Dialogue avec les chefs djihadistes : Amadou Kouffa incontournable ?

L’idée de dialogue avec les leaders djihadistes comme piste de solution à l’épineux problème du terrorisme au Mali reçoit de plus en plus l’assentiment de l’État malien. Après son Haut représentant pour les régions du centre, Dioncouda Traoré, qui a assuré leur avoir envoyé des émissaires, le Président de la République lui-même, après plusieurs refus, est désormais favorable à d’éventuels échanges avec eux. Mais Amadou Kouffa, l’un des interlocuteurs visés par l’État est, selon de nombreux observateurs, actuellement fragilisé par des dissidences au sein de la Katiba Macina et menacé par la montée de l’État islamique au grand Sahara (EIGS).

« J’ai le devoir et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, nous parvenions à un apaisement. Le nombre de morts dans le Sahel devient exponentiel. Je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées (…). Nous ne sommes pas des gens butés, bloqués ou obtus », déclarait Ibrahim Boubacar Keita le 10 février dernier à Addis Abeba, en marge du 33ème sommet de l’Union Africaine.

Pour la première fois, le Chef de l’État, longtemps opposé à toute négociation avec les chefs terroristes et djihadistes, se montrait ouvert à une telle initiative. Mais, si dialogue il doit y avoir, encore faut-il que ce soit avec les bons interlocuteurs. Si Iyad Ag Ghaly parait incontournable, vu sa grande emprise au sein des organisations djihadistes dans le pays, principalement au nord, Amadou Kouffa semble de son côté loin de pouvoir endosser le même costume dans le centre.

Kouffa pas si incontournable ?

« Amadou Kouffa peut être l’un des interlocuteurs. Mais l’idée serait de ne pas s’arrêter à l’individu, et beaucoup plus de s’intéresser à son histoire. On sait d’où il est venu, comment il a eu cette audience qui a prospéré au sein de certaines communautés. Le plus intéressant, au-delà de sa personne, est le combat qu’il a fait sien, sa trajectoire, le discours qui l’a promu et comment les communautés ont adhéré à ce discours », estime Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS Africa).

Pour lui, même si un dialogue est instauré avec Amadou Kouffa, sans que les griefs et les frustrations des communautés dont il est porteur ne soient traités et que tous les autres acteurs ne soient impliqués, il sera difficile de venir à bout de l’insécurité caractérisée par l’activisme des groupes terroristes djihadistes.

Le Professeur Bakary Sambe, Directeur du think thank Timbuktu Institute, assure que Kouffa a perdu de son influence. « Il n’a plus l’emprise sur la Katiba Macina, dont certains éléments ont commencé à rejoindre l’État islamique au grand Sahara, notamment à cause des différents l’opposant au groupe de Mamadou Mombo ».

Du point de vue de Mohamed Elkhalil, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, l’idée même d’entreprendre des échanges avec Amadou Kouffa et ses alliés au centre serait carrément suicidaire pour le Mali.

« Négocier avec Kouffa, c’est juste signer la mort du Mali. Cela va pousser l’État malien  dans une position de faiblesse, alors qu’avec la nouvelle opération Maliko qui vient d’être lancée et une bonne coopération en renseignements des populations au centre, il peut parvenir à neutraliser ce leader terroriste sans négociations », croit-il.

Le géopolitologue Abdoulaye Tamboura est pour sa part convaincu de la légitimité de Kouffa à être un interlocuteur important dans un quelconque dialogue avec les autorités maliennes.

« Amadou Kouffa ne parle pas au nom d’une région. Il parle au nom d’une Charia qu’il veut étendre sur toute l’étendue du territoire malien. Sa vision ne se limite pas au Macina ou au Gourma et il tire sa légitimité du soutien de son mentor, Iyad Ag Ghaly, sans lequel il ne peut rien entreprendre en terme de négociations. Pour moi, il est un interlocuteur incontournable aujourd’hui si dialogue il doit y avoir », soutient-il.

Nouvelle attaque sur le fleuve Niger

Les bateaux Tombouctou et Modibo Kéita de la Compagnie nationale de navigation (COMANAV) qui relient Koulikoro à Gao par le fleuve ont été attaqués ce jeudi 05 octobre. L’incident qui n’a pas fait de victimes s’est déroulé à la hauteur du village de Kouakourou.
« Nous avons essuyé des coups de feu environ 2 kilomètres en amont du village de Kouakouou. Nous avons riposté et les assaillants ont reculé avant de revenir à la charge 1 kilomtre après la sortie de la localité », explique un militaire malien, présent à bord du bateau, au sein de détachement en charge d’en assurer la sécurité.
Aucune victime n’est heureusement à déplorer à l’exception d’un blessé léger. Les assaillants avaient « certainement l’intention de dépouiller les passagers du bateau », pense savoir l’un des passagers. Le bateau est en effet  seul lien sûr désormais entre le centre et le nord du Mali et fort employé en cette période d’étiage par les commerçants. Une source sécuritaire quant à elle, pense que l’attaque avait pour but de libérer un prisonnier présent à bord de l’un des bateaux. « Ils ont essayer de libérer un des leurs qu’on avait avec nous », précise notre source.
Un important déploiement de sécurité était visible à l’escale de Mopti où le bateau est arrivé en début d’après midi, dans un tonnerre d’applaudissements. Du public massé sur la grève comme des passagers, pour saluer les militaires, « nos héros ». « Pas question de les laisser gagner, le bateau va repartir pour rallier sa destination finale. On est préparés. On va assurer la sécurité » poursuit notre militaire.

C’est la deuxième fois en l’espace de quelques jours que le bateau de la COMANAV est attaqué par des hommes armés. La première s’était déroulée dans la nuit du 29 au 30 septembre derniers.

Région de Mopti : La pieuvre Katiba Macina

« Le gouvernement travaille à stabiliser la situation sécuritaire dans la région centre du pays », affirmait le Président IBK, en évoquant la situation préoccupante au centre du Mali, à la tribune des Nations-Unies, le 19 septembre dernier. Pourtant, cette situation sécuritaire, qui n’a jamais vraiment été traitée, a empiré et permis à la Katiba Macina d’étendre sa mainmise sur la majeure partie des cercles de la région de Mopti.

Là-bas, des hommes armés à moto traquent et exécutent les agents de l’État ou les chefs de villages, kidnappent ceux qui ne veulent pas adhérer à leur mouvement, interdisent fêtes et baptêmes, soumettent la population à leur charia, imposent leur loi dans une grande partie des territoires enclavés de la région centre. « Si ce que vous entreprenez ne leur plaît pas, ils viennent vous stopper, vous bastonnent et personne ne réagit. Personne ne parle, par crainte d’être éliminé. Ça nous tient dans la peur. Ils sont les chefs ici, cela ne fait aucun doute ! », témoigne un habitant du cercle de Tenenkou.

Au fil des témoignages, on comprend vite que pour les habitants, la situation a empiré. Par manque de représailles, les djihadistes en toute impunité ont intensifié leurs actions. « Pour nous, l’État a démissionné laissant le champ libre aux djihadistes qui peuvent imposer leur loi », déplore ce commerçant de la ville de Tenenkou.

