées au niveau basique – précisons d’ailleurs que les entreprises sont autorisées à opérer en dessous de ce seuil durant le processus de garantie – ne sont pas alignées sur les lois internationales, les normes juridiques ou les principes généralement reconnus, tels que les normes de performance de la Société financière internationale (IFC). Les sociétés minières ne seront par conséquent pas dans l’obligation de remédier aux violations graves des droits de l’homme, ce qui pourrait plus en aval exposer les constructeurs automobiles à des sanctions.

 

Par ailleurs, le projet de norme ne protège pas le droit des populations autochtones – qui subissent un préjudice disproportionné du fait de l’exploitation minière – au consentement libre, préalable et éclairé, qui accompagne leur droit de gouverner leurs territoires et leurs ressources, ainsi que leur droit à l’autodétermination. La préservation de ce droit doit constituer une exigence minimale au niveau des pratiques de base. Or, l’idée même que le respect des droits fondamentaux puisse faire l’objet d’une décomposition en différents niveaux de performance illustre toute la défaillance de l’élaboration de la CMSI. Une telle approche infligerait encore davantage de préjudices aux communautés autochtones, dans la mesure où plus de la moitié des minéraux critiques se situent sur leurs terres ou à proximité.

 

L’ICMM et ses partenaires, dont les sociétés membres du groupe consultatif de la CMSI telles que BWM et Tesla, auront beau fournir tous les efforts pour présenter cette norme comme l’instrument d’une exploitation minière responsable, il ne s’agit de rien de plus que d’une tentative du secteur de présenter un visage propre et écologique au public. Si elle aboutit, la CMSI renforcera tout simplement la puissance et l’influence de géants miniers tels que Rio Tinto, Glencore et BHP, et leur permettra d’agir impunément tout en présentant de fausses garanties à l’ensemble des principales parties prenantes.

 

Loin de favoriser une transition énergétique juste, la CSMI permettrait aux industries extractives de privilégier le profit au détriment de la qualité de l’air et de l’eau, des droits de l’homme ainsi que d’une planète vivable, tout en exposant les constructeurs automobiles, les États et les investisseurs à un risque d’atteinte à leur réputation. Compte tenu de l’augmentation de la demande de minerais essentiels à la transition énergétique, il est plus important que jamais de fixer des exigences élevées dans l’élaboration de règles solides et applicables au sein du secteur minier.

 

Chelsea Hodgkins est conseillère principale dans le cadre du programme climatique de Public Citizen sur la question des véhicules électriques.

 

Project Syndicate, 2024.
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45ᵉ édition du Sabre National au Niger : Aba détrône Issaka Issaka

La 45ᵉ édition du Sabre National de lutte traditionnelle, également connue sous le nom de « Kokowa », s’est achevée en apothéose, ce samedi 28 décembre, à Dosso, au sud-ouest du Niger, à environ 140 km à l’est de Niamey. Un lot de surprises et de rebondissements était au rendez-vous.

L’événement phare de la culture sportive nigérienne a vu la consécration de Aba, qui a réussi l’exploit de détrôner le sextuple champion en titre, Kadri Abdou, alias Issaka Issaka. Il enlève ainsi le Sabre National et empoche la somme de 12 millions de FCFA.

Tout au long de la compétition, Aba a démontré une maîtrise technique et une détermination exemplaire, enchaînant les victoires face à des adversaires de haut calibre. Sa performance en finale, où il a affronté et vaincu Issaka Issaka, a été particulièrement remarquable, mettant fin à une série de trois sacres consécutifs de ce dernier.

Le Sabre National est bien plus qu’une simple compétition sportive au Niger. Il s’agit d’un événement culturel majeur qui rassemble les différentes régions du pays, mettant en avant la richesse des traditions et l’esprit de cohésion nationale. Chaque édition est l’occasion pour les lutteurs de se mesurer dans un esprit de fair-play, tout en honorant les valeurs ancestrales de courage et de persévérance.

Cette édition a été marquée par l’introduction d’un nouveau code de la lutte, visant à rendre les combats plus fluides et équitables. Ces réformes, initiées par le ministère de la Jeunesse, de la Culture, des Arts et des Sports, ont pour objectif de préserver l’intégrité de la discipline et d’assurer des affrontements incontestables, reflétant le véritable talent des participants.

Malgré sa défaite, Issaka Issaka demeure une figure emblématique de la lutte nigérienne. Son palmarès impressionnant et sa longévité au sommet témoignent de son exceptionnel talent. Cette défaite pourrait bien être une source de motivation supplémentaire pour lui, en vue de reconquérir le titre lors des prochaines éditions.

 

 

Trump ne peut pas arrêter la dédollarisation

Pendant la campagne présidentielle américaine, Donald Trump s’est engagé à rendre la dédollarisation – les efforts visant à réduire la dépendance mondiale à l’égard du billet vert – trop coûteuse pour être envisagée, en promettant d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays qui la mettraient en œuvre. Mais une telle mesure, qui s’inscrit dans le cadre d’un programme tarifaire plus important, que le président élu semble déterminé à mettre en œuvre, ne contribuerait guère à enrayer la chute du dollar.

 

Le billet vert reste le moyen d’échange le plus important et la réserve de valeur la plus efficace. Cela en fait la monnaie préférée pour le commerce et la finance internationaux, ainsi que pour les réserves de change détenues par les banques centrales, afin de garantir un approvisionnement régulier en importations et de se prémunir contre les crises monétaires et l’instabilité macroéconomique. Mais à mesure que le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace vers l’est, la dédollarisation s’accélère.

 

La part du dollar dans les réserves de change est passée d’un pic de 72 % en 2002 à 59 % en 2023, sous l’effet d’une demande accrue de monnaies de réserve non traditionnelles, en particulier le renminbi chinois. En outre, l’année dernière, un cinquième du commerce mondial du pétrole s’est effectué dans d’autres monnaies que le dollar. Jusqu’alors, le dollar était quasiment la seule devise utilisée.

 

Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution. Les pays du Sud sont devenus les moteurs de la croissance économique mondiale, modifiant la dynamique du commerce mondial et des marchés de l’énergie. Un monde de plus en plus multipolaire a ouvert une nouvelle ère de concurrence monétaire, tandis que les innovations technologiques et financières ont rendu moins coûteux et plus efficace le règlement en monnaie locale (LCS, d’après l’acronyme anglais) pour les échanges bilatéraux.

 

Trump, apparemment conscient des énormes avantages économiques et géopolitiques que confère aux États-Unis le statut du dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, voudrait mettre un terme à ce processus. Après tout, les États-Unis sont l’un des rares pays de l’économie mondiale hautement intégrée à disposer encore d’une souveraineté monétaire effective, c’est-à-dire de la capacité de fixer et d’atteindre ses objectifs de politique économique et monétaire sans tenir compte des autres pays.

 

Au contraire, au fur et à mesure que le marché de l’eurodollar est devenu l’épine dorsale d’un système monétaire international privatisé, de plus en plus de pays ont émis de la dette souveraine libellée en dollars, augmentant ainsi leur dépendance à l’égard du billet vert. En 2011, le président chinois de l’époque, Hu Jintao, l’a dit clairement : « La politique monétaire des États-Unis a un impact majeur sur la liquidité mondiale et les flux de capitaux, et par conséquent, la liquidité du dollar américain doit être maintenue à un niveau raisonnable et stable. »

 

Bien qu’une étude récente de la Banque fédérale de réserve de New York désigne l’éloignement géopolitique des États-Unis et les sanctions financières comme les principaux moteurs de la baisse de la demande de dollars américains, la dédollarisation n’est pas due exclusivement, ni même en grande partie, à la dépendance excessive des États-Unis à l’égard du dollar en tant qu’instrument de politique étrangère. Au contraire, de nombreux gouvernements encouragent l’utilisation d’instruments libellés dans leur unité de compte nationale, afin de profiter des gains associés à l’existence d’une monnaie internationale.

 

L’intégration monétaire de l’Europe en est peut-être l’exemple le plus probant. Elle a donné naissance à l’euro, qui occupe aujourd’hui une place de choix derrière le dollar, représentant environ 20 % des réserves mondiales et plus de la moitié des exportations de l’Union européenne dans le monde. En 2022, environ 52 % des biens importés par l’Union européenne en provenance de pays tiers et environ 59 % des biens exportés par l’Union européenne vers ces pays étaient facturés en euros.

 

Suivant les traces de l’UE, les pays du Sud tirent parti des nouvelles technologies pour promouvoir l’utilisation des LCS dans les échanges bilatéraux, ce qui peut atténuer les contraintes liées à la balance des paiements et soutenir la croissance économique. La Chine, par exemple, a développé son propre système de paiement interbancaire transfrontalier. Elle a établi des lignes de swap bilatérales avec près de 40 banques centrales étrangères et elle a réussi à faire libeller les contrats pétroliers en renminbi. L’année dernière, Total Énergies et la China National Offshore Oil Corporation ont conclu le premier achat de gaz naturel liquéfié en renminbi par l’intermédiaire du Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange.

 

En 2022, la Reserve Bank of India a mis en place un mécanisme permettant de régler les échanges internationaux en roupies, ce qui pourrait permettre d’économiser environ 30 milliards de dollars en sorties de devises si on l’utilisait pour les importations de pétrole russe. Parmi les pays du groupe Brics+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie, Iran et Émirats Arabes Unis), les échanges commerciaux réglés en monnaie nationale auraient dépassé ceux en dollars. Les investissements transfrontaliers en monnaie locale devraient augmenter également. La nouvelle banque de développement des Brics fera passer ses prêts en monnaie locale d’environ 22 % à 30 % d’ici 2026, afin d’atténuer l’impact des fluctuations des taux de change et d’éliminer les goulets d’étranglement en matière de trésorerie, dans le cadre du financement de projets.

 

Pour les économies émergentes et en développement, la dédollarisation peut également atténuer les retombées négatives de la politique de la Réserve fédérale américaine. Le dernier cycle de resserrement agressif de la Fed a exacerbé l’instabilité macroéconomique et freiné la croissance, piégeant de plus en plus de pays dans des revenus moyens et empêchant la convergence des revenus au niveau mondial. Comme le montrent les recherches du Fonds monétaire international, un arrêt soudain des flux de capitaux vers une économie de marché émergente entraîne une baisse moyenne de 4,5 % de la croissance du PIB cette année-là, et de 2,2 % l’année suivante.

 

La dédollarisation peut également réduire la nécessité de constituer des réserves, une forme d’assurance contre les chocs extérieurs et la volatilité financière qui implique des coûts d’opportunité considérables pour les économies émergentes et en développement. Les autorités monétaires de ces pays pourraient à la place investir dans des actifs à plus haut rendement, générant ainsi plus de ressources pour relever les défis du développement, y compris les investissements qui renforcent la résilience au changement climatique.

 

Les réserves de précaution sont particulièrement préjudiciables pour les pays à faible revenu, qui présentent des risques de crédit plus élevés et des écarts de taux d’intérêt plus importants, car elles impliquent souvent des opérations de portage inversées. Le Bangladesh détient actuellement un montant record de 46,4 milliards de dollars de réserves de devises à faible rendement pour stabiliser le taka, tout en payant plus de 8 % d’intérêts sur ses obligations souveraines.

 

Le prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz a estimé le coût annuel de la thésaurisation des réserves pour les pays en développement à plus de 300 milliards de dollars, soit 2 % de leur PIB combiné, au milieu des années 2000. Ce chiffre est sans aucun doute plus élevé aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation des réserves excédentaires et du nombre croissant de pays aux mauvaises notes de crédit qui ont accès aux marchés financiers internationaux.

 

Certes, la dédollarisation sert également de protection contre les sanctions financières américaines, qui devraient proliférer sous Trump. Mais les innombrables autres avantages d’une telle politique, notamment en termes de gestion macroéconomique et de croissance, sont énormes et l’emporteront probablement sur les coûts des tarifs douaniers de rétorsion que Trump a promis d’imposer à ses concurrents en matière de devises.

 

Le processus pourrait être lent. De puissantes externalités de réseau, associées à profondeur et à la liquidité des marchés financiers américains, ont rendu difficile de déloger le dollar, même si l’Amérique a perdu son statut de première économie commerciale du monde il y a plus d’une décennie. Mais le passage à des monnaies de réserve non traditionnelles dans un système économique de plus en plus multipolaire et l’importance croissante de l’utilisation transfrontalière des monnaies nationales, pour alimenter la croissance et parvenir à une convergence des revenus au niveau mondial, laissent penser que la dédollarisation va se poursuivre. Et un tsunami de droits de douane et de sanctions sous la prochaine administration américaine ne manquera pas d’y contribuer.

 

Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable de l’université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’université de Harvard, membre éminent de la Fédération mondiale des conseils de compétitivité et membre de l’Académie africaine des sciences.

 

 Project Syndicate, 2024.
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Un nouveau pacte pour les pays en voie de développement

La récente reconstitution des ressources de l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale, pour un montant record de 100 milliards $, constitue une étape majeure. Bien que le montant final soit inférieur aux 120 milliards $ qu’un certain nombre de dirigeants africains et moi-même avions réclamés au mois d’avril, lors du sommet IDA21 de Nairobi sur la reconstitution des ressources de l’institution, il s’agit d’une avancée cruciale. Ces nouveaux financements constituent un espoir pour plusieurs millions de personnes, et témoignent de la détermination de nos partenaires mondiaux à relever les défis immenses auxquels nous sommes confrontés.

 

Le sommet de Nairobi a non seulement souligné l’importance de l’IDA pour le financement du développement, mais également attiré l’attention sur le rôle central de l’Afrique dans la résolution des crises mondiales telles que le changement climatique. Depuis des années, l’IDA constitue une bouée de sauvetage pour de nombreux pays, apportant les financements concessionnels à long terme indispensables à ces pays pour investir dans des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. Réactive face aux crises, et capable de mobiliser 4 dollars sur les marchés financiers pour chaque dollar versé par les donateurs, l’IDA a prouvé sa valeur en tant que multiplicateur de force.

 

Les défis auxquels nous sommes confrontés nécessitent cependant une réponse plus audacieuse encore. Selon la Banque mondiale, le service de la dette extérieure des pays en voie de développement a atteint l’an dernier un coût astronomique de 1 400 milliards $, un chiffre qui vient éclipser les engagements même les plus ambitieux en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. Le fardeau de la dette de l’Afrique est devenu un véritable obstacle au développement durable ainsi qu’à la résilience climatique, les paiements d’intérêts élevés détournant les ressources loin d’investissements pourtant essentiels dans la santé, l’éducation et les infrastructures.

 

Comme je l’ai souligné lors du sommet de Nairobi, cette réalité perpétue un cercle vicieux de vulnérabilité, aggravé par l’escalade des effets du changement climatique. Rien que l’année dernière, l’Afrique de l’Est a subi des inondations dévastatrices qui ont provoqué le déplacement de milliers de personnes et détruit des infrastructures vitales, tandis que des sécheresses persistantes dans le sud du continent ont paralysé la production agricole en Zambie et au Zimbabwe. Dans l’ouest et le centre de l’Afrique, les inondations ont fait des ravages au Nigeria, au Niger et au Tchad, déplaçant des communautés entières, et submergeant les terres agricoles.

 

Pendant ce temps, la désertification continue d’empiéter sur les terres arables, menaçant la sécurité alimentaire dans des pays tels que le Mali, tandis que des vagues de chaleur extrêmes mettent à rude épreuve les systèmes énergétiques dans certaines parties de l’Afrique du Nord. Perturbant vies humaines, moyens de subsistance et économies sur l’ensemble du continent, ces crises accentuent la nécessité de financements concessionnels à la hauteur du défi.

 

Alors que les négociations sur le nouvel objectif collectif quantifié (NOCQ) durant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) de cette année avaient insisté sur l’urgence de mobiliser 1 300 milliards $ de financements climatiques chaque année d’ici 2035, les délégués ont finalement échoué, les engagements ayant atteint seulement 300 milliards $. Pour l’Afrique, ce résultat illustre la persistance d’inégalités dans les financements mondiaux, et souligne la nécessité pour des institutions telles que l’IDA de jouer un rôle encore plus important pour combler les insuffisances.

 

La simultanéité entre la reconstitution des ressources de l’IDA et l’adoption du NOCQ n’est pas surprenante, toutes deux visant à garantir les ressources nécessaires à la progression du développement durable. La reconstitution des ressources de l’IDA à hauteur de 100 milliards $ doit être mise à profit pour obtenir un impact maximal, notamment afin de répondre à la nécessité pour les pays vulnérables d’investir dans la résilience climatique.

 

Le monde ne pourra pas atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici le milieu du siècle sans la pleine participation de l’Afrique. Au moyen d’investissements suffisants dans nos ressources énergétiques renouvelables, les Africains peuvent œuvrer au premier plan de l’agenda mondial de la décarbonation, tout en fournissant de l’électricité aux 600 millions d’habitants du continent qui n’y ont toujours pas accès.

 

Un certain nombre de dirigeants africains et moi-même félicitons l’IDA pour l’accent qu’elle continue de placer sur les solutions innovantes telles que les swaps dette-climat, et pour son soutien à une croissance positive pour le climat. Notre transformation économique nécessite cependant un engagement mondial collectif en faveur de réformes structurelles. Nous devons accomplir davantage pour tirer parti des droits de tirage spéciaux (l’actif de réserve du Fonds monétaire international), pour réaffecter les subventions aux combustibles fossiles, ainsi que pour renforcer la capacité de prêt des banques multilatérales de développement. Comme je l’ai rappelé à Nairobi, la recommandation du Groupe d’experts indépendants du G20 consistant à multiplier par trois la capacité de financement de l’IDA, pour la porter à 279 milliards $ d’ici 2030, demeure un objectif judicieux et nécessaire.

 

Adoptée l’an dernier lors du Sommet africain sur le climat, la Déclaration de Nairobi offre une feuille de route aligner le financement du développement sur l’action climatique. En nous concentrant sur les initiatives africaines, en tirant parti de notre vaste potentiel en matière d’énergies renouvelables, et en stimulant l’industrialisation, nous pouvons créer des millions d’emplois tout en garantissant un avenir durable pour le continent.

 

L’Afrique est prête à jouer son rôle. Nous sommes déterminés à respecter la discipline budgétaire ainsi qu’à améliorer la gouvernance, afin d’instaurer un environnement propice à l’investissement et au développement durable. Pour y parvenir, nous aurons cependant besoin que nos partenaires mondiaux accompagnent cet engagement par leur soutien et leur collaboration, ce qui signifiera notamment dépasser les niveaux actuels de reconstitution des ressources de l’IDA lors des prochains cycles de financement.

 

Pour nous tous en Afrique, la récente levée de 100 milliards $ constitue une étape, pas une destination. Ensemble, nous devons nous appuyer sur la dynamique créée cette année pour faire en sorte que l’IDA et le NOCQ honorent leur promesse de financements équitables, efficaces et accessibles. Il ne tient qu’à nous de transformer les défis d’aujourd’hui en opportunités pour assurer un avenir prospère à tous les Africains.

 

William Ruto est président de la République du Kenya, et président du Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique.

 

Project Syndicate, 2024.
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Super League : Rebaptisé et remodelé, le projet refait surface

Trois ans après avoir présenté un projet visant à révolutionner le football européen, qui avait suscité une vive hostilité, la Super League revient dans une nouvelle version de la compétition.

Initiée en 2021 par Florentino Pérez, le Président du Real Madrid, avec le soutien de certains des plus grands clubs européens, la Super League visait à créer un tournoi fermé réunissant les équipes les plus prestigieuses du Vieux Continent, dans le but d’accroître les revenus générés par le football de club au plus haut niveau.

Cependant, elle avait rencontré une vive opposition de la part de l’UEFA et de certaines fédérations nationales. Malgré l’abandon du projet par plusieurs clubs fondateurs sous la pression, la Super League fait aujourd’hui son grand retour.

En effet, la structure promotrice du projet, A22 Sports Management, a annoncé le 17 décembre 2024 avoir présenté un nouveau format à la FIFA et à l’UEFA en vue d’obtenir une reconnaissance officielle.

Elle s’appuie notamment sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de décembre 2023 qui avait jugé que les règles imposées par la FIFA et l’UEFA concernant la création de compétitions étaient contraires au droit de l’Union européenne.

96 équipes réparties dans 4 ligues

Rebaptisé « Unify League », le projet prévoit la création de quatre nouvelles compétitions : Star, Gold, Blue et Union. Les deux premières regrouperaient 16 équipes et seraient réservées aux meilleurs clubs du continent. Ceux-ci seraient réparties en 2 groupes de 8, avec au programme 14 rencontres (7 à domicile et 7 à l’extérieur). Les 4 premiers de chaque groupe se qualifieraient pour des quarts de finale disputés en aller-retour et donnant accès à un Final Four.

Quant aux compétitions Blue et Union, elles adopteraient un format légèrement différent, avec 4 groupes de 8 équipes. Seuls les premiers de chaque groupe se qualifieraient à l’issue de 14 matchs, pour participer à un Final Four, là aussi.

Différence notable par rapport au projet polémique de 2021 : cette fois-ci, les équipes se qualifieraient pour les différentes compétitions en fonction de leurs résultats dans leurs championnats nationaux respectifs. Au total, ce sont 96 clubs de 55 pays différents qui seraient appelés à participer chaque saison.

Mohamed Kenouvi

La Chine en difficulté face à la société de consommation

 Les prouesses de la Chine en matière d’ingénierie sont tout simplement extraordinaires. Qu’il s’agisse d’infrastructures de classe mondiale, de villes respectueuses de l’environnement, de systèmes spatiaux ou de trains à grande vitesse, l’impressionnante accumulation par la Chine de capital physique de pointe a joué un rôle prépondérant dans la conduite de son économie. Seulement voilà, les accomplissements de la Chine en matière d’ingénierie physique du côté de l’offre n’ont pas été transposables aux efforts d’ingénierie sociale du côté de la demande, notamment dans la stimulation de la demande des consommateurs.

 

Ce décalage s’explique par la nature du système politique chinois moderne, qui place l’accent sur la stabilité et le contrôle. Si cette orientation a permis au pays de devenir le « producteur ultime » de la planète, elle n’a pas su révéler l’ADN du consommateur chinois. L’ingénierie sociale au travers du diktat de l’État s’inscrit en net contraste avec l’esprit individualiste, libre et basé sur l’incitation, qui façonne le comportement humain et les modèles de consommation en Occident. La part de la consommation des ménages dans le PIB chinois demeurant inférieure à 40 %, contre environ 65 % dans les économies développées, le discours de longue date de la Chine autour d’un rééquilibrage axé sur la consommation n’a produit que peu de résultats visibles.

L’expérience américaine, telle que la décrit John Kenneth Galbraith dans son ouvrage intitulé The Affluent Society, déchiffre l’ADN d’une société de consommation, qui présente pour principales caractéristiques la mobilité ascendante des revenus et des richesses, la communication et la diffusion de l’information de manière ouverte, l’individualisme et la liberté de choix, la réduction de l’inégalité des modes de vie, les transferts de richesses intergénérationnels, et enfin la possibilité d’élire des représentants politiques. Le consumérisme occidental constitue ainsi en grande partie une aspiration.

Une question fondamentale se pose alors : le système politique chinois est-il incompatible avec la culture de consommation moderne ? Cette question apparaît d’autant plus pertinente que le nouveau techno-autoritarisme chinois semble s’inscrire à l’encontre des libertés fondamentales sur lesquelles repose le consumérisme. Les récentes avancées technologiques appliquées en Chine (notamment en matière de reconnaissance faciale et autres formes de surveillance), associées à un système de crédit social ainsi qu’à une censure renforcée, sont quasiment antithétiques à la société de consommation telle que nous la connaissons en Occident.

En fin de compte, il est beaucoup plus facile de mobiliser l’appareil d’État pour exercer une influence sur les producteurs que de permettre aux libertés fondamentales de conférer du pouvoir aux consommateurs. C’était déjà vrai durant les premières années de la République populaire, lorsque les producteurs chinois étaient soumis au contrôle strict de la Commission étatique de planification, et ça l’est encore aujourd’hui, le centre de gravité de la puissance économique chinoise ne se situant plus du côté d’un secteur privé autrefois dynamique et entreprenant, mais désormais du côté des entreprises d’État.

Le resserrement des contrôles étatiques sur la société chinoise au cours de la dernière décennie s’inscrit particulièrement en contradiction avec l’objectif de l’État consistant à stimuler la consommation. En 2013, peu après son arrivée au pouvoir, le président Xi Jinping a lancé une campagne d’éducation autour de la « ligne de masse » afin de lutter contre quatre « mauvaises habitudes » – le formalisme, la bureaucratie, l’hédonisme et l’extravagance – qu’il considérait comme les principales sources de décadence sociale et de corruption du Parti communiste chinois. Cet effort, initialement considéré comme une ramification de la campagne anti-corruption de Xi, a depuis acquis une dynamique qui lui est propre.

En 2021, Xi a insisté sur ces mauvaises habitudes en prenant des mesures de répression réglementaires à l’encontre des sociétés de plateformes Internet, mesures qui ont ciblé non seulement des entrepreneurs chinois tels que Jack Ma, fondateur d’Alibaba, mais également les prétendus excès de style de vie associés aux jeux vidéo, à la musique en ligne, à la culture des fans de célébrités et aux cours particuliers. Une telle ingénierie sociale dirigée par l’État témoigne du peu de tolérance des autorités chinoises pour le sentiment de possibilités et l’optimisme qui s’inscrivent dans l’ADN des sociétés de consommation occidentales.

Un autre exemple de ce décalage entre l’ambition et l’état d’esprit réglementaire s’observe dans les tentatives chinoises répétées de résolution des vents contraires démographiques à l’origine d’une diminution de la main-d’œuvre qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de ce siècle, en raison de l’héritage de la politique de l’enfant unique, désormais abandonnée. Le gouvernement chinois a récemment annoncé un certain nombre de mesures visant à stimuler les taux de natalité, parmi lesquelles une amélioration de l’accompagnement à la maternité et des capacités de garde d’enfant, ainsi que d’autres efforts consistant à bâtir une société propice à la natalité. Il ne s’agit toutefois que de la dernière d’une série de campagnes de ce type, après l’adoption de la politique des deux enfants en 2015, puis de la politique des trois enfants en 2021.