Les maîtres du centre En l’espace de quelques années, les hommes d’Amadou Kouffa, ont pu conquérir à peu près tous les territoires du Macina qu’ils revendiquent, sans réelle opposition ou résistance. « Quand ils se déplacent, ils sont généralement par 2, sur 3 ou 4 motos, et quand vous voyez 6 motos ou plus, ça veut dire qu’il va y avoir une attaque », décrit ce même commerçant. Pour lui, il ne fait aucun doute que la ville de Tenenkou, le coeur, la capitale du Macina, est visée par Kouffa et ses hommes. « On reçoit souvent des menaces, comme pour la Tabaski, mais les FAMA sont présents donc ils ne font rien. La vie continue, mais la psychose est là », assure-t-il. « Ils sont quasiment partout, c’est vrai », confirme cet enseignant de la ville, « ils ont quadrillé tous les cercles. Nous avons pensé qu’avec la crue des eaux ils ne pourraient pas se mouvoir. Mais nous avons constaté depuis quelques mois qu’ils ont même des pirogues et des pinasses à moteur. Ils interviennent et stoppent les gens même sur le fleuve  », poursuit-il.  « Dans les petits villages et les hameaux, ils viennent pendant la foire. Ils ne veulent pas voir de femmes mêlées aux hommes, dans les voitures ou les pirogues et les cravachent si elles ne sont pas voilées. Il y a des femmes qui se voilent chez nous, mais c’est devenu une obligation, avec des châtiments corporels si on ne s’y soumet pas. Ce n’est pas possible ! », s’agace ce chef de famille.

Depuis quelques mois, dans de nombreux cercles de la région de Mopti, la charia est appliquée à des degrés divers, de gré ou de force. « Souvent, vers le crépuscule, ils sortent et prennent les gens en otage dans les mosquées. Sous la contrainte de leurs fusils, ils font leurs prêches pour forcer les gens à les suivre, à faire ce qu’ils veulent. Même les grands marabouts sont agressés, comme celui de Dialloubé. Tout ça effraie les gens ! », explique un agent de santé du cercle de Youwarou, l’un des seuls corps de fonctionnaires de l’État à être autorisé par les djihadistes à circuler et travailler librement.

Une armée immobile Plusieurs personnes de la région confirment cette injonction générale à des pratiques plus rigoristes de l’islam. Seules les grandes villes où les forces de l’armée malienne sont cantonnées sont épargnées, alors qu’à quelques kilomètres, en brousse, la réalité est toute autre. « L’armée reste cantonnée en ville et ne patrouille pas aux alentours, car on lui a donné la consigne ferme de ne bouger que sur instruction. Et les instructions ne viennent pas », poursuit notre agent de santé. « Je pense que c’est dû aux complicités des djihadistes avec la population. Il suffit qu’un véhicule militaire sorte en brousse pour que l’information soit donnée et que les djihadistes placent des engins explosifs sur les routes. L’armée malienne a beaucoup souffert de ça dans le cercle de Tenenkou. Elle a enregistré beaucoup de morts », ajoute-t-il.

Les effectifs et les véhicules militaires peu adaptésà la réalité du terrain, face à des hommes armés à moto qui peuvent disparaître dans les brousses parmi les populations, sont pointés du doigt par de nombreux habitants, mais aussi un certain manque de volonté politique. « Si l’armée faisait ses patrouilles au niveau des hameaux, des villages, peut-être qu’ils cesseraient. Mais ils ne le font pas. À mon avis, jusque-là, on a pas vraiment voulu chasser les djihadistes de ces zones. Dans le Macina, à Diabaly, Diafarabé, Dogo, etc., on sait exactement ou se trouve les djihadistes. Les gens là-bas peuvent vous dire où ils sont », indique cet habitant de Mondoro dans le cercle de Douentza.

Une katiba en évolution Dans ce contexte où l’État est faiblement présent, les habitants de la région de Mopti sont partagés entre le recours à la force pour chasser les djihadistes et l’organisation de cadre de concertation pour discuter avec eux. « Il faut que l’on identifie leurs chefs et que l’on s’assoit pour discuter. La plupart de ces hommes sont des chômeurs. Il faut créer de l’emploi, si chacun a de quoi vivre, sans quémander ou voler, ils cesseront tout ça. En attaquant, on risque de tuer des innocents. L’État tirera sur ses propres enfants et ce n’est pas une solution », avance cet élu du cercle de Youwarou.

Toujours est-il que prochainement seront déployées dans la région, les forces de la Minusma et du G5 Sahel. Rien de nature à inquiéter les hommes de Kouffa aux dires de certains. «  La mise en place du G5 Sahel coïncide un peu avec la mise en place du G5 des djihadistes », lance le Dr Bréma Ély Dicko, chef du département sociologie-anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako et fin connaisseur de la région. « On assiste à une évolution dans les modes opératoires. Les djihadistes sont en train d’aller vers la deuxième étape de leur implantation, qui consiste à inviter les populations à aller vers des pratiques plus rigoristes de l’islam. Vers un islam fondamentaliste. Ce ne sont plus seulement les représentants de l’État qui sont menacés, mais les populations locales, sommées de pratiquer un islam pur, débarrassé de tout syncrétisme. C’est ce que l’on voit notamment à Kouakourou et à Dialloubé », explique le chercheur, qui avoue ne pas entrevoir de portes de sortie à cette situation critique, et qui craint que la logique du tout militaire, sans appui des populations, ne parvienne à venir à bout d’un phénomène désormais bien enraciné.

 

 

EXCLUSIF : Amadou Ndjoum : « Mon bon comportement a été mon ticket de survie »

Mercredi 20 septembre aux environs de 18h, Amadou Ndjoum, l’agent de l’INPS kidnappé par la Katiba Macina, pénétrait dans Diafarabé, libre. L’homme fatigué, après plus de 4 mois de captivité en clandestinité, est malgré tout souriant. Quelques jours plus tard, il confiait au Journal du Mali le récit, parfois surprenant notamment sur la mansuétude de ses geôliers, de son enlèvement jusqu’à sa libération.

Depuis votre libération, comment vous-portez-vous ?

Je suis fatigué mais je vais bien. Depuis que j’ai été libéré, j’ai l’impression que je suis toujours en train de rêver ma libération. Je me demande si c’est vrai, c’est encore un peu confus dans ma tête. Je me sens fatigué. Là-bas je me couchais à 21h et je me réveillais à 5 h du matin car je ne pouvais plus dormir. Quand un nouveau jour se levait, c’était le signe du retour à la réalité, des soucis qui commencent, une nouvelle journée à affronter. Chaque jour qui passait était comme des années pour moi.

Pouvez-vous revenir sur votre enlèvement, le 26 avril dernier, comment cela s’est-il passé ?

J’ai quitté Mopti le 25 avril, je partais à Youwarou pour le paiement des pensions, chose que je fais mensuellement depuis 2010. Arrivé à Walado qui est environ à 25 km de Youwarou, il faut prendre le bac pour traverser avec les véhicules et continuer sur Youwarou. Nous étions deux sotramas à attendre le bac. Un homme est venu à moto enturbanné, il a intimé au conducteur de bac de ne faire traverser personne et d’immobiliser tous les véhicules. Quelques minutes sont passées et des hommes à bord de trois motos ont traversé de l’autre côté pour venir dans notre direction. Ils étaient en tout six, enturbannés et armés. Ils se sont directement dirigés vers moi. Ils m’ont demandé mon identité, où j’allais. Je leur ai dit qui j’étais et que j’allais à Youwarou. Ils ont voulu savoir ce que j’allais faire là-bas. J’ai répondu que j’allais payer les pensions. « Ah, donc c’est toi! » a dit l’un d’entre eux. J’ai compris qu’ils avaient ordre de venir me chercher. Ils ont pris mon sac. Nous sommes partis. On a traversé le fleuve en pirogue avec les motos. Arrivé sur la terre ferme, on m’a bandé les yeux, on m’a mis sur une moto, on a beaucoup roulé, on s’est juste arrêté à un moment pour prier et la nuit, on est arrivé dans un endroit que je ne connaissais pas. Je n’avais pas l’esprit tranquille car je ne savais pas où ils me menaient et ce qu’ils voulaient.