Malgré ces efforts, le taux de fécondité de la Chine demeure bien inférieur au taux de renouvellement démographique, qui s’élève à 2,1 naissances vivantes par femme en âge de procréer. Les sondages révèlent deux raisons à cela : inquiétudes face à l’augmentation importante des dépenses liées à l’éducation des enfants, et enracinement profond de l’idée de famille peu nombreuse dans les normes culturelles. Ce second aspect souligne la dimension comportementale du problème, à savoir le fait qu’une génération de jeunes Chinois se soit habituée aux familles à enfant unique. Cette résistance intrinsèquement humaine aux tentatives étatiques de coercition dans la planification des naissances intervient également lorsqu’il s’agit pour Pékin d’élaborer une stratégie d’accroissement de la demande des consommateurs.

Pour libérer le potentiel de consommation de la Chine, la clé consiste à transformer la peur en confiance, une transition qui nécessite un changement fondamental dans l’état d’esprit qui façonne la prise de décisions des ménages. Or, c’est précisément sur ce point que l’État se heurte à des obstacles. L’incitation du comportement humain est radicalement différente de l’exercice consistant à imposer aux banques étatiques d’accroître les prêts aux projets d’infrastructure, ou à ordonner aux entreprises d’État d’investir dans l’immobilier.

Certes, je formule ici un point de vue occidental sur un problème chinois, et l’expérience m’a enseigné la nécessité d’aborder ce type de problèmes du point de vue de la Chine elle-même. Il n’en demeure pas moins que l’accroissement de la consommation touche à l’essence même de l’expérience humaine : peut-il exister une culture de la consommation florissante présentant des caractéristiques chinoises qui s’inscrivent en contradiction avec la philosophie d’aspiration qui sous-tend les sociétés occidentales ?

La solution ultime au problème de sous-consommation chronique de la Chine pourrait bien dépendre de ces considérations profondes sur le comportement humain. Une récente réunion de la Conférence centrale sur le travail économique de la Chine semble annoncer de nouvelles grandes mesures à venir pour stimuler la consommation. Or, si les autorités chinoises restent déterminées à renforcer le contrôle sur les normes sociales et l’esprit humain, elles auront beau appliquer toutes les mesures de relance imaginables – qu’il s’agisse de programmes de reprise d’équipements ou de réformes du filet de sécurité sociale – ces mesures risquent de ne produire aucun résultat.

 

Stephen S. Roach, membre du corps enseignant de l’Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l’auteur des ouvrages intitulés Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

 

Project Syndicate, 2024.
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Cheick Tidiane Seck : « Il faut mettre en exergue notre histoire »

African glory est un film documentaire qui retrace la vie de l’Empereur mandingue Aboubakari II réalisé par Thierry Bugaud. Cheick Tidiane Seck, qui compose la musique du film, dans lequel il joue aussi le rôle du père de l’Empereur, nous parle de ce projet, qu’il a porté et qui le passionne.

Parlez-nous du projet African glory ?

Je n’avais pas la fibre du cinéma, pas du tout. Mes aînés, Cheick Oumar Sissoko, Sotigui Kouyaté et Sidiki Bakaba, étaient des références en la matière. Depuis l’adolescence, l’histoire d’un de nos ancêtres, Aboubakari II, m’a toujours intrigué. Appelé Mandé Boukari, il est parti pour les Amériques et n’est jamais revenu. Cela a continué à susciter ma curiosité bien avant que j’aille enseigner aux États-Unis. Là-bas, on enseignait cette histoire, qui est la nôtre. J’ai cherché le livre de Pathé Diagne contenant les preuves scientifiques. C’est Aimé Césaire qui m’avait dédicacé ce livre et c’était ma première victoire en tant que musicien, plus qu’un Grammy, vu la dimension d’Aimé Césaire.

Et le film est né…

C’est ce livre que Thierry Bugaud, le réalisateur du film, a lu. Je pense que cela a été le déclic, même s’il y avait également pensé. Nous avons commencé à réfléchir à des stratégies. J’avais pensé à un opéra mandingue. À défaut de cela, nous avons envisagé un film sur la vie d’Aboubakari II. Il a dit oui et c’est comme cela que c’est parti. Je lui ai présenté Youssouf Tata Cissé, Djibril Tamsir Niane et bien d’autres personnalités. Auparavant, j’avais présenté le projet à plusieurs cinéastes africains, mais cela n’avait pas fonctionné. Je ne les blâme pas. La plupart du temps, quand ils se présentent avec des histoires africaines, les décideurs ne se manifestent pas. Nous en sommes victimes et il est nécessaire de le dénoncer. Mais cela n’enlève rien à l’engagement et à la sincérité de Thierry Bugaud. Nous avons rencontré les Ulémas pour avoir leur bénédiction et ainsi pu réaliser le film.

D’autres projets documentaires dans le même sens sont-ils prévus ?

Thierry Bugaud vient de signer pour quatre saisons avec Canal+ pour continuer de faire des séries documentaires sur Aboubakari, Touramakan, Kankou Moussa, Soundjata, etc. Ensuite, il y aura Shaka Zulu, la Reine Pokou, etc. Il y a des histoires qu’il faut mettre à la disposition du grand public. C’est important, c’est notre ossature qui nous donne de la force. À 73 ans, je puise ma force dans nos ancêtres, je crois en eux. Ils nous incitent à mettre en lumière leur vécu pour la postérité. C’est pourquoi il faut mettre en exergue notre histoire.

Enregistrement des naissances : De lents progrès

L’enregistrement des naissances a connu une augmentation, bien qu’il reste des défis à relever. En effet, 13% des enfants au Mali ne sont pas enregistrés à la naissance, selon le rapport de l’UNICEF intitulé « Un bon départ dans la vie ».

Cette situation prive des millions de filles et de garçons d’une identité juridique, les exposant ainsi à des vulnérabilités. C’est pourquoi le Comité des droits de l’enfant incite les autorités à adopter des mesures telles que la numérisation des enregistrements ou des dispositions spécifiques concernant les enfants réfugiés et les déplacés internes.

Dans son état des lieux de l’enregistrement des naissances dans le monde, l’UNICEF estime que plus de 500 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans ont été enregistrés à la naissance au cours des cinq dernières années. Bien que le taux mondial d’enregistrement des naissances ait atteint 77%, contre 75% en 2019, environ 150 millions d’enfants de moins de 5 ans n’ont pas été déclarés et demeurent invisibles pour les systèmes gouvernementaux, selon le fonds.

Par ailleurs, plus de 50 millions d’enfants dont la naissance a été déclarée ne possèdent pas d’acte de naissance. Cet acte fondamental garantit pourtant à l’enfant une reconnaissance juridique, lui conférant une protection contre les mauvais traitements et l’exploitation, ainsi que l’accès à des droits essentiels, tels que l’éducation et la santé.

Redoubler d’efforts

Si l’UNICEF se félicite des progrès réalisés, l’organisation invite les décideurs à redoubler d’efforts afin que chaque enfant, partout dans le monde, soit enregistré à la naissance. Les progrès et les améliorations varient considérablement dans les régions d’Afrique subsaharienne. Alors que l’Afrique australe enregistre un taux de 88%, l’Afrique de l’Ouest a connu la meilleure amélioration en 15 ans, atteignant un taux de 63%, tandis que l’Afrique de l’Est est à la traîne avec seulement 41%.

Au Mali, 87% des enfants de moins d’un an sont enregistrés à la naissance. Bien que cette amélioration soit significative, elle présente des disparités qui nécessitent un suivi pour relever les défis restants. Depuis 2022, l’UNICEF accompagne les initiatives du gouvernement pour numériser l’enregistrement des naissances. Ce processus a connu des avancées grâce à l’approbation d’un projet de plateforme regroupant les principaux événements de l’état-civil (naissance, mariage, décès). Cette plateforme, conçue après consultation des parties prenantes du système des faits d’état-civil, constitue la première entièrement dédiée, répondant aux besoins des usagers et aux normes internationales ainsi qu’au cadre légal. Le système pilote a été mis en place dans 10 zones regroupant les centres d’état-civil, les structures de santé et les tribunaux. Selon le représentant de l’UNICEF au Mali, cette étape permettra d’accélérer les efforts vers l’enregistrement universel.

Dr. Bakary Sambe « La militarisation excessive ne garantit pas une sécurité durable : l’implication des communautés locales est essentielle »

Dr. Bakary Sambe, président-fondateur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, dirige un think tank spécialisé dans les questions de paix et de sécurité en Afrique. Avec des bureaux à Dakar, Niamey et Bamako, l’institut s’appuie sur des recherches scientifiques pour inspirer les politiques publiques et fournir un appui stratégique aux gouvernements et partenaires internationaux. Actif dans la diplomatie préventive et la résolution des conflits au Sahel, il aborde des enjeux liés à la montée du terrorisme, aux stratégies de lutte des États sahéliens, à l’implication des communautés locales, et aux impacts de la désinformation sur la stabilité régionale.

Dans cette interview, Dr. Sambe analyse l’évolution des menaces terroristes au Sahel, les approches adoptées par les États, ainsi que l’importance d’une collaboration avec les communautés et d’une approche holistique face aux défis sécuritaires actuels.

Comment décririez-vous l’évolution de la menace terroriste au Sahel ces dernières années, notamment en ce qui concerne les stratégies adoptées par les groupes extrémistes ?

Les groupes terroristes ont évolué dans leur stratégie depuis le débordement de l’épicentre du Nord du Mali vers le Centre d’où la menace s’est beaucoup communautarisée. Aujourd’hui, la présence djihadiste se présente de la manière suivante, il y a ISWAP à travers Boko Haram, l’état islamique, Islamic State West African Province, donc au Nigéria, qui opère aujourd’hui sur le bassin du lac Tchad, concernant aussi bien le Nigéria, le Niger, le nord du Cameroun et le Tchad dans les régions de Bol, Bagassola, autour du lac. Il y a aussi la présence de l’état islamique au Sahel, qui était l’état islamique au Grand Sahara et qui s’est transformé en état islamique au Sahel depuis mars 2022, avec un redéploiement plus assidu dans le Liptako Gourma, dans les zones des trois frontières communes au Mali, au Niger et au Burkina Faso et qui essaie d’avancer, mais qui a eu beaucoup de mal par rapport au JNIM, groupe de soutien à l’islam musulman de Iyad Ag Ghali, branche d’Al-Qaïda, qui contrôle les vastes zones à partir de Tombouctou, jusqu’à aujourd’hui dans l’est du Burkina Faso. Maintenant, il y a une stratégie de localisation de ce djihad-là, avec la Katiba Macina qui est la frange la plus active du JNIM aujourd’hui et qui avance dans la région de Kayes et qui opère depuis le centre du Mali, mais aussi d’autres katibas comme la Katiba Hanifa qui opère au Bénin. Et aujourd’hui, il y a la crainte d’une jonction entre les groupes qui se développent au Niger, mais aussi au nord du Bénin à partir du département de l’Alibori et jusqu’au Borgou, qui est une région au nord du Bénin, mais qui est connectée aujourd’hui aux réalités du Nigéria, où se développe un type de djihadisme mêlant activités criminelles et attaques terroristes, notamment dans le nord-ouest du Nigéria, dans les états comme Jigawa, etc. Les récentes manifestations d’une violence extrême dans le Nord-Ouest du Nigeria notamment avec le nouveau groupe Lukurawa n’augurent pas d’une accalmie.

Quelle est votre évaluation des différentes stratégies mises en œuvre par les États sahéliens, comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso, pour lutter contre le terrorisme ? Quelles approches ont montré des résultats probants ?

La première approche était de combiner efforts nationaux et interventions étrangères dans le cadre d’une coopération sécuritaire qui n’a pas porté ses fruits que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Cela ressemblait à une sous-traitance de la sécurité dans laquelle les résultats étaient vraiment mitigés. Aujourd’hui avec le rejet de ces coopérations notamment avec la France et le recours à la Russie, les défis restent encore nombreux malgré une politique d’acquisition de matériel militaire plus facile qu’auparavant et un meilleur équipement des armées. Le fait d’établir une coopération plus soutenue entre les trois pays qui sont devenus l’AES suite aux profonds désaccords avec la CEDEAO après les coups d’État militaires, avait redonné un certain espoir notamment en termes de synergie et une meilleure coordination de la lutte avec le partage des mêmes défis transfrontaliers autour du Liptako Gourma. Avec des résultats au Nord du Mali malgré les difficultés dans la zone de Ménaka dues surtout aux rivalités entre les groupes terroristes, Bamako devrait mieux intégrer la nature évolutive de la menace et éviter une radicalisation de certaines communautés. Le Niger semble avoir des difficultés dans le Tillabéri tandis que la Burkina Faso peine à reprendre le contrôle de grandes parties du territoire malgré le réarmement des troupes et l’intervention des VDP. Je pense que les trois pays de l’AES devraient mieux intégrer les dynamiques communautaires dans l’élaboration des stratégies et sur certains aspects de la lutte collaborer avec des pays voisins même s’ils ne sont pas de leur organisation mais partageant les mêmes défis.

Dans quelle mesure l’implication des communautés locales est-elle cruciale dans la lutte contre le terrorisme, et comment les États peuvent-ils renforcer cette collaboration ?