Vous ont-ils dit à ce moment-là pourquoi ils vous ont enlevé ?

Oui. Après la prière, ils ont ouvert mon sac où j’avais mes bordereaux de paiement, mes portables et tout. Ils ont tout enlevé. Ils m’ont dit qu’ils savaient que je partais chaque mois à Youwarou pour aller payer le salaire des militaires et des gendarmes de Youwarou. Je leur ai dit que non. J’ai essayé de leur expliquer en leur montrant les bordereaux, les noms et les paiements mais ils étaient illettrés, ils n’arrivaient pas à comprendre. Ils m’ont dit que ce que je disais était faux. Je leur ai demandé d’enquêter à Youwarou et voir si ces noms sont des porteurs d’uniformes ou des civils. Je savais que ma vie dépendait de ça et que s’ils comprenaient que je ne m’occupe pas des salaires des militaires, ce ne serait pas les mêmes conséquences. Pour eux, j’étais un militaire en civil qui cachait ce qu’il faisait pour payer ses collègues de l’armée. Ils ont pris mes affaires, compter mon argent, ils ont tout daté et scellé et ils m’ont dit que le jour que je serais libre, ils me le rendront.

Photo: Olivier Dubois

Savez-vous qui a pu leur dire que vous faisiez ces tournées pour payer les militaires ?

Ils m’ont dit que c’est quelqu’un qui me connaît très bien, quelqu’un qui savait quand et où je partais faire ma tournée. Cette personne leur a raconté que comme je payais les militaires, j’étais leur ennemi aussi. Je n’ai pas encore de preuve formelle sur l’identité de cette personne, mais je le saurai.

Vous avez été en captivité pendant plus de 4 mois, comment avez-vous été traité et comment êtes-vous parvenu à tenir ?

J’ai essayé d’être comme ils sont et de garder la foi. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai été maltraité. Ce qu’ils mangeaient, c’est ce que je mangeais, c’était l’égalité totale. Je peux même dire que j’étais mieux traité que les autres du groupe. Ils faisaient tout pour me protéger. Malgré les conditions dans lesquelles nous vivions, ils faisaient en sorte que j’aille bien. Durant ma captivité, ils venaient me demander mes habitudes, ils voulaient savoir ce que je prenais, ce que je voulais. Ils m’apportaient de l’eau pour me laver, ce sont eux qui lavaient le linge pour moi. J’avais pas mal de droit sauf la cigarette car ils n’aiment pas ça, mais bon, moi je ne fume pas. Nous dormions principalement à l’extérieur. J’avais une natte, j’avais des couvertures. Côté nourriture, les 3 repas étaient respectés, on mangeait ensemble. J’ai observé les 30 jours de carême avec eux et malgré les conditions de détention, j’y suis parvenu à leur grand étonnement. La Tabaski, on l’a fêté ensemble. J’étais avec eux tout en pensant à ma famille. Je n’étais pas ligoté je pouvais quand même bouger. Je passais mes journées assis ou couché, je me levais pour la prière. Là-bas, on ne te dit rien, tu n’entends rien de l’extérieur, le temps était très long.

Avez-vous songé à vous échapper pendant votre captivité ?

Non je n’y ai pas pensé. C’est peut-être ça aussi qui m’a beaucoup favorisé. Je ne leur ai pas aussi menti. J’ai été enlevé pour une fausse accusation. J’ai pensé que comme ce qu’ils me reprochent est faux, je ne resterai pas longtemps leur prisonnier. Ça m’a permis de garder espoir. Je me suis bien comporté. Ils ont petit à petit eu confiance en moi. Au début, ils pensaient que j’allais m’échapper. Mais ils ont compris que je n’allais pas le faire. Les chefs me disaient que j’étais une personne de confiance. J’étais une sorte de prisonnier modèle pour eux. Ils m’ont même dit que c’est la première fois qu’ils capturent quelqu’un et qu’ils le félicitent et l’apprécient. Je pense que mon bon comportement durant ces longs mois a été mon ticket de survie.

Qui étaient vos ravisseurs, avez-vous pu communiquer avec eux, créer des liens ?

C’était les hommes d’Amadou Kouffa. Nous communiquions, car nous parlions la même langue, la langue peule et nous pratiquions la même religion, l’Islam. Il n’y avait que des hommes, il y avait aussi des enfants, des talibés, qui venaient nous visiter d’eux-mêmes. Je ne peux pas estimer leurs nombre car je n’étais pas directement avec eux. Il y avait une garde rapprochée, au moins 3 ou 4 personnes qui m’entouraient et me surveillaient. Ils discutaient toujours à distance, ils se méfiaient, ils ne voulaient pas que je les vois à visage découvert ou que j’entende certaines conversations.

Vous a-t-on souvent fait déplacer durant votre captivité ?

Jusqu’à ma libération, on m’a déplacé au moins 3 fois. J’avais toujours les yeux bandés pour ne pas savoir ou j’étais et ne pas les reconnaître. Les déplacements se faisaient à moto.

 

Y’avait-il d’autres otages avec vous ?

Non, j’étais le seul avec eux.

Vous ont-ils parlé de négociation visant à vous faire libérer ?

Non pas vraiment. Après 20 jours, ils sont venus me voir et ils m’ont dit que mes parents demandaient une preuve de vie et qu’il fallait faire une vidéo. C’est la vidéo que vous avez dû voir.

Quand j’ai demandé s’ils avaient fixé une rançon, ils n’ont rien dit. Chaque fois que je posais des questions ils me disaient « on est en train d’en parler avec ta direction, on est là-dessus ». Ils m’ont ensuite dit qu’ils n’ont jamais demandé de rançon à qui que ce soit. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont libéré. Je pense que c’est Dieu qui m’a blanchi.

Comment s’est déroulée votre libération ?

Le mercredi 20 septembre, vers 15h, ils sont venus me chercher, je m’en souviens parce que j’ai prié à 14h. Ils m’ont dit de prendre mon sac et de les suivre. Je pensais que nous partions pour une autre destination. On a roulé jusqu’à environ deux ou trois kilomètres d’une ville. On s’est arrêté. On était deux seulement. Il m’a demandé si je connaissais l’endroit. J’ai répondu que non. Il m’a dit que c’était Diafarabé, puis il m’a dit que ses supérieurs lui ont demandé de me libérer aujourd’hui. Il m’a montré au loin des antennes et il m’a dit que c’est là-bas, dans la ville, que je devais aller. Il devait être 18h. Je n’avais plus qu’à marcher pour m’y rendre. Il m’a donné 5000Fcfa, pour payer le passage en pinasse ou en pirogue et il est parti. C’est quand il s’est éloigné avec sa moto que j’ai compris que j’étais réellement libre. J’ai marché et suis entré dans Diafarabé. Je ne connaissais personne là-bas. Il y avait des jeunes qui jouaient au ballon. Je me suis approché, j’ai demandé s’il connaissait la seule personne que je connaissais et qui habitait à Tenenkou. Chacun a appelé des camarades pour essayer de trouver cette personne. Je me suis présenté, je leur ai dit que j’étais Ndjoum, l’agent de l’INPS qui a été enlevé par les djihadistes. L’un des garçons présents a été très surpris, il était le fils du président des retraités de l’INPS de Diafarabé. On est allé voir son père qui était très ému. Je suis resté là-bas, je me suis lavé, j’ai mangé. Ensuite on a appelé notre direction. Ils ont pris la route pour venir me chercher en bateau, le rendez-vous était à 1h du matin. Ça a pris un peu de retard, le bateau est arrivé à 5h du matin, et on a enfin embarqué pour Mopti ou j’ai pu retrouver ma famille.

Aujourd’hui libre, que ressentez-vous et qu’allez-vous faire ?

Tous ces longs mois, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je me disais pourquoi tout ça. On m’accuse de quelque chose qui n’est pas vrai. Ce qui m’est arrivé, c’est quelque chose que l’on ne peut pas prévoir. Là-bas on ne sait pas qui est qui. En tout cas je ne partirai pas, je resterai où je suis. Ma direction qui m’a demandé de venir à Bamako. Je dois les voir lundi. Je dois aussi voir les autorités. Je vais demander à avoir un congé pour me reposer et retrouver ma famille.

Amadou Ndjou entouré de proches à Bamako.

De nombreuses personnes se sont mobilisées pour faire en sorte qu’on ne vous oublie pas et tenter de vous faire libérer. Qu’avez-vous à leur dire ?

Quand j’ai appris cela, je ne savais même pas quoi dire. J’ai senti que vraiment on ne m’avait pas abandonné. Même si j’étais coupé de toutes informations, je tentais de garder espoir. Cette mobilisation, ces soutiens, ça m’a redonné des forces, savoir qu’il y avait tous ces hommes et ces femmes, ma famille, derrière moi. Si je suis aujourd’hui libre c’est grâce à eux et je les en remercie infiniment.

Amadou Djoum est libre

L’agent de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) enlevé depuis le 26 avril 2017 par un groupe armé affilié à la Katiba du Macina à Walado a été libéré dans la matinée du 14 septembre 2017. L’information a été confirmée par un membre du Collectif qui milite depuis des semaines pour ce dénouement heureux.

141 jours de captivité. Aux mains de ses ravisseurs, Amadou Djoum, père de quatre enfants, aura cristallisé les inquiétudes de ses proches qui ont mis en oeuvre tout ce qui était en leur pouvoir pour en obtenir la libération. D’après  nos premières informations, c’est à ces derniers qu’il a été remis à Sevaré(Mopti).  Fatigué mais bien portant, il aurait été invité par les autorités à rejoindre Bamako.

La mobilisation sans cesse croissante pour sa libération aura certainement permis de briser le silence constaté jusqu’il y a peu.  Des jours de repos et de prise en charge permettront à Ndjoum de se retrouver  et reprendre sa vie normale. Et de raconter ce qu’il a traversé pendant cette détention.

Amadou Djoum, agent de l’INPS pris en otage : Plus de cent trente jours de silence

Dans le Centre du Mali, un nouvel ordre s’est installé. Pas de loi, ni de foi, juste la terreur. Des hommes affiliés à l’illustre Amadou Kouffa y règnent en maitres incontestables. Intimidations, peur, braquages, prise d’otages, assassinats sont devenus monnaie courante dans ce cercle vicieux. Le 26 avril 2017, Amadou Ndjoum, la trentaine avancée, agent de l’INPS à Sévaré, marié et père de quatre enfants, a été enlevé par un groupe armé à Walado. Plus de quatre mois de détention ont passé dans un silence assourdissant de la part du gouvernement, malgré la mobilisation de sa famille et, depuis trois mois, d’un collectif qui œuvre à sa libération. Retour sur un fait qui dépasse l’entendement.

Cela ressemble à un fait divers, mais ça n’en est pas un. C’est plutôt un drame. Le 26 avril 2017, Amadou Ndjoum, agent de l’Institut National de Prévoyance Sociale de Sévaré, tombe dans les filets d’un groupe armé à Walado, dans la localité de Youwarou. Marié et père de quatre enfants, Amadou Ndjoum, en mission, empruntait un véhicule de transport en commun avec d’autres passagers. Ce jour-là, comme chaque mois depuis cinq ans, il s’était mis en route pour aller verser les pensions des retraités de l’Institut. Conscient de l’insécurité permanente, il avait pris l’habitude de dissimiler l’argent dans un carton, en mettant par dessus des mangues. 10 000 000 de francs CFA étaient contenus ce 26 avril dans ce coffre-fort de circonstance. Tout se passait heureusement en ce début de matinée, mais cela ne dura pas longtemps. Tout à coup, le bus fut immobilisé par des hommes armés de kalachnikovs, au nombre de trois, sur trois motos. L’un d’eux le montra du doigt en disant: « c’est lui Amadou Ndjoum ». Identifié, il fut  aussitôt appréhendé, ligoté, les yeux bandés et mis derrière l’un de ses trois ravisseurs sur une moto. Ils traversèrent avec lui la ville de Dogo en pleine journée. Contre toute attente, aucun bien, ni de Ndjoum, ni des autres passagers, n’a été emporté. Dès lors on pouvait s’interroger sur les motivations profondes de ce rapt si particulier. Pourquoi enlever cet homme au lieu de l’argent ? Quelle valeur avait-il au point d’être le seul extrait parmi tout ce monde ? D’après des informations émanant de la famille de l’infortuné, parmi les ravisseurs se trouvait l’un des fils d’un des retraités auxquels il versait leurs pensions. D’autres témoignages, recueillis auprès du frère de Ndjoum et du collectif, accréditent la thèse selon laquelle les djihadistes souhaitaient échanger l’agent de l’INPS contre l’un des leurs, détenu par les autorités maliennes. Pour l’association Kisal, il s’agirait d’un certain Dicko, qui serait, d’après des rumeurs persistantes, le beau-père d’Amadou Kouffa.

Mobilisation familiale Le jour même de l’enlèvement, vers 16 heures environ, l’un des ravisseurs appela un ami d’Amadou Ndjoum pour l’informer du rapt de ce dernier. D’ailleurs, des images de l’otage lui ont été envoyées par Viber pour prouver qu’il allait bien. Aussitôt, cet ami de Ndjoum en informa l’un de ses neveux, qui répandra instantanément la nouvelle. Aucune demande formelle de rançon n’a été formulée, ni aucune revendication ou explication de l’enlèvement. Dès le lendemain, le neveu de Ndjoum, Hamadoun Bah, s’est rendu à la gendarmerie et chez le Gouverneur pour les informer de sa disparation. Il espérait que ce fils du pays, capturé en mission, ferait l’objet d’attention de la part des autorités. Que nenni.  Plusieurs fois il s’entendra répondre « on est là-dessus ». 10 jours après la capture, le 7 avril, le neveu de Ndjoum reçoit une vidéo réalisée par les geôliers. L’agent payeur y apparait à genoux. Derrière lui se tiennent des hommes armés et enturbannés. Il s’exprime en peul, puis en bambara et en français, se disant bien portant et bien traité. Souriant, il lance un appel pressant pour sa libération. Cette vidéo a permis de savoir qu’il était séquestré par des hommes de la Katiba du Macina, qui a fusionné avec des groupes opérant dans le Sahel pour donner « Jamaat Nosrat Al-Islam Wal-Mouslimin », sous le  commandement d’Iyad Ag Agaly. Dans cette partie du Mali, « après Dieu, c’est Amadou Kouffa », le détenteur d’autorité. Des hommes qui lui sont affiliés enlèvent presque au quotidien de paisibles citoyens. C’est un vase huis clos où les règlements de comptes empoisonnent la stabilité sociale. Le maire de Dogo, sollicité par la famille, avait assuré faire tout son possible. Entre temps, l’une des grandes sœurs de Ndjoum s’est rendue sur les lieux, où elle a rencontré, le jour de la foire de la localité, des éléments de la Katiba. Ceux-ci lui ont assuré que le jeudi d’après ils reviendraient avec son frère et que c’est le maire qui le recevrait.  Une lueur d’espoir naquit, le laps d’une semaine. Tout le monde crut à son imminente libération, quand survint un retournement de situation. Le maire, qui devait recevoir le prisonnier, aurait été inquiété par les allers-retours des FAMAs, qui le soupçonnaient d’être proche des djihadistes. Il quitta Dogo pour Bamako, où, depuis, il est injoignable. Le jeudi du rendez-vous arriva. L’otage était bel et bien là, mais, le maire étant absent, les éléments de la Katiba s’en retournèrent avec lui, après s’être approvisionnés au marché. Depuis lors, aucune nouvelle n’a filtré. Selon sa femme, « des gens sont souvent enlevés, mais deux ou trois jours après ils sont libérés », ce qui renforce l’hypothèse qu’il pourrait être détenu à des fins importantes, comme un échange. Quant au carton, il a été livré au logeur de Ndjoum, qui, quelques jours après, l’ouvrit et y trouva les 10 millions, qu’il remit peu après à l’INPS de Sévaré.