On a vu que la militarisation à outrance de la lutte bien qu’elle aide à gérer les impératifs sécuritaires et les urgences n’installe pas une sécurité durable. La menace n’est plus exogène ; elle est secrétée par conjonction de facteurs internes sur lesquels les éléments extérieurs se greffent pour profiter de l’instabilité par l’instrumentalisation des griefs. Une réelle approche sécurité humaine s’impose. A la différence des approches classiques qui placent l’État et les forces de sécurité au cœur de tout dispositif, l’approche sécurité humaine permettrait de réduire le fossé grandissant entre FDS et populations locales et les communautés qui sont au cœur des solutions durables. La Mali avait initié le principe du dialogue inter-malien et l’implication des communautés malgré l’opposition de certains partenaires qui était contre. Aujourd’hui, malgré les avancées au Mord mitigée par la situation du Centre, le Mali devrait saisir davantage les possibilités qu’offrent les mécanismes traditionnels et endogènes basés sur le dialogue et l’implication des communautés. Cela aiderait les autorités à faciliter l’appropriation des mesures sécuritaires par les communautés et donc leur engagement auprès des forces de sécurité. Mais il va falloir un changement progressif de paradigme qui n’est pas évident.

Vous avez souligné que la désinformation constitue une menace réelle pour la sécurité au Sahel. Pouvez-vous expliquer comment la désinformation influence la stabilité de la région et quelles mesures pourraient être prises pour la contrer ?

 Les fake news, fausses nouvelles ou informations non vérifiées distillées sur les réseaux sociaux, le poids des influenceurs sur l’opinion publique, la course au scoop et au buzz, sont autant d’éléments aggravant les effets incontrôlés de la démocratisation de la diffusion et de l’accès à l’information à l’heure du numérique. Les pays du Sahel qui, en plus, d’absence de cadres normatifs ou de régulation, font face à ce flux d’informations et à sa manipulation par divers acteurs. Tout cela dans un contexte d’incertitudes et de tensions politiques internes, de menaces sécuritaires mais aussi d’escalades sur le plan diplomatique. Récemment, de fausses informations ont failli déclencher des émeutes au Mali et dans d’autres pays de la région sur fonds de lutte contre le terrorisme et de contestation des présences militaires étrangères. Maintenant, cette désinformation perturbe le travail des forces de sécurité et de défense, les mets en danger comme elle provoque et attise parfois des conflits intercommunautaires dans beaucoup de pays de la région. Le terrain malien est depuis peu le laboratoire d’expérimentation de toutes formes de communication d’influence. Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité politique, la désinformation revêt plusieurs formes et se cache derrière bien des campagnes de communication bien ciblées. La période de la transition avec la montée de diverses formes de contestation des dominations sur fond d’escalades diplomatiques et de guerre de positionnement de nouvelles puissances est particulièrement propice à ce phénomène. Mais en accentuant la guerre informationnelle on est en train de jouer avec le feu. La lutte contre la désinformation est un enjeu de sécurité et de stabilité pour les pays du Sahel. En présence d’une crise et d’une angoisse des populations les tentatives de manipulations de l’opinion à travers les réseaux sociaux et les différents médias peut compromettre les politiques publiques et même la crédibilité des institutions ; ce qui représente une menace grave contre la viabilité des États, du système démocratique, de la paix et de la sécurité au Sahel. Dans ce contexte de rivalités internationales, il faudra que nos pays réfléchissent à des solutions locales pour faire face à ce phénomène qui constitue une réelle menace à la stabilité.

Quel est votre point de vue sur l’impact des interventions militaires étrangères dans la région, notamment celles de la France et des Nations Unies, sur la dynamique sécuritaire au Sahel ?

Vous savez, la sous-traitance de la sécurité n’a jamais été une solution durable et quel que soit le partenaire. La coopération internationale est par ailleurs une nécessité car les défis sont transnationaux. Il y a des bases militaires étrangères dans les pays qui sont parmi les plus souverains comme l’Allemagne mais aussi au Qatar avec la présence américaine ; l’une des plus importantes. L’essentiel c’est la définition des termes de la coopération et de son contenu, dans le respect des intérêt de chacune des parties. Mais l’Afrique devrait davantage compter sur la coopération régionale et surtout la réactivation des cadres régionaux et penser à une meilleure mutualisation des capacités. C’est pour cela, au niveau sous-régional, on devrait vite sortir de la crise entre les pays membres de l’AES et de la CEDEAO pour faire face ensemble aux défis sécuritaires que nous avons en commun.

On observe une extension de l’insécurité du Sahel vers les pays côtiers du Golfe de Guinée. Quelles leçons ces pays peuvent-ils tirer des expériences sahéliennes pour éviter les mêmes erreurs dans la lutte contre le terrorisme ?

Les pays côtiers doivent veiller à ne pas être emportés par l’élan de victoires militaires partielles et temporaires au point de réveiller les sentiments communautaires qui alimenteront les cellules terroristes locales de demain. On pourrait dire que le contre-terrorisme classique certes, semble avoir les faveurs des partenaires internationaux. Cependant il ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal déjà profond, à un résultat qu’est même le fait terroriste. Toutefois, il s’avère impuissant face aux racines de ce mal qui se déclinent en plusieurs fléaux. Ils ont pour noms, entre autres, la pauvreté, le mal-développement, la mal-gouvernance, les injustices et les griefs entretenus sur certains groupes ethniques et populations par une reproduction des imaginaires nés de l’époque coloniale et reproduits par les Etats postcoloniaux sur des populations entières auxquelles on n’offre que la répression comme réponse. De même, au Sahel, toutes les tentatives infructueuses de privatiser la gestion sécuritaire par le biais de milices d’autodéfense ont, de manière contreproductive, abouti à la stigmatisation de populations qui, frustrées et instrumentalisées, sont finalement allées grossir les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara et d’autres groupes terroristes qui n’ont même plus besoin de l’idéologie djihadiste pour recruter massivement. Différente du contre-terrorisme, la prévention de l’extrémisme violent s’attaque aux causes structurelles de la radicalisation et des frustrations. Cette dimension ne devrait pas être perdue de vue. Sa prise en compte devra passer par la définition préalable des questions les plus urgentes à gérer selon les pays ainsi que de l’environnement extérieur à prendre nécessairement en compte. La conquête des cœurs par le renforcement du sentiment d’appartenance nationale des citoyens des zones transfrontalières et les investissements massifs sur le désenclavement s’avèrent plus durable que de leur imposer des conditions draconiennes de sécurité donnant l’impression d’un Etat à visage répressif. Une plus grande présence de l’État protecteur dont l’interface doit être des forces de défense et de sécurité ayant gagné la confiance des populations et la bataille du renseignement humain, participera du travail de prévention dans une démarche holistique et inclusive.

Quels sont, selon vous, les principaux défis à anticiper dans les prochaines années concernant la sécurité au Sahel, et quelles stratégies devraient être adoptées pour y faire face efficacement ?

Deux des plus grandes préoccupations pour nos États dans les années vont être la communautarisation du terrorisme et la détérioration des rapports entre les États centraux et les communautés locales qui profitent aux groupes terroristes. En fait la stratégie d’AQMI, dans la région semble, aujourd’hui, tourner autour de la création de zones d’instabilité et de l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires comme ceux liés au pastoralisme en profitant de la frustration des communautés due aux travers de la lutte contre le terrorisme et des bavures des armées nationales. L’instabilité politique permet à AQMI de prospérer en cherchant surtout des terrains propices aux alliances avec les communautés « persécutées » où il peut y avoir des couveuses locales. Les terroristes ont réussi à se présenter, désormais, comme des protecteurs des populations locales en proie à l’insécurité. Malgré la réadaptation annoncée de la coopération sécuritaire par des pays comme la France, les Etats de la région et leurs partenaires internationaux s’embourbent dans la militarisation à outrance, une fausse solution, elle-même partie intégrante du problème. La dure réalité est que, selon la forme actuelle de la coopération militaire, nos armées s’entraînent en y mettant beaucoup d’énergies et de moyens à des formes de batailles qu’elles n’ont que peu de chance à livrer. Cette stratégie dans laquelle on s’entête en négligeant la part du dialogue avec les communautés avait déjà largement montré ses insuffisances en face de la menace asymétrique. Les États de la région semblent vouloir compenser les échecs de leurs forces de défense et de sécurité par une stratégie qui dresse des milices d’auto-défense et les volontaires contre des communautés ostracisées tout en créant les conditions de recrutements massifs dans ces mêmes communautés. Le fait est qu’à chaque fois que ces armées déclarent, triomphalistes, avoir ratissé telles zones et neutralisé des terroristes, elles sèment, en même temps, les graines des futures conflits intercommunautaires qui embraseront davantage la région.

Dans quelle mesure les répercussions de la crise syrienne, notamment la dispersion des combattants étrangers et les flux d’armes, pourrait-elle aggraver l’instabilité sécuritaire au Sahel et influencer les stratégies des groupes terroristes locaux ?

La conquête de la Syrie aujourd’hui par Hayat Tahrir al-Sham, qui a renversé Bachar Assad, pourrait avoir des implications lointaines en Afrique, d’autant plus que déjà la Syrie était la base à partir de laquelle s’organisait beaucoup de logistique pour la Russie vers le Sahel, le recrutement de mercenaires comme ceux dont certains ont parlé au Niger par exemple etc. Mais aussi c’était un dispositif important pour la Russie, notamment avec les bases militaires de Tartous et de Lattaquié. Et aujourd’hui, je pense que cette situation va priver quand même la Russie de quelques moyens si elle n’arrive pas à négocier avec les nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir à Damas, ça va la priver d’une base logistique assez importante qui lui permettrait de se déployer aussi bien en Ukraine qu’au Sahel. Maintenant, sur le terrain en Syrie, le groupe Hayat Tahrir al-Sham est un groupe qui au début est né sur les flancs de l’État islamique avec Jabhat al-Nusra, mais qui a évolué vers l’Al-Qaïda, ce qui pourrait présager un lien entre ces djihadistes et l’Al-Qaïda. Mais au Sahel Al-Qaïda a changé complètement de stratégie, ils ne sont plus dans des stratégies globalistes et globalisantes, ce sont des formes de régionalisation de la stratégie sur le continent africain et dans le Sahel de manière générale. C’est le JNIM qui y est actif, qui est une part de l’Al-Qaïda, mais qui fonctionne de manière très autonome avec des Katibas qui sont ancrés dans les communautés, comme la Katiba Macina qui prend de l’importance. On le voit aujourd’hui, c’est ainsi que l’Al-Qaïda, à travers le JNIM, arrive à avancer au Burkina Faso, mais aussi dans les pays côtiers. Mais je pense que ça peut avoir des implications plutôt lointaines et pas directes pour l’instant. Mais il est sûr que si la guerre en Ukraine venait à prendre fin surtout avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, nous serons dans l’expectative sur la place que va désormais occuper le Sahel dans la stratégie russe.

Les garanties publiques stimuleraient l’industrie verte européenne

 Au cours des deux dernières années, l’Union européenne a fait du développement de son secteur des technologies propres une priorité absolue. Comme l’a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce secteur est essentiel à la compétitivité économique, à la sécurité énergétique et au leadership industriel de l’Union.

L’UE possède un avantage en matière d’innovation dans plusieurs technologies propres, de l’hydrogène vert au stockage de l’énergie à long terme. Mais il est difficile de commercialiser ces technologies sur le continent. Un déficit d’investissement d’environ 50 milliards d’euros (52 milliards de dollars) doit être comblé pour fabriquer, d’ici à 2030, au moins 40 % des dispositifs solaires et éoliens, des batteries, des pompes à chaleur, des électrolyseurs d’hydrogène et des technologies de captage et de stockage du carbone que l’UE doit déployer.

Lors de la présentation de son récent rapport historique sur la compétitivité européenne, l’ancien premier ministre italien Mario Draghi a succinctement résumé le problème : « Il y a trop d’obstacles à la commercialisation des innovations et à leur mise à l’échelle dans l’Union européenne« . En particulier, l’UE doit développer de nouvelles méthodes de production et de nouvelles méthodes de financement de la construction d’usines « premières dans leur genre », qui nécessitent de longs délais de mise en œuvre, l’accès à de grandes quantités de capitaux et une main-d’œuvre hautement qualifiée.

Les États-Unis et la Chine, reconnaissant que les industries vertes peuvent générer des emplois et de la prospérité, ont canalisé des milliards de dollars dans ces secteurs. La loi sur la réduction de l’inflation du président américain Joe Biden, qui offre des crédits d’impôt pour la production nationale de technologies propres, devrait débloquer plus de 3 000 milliards de dollars d‘investissements privés au cours de la prochaine décennie, selon une analyse de Goldman Sachs. La Chine, pour sa part, a largement subventionné son industrie solaire, entre autres.

L’UE n’a pas la puissance de feu fiscale de la Chine et des États-Unis. Ainsi, au lieu de construire ces industries par le biais de subventions généreuses et d’incitations fiscales, les décideurs politiques européens doivent utiliser les fonds publics de manière à attirer les capitaux privés. C’est là que les garanties publiques entrent en jeu.