Mobilisation collective Face au constat d’immobilisme de l’Institut et du gouvernement, un collectif pour la libération de Ndjoum et de tous les otages maliens a vu le jour. Un mois après le rapt, un jeune fonctionnaire malien de Bandiagara, du nom d’Oumar Cissé, a sonné l’alarme via Twitter. Cinq personnes actives, toutes maliennes, deux de la diaspora et trois de l’intérieur, formèrent un collectif qui compte aujourd’hui une trentaine de sympathisants à travers le monde. Il mène une campagne quotidienne sur les réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook. Des actions ont été entreprises, comme la publication de plusieurs articles qui ont permis de rallier à la cause plusieurs hommes politiques, hommes des médias, activistes et citoyens engagés. Une lettre ouverte a été adressée au Président de la République, appelant à son implication et à celle du gouvernement. Le collectif, dans son plaidoyer, lui disait combien il serait glorieux de s’investir pour qu’un fils du Mali sorte d’un danger de mort. Car, selon ses membres, cela est possible. « Combien de fois les autorités maliennes ont-elles fait libérer des otages étrangers, souvent dans l’ombre ? ». Au centième jour de sa mobilisation, correspondant aux 128 jours de détention de Ndjoum, le collectif a organisé un point de presse au mémorial Modibo Keita. Pour Dia Sacko, membre active, « l’objectif principal est d’appeler à un sursaut national autour des otages maliens. Pour ce qui concerne Amadou Ndjoum, il s’agit d’en appeler à la responsabilité de l’INPS et à l’action du gouvernement malien ». Une plainte a été déposée par son frère le 15 juin 2017 à Sévaré, puis transmise au tribunal de la Commune  VI de Bamako.

Sortir du silence Le silence de l’INPS face à un tel acte, plus d’un ne l’a pas compris. D’ailleurs, d’après Cheick Oumar Ndjoum, la famille n’a reçu la visite des agents de Mopti que 4 jours après l’enlèvement. Aucune démarche n’a été entreprise pour sa libération. Son épouse a été invitée à prendre le salaire de son mari, mais elle a répondu que c’était son mari qu’elle voulait, non cet argent. Du côté du gouvernement, c’est le silence radio. Pas même un communiqué de presse. Le ministre de l’administration territoriale, Tiéman Hubert Coulibaly, a à titre personnel appelé une fois Mme Ndjoum et suit la mobilisation sur Twitter. La plainte reçue par le procureur antiterroriste près le Tribunal de la Commune VI traine toujours. Un silence que certains assimilent à une inaction. « Nous ne pouvons rien vous dire, l’enquête est en cours », confie un agent de la Sécurité d’État. Selon le chargé de communication du ministre de la Justice, « le sujet est très difficile à aborder » et « à ce stade, il ne pourra rien dire ». Quant à celui du ministère de la Solidarité et l’action humanitaire, dont relève l’INPS, il n’a pas voulu s’exprimer. Y a-t-il une implication sérieuse des autorités dans le dossier ou est-ce le statu quo ? Sa famille et le collectif, eux, ne perdent pas espoir. « Chaque jour nous espérons sa libération » répète Dia Sacko, l’une des personnes se battant pour sa cause. Aujourd’hui, pouvons-nous dire avec sincérité : « les champs fleurissent d’espérance » et « les cœurs vibrent de confiance» ? Amadou Ndjoum mérite t-il de croupir en détention en silence ?

 

Wassim Nasr :  « Le temps joue en faveur des djihadistes »

Début mars, Iyad Ag Ghaly annonçait la formation d’un nouveau mouvement djihadiste, Jamaat Nusrat al-Islam wa-l-Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), fusion d’Ansar Dine, d’AQMI au Sahel, d’Al-Mourabitoune et de la Katiba Macina. Wassim Nasr, journaliste et auteur de « État islamique, le fait accompli » (Plon), revient sur les motivations de cette inquiétante union djihadiste au Sahel.

Pourquoi ces 4 mouvements djihadistes ont-ils décidé de fusionner en un seul mouvement ? 

Ils ont fusionné parce que la situation géopolitique s’y prête. En même temps, cette formation s’est faite en opposition au processus de paix et à la mise en place des autorités intérimaires au Nord Mali. Cette nouvelle union qui regroupe différentes sensibilités, si je puis dire, ethniques, tribales et claniques de la région du Sahel, est dans la dynamique même de la politique d’Al-Qaïda : un ancrage solide qui s’accroche à un conflit local et des préoccupations locales. C’est comme ça qu’ils réussissent à chaque fois à faire perdurer leur mouvement dans le temps. Tant que le problème local n’est pas résolu, ils vont perdurer avec lui.

Cette union de mouvements djihadistes va-t-elle faire barrage à l’État islamique comme le disent certains observateurs ? 

Ce n’est pas juste en opposition à l’État islamique, c’est avant tout en application de la politique d’Al-Qaïda qui est d’unifier les groupes et de les ancrer sur des problématiques locales. Beaucoup d’experts sont sur l’État islamique parce que c’est l’actualité du moment, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. Ces djihadistes disent que le temps joue en leur faveur, c’est un souffle long. Cela en est l’application exacte. Ils ont attendu que le processus de paix et la mise en place des autorités se « cassent la gueule » pour lancer leur nouvelle formation qui va forcément attirer du monde. La patience et l’attente, c’est propre à Al-Qaïda.

Pourquoi le choix d’Iyad Ag Ghaly comme chef de cette union ?

Iyad Ag Ghaly n’est pas un choix anodin. Il a un ancrage local, des réseaux locaux et une influence locale qui pourra lui permettre d’attirer plus de monde dans son giron. C’est le meilleur candidat. C’est pour cela par exemple que l’on n’a pas choisi Mokhtar Belmokhtar, qui n’a aucun ancrage local ou tribal au Nord du Mali. Avoir un ancrage local solide est un aspect indispensable à toutes mouvances djihadistes, dont Al-Qaïda. C’est comme ça qu’ils fonctionnent depuis toujours. On a vu ça avec les Shebab en Somalie, au Yémen avec AQPA et avec le front Al-Nosra (Syrie) dans une moindre mesure aujourd’hui. Ce choix est un calcul.

Ont-ils de nouvelles revendications et qui visent-ils ?

Ils vont continuer sur la même veine, ils vont faire monter les enchères. Le but c’est toujours de frapper les forces étrangères au Nord du Mali et l’étendue de leurs opérations va bien au-delà. Cette nouvelle formation va avoir besoin d’un coup d’éclat quelque part. Est-ce que ça va être en France ? Est-ce que ça va être dans un pays africain au-delà du Sahel ? Parce que le Mali est maintenant habitué aux attentats et aux attaques de kamikazes, s’ils veulent faire un coup d’éclat, ils doivent aller au-delà. Il y a aussi une montée en puissance de la communication, par exemple contre la France. Alors frapperont-ils des intérêts français dans un pays africain ? Tout est possible.

Comment ont-ils pu se réunir sans que quiconque ne soit au courant ?

Ces gens-là sont rompus à la clandestinité, sinon ils seraient déjà tous morts depuis un bon moment. C’est très facile pour eux de voyager. On ne peut pas imaginer que dans une zone aussi grande que le Sahel, l’on puisse les suivre à la trace. On peut difficilement les appréhender avec des moyens techniques, même très importants. Il faut du renseignement humain et c’est compliqué. Ce que nous avons vu n’est qu’une mise en en scène. Ils se sont certainement réunis plusieurs fois avant pour mettre les choses au clair et ensuite l’annoncer au public.

Au centre du Mali, c’est le Far west…

Cette nuit-là, Ibrahima Maïga, s’est couché tôt, harassé par une journée de travail bien remplie passée entre Sévaré et Ngouma. Vers 2h du matin, dans un sommeil profond, il sent qu’on le secoue. Grognant, il lance son bras pour chasser l’importun, un objet froid et métallique stoppe la course de sa main le faisant sortir d’un coup de sa torpeur. Une puissante lumière l’éblouit, une torche fixée sur un fusil que braque sur lui une silhouette noire, un homme, portant un treillis de l’armée de terre. Un autre, derrière lui, s’active bruyamment à retourner ses affaires. « J’ai d’abord cru que c’était des militaires qui avaient besoin d’essence », raconte Ibrahima, animateur radio à Ngouma, assis sur un petit tabouret de bois dans la pénombre d’une arrière salle de la radio FM de Douentza. « Ils m’ont dit qu’ils voulaient de l’argent, mais je n’avais rien ! ». Les deux hommes fouillent la pièce puis s’en vont, laissant Ibrahima tremblant de peur. Vingt minutes plus tard, une fusillade éclate, un cri perce la nuit, des moteurs démarrent en trombe, puis plus rien. Ce soir-là, les bandits sont repartis avec un butin 5 millions de francs CFA et un véhicule. Nul ne sait d’où ils sont venus, qui ils étaient, mais dans la 5e région du Mali, cette scène tragique fait désormais partie du quotidien. Incursion au cœur de la région de Mopti, véritable « Far west » malien.

La route qui mène à Douentza, chef-lieu du cercle aux portes de la région Nord du Mali, est chaotique et défoncée, comme oubliée des pouvoirs publics. Les trous et crevasses y côtoient les sparadraps de goudron, ralentissant considérablement la progression des véhicules. Sur cet unique axe qui mène à la ville, on peut ne pas croiser âme qui vive pendant des kilomètres. Dans cette zone de la région de Mopti, règne un anarchique chaos où seul prévaut la loi du plus fort résultant de la faible présence ou de l’absence totale d’institutions gouvernementales. Ici, la peur ne semble pas changer de camp, les groupes armés sévissent et les citoyens fatalistes craignent chaque jour pour leurs vies et leurs biens. « Si tu as une arme, c’est toi qui fait la loi, c’est toi qui dirige ! On est confronté à ce problème d’insécurité, surtout dans le secteur nord et est du cercle. Il y a les djihadistes réunis en plusieurs groupuscules, des groupes armés peuls qui s’affrontent dans des règlements de compte pour l’argent, le bétail ou l’accès aux terres arables, et le banditisme, avec les ex-combattants des mouvements armés qui, au sortir de la crise, ont gardé leurs armes et sèment la terreur », explique Amadou, un journaliste local, qui depuis ces dernières années, observe une situation qui ne cesse de se dégrader.

Bien que les langues à Douentza se délient difficilement, au gré des rencontres, force est de constater que le problème d’insécurité dans la zone est complexe. « Certains sont en train de se venger pour ce qui s’est passé il y a des années. Les gens qui ont pris les armes, des Peuls pour la plupart, ont rejoint les islamistes pour être protégés et se faire justice. Il y a eu beaucoup de chefs de village attaqués ou tués, même des imams. On les soupçonne de parler avec les autorités, d’être des complices de l’État, donc on les élimine. Pour sauver ta peau, si tu ne fais pas partie de ces groupes, tu dois donner quelque chose, un garçon, de l’argent, du bétail, tout ce que tu as. Ils ont les armes et font comme bon leur semble », déplore l’animateur radio Ibrahima Maïga.

La tentation djihadiste Avant la crise de 2012, des prêcheurs comme Amadoun Kouffa, un prédicateur peul fondateur du Front de libération du Macina, groupe djihadiste qui sévit dans la région, ont silloné la zone pour le compte de la secte Dawa, prônant une ré-islamisation de la population. « Ils viennent à plusieurs en moto et bien armés. Ils parlent de la défense de l’Islam et nous disent de refuser tout ce qui n’en fait pas partie. Ces prêcheurs racontent ce que les éleveurs peuls veulent entendre, que l’Islam interdit de payer le droit d’accès aux pâturages qui autrement peut se négocier à des centaines de milliers de francs CFA. Ils adhèrent à ces groupes aussi pour ça. Beaucoup les ont rejoint dans le Macina », explique Issa Dicko, frère d’Amadou Issa Dicko, chef du village de Dogo, assassiné par les djihadistes en 2015.

Écoles fantômes et maires en fuite Dans ces zones reculées, désormais sous la coupe des prêcheurs, l’éducation nationale est délaissée au profit de l’éducation coranique. « Ces communautés ne sont pas prises en compte dans le système éducatif national », dénonce pour sa part, Ibrahima Sankaré, secrétaire général de l’ONG Delta Survie, qui a mis en place des écoles mobiles pour ramener les enfants en classe. « La communauté peule de ces zones est réfractaire à l’école formelle pour des raisons moins féodales que religieuses. Pour eux, s’ils mettent leur enfant à l’école française, il ira en enfer », explique Ibrahima Maïga, qui cite le cas du village de Tanan, à 60 km de Douentza où depuis 2006, aucune classe n’est ouverte, « même les portes et les fenêtres ont fini par être emportées »…

Si dans beaucoup d’endroits l’école est en panne, d’autres représentations étatiques comme les mairies sont aussi visées. Dans la ville de Kéréna, située à une trentaine de kilomètres de Douentza, les « occupants » comme ils sont aussi appelés ici, ont interdit à tous ceux qui travaillent à la mairie d’habiter la commune, sous peine de mort. Depuis ces derniers ont fui. « Durant les élections communales, les gens étaient angoissés et vivaient dans la peur d’une attaque », se rappelle Sidi Cissé, enseignant à Douentza. Le nouveau maire de Kéréna, Hama Barry, n’a pu exercer son mandat ne serait-ce qu’un jour. Il a dû se réfugier à Douentza avec son adjoint pour sa sécurité. Plusieurs parmi la population l’ont suivi. Le vieil homme est aujourd’hui méfiant, car dit-il, « ici on ne sait pas qui est qui ». Après maintes discussions, il accepte une rencontre. À côté de lui, son adjoint affiche un perpétuel sourire et un regard inquiet durant la courte entrevue qu’il accorde au Journal du Mali. « Je vais bientôt retourner à Kéréna, tout va bien, ce ne sont que quelques querelles », se borne-t-il à dire en pulaar, pour éluder les questions trop précises, avant de saluer chaleureusement et de prendre congé.