Les clients attendent souvent des entreprises qui vendent des technologies non éprouvées à l’échelle commerciale qu’elles offrent des garanties étendues au cas où le produit ne fonctionnerait pas comme annoncé. Ces garanties sont appuyées par des garanties bancaires, pour lesquelles les entreprises sont tenues de détenir un nantissement complet. Or, les entreprises de technologies propres ont besoin de niveaux d’investissement relativement élevés pour développer et étendre leurs activités, et le fait de détenir de grandes quantités de liquidités en guise de garantie bloque des capitaux qui pourraient être mieux utilisés pour construire des installations supplémentaires, embaucher et former des travailleurs et honorer les commandes des clients.

Pour alléger ce fardeau, le secteur public pourrait fournir des contre-garanties, en promettant de rembourser une partie de tout paiement effectué par une banque à un client. Les experts du secteur ont préconisé cet instrument comme moyen de décarboniser les industries à forte consommation d’énergie et de réduire les risques d’investissement dans les technologies propres. Il figure également en bonne place dans le rapport qui invite l’UE à accroître sensiblement « l’utilisation des garanties […] pour soutenir les secteurs stratégiques de l’économie« .

Les garanties publiques se sont déjà avérées efficaces pour développer l’innovation dans le domaine des technologies propres en Europe. En 2022, Bpifrance, la banque publique d’investissement française, a garanti un financement de 51 millions d’euros à Verkor, un fabricant français de batteries. Cette garantie a permis à Verkor d’obtenir des investissements privés et un engagement de Renault à s’approvisionner en batteries pour véhicules électriques auprès de l’entreprise, ce qui lui a permis de lancer la construction de sa première gigafactory, à Dunkerque.

Ces garanties sont très efficaces, chaque euro d’argent public débloquant jusqu’à des milliers d’euros de fonds de roulement pour les innovateurs. Par exemple, un mécanisme de garantie de 5 milliards d’euros créé par la Banque européenne d’investissement pour les entreprises du secteur éolien soutiendra jusqu’à 80 milliards d’euros de nouveaux investissements dans cette importante source d’énergie renouvelable.

En outre, l’argent du contribuable n’est dépensé que si une demande d’indemnisation est présentée, ce qui, d’après les données disponibles, est rare. La Chambre de commerce internationale estime que le taux de perte moyen pour les garanties se situe entre 0,2 % et 1,7 %. Si le risque est plus élevé pour les technologies innovantes, il vaut la peine d’être pris pour soutenir des solutions climatiques susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de créer des emplois verts et de futures recettes fiscales.

Une évolution positive est que la BEI a proposé un instrument de contre-garantie de 500 millions d’euros pour les entreprises de technologies propres, en attendant l’approbation de son conseil d’administration au début de l’année 2025. Si la BEI concrétise cette promesse, certaines des entreprises européennes les plus prometteuses dans le domaine des technologies propres atteindront probablement la viabilité financière, ce qui favorisera la compétitivité économique de l’Union et constituera une aubaine pour la planète.

 

Doris Hafenbradl est directeur de la technologie et directeur général d’Electrochaea, une startup qui propose une solution de stockage de l’énergie sous forme de méthane.

 

 Project Syndicate, 2024.
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L’exploitation minière responsable peut contribuer aux objectifs environnementaux mondiaux

 Alimentée par la transition vers les énergies propres et par la flambée des prix de l’or, la demande de minéraux et de métaux essentiels augmente à un rythme sans précédent. Cette tendance entraîne une intensification des activités minières, ce qui constitue une sérieuse menace pour la biodiversité et les populations vulnérables, en particulier pour les communautés autochtones. Afin d’en atténuer l’impact et d’éviter le pire, une action mondiale coordonnée est plus urgente que jamais.

 

L’exploitation des minéraux et des métaux est évidemment indispensable à la transition énergétique ainsi qu’à la croissance économique mondiale. Pour autant, elle met également en péril les écosystèmes essentiels à la vie, entraînant destruction et fragmentation des habitats, déforestation, pollution de l’eau et des sols, empoisonnement des espèces sauvages, insécurité alimentaire, et disparition des bassins versants. Les communautés autochtones et locales sont souvent les premières victimes de cette crise, qui menace leurs moyens de subsistance ainsi que leur droit à un environnement propre et sain.

Dans le même temps, selon plusieurs études récentes, la demande de minéraux critiques, principalement alimentée par l’accélération de la transition écologique, devrait doubler d’ici 2030, et quadrupler d’ici 2040. Il faut par ailleurs s’attendre à ce que la baisse des taux d’intérêt, l’incertitude géopolitique, la diversification des portefeuilles et les investissements spéculatifs poussent les prix de l’or encore davantage à la hausse.

Dans ce contexte, la Colombie a récemment appelé à la conclusion d’un accord international contraignant visant à garantir la traçabilité, la transparence et la responsabilité sur l’ensemble de la chaîne de valeur des minéraux – de l’exploitation minière jusqu’au recyclage – d’ici à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP30) qui se tiendra l’an prochain au Brésil.

Dévoilée lors de la 16e Conférence des parties (COP16) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui a eu lieu en Colombie, cette proposition suit les recommandations du groupe d’experts auprès du secrétaire général des Nations Unies sur les minéraux essentiels à la transition énergétique. Elle vise à renforcer le devoir de diligence, à promouvoir la responsabilité des entreprises, ainsi qu’à établir un marché mondial pour les intrants indispensables aux énergies propres. Elle repose sur l’engagement consistant à promouvoir l’extraction responsable des minéraux et des métaux, sans renoncer aux objectifs en matière d’environnement et de biodiversité. À cette fin, la proposition de la Colombie était accompagnée d’une déclaration volontaire conjointe sur les pratiques minières responsables, qui énonçait une série de mesures concrètes, notamment la création d’un groupe de travail intergouvernemental et multipartite ad hoc.

Il n’est pas surprenant que la Colombie, l’un des pays les plus riches en biodiversité au monde, s’inscrive en première ligne des efforts visant à promouvoir des pratiques minières responsables. L’extraction illégale d’or et de minerais en Amazonie colombienne ainsi que le long de la côte pacifique – souvent contrôlée par des groupes criminels armés – contamine au mercure les sources d’eau, et met en péril les communautés locales et autochtones. L’exploration des terres rares dans la région de l’Amazone et de l’Orénoque vient aggraver ces chocs environnementaux et sociaux, les travailleurs les plus vulnérables de l’industrie étant contraints d’endurer des conditions précaires, proches de l’esclavage.

L’histoire de la Colombie en matière de conflits armés et de déplacements intérieurs, ainsi que la menace soulevée par les groupes criminels qui ciblent les communautés autochtones, d’origine africaine et locales, soulignent la nécessité d’une approche de l’extraction minière qui soit fondée sur les droits de l’homme. Dans cette perspective, la déclaration conjointe préconise une transition écologique juste, qui garantisse des conditions de vie dignes pour tous.

L’expérience de l’Afrique offre de précieuses indications sur la manière de parvenir à une extraction responsable des ressources. Au cours de la dernière décennie, de nombreux pays africains ont adopté des exigences de diligence raisonnable ainsi que des normes de traçabilité concernant le tantale, l’étain, le tungstène et l’or, en s’appuyant sur des cadres tels que la Déclaration de Lusaka de 2010. Cet accord historique, adopté par les États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, a introduit plusieurs mécanismes de responsabilité, notamment un système de certification régional visant à renforcer la transparence ainsi qu’à réduire l’exploitation minière illégale.

De même, le Guide OCDE de 2016 sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque fournit aux entreprises qui s’approvisionnent en matières premières dans des régions instables un certain nombre d’outils pratiques leur permettant d’identifier et de signaler les violations des droits de l’homme ainsi que les atteintes à l’environnement. Plusieurs cadres adoptés par la suite, tels que le Guide OCDE de 2018 sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises et les Principes directeurs de 2023 à l’intention des sociétés multinationales sur la conduite responsable des entreprises, ont incité les entreprises à prendre en compte les effets plus larges de leurs activités, en abordant des questions telles que le droit du travail, la durabilité et la gouvernance éthique.

Malheureusement, l’application et le contrôle du respect de ces mesures demeurent largement confinés à des régions spécifiques. En facilitant l’échange transfrontalier de connaissances et d’expertise, les dirigeants politiques mondiaux pourraient élaborer de solides mécanismes de responsabilité, couvrant l’ensemble du cycle de vie des métaux et des minéraux, de l’extraction et du commerce jusqu’au recyclage et à l’élimination.

La coopération multilatérale est essentielle pour mener à bien cette transformation. L’initiative de la Colombie marquera, espérons-le, l’émergence d’un nouveau paradigme qui stimulera l’action climatique mondiale, et qui ouvrira la voie au développement durable.

 

Mauricio Cabrera Leal est ministre adjoint chargé des politiques et réglementations au sein du ministère de l’Environnement et du Développement durable de la Colombie.

 

Project Syndicate, 2024.
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Mine de Goulamina: Optimiser la création de richesses

Dans un contexte tourné vers les solutions d’énergie décarbonée et la forte demande en batteries performantes et durables, le lithium se retrouve au cœur de la stratégie de développement des énergies renouvelables. Avec la récente inauguration de sa première usine de lithium à Goulamina, le Mali ambitionne d’occuper le leadership dans la production de ce minerai en Afrique de l’Ouest. Pour profiter des atouts de ce secteur, le pays doit voir au-delà de l’extraction.

Selon les estimations du Fonds Monétaire International (FMI), l’Afrique subsaharienne possède environ 30% des réserves prouvées de minerais essentiels. Mais, pour tirer parti de ce potentiel, l’institution financière préconise des stratégies aux plans national et régional.

Le Zimbabwe, le Mali et la République Démocratique du Congo possèdent des gisements substantiels de lithium, « même s’ils sont encore inexplorés », estime le FMI. Les estimations de recettes tirées de l’extraction de quatre minerais-clés (Cuivre, nickel, cobalt et lithium) au cours des 25 prochaines années pourraient atteindre 16 000 milliards de dollars. L’Afrique subsaharienne pourrait récolter 10% de ces recettes, soit une augmentation possible de 12% de son PIB d’ici 2050.

Créer la valeur ajoutée

Au Mali, la mine de Goulamina, située au sud du pays, dans la région de Bougouni, qui est entrée en production ce 15 décembre, est la première mine de lithium d’Afrique de l’Ouest. C’est une mine de classe mondiale qui va propulser le pays à la deuxième place des producteurs africains et à la cinquième au plan mondial. Le pays pourrait même devenir le premier producteur africain si sa deuxième mine de lithium, située dans la même région, entrait en production en 2025.

Avec un premier chiffre d’affaires annuel de 680 milliards de francs CFA et 71 milliards de dividendes, dont 30% reviendront à l’État et 5% au secteur privé, le Mali pourra également compter sur environ 30 milliards pour le Fonds de développement local et l’application de la loi sur le contenu local, qui permet que tous les travaux de sous-traitance soient effectués par des entreprises maliennes.

Mais, pour davantage de retombées, l’État doit avoir une vision stratégique, notamment la capacité de négocier afin de mettre en place une usine de fabrication de batteries. Cela lui évitera d’exporter tout son minerai brut et empêchera la répétition du modèle de l’or, explique M. Djibril Diallo, expert minier. Ainsi, les batteries à lithium, qui coûtent actuellement très cher, pourraient avoir des coûts plus intéressants pour la population et faciliter l’accès à l’énergie solaire, contribuant ainsi à réduire le déficit énergétique. L’usine constituerait également une possibilité supplémentaire de création de richesses, mais sa mise en place nécessitera une implication au plus haut niveau.

Fatoumata Maguiraga

Chiffres :

– Capacité : 506 000 tonnes de spodumène par an

– Chiffre d’affaires : 680 milliards de francs CFA

– Emplois directs et indirects : 2000

CEDEAO – AES : Une période transitoire pour éviter le divorce ?

À l’issue de la 66ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, tenue à Abuja le 15 décembre 2024, l’organisation a décidé d’octroyer une période de transition supplémentaire de six mois avant d’acter définitivement le retrait des pays de l’AES.

Bien que le divorce semble inévitable entre les deux organisations, la CEDEAO laisse ses portes ouvertes à un retour en son sein du Burkina Faso, du Mali et du Niger, tout en examinant les modalités de leur départ.

Dans le communiqué final de ce 66ème sommet, la CEDEAO indique avoir pris note de la notification par la République du Mali, la République du Niger et le Burkina Faso de leur décision de se retirer de l’organisation. Elle reconnaît que, conformément aux dispositions de l’article 91 du Traité révisé de 1993, les trois pays cesseront officiellement d’être membres de la CEDEAO à partir du 29 janvier 2025.

Cependant, la note précise que « la Conférence décide de fixer la période du 29 janvier au 29 juillet 2025 comme période de transition au cours de laquelle les portes de la CEDEAO resteront ouvertes au retour des trois pays ».

Pendant cette période, la Commission de la CEDEAO devra gérer la situation des salariés contractuels de l’organisation originaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger, tout en préparant le déménagement des différentes agences communautaires dont les sièges sont situés dans ces trois États, membres fondateurs de la communauté ouest-africaine.

Une session extraordinaire du Conseil des ministres de la CEDEAO se tiendra également au cours du deuxième trimestre 2025 pour examiner et adopter à la fois les modalités de séparation et le plan de contingence couvrant les relations politiques et économiques entre la CEDEAO et les trois pays de la Confédération des États du Sahel.