Peur sur la ville À Douentza, l’omerta règne aussi. L’assassinat d’une parente de l’ancien adjoint au maire de Kéréna, froidement abattue à son domicile, à moins de 200 mètres du camp de la MINUSMA, il y a quelques mois, a marqué les esprits et imposé de facto le silence. « Ceux qui ont fait ce coup ont réussi. Ils ont fait en sorte que tous sachent que même à côté des forces de l’ordre, on n’est pas sécurisé », explique cet autre élu, également forcé à l’exil. Ce qu’ils veulent, ces groupes l’obtiennent avec leur fusil ou à la pointe de leur couteau, celui qui n’est pas d’accord avec eux ne peut que se taire. « Les gens ont peur. Ils ont peur pour leur vie. Moi qui vous parle, je me suis un peu trop avancé dans cette conversation. Je n’ai rien dit mais j’en ai déjà trop dit », ajoute-t-il, assis dans son salon, où trône sur le mur derrière lui, un portrait le représentant arborant l’écharpe aux couleurs du drapeau national. Triste rappel d’une fonction aujourd’hui vide de sens.

Cette peur ambiante freine les populations dans leur désir de collaborer avec les autorités. « Les gens veulent collaborer mais ils ne sont malheureusement pas protégés en retour », affirme Madame Diarra Tata Touré, membre active de la société civile et secrétaire générale de l’ONG ODI Sahel, à Sévaré. « Il y a le laxisme de la gendarmerie, la corruption. Quand les forces de l’ordre prennent des djihadistes ou des bandits, il suffit qu’ils versent de l’argent pour qu’on les relâche. Les gens collaboraient avec l’armée et la gendarmerie avant, mais c’est un marché lucratif et ce sont ces mêmes autorités qui, après avoir relâché les bandits ou djihadistes, leur disent que c’est un tel qui a donné l’information. Ensuite, ils sont assassinés. Même si je vois un bandit, je ne dirai rien parce que je sais qu’après il viendra me tuer ! », résume Amadou, journaliste à Douentza, qui ajoute sur la foi de renseignements de terrain, que si l’État ne fait rien, « il va y avoir une révolte social. Les gens s’organisent et s’arment. Ça peut éclater à tout moment ». Pour Sidi Cissé, qui faisait partie du groupe d’auto-défense de la ville de Douentza en 2012 et qui a eu à négocier avec les djihadistes durant cette période, la situation actuelle est vraiment déplorable. « Après la crise, l’État est revenu mais ça continue. On tue froidement des gens, on les harcèle, malgré la présence de la gendarmerie et de la MINUSMA. Ça ne se passait pas comme ça même durant la crise », témoigne-t-il. « Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour arrêter ça. Est-ce que c’est l’État qui a failli ? Est-ce que ce sont les forces de l’ordre ? », s’interroge-t-il.

Sur le retour, nous dépassons Sévaré. Sur la route qui mène à Bamako, il n’est pas rare de croiser des pickup aux couleurs camouflage, transportant 5 ou 6 militaires casqués et bien armés. Ils finissent par disparaître de notre rétroviseur. De Mopti à Douentza jusqu’à Tombouctou, ils ont aussi disparus. Comme si la ville de Mopti était un point, une ligne charnière au-delà de laquelle la sécurité n’existe plus.

 

 

 

Deux membres d’Ansar Dine Macina arrêtés à Bamako

Deux hommes appartenant au mouvement Ansar Dine du Macina du prédicateur radical Amadou Kouffa ont été arrêtés le week-end dernier dans une mosquée à Bamako. Accusés de terrorisme, ils sont pour l’heure entre les mains la Sécurité d’État (SE)

Dimanche 18 décembre, dans une mosquée à Banankabougou en commune VI du district de Bamako, les agents de la sécurité d’État ont procédé à l’arrestation de deux éléments importants de la mouvance islamiste du Macina. Il s’agit de Boubacar Cissé alias Boury, âgé d’une quarantaine d’années et commerçant à Mopti et de Souleymane Barry. Le premier réputé très proche d’Amadou Kouffa, jouait surtout le rôle de logisticien auprès du mouvement. Il leur fournissait des panneaux solaires, des pièces détachées de moto et de voitures et des denrées alimentaires. En plus de cela, il fournissait également des informations et assurait la médiation d’otages locaux enlevés par les disciples du prédicateur. Le second, dans la cinquantaine, est un maitre coranique, radicalisé par les discours enflammés de Kouffa, cadre d’une secte à Mopti, il utilisait ses prérogatives pour le recrutement et l’endoctrinement de jeunes talibés.

En représailles des ces arrestations, le même jour, le groupe a attaqué un poste de gendarmerie situé à Saye dans le cercle de Macina, tuant un gendarme et blessant un autre.

 

Abou Yehia, trajectoire d’un Emir d’Ansar Dine

Mahmoud Barry, alias Abou Yehia, alias Cheick Yahya, a été arrêté par les forces spéciales maliennes dans la fôrêt de Wagadou, mardi 26 juillet. Celui qui se nomme lui-même « Emir » de la Katiba du Macina, bien que dans le collimateur de la sureté de l’Etat depuis un certain temps, reste méconnu du public.

Abou Yehia est un peulh, d’environ 37 ans, marié, père de famille, passé par l’Arabie saoudite où il travaillait, il a été, un temps, imam dans une mosquée à Bamako. Comme nombre de peuls, il est entré dans la clandestinité pour défendre son ethnie, puis il s’est radicalisé, certainement au contact d’Amadou Kouffa qui opère dans le Macina, cette région qui s’étend de la frontière mauritanienne à la frontière burkinabè et dont l’épicentre est Mopti. Ils deviennent proche. Ce dernier, le charge de créer la branche peule d’Ansar Dine au Macina, pour coordonner les actions et les opérations au centre et au Sud du Mali. Selon certaines estimations, cette Katiba compterait pas moins de 500 combattants.

Elle opère aux alentours de Tombouctou, Diabaly, Nampala, Léré, Niafunké. Son fait d’arme notable, l’attaque de la gendarmerie de Nara, le 27 juin 2015, qu’Abou Yahia a commandité et dirigé.

Dans une vidéo, mise en ligne le 17 mai 2016 et qui semble avoir été tournée après l’attaque de la ville de Nara, perpétrée le 27 juin 2015, il harangue ses hommes en armes, victorieux, une Kalachnikov en appui sur l’épaule et un drapeau d’Ansar Dine en toile de fond. S’exprimant en langue Peule, il galvanise ses combattants et justifie leurs combats. Il dit vouloir combattre la France, les Etats-Unis et tous ceux qui ont envahi le Mali. Il appelle au jihad pour chasser les étrangers du Mali et combattre les forces maliennes.

Depuis début 2015, cette entité d’Ansar Dine a multiplié les raids meurtriers contre les forces de sécurité malienne et les assassinats ciblés dans la région de Mopti. L’attaque du camp de Nampala qui a fait 17 morts et 35 blessés dans les rangs des Famas, pourrait être imputable à sa katiba. « Ils sont liés de façon directe ou indirecte à l’attaque du camp militaire de Nampala, car ils opèrent dans cette zone », confie le commandant Modibo Namane Traoré.

Mardi 26 juillet, la trajectoire sanglante du chef de la Katiba Macina s’arrête net, une semaine après que le président Ibrahim Boubacar Keïta, a affirmé que les responsables de l’attaque de Nampala seront « traqués ». « Nous avons pu l’arrêter grâce à des éléments infiltrés et il a été appréhendé », révèle le commandant Traoré. « C’est une grosse prise, ça va nous permettre d’obtenir de nombreuses informations ; de qui se compose cette katiba ? comprendre quelles sont ses ramifications et ses connexions, avec Amadou Kouffa,  et surtout avec Iyad Ag Ghali, le chef D’ansar Dine », conclut-il.

Terrorisme : la difficile mise en place de la coopération interafricaine

Une succession d’attaques terroristes sans précédent secoue le Mali et la région ouest-africaine. Les groupes qui en sont les auteurs se coordonnent et s’aventurent désormais hors des frontières maliennes où ils ont prospéré, comme récemment pour frapper le littoral ivoirien ou la capitale burkinabè. Tandis que Barkhane continue sa mission de « police du désert », une riposte interafricaine tente de se mettre en place.

Depuis le début de l’année 2016, la Mali a connu une trentaine d’attaques terroristes sur son sol, et fait nouveau, le phénomène se répand dans d’autres pays de la sous-région peu inquiétés jusque-là . Le Mali est ciblé, alors qu’il tente de se relever d’une crise sans précédent, en s’appuyant sur un accord de paix obtenu à  l’arrachée. « Cette recrudescence des attaques démontre une volonté délibérée de faire dérayer le processus de paix, c’est très clair ! Ils veulent déstabiliser le pays. Ils ne cantonnent pas leurs attaques au nord, ils s’attaquent au sud, ils s’attaquent même aux mouvements armés signataires et aux forces étrangères », commente une source diplomatique. Pour Ibrahim Maïga, chercheur à  l’Institut des études de sécurité ISS Africa, cette succession d’actes terroristes cache d’autres buts. « Je pense qu’elle répond à  des raisons tactiques pour montrer qu’ils peuvent frapper partout. C’est aussi une guerre de leadership entre Aqmi et l’État islamique (EI). Aqmi a constaté qu’on voit de plus en plus de subsahariens, Maliens, Sénégalais, mais aussi Ivoiriens, parmi les rangs de l’EI en Libye. Cette recrudescence d’acteurs subsahariens est une menace non seulement pour les pays, mais également pour Aqmi, qui se sent concurrencée sur son propre territoire ».

Les terroristes parlent aux terroristes Malgré les rivalités, des groupes comme Aqmi, Al-Mourabitoune, Ançar Dine ou le Front de libération du Macina, ont en commun la volonté « d’atteindre des cibles symboliques où il y a des regroupements d’étrangers » et « d’instaurer un califat ou un État islamique là  où ils sont implantés ». Leur modus operandi : des petits groupes de moins de 5 personnes, mobiles, armés de fusils d’assaut, de grenades, ou de lance-roquettes, qui connaissent très bien le territoire pour y avoir évolué pendant l’occupation du Nord du Mali en 2012. « Il ne fait aucun doute qu’il existe aujourd’hui des passerelles, et le dénominateur commun semble être Iyad Ag Ghali », déclare Ibrahim Maïga. Hamadoun Kouffa et Iyad Ag Ghali se connaissent, ils se sont côtoyés au temps de la Dawa. Des témoins affirment avoir aperçu Iyad et Kouffa au moment de l’offensive sur Konna et selon des sources sécuritaires, « des individus qui travaillaient pour ces deux leaders, ont été arrêtés dans la région de Mopti ». Pour ce cadre de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), le problème de la Katiba Macina, comme ils se nomment eux-même, est sous-estimé par les autorités maliennes. « C’est une semence qui a été jetée il y a trois ans. Elle est en train de sortir de terre et si on y trouve pas de solution maintenant, dans 5 ans on ne parlera plus de Mali ni même d’Azawad. Parce qu’il y aura le Macina entre le Mali et l’Azawad ! ».

Un autre groupe, connecté aux « gens de Kouffa » sévit dans le Sud, la katiba Khalid Ibn Walid ou Ançar Dine Sud. La plupart de ses membres officiaient pour le compte de la police islamique à  Tombouctou, qui comptait une majorité d’élément d’Ançar Dine dans ses rangs. « Cette connexion est un avantage tactique évident pour Iyad Ag Ghali puisqu’elle lui permet d’étendre son combat et d’accroître son influence », résume le chercheur d’ISS Africa. À tel point qu’aujourd’hui, de nombreux observateurs pensent que négocier avec lui pourrait résoudre la crise du Nord et peut-être amener une paix durable dans le pays. Mais le gouvernement oppose un refus catégorique. « On ne peut pas négocier avec les terroristes. Ils n’ont pas d’autre projet politique que de tuer. Il faut travailler pour une réconciliation nationale et garder notre détermination à  combattre ceux qui n’ont que la lâcheté comme méthode de guerre », assène cet officiel proche du dossier.

Une solution en forme de coopération Néanmoins, les régions du Nord du Mali, restent des zones de non-droit, souvent montrées du doigt par les pays voisins, et constituent un sanctuaire pour ces groupes terroristes. « Le fait que l’État et l’armée ne soient pas présents dans cette partie du territoire amplifie le désordre et l’insécurité en l’Afrique de l’Ouest. Ces groupes, qui se déplacent relativement facilement, disposent ainsi d’une base arrière formidable pour pouvoir mener des attaques dans les pays voisins et plus au sud du Mali », souligne Ibrahim Maïga. Pour les contrer, les forces françaises de Barkhane, conjointement aux armées locales, tentent de dresser un filet aux mailles élargies, dans la bande sahélo-saharienne, un territoire vaste de 5 000 km² où les terroristes évoluent cachés. Dans cette « drôle de guerre », les Maliens amènent leur connaissance du terrain et les Français la logistique et la puissance de feu.

Depuis le début de l’opération Barkhane, plus d’une centaine de terroristes ont été mis hors de combat. La Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad ont pris conscience, dès 2014, qu’ils avaient à  lutter ensemble contre un ennemi commun et se sont rassemblés au sein du G5 Sahel, un cadre de coopération sécuritaire. « Le G5 couvre pratiquement toutes nos frontières, hormis la frontière algérienne. Cela nous permettra de nous coordonner et de projeter nos unités sur des théâtres d’opérations régionaux. En dehors du G5, le Mali est aussi intégré au processus de Nouakchott, qui englobe 11 pays africains et sahéliens. Nous discutons actuellement de l’opérationnalisation d’une force africaine d’intervention pour lutter contre le terrorisme », explique un officiel du ministère des Affaires étrangères. La semaine dernière, les ministres de la Sécurité du Mali, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal se sont rencontrés à  Abidjan, afin d’échanger sur les questions de la prévention et de la lutte contre le terrorisme. À l’issue des discussions, ils se sont accordés sur une mutualisation, un renforcement des relations et une meilleure collaboration entre services de sécurité. Pour Ibrahim Maïga, « ce genre d’initiative est positive car ces groupes transnationaux ne peuvent être combattus s’il n’y a pas coopération entre les États. D’autant plus qu’une coopération bilatérale marchera mieux qu’une collaboration multilatérale souvent moins efficace, moins fonctionnelle ».

Reste maintenant à  juger de l’application de ces mesures, alors que des divergences existent entre les États. La Mauritanie et le Mali, par exemple, n’ont pas les même vues sur la qualification des groupes terroristes. Un pays comme le Sénégal pourrait avoir moins tendance à  s’engager, car en s’engageant, on s’expose. La riposte régionale à  venir sera donc, d’abord, une question de volonté politique.