Ultime médiation

Parallèlement à la finalisation du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, la CEDEAO continuera de dialoguer avec les dirigeants de ces trois pays pour tenter de les convaincre de revenir sur leur décision de quitter le bloc sous-régional.

Le sommet du 15 décembre a décidé de proroger le mandat des Présidents sénégalais et togolais, Bassirou Diomaye Dhiakar Faye et Faure Essozimna Gnassingbé, « pour poursuivre leur médiation jusqu’à la fin de la période de transition, en vue du retour des trois pays ».

Selon la Présidence sénégalaise, le Président Faye devrait effectuer une visite dans les prochaines semaines dans les trois pays pour « poursuivre le dialogue diplomatique en vue de leur réintégration ». Bassirou Diomaye Dhiakar Faye s’était déjà rendu au Mali et au Burkina Faso le 30 mai dernier.

Cependant, l’hypothèse d’un retour des trois pays membres de l’AES au sein de la CEDEAO semble peu probable. Réunis à Niamey le 13 décembre dernier pour débattre de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace AES, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont réaffirmé le caractère irréversible de leur décision de quitter la CEDEAO.

La période supplémentaire de dialogue entre les médiateurs de la CEDEAO et les dirigeants des pays de l’AES pourrait-elle aboutir à une réconciliation entre les deux blocs ? « Rien n’est exclu. Les lignes peuvent encore bouger, mais, au vu de la situation actuelle, il sera très difficile pour les médiateurs de la CEDEAO de convaincre les chefs d’État de l’AES de retourner au sein de l’organisation ouest-africaine. Je pense qu’il faudrait plutôt discuter des modalités de ce retrait et surtout de la cohabitation future entre la CEDEAO et l’AES », répond Ibrahim Sidibé, analyste politique.

Dr Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13, partage cet avis. Selon lui, il est très peu probable que le Mali, le Niger et le Burkina Faso, avec leurs autorités actuelles, décident de revenir au sein de la CEDEAO. « Encore plus si la CEDEAO s’inscrit dans une dynamique purement politique, elle n’obtiendra pas de fléchissement de la part des pays de l’AES », conclut-il.

Mohamed Kenouvi

Drogue au Mali : Le trafic et la consommation en hausse

Le phénomène du trafic de drogue et de substances psychoactives prend des proportions inquiétantes dans le pays. Le rapport des neuf premiers mois de 2024 de l’Office Central des Stupéfiants (OCS) décrit une réalité alarmante. Le pays est devenu un point névralgique pour les trafiquants internationaux, tandis qu’une majorité des acteurs impliqués sont des nationaux, en grande partie des jeunes âgés de 18 à 39 ans. Ce fléau pose de sérieux défis à la stabilité et au développement.

Depuis un certain temps, le Mali est confronté à une crise préoccupante liée au trafic de drogues et de substances psychoactives. La situation tend à échapper à tout contrôle, comme en témoigne le rapport des neuf premiers mois de 2024 de l’OCS. Le pays est en passe de devenir une plaque tournante du trafic de drogue. Le constat est qu’une majorité des acteurs de ce trafic sont des nationaux, principalement des jeunes. En effet, plus de 75% des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants se situent dans la tranche d’âge de 18 à 39 ans.

Au cours de cette période, les autorités maliennes ont interpellé 372 personnes, dont 355 de nationalité malienne, soit 95,43% des interpellés, et 17 étrangers, soit 4,57%. Parmi les interpellés, 41 étaient des femmes (11,02%) et 331 des hommes (88,98%). Les statistiques révèlent également que 231 personnes ont été déférées (62,10%), tandis que 141 sont toujours recherchées (37,90%). Ces chiffres soulignent l’ampleur du problème et la nécessité d’actions concertées pour faire face à cette crise.

Par ailleurs, les saisies de drogues dans le pays montrent une tendance inquiétante. En effet, les autorités ont saisi plus de 4,708 tonnes de produits pharmaceutiques contrefaits, ainsi que 26,32 kg de cocaïne. Le cannabis demeure la drogue la plus couramment saisie, suivi de produits comme le Skunk et le Kush.

De plus, les régions de Sikasso, Bougouni et Dioïla sont particulièrement préoccupantes, affichant des volumes de saisies élevés, ce qui indique une activité intense de trafic dans ces zones. Les chiffres révèlent également des saisies notables, avec 20 498 pieds de cannabis découverts.

Des champs utilisés comme couvertures

La découverte de champs de cannabis est particulièrement révélatrice de la stratégie des trafiquants et de leur capacité à s’adapter à n’importe quel environnement. Ainsi, des champs de 15 000 pieds à Bougouni, 5 000 pieds à Dioïla et 4 800 pieds à Sikasso ont été identifiés, illustrant l’ampleur de la culture illicite. Ces plantations témoignent d’un changement de tactique de la part des trafiquants, qui s’adaptent aux dispositifs de sécurité mis en place tout en continuant à alimenter le marché local.

Il convient de préciser également que la violence des trafiquants représente un autre défi majeur. Pour protéger leurs activités, ces derniers n’hésitent pas à s’armer. Des interpellations ont conduit à la saisie d’armes, dont des pistolets artisanaux, et de munitions. Cette militarisation du trafic crée des risques importants pour la sécurité publique et démontre la nécessité d’une réponse adaptée de la part des autorités.

Pourtant, le cadre législatif national en matière de drogues distingue le trafic et la consommation, avec des peines spécifiques pour chaque infraction. La Loi N°01-078/AN-RM du 18 juillet 2001 sur le contrôle des drogues et des précurseurs, modifiée par l’Ordonnance n°2013-012/P-RM du 2 septembre 2013, a notamment créé l’Office Central des Stupéfiants (OCS), chargé de coordonner les actions de lutte contre le trafic illicite de drogues. Les sanctions prévues pour le trafic, la détention et le transport de drogues sont sévères, allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement. En revanche, la consommation est qualifiée de délit, passible d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans.

Notons également que le Mali est signataire de plusieurs conventions internationales relatives aux stupéfiants, notamment la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes de 1988. Ces engagements ont influencé la législation nationale, notamment en ce qui concerne la classification des infractions liées aux drogues et les sanctions correspondantes.

L’OCS, en tant qu’organisme d’enquête principal, est composé d’agents de divers services, tels que la police, la gendarmerie, la douane, la justice et la santé, qui travaillent ensemble pour prévenir et réprimer le trafic de drogues.

La jeunesse, une cible privilégiée

Le rapport souligne aussi les conséquences désastreuses de la toxicomanie sur la jeunesse malienne. La dépendance accrue aux drogues entraîne une série de problèmes sociaux et économiques. Les jeunes, souvent en proie à des conditions de vie précaires, sont de plus en plus attirés par le trafic et la consommation de drogues. Cela a des répercussions directes sur leur santé, entraînant une augmentation des maladies chroniques et des troubles mentaux. De plus, cette situation favorise la criminalité, avec des jeunes impliqués dans des actes de vol et de violence pour financer leur consommation.

L’impact de cette crise va au-delà de la santé individuelle. Un avenir marqué par une jeunesse dépendante des drogues est synonyme d’une diminution de la productivité et un affaiblissement du capital humain. Une main-d’œuvre malade et dépendante compromet les secteurs économiques clés, limite l’innovation et freine le développement industriel. Cette situation engendre également une baisse de l’engagement scolaire, réduisant ainsi le niveau d’éducation et les compétences disponibles sur le marché du travail.

Les statistiques du rapport des 9 premiers mois de l’année dressé par l’OCS révèlent des tendances inquiétantes concernant la participation des femmes dans le trafic. Bien que représentant une minorité des interpellés, leur nombre est en augmentation. Cela pourrait signaler une évolution dans la dynamique du trafic, avec des femmes prenant un rôle plus actif dans les activités criminelles, ce qui mérite une attention particulière.

En parallèle, les rapports sur les saisies de drogues en 2023 montrent une augmentation alarmante des quantités saisies par rapport aux années précédentes. Rappelons qu’en 2022 les autorités ont saisi 36,89 tonnes de cannabis et plus de 823 706 comprimés de Tramadol. En 2023, les saisies de cocaïne ont également augmenté, atteignant 11,028 kg. Cette tendance souligne la nécessité d’une vigilance continue face à la montée des activités criminelles.

Dans le même temps, force est de reconnaître que l’axe Dakar – Bamako est devenu une route stratégique pour les trafiquants, facilitant le transit des drogues entre le Sénégal et le Mali. Plusieurs opérations récentes ont démontré cette dynamique, révélant l’implication de réseaux internationaux sophistiqués. En février 2024, un réseau de trafic de Tramadol opérant entre Dakar, Bamako et Niamey a été démantelé, mettant en évidence la complexité et l’envergure du problème, qui est en passe de se transformer en crime transfrontalier.

Les groupes armés non étatiques jouent également un rôle dans l’intensification du trafic. Ils tirent profit de la situation en taxant les trafiquants pour leur garantir un passage sécurisé à travers les zones qu’ils contrôlent. Ce qui contribue à l’instabilité croissante dans la région, rendant la lutte contre le trafic encore plus complexe.

La situation actuelle nécessite une réponse collective et concertée. Les efforts de l’OCS, bien que significatifs, doivent être renforcés pour faire face à l’évolution des méthodes des trafiquants et à la violence. L’engagement des autorités maliennes dans la lutte contre le trafic de drogues sera déterminant pour restaurer la sécurité et protéger la jeunesse du pays.

Le Mali fait donc désormais face à une crise qui touche profondément sa société et son économie. La participation notoire des jeunes dans le trafic, couplée à une violence accrue, pose des défis majeurs pour l’avenir. Dans ce contexte, l’heure doit être consacrée à l’union des efforts pour combattre ce fléau et offrir des perspectives d’avenir à la jeunesse malienne, afin de prévenir une détérioration supplémentaire de la situation. Selon de nombreux experts de la question, pour lutter efficacement contre ce fléau, protéger la jeunesse et assurer la stabilité de la Nation, il faut une approche intégrée alliant répression, sensibilisation et prévention.

Massiré Diop

CHAN 2024 : Les Aigles locaux visent la qualification

Exempté du premier tour des éliminatoires du CHAN 2024, le Mali a rendez-vous avec la Mauritanie pour le compte du 2ème et dernier tour. Cette double confrontation s’avère décisive, avec à la clé un billet qualificatif pour le prochain Championnat d’Afrique des Nations (CHAN), qui se tiendra du 1er au 28 février 2025 au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie.

Les Aigles locaux se rendront d’abord à Nouakchott pour le match aller, prévu le 22 décembre 2024, avant de recevoir les Mourabitounes locaux le 26 décembre au Stade du 26 mars de Bamako pour la manche retour.

Pour ce duel crucial, le sélectionneur national Baye Ba a convoqué 30 joueurs. Ces derniers sont entrés à l’internat à Kabala le 9 décembre pour une mise au vert de 10 jours. Cette dernière étape des préparatifs avait déjà débuté quelques semaines auparavant avec des matchs amicaux contre des clubs de première division. Les Aigles locaux s’envoleront pour la capitale mauritanienne le 19 décembre prochain.

Objectif qualification

Après 2011, 2014, 2016, 2020 et 2022, les Aigles locaux souhaitent décrocher une 6ème qualification au CHAN, tournoi réservé exclusivement aux joueurs locaux évoluant dans les championnats de leurs pays.

« Nous ne ménagerons aucun effort pour atteindre notre objectif, qui est de nous qualifier pour la phase finale du tournoi », confie le sélectionneur national Baye Ba, qui reconnaît toutefois la qualité de l’adversaire.

« Ce seront deux grands matchs, à Nouakchott comme à Bamako. L’équipe mauritanienne est solide, avec des joueurs qui, pour la plupart, évoluent en équipe nationale senior », glisse le technicien.

Retrouvailles

Ce sera la quatrième fois dans l’histoire que le Mali et la Mauritanie se rencontrent lors des qualifications du CHAN. La première remonte aux qualifications du CHAN en 2016. Lors du match aller disputé au Stade du 26 Mars, les Aigles locaux s’étaient imposés 2-1 avant d’aller décrocher quelques jours plus tard un match nul (1-1) en Mauritanie, assurant ainsi leur billet pour la phase finale.

En 2018, les Mourabitounes locaux avaient pris leur revanche en s’imposant 1-0 à Bamako après un match nul 2-2 à domicile.

Les deux équipes se sont à nouveau rencontrées lors des éliminatoires du CHAN en 2020. Après avoir tenu les Mourabitounes locaux en échec 0-0 lors du match aller à Nouakchott, les Aigles locaux avaient dominé le match retour à Bamako 2-0.

Mohamed kenouvi

Acclamer la première femme présidente de la Namibie

En tant que première femme présidente démocratiquement élue en Afrique, je connais mieux que quiconque l’importance de briser le plafond de verre. Pendant des décennies, les plus hautes fonctions politiques en Afrique ont été l’apanage des hommes. Mais aujourd’hui, Netumbo Nandi-Ndaitwah a récidivé en devenant la première femme à diriger la Namibie après avoir remporté l’élection présidentielle de novembre.

L’élection de Mme Nandi-Ndaitwah représente un changement important sur le continent : il est de plus en plus admis que les femmes sont tout aussi capables que les hommes de diriger un gouvernement. Sa victoire est plus qu’une étape importante pour la Namibie ; elle a redonné à l’Afrique un sentiment de fierté et de possibilités.

Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2006, j’étais en terrain inconnu. L’idée d’une femme chef d’État africain semblait révolutionnaire, presque inconcevable pour beaucoup. Au cours des années qui ont suivi, les femmes ont accédé à de nombreux postes de premier plan sur le continent, modifiant les perceptions de ce à quoi le leadership peut et doit ressembler. Mais le succès de la candidature de Nandi-Ndaitwah à la présidence réaffirme que les obstacles auxquels sont confrontées les femmes dirigeantes sur le continent ne sont pas insurmontables.

L’accession d’une femme à la plus haute fonction d’un pays transforme les aspirations d’innombrables filles et jeunes femmes. Pendant des années, on a dit aux femmes africaines – parfois subtilement, parfois brutalement – que la politique était un domaine réservé aux hommes. Mais voir des femmes comme Nandi-Ndaitwah accéder au pouvoir remet en cause ces stéréotypes bien ancrés.

Son succès souligne également la valeur inhérente à la présence de femmes dans des rôles décisionnels. D’après mon expérience, les femmes dirigeantes ont tendance à mettre l’accent sur la collaboration, l’inclusion et la résilience – des qualités essentielles pour construire des sociétés plus fortes et plus équitables. En outre, une démocratie s’épanouit lorsque ses dirigeants reflètent la diversité de sa population. L’élection de femmes n’est pas un geste symbolique ; il s’agit de libérer le potentiel et de conduire des changements significatifs.

Alors que la Namibie se réjouit, l’importance de ce résultat se répercute sur l’ensemble du continent. Il indique que les citoyens africains sont prêts à accueillir les femmes en tant que leaders. Loin d’être un événement isolé, la victoire de Nandi-Ndaitwah s’inscrit dans un mouvement plus large d’autonomisation des femmes africaines et de leur accession à des postes d’influence dans la politique, les affaires et la société civile. Son parcours montre que des progrès sont possibles lorsque les institutions et les communautés s’engagent en faveur de l’inclusion.

Malgré cela, nous ne devons pas ignorer les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes qui aspirent à des rôles de direction. La discrimination systémique, les préjugés sociétaux et l’inégalité d’accès aux ressources restent des obstacles considérables. L’entrée en politique est toujours considérée comme un privilège plutôt que comme un droit. Pour changer cette perception, les gouvernements africains devraient adopter des politiques qui favorisent une représentation égale, y compris des réformes électorales et des initiatives visant à lutter contre les préjugés sexistes. Les sociétés doivent éradiquer les normes néfastes qui découragent les femmes de briguer un mandat électif, tandis que les hommes doivent reconnaître que l’égalité des sexes profite à tous.

La présidence de Nandi-Ndaitwah n’est pas seulement un accomplissement à célébrer, c’est un appel à l’action. Elle nous rappelle que le progrès exige de la persévérance. Le soutien aux femmes dirigeantes doit rester une priorité absolue, depuis l’activisme de base jusqu’aux politiques nationales. D’autres pays africains devraient suivre l’exemple de la Namibie, en créant des environnements politiques où les femmes peuvent s’épanouir et rivaliser sur un pied d’égalité. Les voies du leadership doivent être accessibles à tous ceux qui veulent servir.

Pour les femmes qui s’efforcent déjà de diriger, la victoire de Nandi-Ndaitwah est une source d’espoir renouvelé. La lutte pour la parité hommes-femmes porte ses fruits. Plus important encore, cette victoire inspirera la prochaine génération de jeunes filles. Le fait de voir une femme présidente en Afrique montre que leurs ambitions sont valables et réalisables. Elles aussi peuvent viser la plus haute fonction sans excuses ni hésitations.

L’Afrique vit un moment décisif. Il semble que le continent soit de plus en plus prêt à accueillir le plein potentiel de ses habitants. Laissons la première femme présidente de Namibie consolider notre détermination collective à lutter pour l’égalité des sexes, encourager les femmes à occuper des postes de direction et dynamiser les efforts visant à construire un paysage politique plus inclusif. Les progrès peuvent prendre du temps, mais un avenir où les femmes ont autant de chances que les hommes de remporter les élections est à notre portée.

La Namibie a ouvert un nouveau chapitre pour le leadership des femmes en Afrique. Le reste du continent doit continuer à tourner les pages.

 

Ellen Johnson Sirleaf, lauréate du prix Nobel de la paix et ancienne présidente du Liberia, est la fondatrice du Centre présidentiel EJS pour les femmes et le développement et la coprésidente du groupe indépendant sur la préparation et la réponse aux pandémies.

 

 Project Syndicate, 2024.
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Dégel politique : Vers un retour à l’ordre constitutionnel ?

Depuis la nomination du Général Abdoulaye Maïga comme Premier ministre, fin novembre 2024, la scène politique malienne évolue. Ce changement intervient dans un contexte de transition délicat, avec des élections prévues pour 2025 même si le calendrier reste flou.

En procédant à la création d’un ministère délégué aux Réformes électorales et à la reprise du dialogue avec les partis politiques, les autorités de la Transition ont suscité autant d’espoirs que de scepticisme.

Malgré ces signaux, qui paraissent positifs, l’heure ne semble pas encore à l’optimisme. C’est ainsi que Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema, exprime des réserves : « le premier pas devait être la présentation d’un chronogramme électoral, mais aucune déclaration n’a été faite à ce jour ». Bien qu’il existe des prévisions dans la Loi des finances, l’expérience passée de reports d’élections, comme en 2021, renforce son scepticisme. Un véritable engagement des autorités est donc nécessaire pour avancer.

Concernant les récentes rencontres avec les partis politiques et la société civile, Hamidou Doumbia estime que : « nous saluons cette initiative, mais nous restons prudents ». À ses yeux, l’inclusion ne se limitera pas à rassembler plusieurs partis pour dresser un état des lieux. Il souligne la nécessité d’impliquer les acteurs dans l’élaboration de textes importants, tels que la Loi électorale. Il déplore fortement le manque de transparence autour des projets de lois, qui sont le plus souvent inconnus des principaux concernés.

Libération des détenus politiques : Un premier pas

La récente libération de onze responsables politiques, le 5 décembre 2024, est perçue comme un tournant. Me Mountaga Tall du CNID qualifie cette décision de « bonne nouvelle pour le Mali ». Il souligne que ce geste répond à un besoin d’apaisement, affirmant que cela « pourrait permettre au nouveau Premier ministre d’avoir des relations plus apaisées avec la classe politique ». Me Tall appelle également à élargir cette dynamique à d’autres détenus d’opinion. Sur le même sujet, Hamidou Doumbia n’a pas manqué de citer les cas de Rose Doumbia, Clément Dembélé, Ras Bath, Étienne Fakaba Sissoko, etc., appelant à leur libération pour garantir une sérénité pour la suite de la Transition.

Partageant le même avis, Amadou Koïta, Président du Parti Socialiste Yeleen Kura, affirme aussi « qu’il est temps, pour le bien du Mali, d’organiser le retour à l’ordre constitutionnel ». Ce consensus politique souligne que la libération des détenus n’est qu’une première étape. Pour restaurer pleinement la confiance, des actions supplémentaires seront nécessaires.

Des défis à relever

Pourtant, les récentes initiatives montrent une volonté de mettre fin à la Transition et de préparer des élections inclusives, mais plusieurs défis demeurent. La transparence du processus et l’implication réelle de la classe politique et de la société civile seront déterminantes. Pour Hamidou Doumbia, « la restauration de la confiance dépendra de la capacité des autorités à tenir leurs engagements, mais aussi de leur transparence et de leur neutralité dans la conduite du processus de transition ».

La question de l’inclusion des acteurs politiques et de la société civile reste posée. Sans un véritable engagement et une volonté d’inclure toutes les parties prenantes, les réformes pourraient être perçues comme une simple formalité. Le retour à l’ordre constitutionnel au Mali est un processus complexe, marqué par des avancées encore insuffisantes pour rassurer l’ensemble des acteurs. La nomination du Général Maïga et les mesures récemment prises témoignent d’une volonté de changement, mais celles-ci doivent être accompagnées d’engagements fermes et d’actions concrètes. La prudence affichée par la classe politique est à la hauteur des attentes et des enjeux. Pour de nombreux acteurs, seule une démarche inclusive et respectueuse des principes démocratiques pourra garantir une transition réussie.

Massiré Diop

Ibrahim Maïga, Conseiller principal pour le Sahel à l’ICG : « Le souverainisme répond à un double mécontentement populaire »

Alors que la CEDEAO se prépare à un sommet décisif le 15 décembre 2024 pour discuter du retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger, Ibrahim Maïga, Conseiller principal pour le Sahel à l’International Crisis Group (ICG), analyse les dynamiques du souverainisme malien, son impact sur la jeunesse et les défis régionaux. 

Quels éléments expliquent le choix souverainiste des autorités maliennes après le double coup d’État ?

Deux raisons-clés motivent ce tournant souverainiste. D’abord, les autorités maliennes ont adopté cette posture comme un moyen de renforcer leur légitimité et de résister aux pressions extérieures, notamment après un second coup d’État en moins de neuf mois. Ensuite, ce souverainisme répond à un double mécontentement populaire. D’une part, face à des élites politiques nationales jugées corrompues et inefficaces. D’autre part, en réaction aux forces internationales, qui, depuis 2013, n’ont pas réussi à endiguer la dégradation sécuritaire marquée par l’expansion des groupes jihadistes.

 

Comment le discours souverainiste est-il perçu par la jeunesse malienne ?

Le souverainisme bénéficie d’une large adhésion parmi les jeunes Maliens, notamment grâce à l’essor d’Internet et des réseaux sociaux. Depuis la fin des années 2010, ces canaux ont permis de diffuser ces idées et de renforcer leur popularité. Cependant, la situation économique actuelle, marquée par une crise énergétique sans précédent et un chômage élevé, fragilise cette adhésion. Les frustrations liées au manque d’opportunités économiques remettent en question l’efficacité des politiques des autorités souverainistes, surtout auprès de cette frange de la population.

Quelles sont les attentes pour le sommet de la CEDEAO, prévu le 15 décembre prochain, concernant le retrait du Mali et des autres pays de l’AES ?

Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO constitue un défi majeur pour l’intégration régionale. Cette décision aura des répercussions sécuritaires, politiques et économiques, bien qu’il soit difficile de les évaluer à ce stade. Une possibilité pour le sommet serait d’envisager une prorogation du délai de retrait, initialement fixé au 29 janvier 2025. Cette prolongation offrirait une opportunité de négocier une séparation en douceur afin d’atténuer ses impacts sur les populations ou même solution ambitieuse : ramener les Etats de l’AES à faire marche arrière.

 

La montée du souverainisme s’accompagne-t-elle de dérives ?

Oui, on observe un rétrécissement de l’espace civique sous prétexte de défendre l’intérêt national. Certains perçoivent ce durcissement comme une tentative des autorités de renforcer leur contrôle et de conserver le pouvoir. Cependant, il est important de noter que la popularité actuelle du régime ne signifie pas un rejet des principes démocratiques par les Maliens. Elle traduit plutôt une désillusion envers les régimes précédents, accusés d’avoir échoué à répondre aux aspirations populaires.

 

L’ICG insiste sur l’importance d’un dialogue politique inclusif au Mali. Pourquoi est-ce crucial ?

Les autorités maliennes devraient adopter un souverainisme plus ouvert et plus inclusif. Le pays traverse une crise multiforme qui ne peut être résolue sans un consensus national impliquant tous les segments de la société. En l’absence de ce dialogue, les divisions internes risquent de s’aggraver, rendant encore plus complexe la résolution des problèmes sécuritaires et économiques. De manière concrète, les autorités de transition doivent saisir l’opportunité de l’élaboration d’une charte pour la paix, l’une des recommandations issues du dialogue intermalien de mai 2024, pour apaiser le climat politique et relancer des pourparlers avec les forces belligérantes.

 

Un dernier mot sur les défis régionaux et le rôle de la CEDEAO ?

La CEDEAO est à un moment charnière de son histoire. Elle doit trouver un équilibre entre fermeté et diplomatie pour gérer la crise actuelle. Le sommet du 15 décembre sera crucial pour redéfinir ses relations avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Si l’organisation parvient à préserver son unité tout en répondant aux aspirations souverainistes de ces États, elle pourra non seulement renforcer son rôle régional, mais aussi démontrer sa capacité à concilier stabilité, sécurité et respect des souverainetés nationales.

La COP29 a-t-elle laissé tomber les femmes ?

La dernière conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP29) s’est concentrée sur le financement, mais elle a échoué à plus d’un titre. Les négociations controversées – les représentants de plusieurs pays en développement ont quitté les lieux en signe de protestation – ont défié les pronostics pour aboutir à un engagement – le « Pacte de Bakou pour l’unité climatique » – de la part des économies développées de fournir 300 milliards de dollars de financement climatique par an à leurs homologues plus pauvres d’ici à 2035. C’est le triple de l’objectif convenu en 2009 (et atteint, pour la première fois, en 2022), mais c’est loin d’être le financement annuel estimé à 1,3 trillion de dollars dont les économies en développement auront besoin au cours de cette période. Bien que l’accord représente un progrès, nous devons reconnaître qu’il ne s’agit que d’un point de départ.

 

Cependant, l’insuffisance du financement n’est qu’une partie du problème. En réalité, alors que les dirigeants mondiaux s’affrontaient à Bakou dans un contexte de tensions internationales sans précédent, la véritable bataille qui se livrait concernait l’avenir du financement de la lutte contre le changement climatique et le rôle des femmes dans ce domaine. Les femmes et les enfants courent 14 fois plus de risques de mourir dans des catastrophes liées au climat que les hommes, et les femmes représentent 80 %des personnes déplacées par des conditions météorologiques extrêmes. Ces disparités ne sont pas fortuites, elles sont enracinées dans des inégalités systémiques. Pourtant, le nouvel objectif collectif quantifié sur le financement du climat ne fait qu’une seule référence aux femmes et aux filles : au paragraphe 26, il « exhorte les parties et les autres acteurs concernés à promouvoir l’inclusion et l’extension des avantages pour les communautés et les groupes vulnérables dans les efforts de financement du climat, y compris les femmes et les filles ».

La plus grande vulnérabilité des femmes et des filles au changement climatique reflète l’inégalité systémique de l’accès à l’éducation, aux opportunités économiques et au pouvoir de décision. Ces différences sont également visibles dans les forums sur le climat. Alors que la COP de cette année a été annoncée comme la plus équilibrée en termes d’inscriptions, les femmes ne représentaient que 35 % des délégués (contre 34 % lors de la COP28). Sur les 78 dirigeants mondiaux présents, huit seulement étaient des femmes, et quatre seulement ont abordé des questions liées au genre dans leurs déclarations.

Il a été démontré que les initiatives en matière de climat qui incluent explicitement les femmes produisent de meilleurs résultats pour des communautés entières. En outre, les femmes sont déjà à la tête de certaines des initiatives climatiques les plus innovantes et les plus efficaces au niveau mondial, dans des domaines allant de l’agriculture durable au déploiement des énergies renouvelables.

La conclusion devrait être évidente : le potentiel du financement climatique sensible au genre pour débloquer des voies plus efficaces pour la décarbonisation, l’adaptation et la résilience en fait une nécessité stratégique. Pourtant, pour 100 dollars de financement climatique déployés dans le monde, seuls 20 cents sont consacrés au soutien des femmes, et seulement 0,01 % du financement climatique concerne à la fois l’action climatique et les droits des femmes.

Malgré tout, la COP29 n’a pas été une perte totale pour les femmes et les filles. Le programme de travail de Lima sur le genre a été prolongé pour une autre décennie, mais sans financement supplémentaire pour le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) afin de soutenir la mise en œuvre. En outre, les 27 dispositions sexospécifiques du texte final de la présidence sur le genre et le changement climatique soulignent le rôle vital de la participation pleine, significative et égale des femmes à l’action climatique et l’importance cruciale de l’intégration des considérations sexospécifiques dans tous les domaines de l’élaboration des politiques. Le « plan d’action pour l’égalité des sexes » que les pays ont convenu d’élaborer pour adoption lors de la COP30 constitue un cadre de progrès.

Malgré ces engagements, la COP29 n’a pas abordé les questions intersectorielles essentielles telles que les liens entre l’égalité des sexes, la consolidation de la paix et l’action climatique. De même, les appels à combler les écarts de compétences entre les hommes et les femmes – tels que la formation aux STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) pour accéder aux emplois verts – et l’économie des soins dans le cadre de l’action climatique n’ont pas été intégrés dans le document final. Bien que le texte encourage un financement climatique sensible au genre et simplifie l’accès pour les organisations féminines locales et les communautés autochtones, il manque l’impulsion structurelle nécessaire pour assurer une mise en œuvre à grande échelle.

Pour transformer les promesses de la COP29 en réalité, nous avons besoin de lignes directrices internationales claires pour l’intégration du genre, soutenues par des budgets alloués, des objectifs mesurables et des approches participatives pour garantir un financement climatique efficace, transparent et responsable. Il convient d’accorder une grande priorité au financement des initiatives locales, en particulier dans les quartiers informels, où les femmes sont souvent à la tête des efforts de résilience climatique. Il est essentiel de mettre en place des systèmes de suivi solides, qui permettent de contrôler non seulement les montants promis, mais aussi leur destination et leurs bénéficiaires.

Bien entendu, l’action internationale ne peut à elle seule combler le fossé entre les hommes et les femmes en matière d’action climatique ; les cadres politiques nationaux sont également essentiels. Là encore, les femmes continuent d’être mises à l’écart. Selon la dernière analyse de la CCNUCC, 82 % des pays mentionnent le genre dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), mais moins de 26 % intègrent des considérations de genre significatives dans leurs stratégies et investissements à long terme. Alors que les pays préparent la mise à jour de leur CDN – qui sera soumise en février et évaluée lors de la COP30 en novembre – ils doivent veiller à intégrer des programmes et des politiques spécifiques au genre.

Nous ne savons pas si l’environnement international sera moins tendu lorsque les pays se réuniront au Brésil pour la COP30. Mais nous savons que l’absence d’une action climatique significative aurait un coût astronomique, car la prolifération des catastrophes climatiques mortelles entraîne des pertes en vies humaines et des pertes de production se chiffrant en milliards de dollars. Nous savons également que pour réussir, la lutte contre le changement climatique doit être aussi inclusive que transformatrice. C’est pourquoi la COP30 nous offre une occasion unique de réfléchir à nos priorités et d’aligner l’égalité des sexes sur l’accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable.

La crise climatique n’est pas neutre du point de vue du genre, et nos solutions ne peuvent pas l’être non plus. Si nous ne mettons pas systématiquement l’accent sur un financement climatique sensible au genre, nous risquons de perpétuer les cycles de vulnérabilité. Trente ans après que la déclaration et le programme d’action de Pékin ont inscrit l’égalité des sexes à l’ordre du jour mondial, nous devons faire un nouveau pas en avant pour les droits des femmes, cette fois en tant qu’élément essentiel de la lutte contre le changement climatique.

 

María Fernanda Espinosa, ancienne présidente de l’Assemblée générale des Nations unies, est directrice exécutive de GWL Voices et coprésidente du projet Debt Relief for a Green and Inclusive Recovery. Elle a été membre du Comité consultatif international de la COP29.

 

Project Syndicate, 2024.
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La bataille de l’impeachment en Corée du Sud, c’est la démocratie en action

La dernière manœuvre politique de Yoon Suk-yeol ne s’est sans doute pas déroulée comme il l’avait prévu. Après avoir brusquement décrété la loi martiale le 3 décembre, le président sud-coréen, en proie aux scandales, a été contraint de lever le décret quelques heures plus tard face aux protestations de la population et à l’opposition du pouvoir législatif. Il doit maintenant faire face à une motion de destitution déposée par le parti démocratique, qui a condamné son « comportement insurrectionnel ».

 

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il manque huit voix à l’opposition pour évincer Yoon. Mais compte tenu de la conception astucieuse de la constitution sud-coréenne de 1987 et de l’expérience récente du pays en matière de destitution, l’opposition a un avantage, et elle s’appuie sur une base juridique solide. La destitution de Yoon servirait d’exemple mondial – en contraste frappant avec les États-Unis – de la manière dont les démocraties peuvent et doivent traiter ceux qui abusent des privilèges du pouvoir en place.

Un président sud-coréen peut être mis en accusation pour avoir violé « la Constitution ou d’autres lois dans l’exercice de ses fonctions officielles ». Un projet de loi de destitution peut être proposé par une majorité simple à l’Assemblée nationale, mais il doit ensuite être approuvé par une supermajorité des deux tiers. Comme aux États-Unis, la constitution limite l’effet de la destitution à la révocation et laisse expressément ouverte la possibilité de poursuites pénales. Toutefois, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, un président coréen qui fait l’objet d’une procédure de destitution transmet immédiatement ses fonctions au premier ministre. Autre différence par rapport au modèle américain, la motion de destitution est ensuite soumise à la Cour constitutionnelle pour approbation finale.

Ce modèle a permis deux destitutions réussies au cours des deux dernières décennies. En 2004, le président Roh Moo-hyun a été mis en accusation, mais la Cour a estimé que les charges retenues contre lui n’étaient pas suffisantes pour justifier sa destitution. Roh est allé jusqu’au bout de son mandat, mais s’est ensuite suicidé alors qu’il était accusé de corruption. Puis, en décembre 2016, la présidente Park Geun-hye a été destituée et, cette fois, la Cour constitutionnelle a confirmé la décision. En 2018, Park a été reconnue coupable de corruption criminelle et d’abus de pouvoir et condamnée à une peine de prison (elle a été libérée en 2021).

L’expérience de la Corée du Sud en matière de destitution est rare. Une étude récente que j’ai corédigée montre qu’il n’y a eu que dix destitutions réussies dans le monde entre 1990 et 2017. Pourtant, la Corée du Sud a créé des précédents précieux que d’autres pourront suivre. Alors que certains pourraient affirmer qu’il est antidémocratique de destituer un dirigeant démocratiquement élu, l’expérience sud-coréenne montre que la destitution peut être un instrument efficace pour défendre la démocratie.

Les législateurs sud-coréens savent aujourd’hui qu’ils n’innoveront pas s’ils mettent en accusation Yoon. Contrairement à l’impeachment aux États-Unis, le processus coréen reste un élément crédible et sérieux de la politique démocratique du pays. Les législateurs peuvent être rassurés par le fait que les décisions antérieures de destitution d’un président n’ont pas été considérées comme purement partisanes. Puisque le vote dans l’affaire Park était bipartisan, les membres du People Power Party de Yoon ne peuvent pas se réfugier dans le simple fait de voter selon les lignes du parti. La jurisprudence exige qu’ils prennent au sérieux leur responsabilité constitutionnelle, comme d’autres l’ont fait avant eux.

La certification de leur décision par la Cour constitutionnelle – en fait, la vérification de la légalité de leur travail – remplit également une fonction importante, protégeant les législateurs des accusations d’irrégularité partisane. En 2004, la Cour a clairement indiqué que si l’Assemblée nationale avait un rôle politique, d’établissement des faits, à jouer, les juges décideraient en dernier ressort si les faits présentés atteignaient le seuil constitutionnel de révocation. Les législateurs ne peuvent pas non plus être accusés d’agir de manière antidémocratique. Après tout, une nouvelle élection découle nécessairement d’un vote de destitution réussi. Loin de prendre le pas sur le peuple, ils empêchent que la confiance du peuple ne soit abusée.

Le contrôle final de la Cour constitutionnelle et le déclenchement rapide de nouvelles élections sont tous deux absents du système américain, qui en pâtit manifestement. Grâce aux choix judicieux des rédacteurs de la constitution sud-coréenne, l’impeachment fonctionne comme un « hard reset » du système démocratique. Lorsque des titulaires malveillants montrent leur vrai visage, ils peuvent être mis à la porte avant que la confiance du public dans le système ne soit perdue. L’arrêt rendu par la Cour en 2004 dans l’affaire Roh va dans ce sens. Les juges ont estimé que la mise en accusation ne devait intervenir qu’en cas de violation grave de la loi et que la destitution d’un président était « nécessaire pour réhabiliter l’ordre constitutionnel endommagé ».

Compte tenu de ce critère, il y a de bonnes raisons de conclure que les actions de Yoon – plus encore que celles de Park – correspondent à ce critère. En vertu de la constitution de 1987, le président peut déclarer la loi martiale uniquement « pour faire face à une nécessité militaire ou pour maintenir la sécurité et l’ordre publics par la mobilisation des forces militaires en cas de guerre, de conflit armé ou d’urgence nationale similaire ». La décision de Yoon ne s’est pas contentée de ne pas respecter cette norme, elle l’a tournée en dérision.

Dans son discours déclarant la loi martiale, Yoon n’a même pas pris la peine de citer une quelconque « nécessité militaire » ou une menace crédible pour « l’ordre public ». Au lieu de cela, il a présenté une salade de mots intempestive composée de plaintes concernant les décisions fiscales des législateurs (qui auraient transformé le pays en un « paradis de la drogue »), d’enquêtes sur ses scandales et d’affirmations non fondées concernant « les menaces des forces communistes nord-coréennes et … des forces antiétatiques pro-nord-coréennes sans vergogne ». Loin de satisfaire aux normes constitutionnelles permettant d’imposer la loi martiale, le comportement erratique de Yoon et son mépris flagrant des faits ont révélé un mépris inconsidéré pour le système démocratique sud-coréen.

À l’heure où les dirigeants d’autres démocraties en déclin semblent jouir de l’impunité, la dernière saga de destitution en Corée du Sud nous rappelle que la démocratie, une fois établie, peut facilement être perdue à cause de l’inattention ou de la vénalité. L’autorité d’un président ne doit pas être confondue avec l’exercice pur et simple du pouvoir par quelqu’un qui a gagné une élection.

 

Aziz Huq, professeur de droit à l’université de Chicago, est l’auteur de The Collapse of Constitutional Remedies (Oxford University Press, 2021).

 

Project Syndicate, 2024.
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